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Diabète et médecine interne

Publié le 15 juin 2020Lecture 4 min

Réduction du sel à grande échelle : une étude chinoise qui montre que l’on n’est pas sûr de pouvoir écraser une mouche avec un marteau pilon

Louis MONNIER, Montpellier

Les Chinois ont pris conscience avec un certain temps de latence que les maladies cardiovasculaires sont une cause majeure de mortalité dans leur pays et que les apports sodés quand ils sont excessifs sont associés à une augmentation de la pression artérielle et du risque d’accidents cardiovasculaires.

Dans une optique de santé publique, un groupe d’investigateurs chinois impliqués dans la médecine préventive a essayé de voir si, grâce à des actions éducatives et interventionnelles « à grande échelle », on pouvait réduire la consommation de sel (NaCl) dans une large communauté chinoise issue de la province de Shandong où la consommation de sel avait été estimée excessive en 2002 : 12,6 g par jour et par personne. En Chine où le manque de population n’est pas un problème c’est sur un « microéchantillon » (?) de plus de 15 000 personnes âgées de 18 à 69 ans que cette étude a été conduite sur une durée de 5 ans entre 2011 et 2016. Le travail d’éducation et de prévention a été réalisé par une multitude d’actions dont le caractère « grande échelle » et « longue durée » qui fait partie de la tradition chinoise (« grand timonier » et « longue marche ») ne pourra pas échapper au lecteur de cet article : promotions de produits alimentaires à faible teneur en sel dans 1 461 supermarchés, publications de messages de sensibilisation dans 1 777 journaux de la presse écrite, éditions de 25 558 brochures destinées au grand public et distributions de millions de posters dans les écoles, les restaurants ou les cafétérias. De surcroît, 7 400 panneaux publicitaires ont été affichés dans les communes et 69 431 séances d’éducation ont été organisées par des agents de santé à destination de la population locale. Enfin, pour couronner le tout et pour inciter à réduire l’utilisation du sel de cuisson, 13 millions de petites cuillères calibrées ont été distribuées « larga manu » auprès des ménagères pour essayer de réduire l’apport de sel (NaCl) à moins de 6 g/j. Cette étude de suivi de cohorte a été désignée par l’acronyme SMASH (Shandong-Ministry of Health Action on Salt and Hypertension). Les deux objectifs de cette étude sont particulièrement bien identifiés dans cet acronyme : réduction de l’apport de sodium et par voie de conséquence de la pression artérielle. À l’issue de cette étude « titanesque », quels furent les résultats et ont-ils été à la hauteur des espérances de ses instigateurs/investigateurs ? L’apport sodé jugé à partir de l’excrétion urinaire du Na a diminué pour passer de 5 338 mg/jour (IC95% : 5 065-5 612 mg/jour) en 2011 à 4 013 mg/jour (IC : 3 837- 4 190 mg/jour) en 2016 (p < 0,001). Sachant que 1,2 g de Na élément équivaut à 3 g de NaCl et que le Na ingéré est totalement excrété dans les urines, on peut considérer qu’à l’état de base en 2011, l’apport en équivalent NaCl de la population chinoise incluse dans cette étude était de 5,338 x [3/1,2] soit 13,5 g/jour. Cette quantité est très forte et très au-dessus des recommandations habituelles qui conseillent dans la population générale une consommation de l’ordre de 8 g/jour. Après 5 ans de suivi, l’apport en équivalent NaCl dans cette étude a chuté à 4,013 x [3/1,2] soit 8,4 g/jour. Cette réduction est indiscutablement significative, mais encore loin de l’objectif escompté de moins de 6 g de NaCl par jour. Il faut noter que les résultats ne sont pas d’une clarté totalement lumineuse, car le goût prononcé des Chinois pour la saveur umami véhiculée par les sels d’acides aminés permet de penser qu’une partie du Na consommé dans la cuisine chinoise est apporté par le glutamate de sodium. Le deuxième résultat de cette étude est l’effet sur la pression artérielle. Il s’est avéré nul sur la pression artérielle systolique : 131,8 mmHg (IC95% : 129,8-133,8 mmHg) en 2011 vs 130,0 mmHg (IC95% : 127,7-132,4 mmHg) en 2016, p = 0,4. Pour la pression diastolique les résultats sont peu convaincants : 83,9 mmHg (IC95% : 82,6-85,1 mmHg) en 2011 vs 80,8 mmHg (IC95% : 79,4- 82,1 mmHg) en 2016. Les auteurs rapportent que cette baisse est significative avec un p < 0,001. Toutefois il est permis de se poser la question quant à la « signification » de cette « significativité » sta - tistique lorsqu’on travaille sur des nombres aussi élevés de sujets. La signification de ce résultat est d’ailleurs mise en doute car on se demande comment une augmentation en apparence aussi insignifiante de l’index de masse corporelle (IMC en kg/m2) de 24,3 en 2011 à 25,0 en 2016 a pu être jugée significative (p < 0,001). Les auteurs de cette étude se sont bien gardés de s’attarder sur cette différence et de la commenter. Notre opinion personnelle est qu’il s’agit d’une étude dans laquelle un marteau pilon a été utilisé pour écraser une mouche avec un résultat si dérisoire que l’on n’est même pas sûr d’avoir écrasé la mouche. Démontrer que l’on peut réduire la consommation de Na en déployant une énergie considérable est certes envisageable ; encore faudrait-il que le résultat soit au rendez-vous. En effet la baisse de la pression artérielle est pour le moins incertaine dans cette étude. De plus il faudrait que les auteurs chinois nous expliquent comment ils comptent appliquer le programme SMASH à leur 1,4 milliard de concitoyens. Affaire à suivre et bon courage pour les années à venir. Avant de s’occuper du sel peut-être eût-il mieux valu que les Chinois se préoccupent des conditions sanitaires de leurs marchés ouverts avec vente d’animaux sauvages. De manière plus générale, hiérarchiser les problèmes en fonction de leur importance serait un conseil qui pourrait s’appliquer à de nombreux investigateurs et par-delà aux instances publiques qui subventionnent leurs travaux.

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