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Nutrition

Publié le 31 aoû 2006Lecture 9 min

Les alicaments : que faut-il en penser ?

L. MONNIER, C. COLETTE, Hôpital Lapeyronie, Montpellier

Dire que les aliments sont sources de vie est une constatation banale que nul ne saurait contester. Manger pour vivre, c’est ce que faisait, sans le savoir, Lucy, notre première et lointaine ancêtre, lorsqu’elle déambulait en quête de nourriture, dans la savane africaine de la vallée du Rift, il y a 2 millions d’années. Que de chemin parcouru pour en arriver, de nos jours, au concept d’aliment-médicament ! La nutrition étant une composante de la médecine, ce n’est pas pour rien que l’on décline les mesures nutritionnelles destinées à minimiser le risque cardiovasculaire en : mesures normolipidémiantes, normoglycémiantes, antiathérogènes, antioxydantes, antihypertensives1,2. Pour chacun de ces qualificatifs, on considère que l’intervention nutritionnelle est une mesure thérapeutique. Dans ces conditions,  pourquoi ne pas assimiler les aliments à des médicaments ? Et pourquoi ne pas introduire le concept d’ « alicaments » ?

Les aliments et les médicaments sont-ils différents ?   La réponse est indéniablement oui. Les aliments sont fournis par la nature et leurs consti-tuants, les nutriments, sont destinés à couvrir les besoins indispensables de tout être humain, qu’il soit sain ou malade. Les médicaments, substances chimiques en général non naturelles, ne s’adressent qu’au traitement des états patho-logiques ou à leur prévention. C’est le volet préventif qui pose le plus problème car on peut, en termes de prévention, appliquer des pseudo syllogismes simples du style : « les statines préviennent l’athérosclérose en faisant chuter le cholestérol, les statines sont des médicaments, les acides gras d’origine végétale font baisser le cholestérol ; donc les acides gras d’origine végétale sont des médicaments. » Ce type de raisonnement simpliste a malheureusement été extrapolé à de nombreux nutriments : vitamines, stérols d’origine végétale, acides gras désaturés. Nous reviendrons sur quelques exemples mais il convient de noter que ce concept d’ « alicament » a eu d’emblée un franc succès, non seulement auprès des consommateurs et des acteurs de la chaîne alimentaire (producteurs, distributeurs), mais également auprès de certains scientifiques et prescripteurs médicaux. Deux raisons majeures peuvent être avancées. La première est liée au fait que les prescripteurs et les consommateurs cherchent des messages simples. À titre d’exemple, pour un malade obèse ayant fait un infarctus du myocarde, il est toujours plus facile d’entendre un message du type : « augmentez votre consommation de corps gras enrichis en acides gras ω3 ou en phytostérols en uti­lisant telle ou telle margarine, » que de se soumettre à un message contraignant du style : « il faut maigrir, rééquilibrer votre alimentation, restreindre vos apports en graisses et éviter les repas festifs pour réduire votre surcharge pondérale. » Pour le médecin prescripteur il sera toujours plus facile de conseiller à son patient de consommer 20 à 30 grammes de pâte à tartiner enrichie en ω3 que de se lancer dans une évaluation des apports alimentaires suivie par une pres­cription diététique,  dont on sait que les résultats à moyen et long termes seront pour le moins aléatoires.   - D’un autre côté, les sociétés de l’industrie agroalimentaire voient dans les « alicaments » deux opportunités. La première est de se distinguer de leurs concurrents immédiats par la promotion d’un produit soi-disant nouveau et original. La seconde est d’augmenter leurs profits en donnant une valeur ajoutée financière indiscutable aux produits commercialisés avec le label santé, sans que la valeur ajoutée santé soit garantie pour autant.   L’allégation nutritionnelle et les alicaments : ont-ils une définition officielle ?   L’allégation nutritionnelle Elle est définie comme toute représentation et tout message publicitaire qui énoncent, suggèrent ou impliquent qu’une denrée alimentaire possède des propriétés nutritionnelles particulières en raison de ses teneurs en énergie ou en nutriments. En dehors de cette définition large, l’allégation peut se subdiviser en plusieurs catégories : Les allégations nutritionnelles fonctionnelles décrivent le rôle d’un aliment, d’un élément nutritif ou d’une su­bstance contenue dans l’aliment. Ce type d’allégation peut amener à des propositions du type : « produit alimentaire enrichi en calcium qui prévient la déminéralisation osseuse. » Le syllogisme de cette proposition est à peine voilé, la démarche étant : « produit alimentaire, enrichi en calcium, les apports en calcium préviennent la perte de densité osseuse, donc ce produit alimentaire permet de traiter l’ostéoporose. » La proposition est purement gratuite puisque le produit en question n’a jamais été testé à long terme pour connaître ses propriétés curatives. Les allégations préventives sont encore plus floues. Dire que l’adjonction  dans un produit alimentaire de tel ou tel nutriment : acides gras, vitamines, minéral… prévient les maladies cardiovasculaires est souvent une simple supercherie qui fonctionne comme précédemment sur le mode syllogistique. Par exemple, « produit alimentaire enrichi en vitamine E, la vitamine E est un antioxydant, le stress oxydatif est un facteur de maladie cardiovasculaire, donc le produit alimentaire prévient la survenue et la progression de l’athérosclérose. »   L’ « alicament » Conséquence de l’allégation santé, ce terme n’a pas de définition officielle. Il s’agit d’un néologisme pseudo scientifique et pu­blicitaire destiné au grand public. Le vrai terme serait celui d’ « aliment fonctionnel », c’est-à-dire d’aliment possédant certaines propriétés préventives ou curatives. Dans ce cas, nous rejoignons la définition de l’allégation nutritionnelle. Il est bien certain que l’appellation « alicament », dont la connotation médicamenteuse est évidente, est beaucoup plus porteuse que celle d’aliment fonctionnel qui reste totalement incompréhensible pour la majorité des consommateurs. L’alicament évoque, pour le consommateur, le retour à un pouvoir thérapeutique magique des aliments et rassure le médecin en lui rappelant un vieux principe de l’école hippocratique : « des aliments, tu feras médecine. » Ce principe est souvent vrai en ce qui concerne la nutrition classique, dont les bases sont souvent plus simples que ne le laissent croire les médecins. Il faut bien reconnaître que, dans les sociétés dites développées, la majorité des prescriptions diététiques sont des régimes de restriction calorique qui s’adressent à des personnes obèses ou en surcharge pondérale. Dans ce cas, l’expérience clinique la plus élémentaire montre que le régime, à condition qu’il soit suivi, a des vertus curatives incontestables : amélioration de la glycémie chez l’obèse diabétique, amélioration ou normalisation de la pression artérielle chez l’obèse hypertendu, disparition ou amélioration d’une hypertriglycéridémie chez un obèse dyslipidémique, amélioration des douleurs articulaires par diminution des contraintes mécaniques chez un sujet arthrosique… Les exemples ne manquent pas.   De la nutrition thérapeutique aux alicaments : réalité ou fiction ?   Le principe hippocratique de la nutrition thérapeutique devient souvent un abus de langage ou même une élucubration scientifique lorsqu’il concerne les supplémentations nutritionnelles. Pour qu’une allégation nutritionnelle soit vérifiée, ou pour qu’un produit alimentaire soit assimilé à un médicament, il faudrait que soient appliquées à la nutrition les mêmes contraintes de preuve que pour les essais médicamenteux.   Les contraintes de preuve Les preuves de niveau A (cf. annexe) sont en général fournies par des études d’intervention nutritionnelle randomisées et contrôlées. À ce jour, peu d’études peuvent se targuer de ce niveau de preuve. Les raisons sont faciles à comprendre. La randomisation contre un groupe témoin est quasiment impossible dans le domaine nutritionnel car il est difficile d’ « infliger » à deux groupes de sujets deux régimes bien définis (un régime modifié et un régime contrôle) sur plusieurs années pour vérifier que l’un d’entre eux est supérieur à l’autre en termes d’événements cardiovasculaires. Quelques études d’interventions randomisées ont été conduites dans des popu­­lations bien particulières : études dans des hôpitaux psychiatriques finlandais (1972) et américains (1989, étude du Minnesota) ou études dans des congrégations religieuses1. Il est bien certain que ces études sont sujettes à caution et de toute manière les conditions nutritionnelles de l’étude restent difficilement contrôlables. C’est pour cette raison que les nutritionnistes se replient sur des études dont la conduite est en apparence plus aisée : études épidémio­logiques, l’exemple étant l’étude des 7 pays de A. Keys3 ; suivis de cohorte dans les populations cibles4,5 ; études d’interventions courtes analysant après quelques semaines l’évolution d’un paramètre biologique : cho­lestérol total, LDL-cho­lestérol, HDL-cholestérol… (par exemple, amélioration du rapport HDL-cholestérol/LDL-cholestérol avec un régime enrichi en graisses monoinsaturées)6. Ces études conduisent à des recommandations de niveau B ou C ou à des avis de consensus d’experts. La liste de ces recommandations est donnée en annexe. Les études randomisées (niveau A), quand elles peuvent être réalisées, infirment dans certains cas les résultats des études épidémiologiques ou de suivi de cohorte (niveaux B et C).   La vitamine E en exemple L’un des exemples le plus démonstratif est celui de la vitamine E. Dans les années 90, Geys7 avait montré, par une enquête épidémiologique réa­lisée dans plusieurs populations européennes, que le risque d’accident coronarien était inversement proportionnel aux taux plasmatiques de vitamine E dans ces populations, conduisant certains médecins à penser que la prescription de vitamine E pouvait être une stratégie de lutte contre l’athérosclérose. Les études de suivi de cohortes effectuées à la suite de ce travail donnèrent des résultats très disparates. Seule l’étude HOPE (intervention randomisée) a permis de lever l’ambiguïté en démontrant que, même à fortes doses (400 UI/jour), les supplémentations en vitamine E ne permettent pas de réduire le risque d’accident cardiovasculaire après plusieurs années de suivi8.   Qu’en est-il des phytostérols ? À ce jour, il n’y a également aucun argument pour dire qu’une supplémentation en stérols végétaux soit capable de diminuer l’incidence des événements cardiovasculaires bien qu’à des doses relativement fortes (2 g/jour), les phytostérols réduisent le LDL-cholestérol de l’ordre de 10 %. Pour obtenir ce niveau de supplémentation, il faut utiliser des margarines enrichies qui contiennent environ 1,6 g de phytostérol pour 20 g. Cela signifie que la consommation quoti­dienne de ce type de margarine doit être de l’ordre de 30 g pour atteindre 2 g de phytostérols. Encore faut-il que le consommateur comprenne que les 30 g de margarine enrichie en phytostérols doivent se substituer et non se surajouter aux corps gras qui sont habituellement consommés. Dans le cas contraire, la prescription d’une margarine enrichie en phytostérols aboutit à un apport calorique supplémentaire.   Et des oméga 3 ? Le cas des margarines enrichies en acide ω3 est encore plus complexe. Depuis quelques années, certains scientifiques ne cessent de clamer les vertus anti-inflammatoires, antiagrégantes, hypotensives et antihypertriglycéridémiantes des acides gras ω3 contenus dans les huiles de poissons, dans certaines huiles végétales (colza, soja) et dans certaines margarines enrichies avec ce type d’acide gras. Si on ne considère que les propriétés antitriglycéridémiantes, les acides gras de la série ω3 font effectivement baisser les triglycérides de l’ordre de 40 %, mais à des doses (6-7 g/jour) qui sont largement supérieures aux recommandations nutritionnelles habituelles, de l’ordre de 1 à 2 g/jour. Pour obtenir des doses de 6 g/jour, les consommations de margarines enrichies en ω3 devraient être conséquentes (plusieurs dizaines de grammes par jour). Si les acides gras ω3 sont conditionnés sous forme de capsules, c’est quelques dizaines d’unités qu’il faudrait consommer chaque jour. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les acides gras de la série ω3 sont fortement polyinsaturés : 5 doubles liaisons pour l’acide eicosapentaénoïque. Du fait de leur richesse en doubles liaisons, ces acides gras sont fortement exposés aux agressions par les radicaux libres, conduisant à des composés de peroxydation lipidique dans les membranes cellulaires qui seraient ainsi exposées à un vieillissement précoce.   Véritables « Janus » à deux visages, les acides gras ω3 peuvent donc être potentiellement bénéfiques ou délétères en fonction de la dose administrée. À ce jour, n’est-il pas préférable de privilégier la consommation de poisson qui a l’avantage d’être moins calorique et moins riche en graisse que la viande, à condition d’éviter les poissons gras d’élevage (saumon, truite), dont la teneur en graisse est souvent supérieure à celle des viandes les plus grasses ? Cette position est également fondée sur le rapport de la commission de travail américaine sur les ω3 réunie en juin 2004 à Bethesda. Cette commission a émis l’avis que les effets métaboliques des acides gras de la série ω3 pourraient être intéressants mais que nous sommes toujours en attente d’un essai thérapeutique qui prouverait de manière définitive leur effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires9.   Conclusion   Ces quelques exemples montrent que le simplisme ne fait pas bon ménage avec l’intervention nutritionnelle thérapeutique. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas par la prescription ou l’utilisation de produits alimentaires à allégation santé que seront résolus les grands problèmes nutritionnels actuels et futurs : obésité, prévention de la survenue ou de la récidive d’accidents cardiovasculaires. En d’autres termes, le thérapeute, s’il souhaite être efficace, ne pourra jamais se soustraire à une consultation diététique en bonne et due forme avec évaluation et éducation nutritionnelles. Ce n’est sûrement pas en se rabattant sur la solution de facilité, c’est-à-dire sur la prescription de produits alimentaires plus ou moins parés de vertus santé, qu’il pourra résoudre les problèmes nutritionnels des personnes qui viennent le consulter.

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