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Endocrinologie

Publié le 14 déc 2016Lecture 7 min

Une encéphalopathie au sirop d’érable ?

C. LAVIGNE, Médecine interne et maladies vasculaires, Centre de compétences des erreurs innées du métabolisme du Grand Ouest, CHU d’Angers

Magalie, 32 ans, arrive aux urgences un mardi soir à 22h30 dans un état d’agitation difficilement contrôlable. Les pompiers ont dû venir la chercher à son domicile sur appel du concubin, qui raconte que son état s’est progressivement aggravé depuis quelques jours, alors qu’ils viennent d’assister au mariage de la soeur de la patiente.

Cas clinique Magalie, 32 ans, arrive aux urgences un mardi soir à 22h30 dans un état d’agitation difficilement contrôlable. Les pompiers ont dû venir la chercher à son domicile sur appel du concubin, qui raconte que son état s’est progressivement aggravé depuis quelques jours, alors qu’ils viennent d’assister au mariage de la sœur de la patiente. Son compagnon ne la connaît que depuis quelques semaines. Il sait que la patiente est épileptique et qu’elle présente « une maladie rare » qui nécessite un régime spécial. Ils travaillent tous deux dans un atelier protégé. La patiente présente une crise convulsive dans la salle d’attente, dont elle récupère heureusement rapidement après son transfert immédiat dans un box. Elle est peu précise dans ses dires et ne se souvient pas du nom de sa maladie. Elle est cependant capable d’expliquer qu’elle ne doit pas trop manger de viande mais qu’elle a fait une exception pour le mariage de sa sœur, à l’occasion duquel elle a mangé quelques grillades « pour marquer le coup ». Elle s’énerve rapidement lorsque vous insistez pour connaître le nom de sa maladie et manque de vous frapper. La patiente n’est pas dyspnéique et l’examen neurologique est normal, en dehors de l’agitation psychomotrice et d’une astérixis modérée. Une odeur vaguement sucrée émane de ses urines. La bandelette urinaire montre une cétonurie ++++ sans glycosurie et le dextro réalisé immédiatement montre une glycémie à 6,2 mmol/l. La fonction rénale, le bilan hépatique complet, l’ionogramme sanguin et la calcémie sont normaux. Finalement, la mère de la patiente arrive en catastrophe, appelée par le concubin, et vous informe du diagnostic de leucinose chez sa fille. Elle vous demande d’appeler en urgence son médecin métabolicien, qui confirme le diagnostic. Celui-ci prescrit un arrêt de tout apport alimentaire, demande de débuter rapidement une perfusion de sérum glucosé à 10 %, en attendant la préparation en urgence d’un soluté de nutrition entérale hypercalorique glucidolipidique associé à une mixture spécifique d’acides aminés. Après 24 heures de nutrition entérale, l’état neurologique s’améliore et la patiente redevient interrogeable. Elle admet avoir fait une exception en mangeant de la viande et du fromage le dimanche précédent. Elle parle aussi d’une fatigue anormale ayant débuté le vendredi alors qu’elle présentait un rhume débutant. Elle jure qu’elle ne fera plus d’écart de régime dans le futur. Vous recevez par la suite le résultat de la chromatographie des acides aminés plasmatiques réalisée en urgence le 1er jour, qui confirme une forte élévation du taux de leucine à 1 840 μmol/l (N < 150) et des autres acides aminés ramifiés (tableau 1). Sur les conseils du médecin métabolicien, vous réintroduisez progressivement les acides aminés ramifiés dans la nutrition entérale et la patiente reprend son alimentation habituelle au 5e jour. La diététicienne lui rappelle qu’elle doit respecter une restriction importante en protéines alimentaires et suivre son traitement par mixture d’acides aminés dénuée d’acides aminés ramifiés. Du fait des faibles capacités intellectuelles de la patiente, la diététicienne lui donne un tableau classant les aliments par couleur en fonction de leur contenu en protéines, en lui demandant de limiter strictement la prise d’aliments « rouges », de ne pas manger plus de 2 aliments « orange » dans une même journée, les aliments « verts » n’étant pas restreints (tableau 2). Elle éduque également son concubin, qui devra donner l’alerte en cas de changement de comportement inattendu de sa patiente. Discussion La leucinose, ou maladie des urines à odeur de sirop d’érable, est une maladie innée du métabolisme rare appartenant au groupe des amino-acidopathies. Elle est liée à un déficit des alphacétodécarboxylases des acides aminés ramifiés secondaire à une mutation des gènes BCKDHA,MSUD1 (chromosome 19), DLD, LAD ou PHE3 (chromosome 7). La maladie est transmise sur le mode autosomique récessif. Il s’agit d’une maladie d’intoxication par défaut de dégradation de la leucine, de la valine et de l’isoleucine. Elle débute généralement dans les premiers jours de vie par des troubles neurologiques particuliers : irritabilité, arrêt des tétées puis léthargie, dystonie et mouvements anormaux à type de pédalage. Il faut savoir alors rechercher une odeur particulière des urines et plus encore du cérumen, s’apparentant à celle du sirop d’érable. L’évolution se fait en quelques jours vers le coma, une bradypnée d’origine centrale et le décès en l’absence de traitement. Le diagnostic est évoqué devant la constatation d’une cétonurie et d’une cétonémie majeures, d’une acidose respiratoire mais nécessite un bilan métabolique de débrouillage en urgence, montrant une forte élévation du taux plasmatique des 3 acides aminés ramifiés et la présence anormale d’allo-isoleucine, acide aminé normalement non détectable dans le plasma et pathognomonique de la leucinose. On décrit plus rarement des formes intermédiaires, diagnostiquées chez l’enfant plus grand, voire des formes intermittentes, expliquant quelques rares cas de révélation adulte. Certaines formes seraient également thiamine-sensibles, cette vitamine augmentant significativement la tolérance à la leucine. La confirmation diagnostique vient par la mesure de l’activité enzymatique et si possible par l’analyse des gènes concernés. Le traitement de la décompensation métabolique doit être débuté en urgence du fait du risque de complications neurologiques sévères. La première mesure consiste à arrêter tout apport protéique oral ou parentéral. Dans le même temps, des apports hypercaloriques non protidiques doivent être débutés en urgence afin de lutter contre l’hypercatabolisme. En effet, l’hypercatabolisme contribue lui-même à aggraver la décompensation en augmentant la production endogène de leucine par le biais de la protéolyse. Certains auteurs recommandent une insulinothérapie associée. Il faut bien sûr s’assurer de traiter une éventuelle affection causale (infection notamment). Le traitement spécifique consiste en l’administration entérale ou parentérale d’une alimentation hypercalorique glucido-lipidique associée à une mixture d’acides aminés sans leucine. Une faible quantité d’isoleucine et de valine est également administrée afin de maintenir un taux plasmatique suffisant. Il peut être nécessaire de traiter spécifiquement l’oedème cérébral. Dans les cas les plus sévères, l’hémodialyse peut s’avérer très rapidement efficace mais doit toujours être associée au traitement métabolique du fait du risque de rebond à l’arrêt. Des pancréatites ont été constatées lors de la phase de normalisation des taux de leucine. En cas d’évolution favorable, la leucine pourra être réintroduite au bout de quelques jours, ainsi que de plus grandes quantités de valine et isoleucine, jusqu’à reprendre le régime habituel. Le traitement au long cours est basé sur un régime strictement hypoprotidique associé à une supplémentation à l’aide de mixtures d’acides aminés dénués de leucine, isoleucine et valine. La quantité de leucine autorisée dans l’alimentation est calculée selon la tolérance particulière du patient à la leucine. Cette tolérance évolue avec l’âge et doit donc être réévaluée régulièrement. Le suivi nutritionnel s’attache à prévenir et dépister les carences en acides aminés essentiels ou en micronutriments liées à ce type de régime (vitamines B12, sélénium, cuivre, calcium notamment). Un apport insuffisant en protéines expose à court terme au risque de décompensation métabolique, la carence azotée déclenchant un hypercatabolisme protéique augmentant la production endogène de leucine. À plus long terme, il existe un risque de retard de croissance staturo-pondérale et d’ostéoporose à l’âge adulte. Un régime plus restrictif et une surveillance métabolique plus rapprochée sont nécessaires dans les situations à risque de décompensation (infection virale, jeûne et tout stress métabolique, voire psychologique). L’observance correcte au régime et au traitement diminue le risque de décompensation métabolique sans l’annuler complètement. La succession de décompensations est source de complications neurologiques potentiellement sévères et de dégradation cognitive progressive. Dans les formes sévères ou si l’équilibre métabolique n’est pas possible malgré une prise en charge optimale, il peut être proposé une transplantation hépatique qui améliore dans la grande majorité des cas la tolérance en leucine, bien que le déficit enzymatique subsiste dans l’ensemble des tissus non hépatiques. Les grossesses sont possibles si l’équilibre métabolique est durablement correct. On observe souvent une amélioration de la tolérance en leucine à partir de la 2e moitié de la grossesse du fait des besoins protéiques du bébé. En revanche, le post-partum est particulièrement à risque de décompensation du fait de l’hypercatabolisme propre à cette période. La leucinose est considérée comme l’une des amino-acidopathies les plus sévères, du fait d’un équilibre métabolique souvent précaire (rôle délétère de tout hypercatabolisme) et des complications neurologiques parfois graves. Sa prise en charge peut être rendue particulièrement complexe lorsque le patient présente les séquelles cognitives ou comportementales d’un diagnostic tardif, comme chez notre patiente. Un dépistage dès les premiers jours de vie est donc une nécessité absolue, confirmant l’intérêt d’un bilan de débrouillage métabolique en urgence au moindre doute chez le nouveau-né et le nourrisson.

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