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Publié le 19 avr 2024Lecture 12 min

Prise de position de la SFD 2023 sur le traitement du DT2 - Quoi de neuf en cas de maladie rénale chronique ?

Bruno GUERCI, service d’endocrinologie, diabétologie & nutrition, université de Lorraine Hôpital de Brabois Adultes – CHRU de Nancy, Vandœuvre-lès-Nancy

Nous l’attendions avec impatience comme tous les deux ans depuis 2017, la nouvelle prise de position de la Société francophone du diabète (SFD) sur les stratégies d’utilisation des traitements antihyperglycémiants dans le diabète de type 2 a été publiée fin 2023(1). Pour illustrer cette prise de position, nous allons nous intéresser plus spécifiquement au cas d’Alain, âgé de 56 ans, qui présente un diabète de type 2 depuis douze ans. Un focus sera notamment apporté sur les aspects de néphroprotection du patient dans une situation plus globale de protection d’organes.

Vignette clinique d’Alain IMC 29,1 kg/m2 (-5 kg sur 18 mois depuis l’introduction d’un agoniste des récepteurs du GLP-1, AR GLP-1) ; pression artérielle 128/82 mmHg ; pied diabétique de grade 1 ; fond d’œil : rétinopathie diabétique non proliférante (RDNP) modérée ; notion d’une maladie cardiovasculaire avérée (coronaire et carotidienne). La biologie récente retrouve les éléments suivants : HbA1c 7,2 % (7,6 %, 6 mois avant, et notion de plusieurs valeurs > 8,0 % dans les cinq dernières années) ; LDL 0,53 g/L, TG 2,32 g/L, HDL 0,41 g/L ; débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) calculé avec CKD-EPI 42 mL/min/1,73 m2 (53 mL/min/1,73 m2 en 2020), rapport albumine/créatinine urinaire (RAC) > 30 mg/g (VSN à 2 reprises, avec une moyenne à 178 mg/g) ; FIB-4 1,78 (suspicion de MAFLD). Le traitement antidiabétique comporte : metformine 1 000 mg/j, dulaglutide 1,5 mg 1 injection/semaine et une insuline basale biosimilaire de la glargine U100 34 U/j. L’auto-surveillance glycémique est intermittente, surtout à jeun. Les autres thérapeutiques associent : aspirine 100 mg 1 cp /j, clopidogrel 75 mg 1 cp/j, nébivolol 5 mg 1 cp /j, amlodipine 10 mg/telmisartan 80 mg 1 cp/j, atorvastatine/ézétimibe 40/10 mg 1 cp /jour, alfuzosine 10 mg 1 cp/jour, oméprazole 20 mg 1 cp/jour. Les points marquants de son dossier sont dominés par un athérome diffus carotidien (sténose > 50 % à gauche) et une maladie coronaire (découverte lors d’un dépistage systématique ; revascularisation par angioplastie avec pose de 2 stents trois ans plus tôt), une HTA traitée depuis quinze ans, une maladie rénale chronique (MRC) (par une combinaison probable de néphro-angiosclérose et de néphropathie diabétique), une dyslipidémie mixte athérogène associant hyper-LDLémie et hypertriglycéridémie (sur un terrain familial de dyslipidémie), un syndrome d’apnée obstructive du sommeil (SAOS) appareillé il y a deux ans. À noter un tabagisme ancien sevré, une consommation épisodique d’alcool. Le contrôle de la prise alimentaire est désormais renforcé depuis la survenue de l’événement cardiovasculaire. Le contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire est donc essentiel chez Alain. Sur le plan rénal, les recommandations KDIGO de 2022(2) rappellent clairement, selon le DFG et le RAC, comment prendre en charge ce phénotype de patient, et comment l’orienter en particulier vers une consultation auprès d’un spécialiste néphrologue. En effet, Alain se situe dans la catégorie de très haut risque rénal (figure 1), le calcul du KFRE (Kidney Failure Risk Equation. https://kidneyfailurerisk.com/) permettant d’avoir une prédictibilité de l’évolutivité de la maladie rénale à 5 ans et de la nécessité de recourir ou non à un parcours de soins spécialisés. Le KFRE d’Alain est égal à 5,16 % et exprime ici en pourcentage le risque d’atteindre le stade de dialyse/greffe à 5 ans pour un patient donné. Score à 5 ans < 3 % : parcours de soins non spécialisés Score à 5 ans > 3 % : parcours de soins spécialisés Score à 2 ans > 10 % : parcours de soins multidisciplinaire Figure 1. Recommandations KDIGO de 2022 de prise en charge de la MRC chez le patient atteint de diabète de type 2. Vert : faible risque en l’absence d’autres marqueurs de maladie rénale = Explorer Jaune : risque modérément augmenté = Traiter Orange : haut risque = Traiter et référer Rouge : très haut risque = Traiter et référer   Alain voit son pneumologue une fois tous les deux à trois ans pour évaluer son SAOS et adapter le traitement par SIPAP. Il voit son cardiologue avec une fréquence renforcée depuis son accident coronaire, soit deux fois dans l’année. Il n’a pas souhaité rencontrer un médecin néphrologue. Il réalise un FO au rétinographe non mydriatique tous les ans. La consultation auprès de son diabétologue a lieu une fois par an au mieux. Au-delà de sa situation de risque cardiovasculaire très élevé, Alain présente ainsi une maladie rénale chronique (MRC) de stade 3. C’est donc la raison principale pour laquelle la discussion porte au cours de la consultation sur l’indication d’associer un traitement par inhibiteur de SGLT2 (iSGLT2) ou gliflozine. Quel est le rationnel de ce choix thérapeutique, alors même que l’équilibre glycémique est proche de l’objectif (HbA1c < 7,0 %), que la tendance est favorable (avec une perte de 5 kg et de 0,4 % d’HbA1c sur la dernière année), et que le traitement appliqué est déjà lourd et contraignant du fait des thérapeutiques injectables réalisées par le patient ?   Quelle efficacité des iSGLT2 dans la prise en charge globale des complications liées au diabète de type 2 ? Au-delà de l’amélioration de l’équilibre glycémique et du poids, les gliflozines permettent une réduction relative du risque des événements cardiovasculaires (CV) majeurs de l’ordre de 10 % (réduction du MACE pour Major Adverse Cardiovascular Events), de la mortalité totale de l’ordre de 15 %, de la mortalité cardiovasculaire de 15 %, du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque de 30 % et du risque d’événements rénaux majeurs de 40 %. Le bénéfice sur les événements CV majeurs provient essentiellement de la réduction de la mortalité par insuffisance cardiaque. Le bénéfice en matière de prévention de l’insuffisance cardiaque et des événements rénaux est significatif que les patients atteints de diabète de type 2 soient en prévention CV primaire ou secondaire. Enfin, ce bénéfice clinique apparaît indépendant de l’effet exercé par les iSGLT2 sur la glycémie ou sur le poids, mais semble au contraire intervenir au travers d’effets propres physiologiques de réorientation des flux oxydatifs de substrats énergétiques au niveau cardiaque, en particulier.   Quelle efficacité des iSGLT2 dans la prise en charge spécifique de la maladie rénale chronique (MRC) du patient atteint de diabète de type 2 ? Les gliflozines, comparativement à un placebo, diminuent significativement d’environ 35 % l’incidence des critères de jugement rénaux définissant la progression de la MRC, à savoir la perte du DFG estimé, l’albuminurie, le doublement de la créatinine, la nécessité d’un recours à une technique de suppléance rénale(3). Cet effet s’observe que le patient soit ou non atteint de diabète de type 2. En revanche, les risques d’acidocétose et d’amputation des membres inférieurs sous iSGLT2 vs placebo ne s’observent que chez le patient DT2 pour les acidocétoses et non chez le patient non-diabétique, et uniquement et significativement chez le patient DT2 pour le risque d’amputation des membres inférieurs (patient DT2 : RR = 1,15, sujet non-diabétique : RR = 0,98). Une méta-analyse conduite chez des patients ayant un DT2 et une MRC démontre que les gliflozines réduisent significativement la mortalité toute cause de l’ordre de 13 %, la mortalité CV de 20 % environ et les hospitalisations pour IC et les décès CV de 25 %. Chez les patients ayant une MRC sans diabète associé, il n’y a pas de réduction significative de ces événements, mais le résultat sur ces critères est néanmoins homogène(3). Un point essentiel à souligner est que la protection rénale des gliflozines s’observe, quel que soit le niveau initial de DFG ou de RAC initial chez ces patients qui, ayant une MRC, sont à risque CV élevé. Une étude regroupant les 7 essais randomisés et contrôlés principaux, portant sur 61 821 participants atteints de diabète ou de maladie rénale chronique, démontre que la prévention des événements rénaux majeurs et de l’insuffisance cardiaque sous iSGLT2 est homogène, quelles que soient les valeurs de fonction rénale initiale (DFG < ou > 60 mL/min/1,73 m2) et de RAC (< 30 ou > 300 mg/g)(4). La diminution de la progression de la MRC et du risque d’insuffisance rénale aiguë a également été observée que les patients soient ou non diabétiques(3). Enfin, les avantages des gliflozines en matière de néphroprotection sont observés et maintenus dans la majorité des essais randomisés, en complément ou non du traitement néphroprotecteur conventionnel que représentent les IEC ou les ARA2.   Cas clinique Le taux de filtration glomérulaire d’Alain est de 42 mL/min/1,73 m2, et le RAC est à 178 mg/g confirmé sur deux mesures sur échantillon d’urine réalisé le matin au laboratoire d’analyses médicales. Ces valeurs sont à rapprocher des données des études de protection rénale telles que CREDENCE avec la canagliflozine, DAPA-CKD avec la dapagliflozine et plus récemment EMPA-Kidney avec l’empagliflozine. Selon ces études, les valeurs de DFG initiales s’échelonnaient entre 37 et 56 ml/min/1,73 m2 et le RAC de 219 à 965 mg/g, voire pour EMPA-Kidney chez des patients normo-albuminuriques. Le profil d’Alain est donc concordant et transposable à celui de patients inclus dans les études RCT, de même que dans des études de vraie vie comme EMPRISE, une des plus importantes et larges études de cohorte et de suivi sur 4 années. Celle-ci démontre auprès de plus de 85 000 patients traités par empagliflozine vs iDPP4, en groupes appariés sur score de propension, une réduction du risque relatif d’évoluer vers les stades terminaux d’insuffisance rénale de 47 %, avec un effet également significatif sur la réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et la mortalité cardiovasculaire(5).   Quel suivi du patient après initiation d’un iSGLT2 ? Il n’y a pas d’exigences particulières si ce n’est à prévenir du risque d’effets secondaires principaux que sont les mycoses génitales (RR × 2 à 4) et les infections urinaires basses (RR × 1,1 à 1,5), justifiant une attention particulière à une hygiène intime renforcée. La surveillance régulière et soigneuse des pieds est essentielle, imposant l’arrêt immédiat du traitement en cas de survenue de troubles trophiques. Il faut réserver la surveillance régulière de la fonction rénale à certains patients : recevant des diurétiques de l’anse à dose élevée (équivalent ≥ 80 mg/j de furosémide), ayant un DFG < 45 mL/min/1,73 m2, ayant une pression artérielle inférieure à 120/70 mmHg, ayant des symptômes de déplétion volémique et une hypotension orthostatique, enfin les sujets âgés de > 75 ans ou fragiles(6).   Cas clinique Pour Alain, dont l’insulinothérapie est limitée à une insuline basale, le risque d’acidocétose reste théoriquement faible, la surveillance des pieds est en revanche importante, du fait du caractère athéromateux diffus du dossier, et de l’absence d’information sur les axes vasculaires périphériques.   Que préconise la SFD dans sa prise de position de 2023 pour les patients présentant une maladie rénale chronique au cours du diabète de type 2 ? L’avis 23 de la prise de position de la SFD 2023 rappelle les objectifs glycémiques en cas d’insuffisance rénale chronique (IRC) : Chez les patients vivant avec un DT2 et présentant une IRC modérée (DFG entre 30 et 59 mL/min/1,73 m2), on visera une HbA1c cible à 7 % en portant une attention particulière au risque d’hypoglycémie en cas de traitement par sulfamides (SU), glinide ou insuline. Chez les patients vivant avec un DT2 et présentant une IRC sévère (DFG entre 15 et 29 mL/min/1,73 m2) ou terminale (DFG < 15 mL/min/1,73 m2), on visera une HbA1c cible 8 % avec une limite inférieure de 7 % en cas de traitement par glinide ou insuline (SU contre-indiqués), pour minimiser le risque hypoglycémique. Une coordination entre médecin généraliste, endocrinologue-diabétologue et néphrologue est recommandée, en particulier chez les patients avec un DFG < 45 mL/min/1,73 m2 et/ou chez ceux qui présentent une dégradation rapide du DFG.   Cas clinique Concernant Alain, l’objectif reste ambitieux pour équilibrer le diabète et ralentir la progression de la MRC et des complications micro-angiopathiques dans leur ensemble. Le traitement associé par une injection d’AR GLP-1 et surtout d’une insuline basale bien titrée ne semble pas augmenter significativement le risque hypoglycémique. Le récent remboursement de la mesure continue du glucose, même pour les patients sous insuline basale seule et HbA1c ≥ à 8,0 %, pourrait constituer à terme une option intéressante de surveillance du diabète et d’aide à la titration de l’insuline. L’avis 24 de la prise de position de la SFD 2023 nous oriente sur la gestion des traitements antihyperglycémiants chez ces patients avec insuffisance rénale chronique (IRC) (figure 2) : au stade d’IRC modérée (DFG entre 30 et 59 mL/min/1,73 m2), les molécules à élimination rénale doivent être utilisées avec précaution, car il existe un risque accru d’effets secondaires, notamment en ce qui concerne les hypoglycémies sous SU ou insuline. Concernant les iSGLT2, leur efficacité antihyperglycémiante est réduite lorsque le DFG est < 45 mL/min/1,73 m2 et devient très faible lorsque le DFG est < 30 mL/min/1,73 m2. Chez les patients présentant une insuffisance cardiaque ou une maladie rénale chronique, la dapagliflozine peut être initiée si le DFG se situe entre 25 et 29 mL/min/1,73 m2 et l’empagliflozine (à la dose de 10 mg/jour) peut être initiée si le DFG se situe entre 20 et 29 mL/min/1,73 m2. Au stade d’IRC terminale (DFG < 15 mL/min/1,73 m2), parmi les molécules commercialisées en France, seuls l’insuline, le répaglinide (avec un risque d’hypoglycémies pour ces deux traitements) et la vildagliptine à la dose de 50 mg/jour peuvent être utilisés. Chez ces patients, il est conseillé de ne pas interrompre le traitement par iSGLT2 initié précédemment dans un but de néphro- et/ou de cardio-protection jusqu’au stade de la dialyse ou de la transplantation. La figure 2 résume l’utilisation des antihyperglycémiants en fonction du niveau de fonction rénale, en particulier pour les molécules considérées comme cardio- et néphroprotectrices que sont les AR-GLP1 et les iSGLT2. Figure 2. Recommandations SFD 2023 sur l’adaptation des traitements selon le stade de la maladie rénale chronique en termes de débit de filtration glomérulaire. Cas clinique Concernant Alain, on ne peut pas s’attendre à une efficacité importante du traitement par empagliflozine sur le plan de l’équilibre glycémique, mais le bénéfice des iSGLT2 en termes de protection rénale, même pour des niveaux de DFG déjà altérés, reste efficace et puissant. Les adaptations de posologie de ces différentes thérapeutiques antihyperglycémiantes sont importantes à vérifier compte tenu de son DFG réduit : la posologie de la metformine est déjà adaptée avec une prise de 1 000 mg/jour seulement ; le traitement par AR GLP-1 peut être maintenu jusqu’à un niveau de 15 mL/min/1,73 m2 de DFG ; enfin l’empagliflozine peut être introduite tant que le DFG est > 20 mL/min/1,73 m2 et pourra être également maintenue, même en cas de dégradation future de la fonction rénale, pente de déclin du DFG qui devrait malgré tout être maîtrisé grâce à l’introduction du iSGLT2. Enfin, dans le cas particulier d’Alain, qui bénéficiait déjà d’un traitement par AR GLP-1 pour équilibrer son diabète, contrôler sa prise pondérale et assurer une protection cardiovasculaire, la question de l’association avec un iSGLT2 trouve tout son sens, du fait des actions complémentaires des AR GLP-1 et iSGLT2 ciblant la physiopathologie du diabète de type 2 et ses complications (7). L’introduction d’un iSGLT2 dans la situation d’Alain est justifiée et motivée par une action de néphroprotection essentiellement (mais aussi de protection cardiaque) et non plus d’amélioration de l’équilibre glycémique, peu attendue du fait de son débit de filtration glomérulaire réduit qui rend la molécule moins puissante en termes de diminution de l’HbA1c. C’est donc une approche globale de protection d’organes qui domine ici, au-delà de la seule maîtrise des facteurs de risque métaboliques conventionnels.

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