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Thérapeutique

Publié le 31 jan 2015Lecture 12 min

Les nouvelles règles de la Food and Drug Administration (FDA) pour la certification des médicaments

L. MONNIER, C. COLETTE, Institut universitaire de recherche clinique, Montpellier, service de médecine légale et pénitentiaire

À partir du mois de juin 2008, la commission d’experts de la FDA pour les médicaments à visée endocrinologique et métabolique (The Endocrinology and Metabolic Advisory Committee of the FDA) fut réunie pour discuter de l’évaluation des risques cardiovasculaires encourus par les patients traités par des antidiabétiques oraux dans les périodes de pré- et de post-commercialisation. Le texte publié en 2010(1) introduisit de nouvelles règles de certification beaucoup plus contraignantes que celles, plus ou moins laxistes, qui pouvaient exister auparavant et qui étaient laissées à l’appréciation de chaque laboratoire pharmaceutique. Désormais, ces derniers doivent se conformer à un règlement précis et incontournable s’ils souhaitent poursuivre la commercialisation de leurs médicaments.

Principes généraux de certification des hypoglycémiants oraux Le principe général est de comparer l’antidiabétique oral à un comparateur (placebo ou autre antidiabétique oral) sur un composite d’événements cardiovasculaires majeurs. Sont considérés comme tels les décès par accidents CV, les IDM, les accidents vasculaires cérébraux (AVC). Dans les publications internationales, ce composite d’événements est désigné en général par l’acronyme MACE pour « MAjor Cardiovascular Events ». À cette liste peuvent être ajoutées les hospitalisations pour accidents CV, les interventions de revascularisation en urgence, etc. D’emblée, signalons que le but est de prouver la « supériorité » dans le meilleur des cas ou à un moindre degré la « non-inferiorité » du médicament à tester par rapport à son comparateur. La pire des situations est évidemment l’infériorité, car elle conduit normalement à la fin du produit. Sans entrer dans le détail, la certification peut passer par 2 types d’études. Les études randomisées Tester un médicament donné contre un comparateur dans un essai randomisé est considéré comme la méthode la plus fiable. Toutefois pour que ces études soient interprétables, les conditions suivantes doivent être remplies : - grand nombre de sujets (entre 10 000 et 20 000) ; - obtenir dans chaque bras (médicament à tester et comparateur) un nombre minimum d’événements cardiovasculaires majeurs (MACE) afin de permettre une analyse statistique fiable. Cette condition implique de conduire l’étude chez des personnes à risque CV relativement élevé : sujets d’un certain âge, patients ayant déjà fait un accident CV ou ayant des signes de maladies CV, même en dehors de tout événement aigu ; - durée de l’étude s’étalant sur une période minimum de 2 ans afin de permettre l’apparition des événements CV, s’ils doivent se produire. Les métaanalyses L’évaluation du risque cardiovasculaire est beaucoup moins fiable car ces analyses « rétrospectives » n’ont pas la puissance d’une étude randomisée « prospective », dont le protocole a été défini au départ avec des objectifs primaires ou secondaires précis de morbi-mortalité. Pour éviter les biais des métaanalyses, il convient de respecter un certain nombre de principes : - inclure toutes les études contrôlées placebo versus médicament à tester ; - inclure toutes les études contrôlées de type « add-on » (placebo versus médicament à tester) à un traitement déjà en cours (e.g. médicament antidiabétique à tester versus placebo chez des patients déjà traités par metformine, considérée par toutes les organisations comme le traitement de première intention dans le diabète de type 2) ; - inclure toutes les études contrôlées médicament à tester versus comparateur « actif » ; - inclure toutes les études de sécurité non randomisées à condition qu’elles aient été conduites sur un grand nombre de patients. Grille de lecture utilisée pour la certification Elle est indiquée sur la figure 1(2) mais sa lecture mérite quelques commentaires. L’analyse est basée sur l’évaluation du risque relatif (hazard ratio, HR) de MACE du médicament à tester par rapport au comparateur. Trois situations peuvent se présenter : - (a) un HR < 1 indique a priori que l’incidence des MACE est plus faible avec le médicament à tester qu’avec le comparateur ; - (b) un HR = 1 témoigne d’une incidence des MACE identique entre les 2 produits ; - (c) un HR > 1 indique que l’incidence des MACE est plus élevée avec le médicament à tester qu’avec le comparateur. Figure 1. Règles utilisées par la Food and Drug Administration (FDA) pour la certification d’un médicament en fonction du risque relatif d’événements cardiovasculaires majeurs (hazard ratio) qu’il peut entraîner (d’après(2)). En fonction du résultat obtenu, on se sent amené à conclure à première vue que les situations (a), (b) et (c) correspondent respectivement à la supériorité (a), la non-inferiorité (b) et l’infériorité (c) du médicament par rapport au comparateur. Une telle conclusion serait précipitée car elle ignorerait que tous les calculs de HR sont soumis à une variabilité statistique autour de leur moyenne. Cette variabilité est reflétée par le calcul de l’intervalle de confiance à 95 % (IC95 %), c’est-à-dire de la barre d’erreur autour de la moyenne. Pour expliquer simplement l’IC95 %, il suffit de se rappeler que, si un investigateur faisait 100 essais randomisés identiques pour étudier un médicament à tester contre son comparateur, il trouverait 100 HR différents, dont 95 se trouveraient dans une fourchette comprise entre les limites inférieures et supérieures de l’IC95 %. Le simple bon sens montre qu’il est impossible de faire 100 études avec 10 000 patients dans chaque étude. C’est pour cette raison que l’IC95 % est calculé à partir d’une seule étude en utilisant une formule qui tient compte du nombre de sujets inclus et des résultats obtenus, c’est-à-dire du nombre de sujets ayant fait un événement CV majeur dans les 2 groupes. Si on tient compte de l’IC95 %, la grille de lecture peut être réalisée de la manière suivante : - HR < 1 avec limite supérieure de l’IC95 % ne mordant pas sur la verticale de neutralité (HR = 1). Dans ce cas, le médicament à tester est supérieur au comparateur. Le médicament peut être commercialisé ou sa commercialisation peut être poursuivie sans obligation de réaliser une étude « post-marketing » ; - HR autour de 1 avec limite supérieure de l’IC95 % < 1,3. Dans cette situation, le médicament à tester est déclaré non inférieur au comparateur et cette conclusion est suffisamment bien établie pour que des études post-marketing ne soient pas requises ; - HR autour de 1 avec limite supérieure de l’IC95 % > 1,3 mais < 1,8. Ce cas est interprété comme une non-inferiorité du médicament à tester par rapport au comparateur sans pouvoir donner une conclusion définitive. Pour cette raison, des études post-marketing sont indispensables ; - HR > 1 avec limite supérieure du IC95 % qui dépasse 1,8. Le médicament à tester est jugé inférieur au comparateur et sa commercialisation ne peut être autorisée ou poursuivie. Si l’IC95 % est trop large et si sa limite inférieure « mord » sur la ligne de neutralité (HR = 1), aucune conclusion n’est possible. Le produit ne peut être approuvé. Toutefois, il reste la possibilité que l’étude ne soit pas interprétable en raison d’un vice méthodologique : nombre de sujets trop faible, nombre d’événements insuffisant pour que les calculs statistiques soient interprétables. Cette dernière remarque soulève la question suivante : quel nombre minimum d’événements cardiovasculaires majeurs doit-on observer pour pouvoir conclure à la non-infériorité du médicament à tester par rapport au comparateur quand c’est effectivement le cas, c’est-à-dire lorsque le HR des MACE est égal à 1 entre les 2 produits. Ce calcul avec une puissance statistique de 90 % peut être réalisé à partir de la courbe indiquée sur la figure 2(2). Si les 2 produits sont réellement identiques en termes de MACE, il faudra que le protocole de l’étude conduise à un minimum de 120 MACE. Si le produit à tester est réellement largement supérieur au comparateur (HR = 0,7), 50 MACE suffiront. Ce petit calcul montre qu’une firme pharmaceutique qui est convaincue de la supériorité de son produit peut se contenter d’études faites sur une population relativement restreinte (2 000 à 3 000 sujets peuvent suffire pour 50 MACE). En revanche, si la firme pharmaceutique a des doutes sur la supériorité de son médicament par rapport au comparateur, l’étude de comparaison devra être conduite sur des populations beaucoup plus importantes. Dans ces conditions, l’inclusion de 10 000 à 20 000 sujets peut devenir nécessaire pour observer 120 MACE. Figure 2. Nombre total d’événements cardiovasculaires requis pour descendre en dessous du seuil de 1,8 imposé par la FDA pour la limite supérieure de l’IC95 % du HR. Ce dernier correspond au risque relatif d’évènements CV du médicament à tester par rapport à un comparateur. Supposons que le risque relatif présumé d’accident CV avec un antidiabétique oral soit neutre (risque relatif = 1) par rapport à un comparateur. Dans ce cas, l’étude randomisée devra porter sur un nombre de patients permettant d’atteindre un nombre d’évènements supérieur à 120 pour pouvoir observer une limite supérieure de l’IC95 % en dessous de 1,8 (d’après(2)). Nous nous dispenserons d’évoquer les études où le HR serait à 1,3. Dans ce cas, le nombre de MACE requis serait > 400, ce qui signifie que les études devraient porter sur des populations gigantesques (plus de 20 000 sujets) ou se poursuivre sur des durées très longues (> 5 ans). Dans les 2 cas, les coûts des études seraient « colossaux » et il est fort probable que nul organisme privé ou public ne pourrait entreprendre de telles études, surtout quand on sait que les résultats de non-infériorité du médicament à tester ne seraient même pas garantis et que ces études risqueraient de conduire à des conclusions mitigées. Un exemple : SAVOR-TIMI 53 Cette étude a été entreprise pour démontrer l’efficacité et la sécurité de la saxagliptine, un inhibiteur de la DPP-4(3). L’étude a porté sur 16 492 sujets ayant un diabète de type 2, randomisés en 2 groupes pour recevoir soit un placebo (8 212 sujets) soit de la saxagliptine (8 280 sujets). La plupart de ces sujets étaient déjà traités par d’autres médicaments hypoglycémiants : metformine (69 % des sujets, sulfonylurées (40 %), glitazones (6 %), insuline (41 %). Le recrutement fut basé sur une histoire d’antécédents de maladie CV ou sur la présence de plusieurs facteurs de risque vasculaires : maladie CV bien établie pour 78 % des sujets, HTA chez 81 %, dyslipidémie (71 %), antécédents d’IDM (38 %), traitement par statines (78 %), traitement par bêtabloquants (61 %), traitement par IEC (54 %) et traitement par des ARAII (28 %). À l’issue de l’étude, la différence entre les taux d’HbA1c était de 0,3 % en faveur du groupe saxagliptine (7,5 %) par rapport au groupe placebo (7,8 %). Le nombre de MACE (décès par accidents CV, IDM, AVC) était identique dans les 2 groupes : 613 sujets dans le groupe saxagliptine vs 609 sujets dans le groupe placebo. Les résultats exprimés en HR, montrent une neutralité parfaite : 1,00 (IC95 % = 0,89-1,12) avec p = 0,99 (figure 3)(3). Figure 3. Courbe de Kaplan-Meier du taux d’événements CV majeurs survenus dans l’étude SAVOR-TIMI 53 (comparaison du bras saxagliptine et du bras placebo, d’après(3)). Le commentaire général sur l’étude SAVOR est que la saxagliptine se situe dans une situation de non-infériorité vis-à-vis du placebo dans un travail qui répond aux critères de certification définis par la FDA. Le HR est sur la verticale de neutralité et la limite supérieure de l’IC95 % (1,12) est < 1,3. A priori, aucune autre étude de postmarketing n’est conseillée par la FDA. Toutefois il convient de noter que l’étude a été effectuée en add on à d’autres antidiabétiques et que la liste de ces hypoglycémiants était assez disparate (metformine, sulfonylurées et même insuline). C’est pour cette raison que la comparaison n’a pas été faite contre un autre antidiabétique. La limitation de cette étude repose sur le fait que le comparateur était un placebo. Que se serait-il passé si l’étude avait été faite chez des sujets traités uniquement par metformine ou naïfs de toute thérapeutique antidiabétique et si la comparaison avait été faite entre la saxagliptine et un autre antidiabétique oral ? Nul ne le sait puisque l’étude n’a pas été faite. Le nombre de sujets élevé (16 492) et le nombre de MACE (plus de 600 dans chaque groupe) est conforme aux règles de certification de la FDA. Au vu des résultats, tout semble correct, mais que penser de la non-infériorité par rapport au placebo ? Si on inverse la proposition, et pourquoi ne serait-on pas en droit de le faire, la non-infériorité est synonyme de non-supériorité. Si la saxagliptine n’est pas supérieure au placebo, n’est-on pas en droit de se poser des questions sur la pertinence de ces « méga-études » et sur les facteurs qui peuvent les « polluer » ? Notre opinion est que ces études faites sur de grands nombres de sujets sont victimes en partie de leur taille pour plusieurs raisons. Le grand nombre de sujets impose de recruter les participants dans de nombreux pays avec des prises en charge médicales très différentes. Il oblige à introduire dans l’étude des patients déjà traités par d’autres médications à visée antiathérogène : hypolipidémiants, antihypertenseurs, antiagrégants, etc. À titre d’exemple, dans l’étude SAVOR, 75 % des sujets étaient déjà traités par statine et une grande majorité par des hypotenseurs ou de l’aspirine. Dans ces conditions, les effets bénéfiques potentiels de la saxagliptine n’ont-ils pas été « étouffés » par les effets protecteurs des autres médicaments et ce, d’autant plus qu’il a été démontré que le contrôle des lipides circulants et de la pression artérielle est au moins aussi important que celui de l’hyperglycémie pour freiner le développement et la progression des complications macrovasculaires( 4). Ce n’est pas le cas pour les complications microvasculaires mais ces dernières n’ont malheureusement pas été testées dans l’étude SAVOR. La disparité des pays (26 impliqués dans l’étude), le nombre d’investigateurs (aux alentours de 2 000 selon les données fournies dans l’annexe de cette étude(5)) sont autant d’éléments qui permettent de se poser des questions sur la pertinence de ces « méga-essais », car l’hétérogénéité du recrutement ne peut que conduire à une dispersion des résultats. Notre opinion personnelle est que des études plus petites, mais réalisées sur des groupes homogènes de patients, avec un nombre limité de centres recruteurs dans des pays où les pratiques médicales sont comparables, seraient beaucoup plus instructives que ces grandes études qui font les « délices » des grands congrès internationaux et des grandes revues médicales de médecine interne. La dérive nous paraît inquiétante. De plus, les résultats de ces méga-analyses sont souvent remis en question par d’autres méga-études publiées quelques semaines ou mois plus tard. Certaines de ces grandes études constamment citées (UKPDS, DCCT, ACCORD) ne font qu’enfoncer quelques portes largement ouvertes en confirmant que : le bon équilibre glycémique réduit le risque de complications diabétiques, l’effet étant plus net sur la microangiopathie que sur la macroangiopathie ; un équilibre glycémique excessif, avec des antidiabétiques comportant un risque d’hypoglycémie, augmente le nombre d’épisodes hypoglycémiques avec un risque CV accru quand les hypoglycémies sont sévères. Tout le monde est au courant de ces « truismes » qui sont régulièrement ressassés sous des formes différentes mais avec des conclusions générales qui sont toujours les mêmes. Conclusion La certification des médicaments antidiabétiques oraux proposée par la FDA est une démarche qui part d’une bonne intention pour essayer d’harmoniser les pratiques en matière d’autorisation de médicaments. Éviter les essais thérapeutiques dont les objectifs peuvent être soit publicitaire soit à charge en fonction des motivations de leur promoteur est une mesure qui nous paraît louable. En revanche, la volonté de s’aligner sur des critères trop sévères risque d’aller à l’encontre des bonnes intentions. Dans ces conditions, le danger est de s’éloigner de la pratique médicale de tous les jours et de l’intérêt du patient. À titre d’exemple, la metformine et les sulfonylurées seraient peut-être aujourd’hui considérées comme des médicaments en situation de non-infériorité, c’est-à-dire de non-supériorité par rapport à un placebo s’ils étaient testés dans de grands essais. Ces deux classes médicamenteuses sont pourtant utilisées depuis plus de 50 ans et jusqu’à preuve du contraire, à condition de respecter leurs contre-indications et de titrer leurs posologies de manière correcte, ces médications restent des valeurs sûres dans le traitement du diabète de type 2. Si nous revenons à l’efficience de ces 2 médicaments, on peut considérer : - qu’ils sont efficaces (-1 à -1,5 % sur l’HbA1c  en monothérapie) ; - qu’ils sont relativement sûrs (pas d’hypoglycémie avec la metformine, peu d’hypoglycémies avec les sulfonylurées si on titre ces médicaments correctement et si on respecte leurs contre-indications) ; - qu’ils donnent satisfaction aux patients et qu’ils préservent leur qualité de vie (traitement facile à suivre et nécessitant peu de contrôles glycémiques, en particulier avec la metformine) ; - qu’ils sont dans l’ensemble peu coûteux. Faut-il exiger des nouveaux médicaments des critères de certification qui n’ont jamais été demandés pour la metformine et les sulfonylurées ? La question est posée. Le principe de précaution est passé par là, mais ce principe poussé à l’extrême n’est-il pas le fossoyeur de l’innovation et du progrès ? 

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