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Diabète et médecine interne

Publié le 15 fév 2017Lecture 10 min

Diabète chez les patients infectés par le VIH

Bruno GUERCI, Diabétologie, Maladies métaboliques & Nutrition, hôpital Brabois, CHU de Nancy ; CIC Inserm, ILCV, Vandœuvre-lès-Nancy

La prévalence du diabète est élevée chez les patients infectés par le VIH, compte tenu de leur jeune âge. la précocité des troubles de la glycorégulation dans cette population s’explique par l’apparition d’une insulinorésistance liée aux anomalies de répartition du tissu adipeux, lipoatrophie et lipohypertrophie, observées sous traitement antirétroviral, ces facteurs spécifiques s’ajoutant aux facteurs de risque habituels du diabète de type 2.

Épidémiologie du diabète chez les patients VIH+ La prévalence du diabète a été évaluée à 4 % environ chez les patients infectés par le VIH, dans une étude transversale réalisée au sein d’un centre hospitalouniversitaire français(1). Cette étude montre, en outre, que le diabète est moins bien contrôlé dans cette population, chez 22 % seulement (HbA1c < 6,5 %), comparativement à 32 % environ des patients diabétiques de type 2 dans la population générale, alors que paradoxalement l’infection à VIH est contrôlée. Le défaut d’observance du traitement antidiabétique (35 % des patients dans l’étude ont une observance imparfaite de l’ensemble des traitements, 8 % pour le traitement antidiabétique seul et 4 % pour le traitement antiviral seul) peut sans doute s’expliquer par l’importance des comédications et le risque d’interactions médicamenteuses, mais aussi par la banalisation du diabète en regard du Sida. Dans la population de patients VIH+, le diabète altère la qualité de vie, surtout dans sa dimension physique, la qualité de vie mentale étant mieux conservée, vraisemblablement grâce au suivi rapproché et multidisciplinaire dont bénéficient ces patients. Plus de la moitié des patients interrogés perçoivent l’infection par le VIH comme la maladie prééminente, celle qui menace leur pronostic vital. Une étude prospective ayant comparé deux groupes de patients âgés de ≥ 45 ans, VIH+ (n = 540) et VIH- (n = 524) montre une prévalence plus élevée des comorbidités à âge égal chez les patients VIH+, avec un décalage apparent de 5 ans en termes de nombre de comorbidités. L’hypertension artérielle, l’infarctus du myocarde, les maladies artérielles périphériques et la détérioration de la fonction rénale sont significativement plus fréquents ; le diabète est plus fréquent mais cette augmentation n’est pas significative(2). Le suivi de la cohorte ACOPROCOPILOTE, concernant 1 046 sujets VIH+ inclus lors de leur mise sous traitement inhibiteur de protéase en 1997-1999, permet d’apprécier l’incidence du diabète selon que les patients avaient précédemment été traités par analogue nucléosidique ou non (44 % naïfs)(3). La cohorte a été suivie prospectivement pendant 10 ans jusqu’en 2009. Pour l’ensemble de la cohorte, le pic d’incidence a été observé en 1999- 2000 à 23,2/1 000 PA. Le risque de développer un diabète était 20 à 30 % plus élevé chez les patients prétraités par un antirétroviral, comparativement aux patients naïfs. En moyenne, la prévalence du diabète était de 14/1 000 PA comparativement à 4-6/1 000 PA dans la population non infectée par le VIH. Les facteurs de risque de diabète mis en évidence dans cette étude sont l’âge, les paramètres d’adiposité (IMC, tour de taille/tour de hanches) ainsi que l’utilisation de certains inhibiteurs nucléosidiques (indinavir, stavudine, didanosine). D’autres études n’ont pas retrouvé d’augmentation de prévalence du diabète chez les patients traités pour une infection VIH, notamment une étude danoise portant sur une cohorte de 4 984 patients VIH+ comparés à près de 20 000 témoins, suivis après 1998 ; toutefois, le risque de diabète était nettement majoré pendant la période précédente 1996-1999 (RR : 2,83 ; IC 1,57- 5,09), ce qui suggère l’implication des molécules antirétrovirales utilisées à cette époque, beaucoup plus délétères sur le plan métabolique(4). L’ensemble de ces données suggère l’implication des traitements antirétroviraux les plus anciens comme les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse et les inhibiteurs de la protéase dans la survenue des altérations du métabolisme glucidique. Physiopathologie des altérations de la tolérance au glucose chez les patients VIH+ Le tissu adipeux est au centre des perturbations métaboliques observées chez les patients infectés par le VIH. Son excès favorise des perturbations au niveau du muscle, du foie et du pancréas, en particulier une inflammation systémique, elle-même responsable de l’insulinorésistance qui fait le lit du diabète. Au niveau du foie, l’accumulation de lipides ectopiques favorise la stéatohépatite non alcoolique (NASH) qui peut évoluer vers la cirrhose et le carcinome hépatocellulaire. L’obésité viscérale explique près de 80 % de la variance d’insulinosensibilité et entraîne également des répercussions sur le métabolisme des lipides. Une étude sur un modèle expérimental de lipo-atrophie chez le hamster a montré qu’une lipectomie sous-cutanée de plus de 50 % combinée à un régime riches en lipides est associée à une augmentation du tissu adipeux viscéral, avec une augmentation du contenu en triglycérides au niveau hépatique, ainsi qu’une augmentation des triglycérides plasmatiques, l’ensemble témoignant de l’insulinorésistance créée par le déséquilibre entre le tissu adipeux sous-cutané, lieu de stockage habituel des graisses, et le tissu adipeux viscéral(5) (figure 1). Figure 1. Physiopathologie des altérations de la tolérance au glucose chez les patients VIH+. Les anomalies de répartition du tissu adipeux et les perturbations lipidiques sont manifestes chez les patients VIH+. Une étude sur une petite série de patients, 22 sous inhibiteur nucléosidique et 26 sous inhibiteur non nucléosidique, montre une diminution du tissu adipeux sous-cutané, en particulier au niveau des membres inférieurs et une augmentation du tissu adipeux viscéral chez les patients traités par inhibiteur nucléosidique (zidovudine, lamivudine, lopinavir), qui atteignent la significativité au bout de 24 mois, et ne sont pas retrouvées chez les patients traités par inhibiteur non nucléosidique (nevirapine, lopinavir)(6). Le microbiote intestinal est sans doute impliqué dans la physiopathologie des altérations de la tolérance au glucose dans le contexte de l’infection VIH. Cette relation est bien identifiée, notamment quand le microbiote évolue vers l’émergence de bactéries à Gram négatif dont l’un des principaux composants sont les lipopolysaccharides (LPS). Ces derniers vont être transloqués par la lumière intestinale, du fait d’une diminution par ces bactéries de l’enzyme de dégradation des LPS, et transportés par les chylomicrons, d’autant plus que le régime est riche en lipides et qu’il existe une obésité ou un diabète. Il s’ensuit une activation macrophagique via deux récepteurs, mCD14 et TLR4(7). Les taux de LPS sont d’ailleurs corrélés positivement avec les marqueurs métaboliques (paramètres lipidiques et glycémiques) et les marqueurs de risque cardiovasculaire (pression artérielle, scores de risque) chez les patients VIH+. Ce schéma physiopathologique est bien démontré chez ces patients qui présentent une augmentation significative des marqueurs de l’inflammation(8). Quelle est la responsabilité respective du VIH et des antirétroviraux dans la genèse des troubles métaboliques ? Le virus exerce un effet direct sur la différenciation adipocytaire et sur l’inflammation de bas grade au niveau macrophagique. Son incorporation dans les macrophages entraîne la libération de protéines virales et modifie les paramètres de l’inflammation via l’expression des cytokines proinflammatoires (TNFα, IL-6)(9). La modification de la différenciation adipocytaire avec dysfonction mitochondriale favorise un phénotype lipodystrophique et l’émergence d’une insulinorésistance, la libération d’acides gras libres et la réduction de l’expression de l’adiponectine (figure 2). Figure 2. Effet du virus VIH sur la différenciation adipocytaire et l’inflammation de bas grade au niveau macrophagique (d’après Caron- Debarle M.). Ce mécanisme rend compte des modifications de la différenciation adipocytaire, mais n’explique pas forcément le phénotype lipodystrophique qui est sans doute la résultante de deux phénomènes : le faible contenu en mitochondries au niveau du tissu adipeux souscutané comparativement au tissu adipeux viscéral favorise la lipo-atrophie alors que l’activation cortisolique et l’inflammation favorisent l’évolution vers la lipo-hypertrophie du tissu adipeux viscéral. En d’autres termes, le tissu adipeux sous-cutané serait plus sensible à la dysfonction adipocytaire induite par le virus et les thérapies antirétrovirales (figure 3). Enfin, du fait de l’incapacité à stocker des lipides dans le tissu adipeux sous-cutané atrophique, triglycérides et acides gras libres vont être stockés dans le tissu adipeux viscéral, aggravant son hypertrophie. Le phénotype lipodystrophique a de multiples conséquences métaboliques en favorisant la lipotoxicité au niveau du muscle, du pancréas, du foie et du cœur, avec leur impact en termes de troubles du métabolisme lipidique et glycémique, et de vieillissement prématuré du système cardiovasculaire. Tous les antirétroviraux ont potentiellement des répercussions sur le métabolisme à des degrés divers. Les inhibiteurs nucléosidiques (stavudine, zidovudine) sont surtout responsables des phénomènes lipoatrophiques. Les inhibiteurs non nucléosidiques sont relativement moins nocifs sur le tissu adipeux et le métabolisme. Les inhibiteurs de protéase possèdent un double effet délétère en favorisant l’évolution vers la lipohypertrophie et les troubles métaboliques. Dans cette classe, les agents les plus toxiques sont l’indinavir, le topinavir et le tipranavir. Figure 3. Physiopathologie du phénotype lipodystrophique chez les patients VIH+ avec un diabète (d’après Caron-Debarle M.). Prise en charge des troubles du métabolisme du glucose chez les patients VIH+ Un dépistage du diabète doit être réalisé dès le diagnostic d’infection VIH et répété tous les ans. La surveillance glycémique débute à l’introduction des traitements antirétroviraux, et sera répétée tous les 3-4 mois, voire plus fréquemment en cas de modification du traitement ou en présence de facteurs de risque surajoutés (maladie cardiovasculaire, corticothérapie) (tableau). ART : traitement antirétroviral ; CV : cardiovasculaire ; HTA : hypertension artérielle ; IMC : indice de masse corporelle ; TT : tour de taille ; TT/TH : tour de taille/tour de hanche ; PA : pression artérielle ; GAJ : glycémie à jeun ; DFGe : débit de filtration glomérulaire estimé (Cockroft-Gault).  La prise en charge du diabète fait appel en première intention aux antidiabétiques visant à contrôler l’insulinorésistance (metformine) en plus des mesures hygiéno-diététiques. Le renforcement du traitement antidiabétique oral est nécessaire dès que l’HbA1c dépasse 7 %. Si le contrôle glycémique ne peut être obtenu sous antidiabétique oral, le recours à l’insuline s’impose. Globalement, le traitement obéit aux recommandations préconisées dans la prise de position ADA/EASD en termes d’objectifs, qui sont d’autant plus ambitieux (HbA1c < 6,5 %) que le patient est motivé, qu’il ne présente pas de complications cardiovasculaires évoluées, ni d’insuffisance rénale et en l’absence de pronostic défavorable de la maladie VIH. En plus des recommandations de prévention et de dépistage cardiovasculaire (contrôle de la pression artérielle < 130/80 mmHg, bilan lipidique), les patients devront bénéficier d’un dépistage des complications microvasculaires. Il faut noter que, chez les patients VIH+ sous traitement antirétroviral, la valeur de l’HbA1c peut être sous-estimée, du fait d’une hémolyse accrue. Il est donc nécessaire de surveiller conjointement la glycémie à jeun en plus de l’HbA1c et de recourir à l’autosurveillance glycémique lorsqu’une dissociation significative de ces deux paramètres est observée. Le traitement et le suivi sont identiques à ce qui est recommandé en population générale. La metformine, utilisée en première intention (jusqu’à 2 500 mg/j sauf en cas de défaillance rénale), permet de diminuer l’insulinémie, l’hypertriglycéridémie, l’IMC et le rapport taille/hanche dans le contexte de lipodystrophies associées aux thérapies antirétrovirales. La place des autres antidiabétiques oraux (inhibiteurs des alpha-glucosidases, sulfamides, glinides, i-DPP-4, analogues GLP-1) est mal identifiée dans ce contexte particulier. Les glitazones, malheureusement non disponibles en France, seraient intéressantes en situation de lipohypertrophie, malgré des résultats inégaux selon les études et la molécule antirétrovirale utilisée, et le risque de rétention hydrosodée ; elles sont en effet plus efficaces que la metformine sur la captation du glucose avec un effet favorable sur la composition corporelle et la stéatose hépatique ; elles augmentent le tissu adipeux sous-cutané, mais sans réduction nette du tissu adipeux viscéral. Enfin, une modification du traitement antirétroviral peut s’avérer utile, dans la mesure où les patients sous inhibiteur de protéase ont une moins bonne réponse aux traitements hypoglycémiants. Parmi les autres thérapeutiques plus spécifiques de la lipodystrophie, l’hormone de croissance et la GnRh ont des effets délétères sur l’équilibre glycémique ; par ailleurs, nous disposons de peu de données sur les effets de la tésamoréline (Egrifta) et de la leptine recombinante en termes d’équilibre glycémique. Enfin, une étude expérimentale sur un modèle de souris développant une forme sévère de diabète lipodystrophique a montré que la réimplantation chirurgicale de tissu adipeux en sous-cutané entraîne une réduction de la glycémie à 13 semaines post-greffe, ainsi qu’une amélioration de la sensibilité à l’insuline avec une disparition de la stéatohépatite(10).  Conclusion La physiopathologie des troubles métaboliques liés à l’infection VIH et aux thérapies antirétrovirales est assez complexe. Un contrôle métabolique optimal est nécessaire chez ces patients, d’autant que s’y associent de nombreuses comorbidités et facteurs de risque cardiovasculaire. L’objectif le plus ambitieux est de ramener l’HbA1c à moins de 7 %. Néanmoins, la prise en charge du diabète est difficile car l’utilisation des molécules réellement efficaces est limitée et les thérapeutiques les plus récentes n’ont pas été suffisamment évaluées dans ce contexte, en particulier les agonistes du GLP-1 qui font preuve d’une réelle efficacité sur la perte de poids et la stéatohépatite non alcoolique, et améliorent la répartition du tissu adipeux. Le recours à l’insulinothérapie ne doit pas être retardé dans l’objectif d’un contrôle strict de l’équilibre glycémique.

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