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Cardiovasculaire

Publié le 15 oct 2017Lecture 7 min

Faut-il revoir les objectifs tensionnels chez les patients diabétiques de type 2 ?

Patrice DARMON, Service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, CHU Conception, Marseille

À la fin des années 1990, la célèbre étude UKPDS avait montré que maintenir pendant 9 ans une pression artérielle (PA) à 144/82 mmHg versus 154/87 mmHg en moyenne permettait de diminuer de façon significative le risque de décès et de complications macro- et microvasculaires chez des patients présentant un DT2 nouvellement diagnostiqué(1).

1998-2007 : l’époque du « lower is better » À la fin des années 1990, la célèbre étude UKPDS avait montré que maintenir pendant 9 ans une pression artérielle (PA) à 144/82 mmHg versus 154/87 mmHg en moyenne permettait de diminuer de façon significative le risque de décès et de complications macro- et microvasculaires chez des patients présentant un DT2 nouvellement diagnostiqué(1). À la suite de ces résultats, le principe du lower is better s’est peu à peu imposé, malgré l’absence de réelle validation scientifique : les recommandations nationales et internationales ont alors fixé des objectifs de PA très ambitieux dans le DT2, généralement autour de 130/80 mmHg. En France, on se souvient par exemple des recommandations émises en 2006 par la HAS et l’Afssaps préconisant de viser chez ces patients une PA strictement inférieure à 130/80 mmHg, et même inférieure ou égale à 125/75 mmHg en cas de protéinurie. L’année suivante, l’étude ADVANCE — dont le design était cependant un peu différent puisqu’il consistait à comparer l’ajout au traitement usuel d’une association fixe d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (périndopril) et d’un diurétique (indapamide) versus un placebo — confortait l’idée de l’existence d’un bénéfice clinique significatif lié à une réduction de la PA systolique (PAS) en dessous de 140 mmHg, puisque l’obtention d’une PA à 135/75 mmHg en moyenne dans le groupe intervention versus 140/77 mmHg dans le groupe placebo s’accompagnait d’une réduction de 14 % de la mortalité totale, de 18 % de la mortalité cardiovasculaire, de 14 % des événements coronariens et de 21 % des événements rénaux(2). 2008 : ACCORD-Blood Pressure, le premier tournant Cependant, au début des années 2010, la plupart de ces sociétés savantes, qu’elles soient américaines (8th Joint National Committee [JNC8] 2014, American Society of Hypertension [ASH] 2014), européennes (National Institute for Health and Care Excellence [NICE] & British Hypertension Society [BHS] 2011, European Society of Hypertension [ESH] & European Society of Cardiology [ESC] 2013) ou françaises (Société française d’hypertension artérielle [SFHTA] 2013) ont relevé la valeur cible de PA chez les patients diabétiques de 130/80 mmHg à 140/85 mmHg ou le plus souvent 140/90 mmHg, en raison : d’études observationnelles montrant une courbe en J entre PA et complications cardiovasculaires avec un excès de risque pour les PA les plus basses et de l’absence de preuves concluantes du lower is better dans les études randomisées, et notamment dans ACCORD-Blood Pressure(3). Dans cet essai mené chez 4 733 patients DT2 à haut risque cardiovasculaire, viser un objectif de PAS inférieur à 120 mmHg (PAS obtenue 119,3 mmHg en moyenne) ne faisait pas mieux que viser un objectif de PAS plus conventionnel, inférieur à 140 mmHg (PAS obtenue 133,5 mmHg en moyenne) sur le risque de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs — sauf sur le critère secondaire des accidents vasculaires cérébraux non fatals (réduits de 37 %) — avec plus d’effets secondaires graves liés aux traitements (3,3 % versus 1,3 %, p < 0,001). 2015 : SPRINT, retour vers le futur ? Pourtant, en 2015, l’étude SPRINT, menée avec un design identique à celui d’ACCORD-Blood Pressure chez 9 361 patients à haut risque cardiovasculaire non diabétiques, est venue rebattre les cartes, l’essai étant interrompu prématurément en raison d’un bénéfice majeur sur la morbi-mortalité cardiovasculaire dans le groupe « objectif de PAS inférieur à 120 mmHg » (PAS obtenue 121,5 mmHg en moyenne) versus « objectif de PAS inférieur à 140 mmHg » (PAS obtenue 134,6 mmHg en moyenne) avec une baisse de 25 % des événements cardiovasculaires majeurs et de 27 % de la mortalité totale, au prix toutefois d’une augmentation des effets secondaires graves liés aux traitements (4,7 % versus 2,5 %, p < 0,001)(4). La principale explication à la discordance entre les deux études est le manque de puissance statistique de l’essai ACCORD-Blood Pressure au cours duquel le nombre d’événements s’est avéré environ deux fois plus faible qu’attendu. Cette discordance n‘est d‘ailleurs qu‘apparente puisqu’il existe dans ACCORD-Blood Pressure une tendance en faveur d’un contrôle intensif de la PAS sur les différents événements cardiovasculaires considérés. Globalement, les résultats des deux essais vont dans le même sens (figure)(5). Figure. Critères de jugement dans ACCORD-Blood Pressure et dans SPRINT, et données combinées des deux études (d’après(5)). 2017 : où en est-on aujourd’hui ? Faut-il aujourd’hui extrapoler les conclusions de SPRINT aux patients diabétiques ? Doit-on à nouveau revoir les objectifs tensionnels à la baisse chez ces sujets ? Des données récentes permettent d’apporter quelques éléments de réponse. Études d’observation Une étude de population suédoise basée sur l’analyse de registres nationaux, portant sur plus de 180 000 patients diabétiques de type 2 âgés de moins de 75 ans en prévention primaire a retrouvé, sur un suivi moyen de 5 ans, une relation linéaire entre PAS et événements cardiovasculaires majeurs, avec majoration progressive du risque d’infarctus du myocarde (fatals ou non), d’accidents vasculaires cérébraux (fatals ou non) ou de pathologie cardiovasculaire (fatale ou non) avec le niveau de PAS (depuis 110-119 mmHg jusqu’à > 160 mmHg) ; cependant, dans cette étude, une courbe en J était à nouveau mise en évidence pour la mortalité totale et l’insuffisance cardiaque, illustrant pour ces deux paramètres un excès de risque pour une PAS entre 110 et 119 mmHg par rapport à une PAS entre 130 et 139 mmHg(6). Cette élévation du risque de mortalité et d’insuffisance cardiaque pour les PAS inférieures à 120 mmHg pourrait être liée à la présence de facteurs confondants traduisant une fragilité accrue des sujets. On retrouve également une courbe en J entre PAS et événements cardiovasculaires majeurs et mortalité totale dans une autre étude de registre suédoise portant sur plus de 33 000 patients diabétiques en insuffisance rénale chronique, avec en particulier un sur-risque très marqué quand la PAS est inférieure à 120 mmHg versus PAS entre 135 et 139 mmHg(7). Enfin, une autre étude de registre portant sur plus de 22 000 patients présentant une coronaropathie stable, dont environ 35 % de patients diabétiques, met aussi en évidence une courbe en J avec excès de risque d’événements cardiovasculaires majeurs quand la PA est inférieure à 120/70 mmHg versus 120-129/70-79 mmHg(8). Études d’intervention Plusieurs métaanalyses d’essais randomisés contrôlés comparant un traitement plus ou moins intensif de la PA ont été publiées ces dernières années. Une vaste métaanalyse portant sur 123 études et incluant plus de 600 000 patients (diabétiques ou non) a montré un bénéfice de la prise en charge optimale de la PA sur les événéments cardiovasculaires majeurs, les événements coronariens, les accidents vasculaires cérébraux, l‘insuffisance cardiaque et la mortalité toutes causes(9). Des résultats comparables ont été retrouvés dans une métaanalyse portant sur 19 études randomisées contrôlées avec un suivi de plus de 6 mois et regroupant près de 45 000 patients diabétiques ou non(10). Pour autant, la métaanalyse de Emdin et coll. publiée en 2015 et portant sur plus de 100 000 patients diabétiques de type 2 a montré qu’il n’y avait pas de bénéfice à faire baisser la PA des patients diabétiques présentant une PAS initiale inférieure à 140 mmHg pour réduire le risque de mortalité totale ou d’événements cardiovasculaires ; seuls le risque d’accident vasculaire cérébral et le risque d’albuminurie étaient favorablement impactés par une réduction supplémentaire de la PAS dans cette étude(11). Plus récemment, une métaanalyse incluant près de 75 000 diabétiques de type 2 est venue confirmer l’absence de bénéfice cardiovasculaire à faire baisser la PA de patients présentant une PAS initiale inférieure à 140 mmHg, retrouvant même alors une augmentation du risque de mortalité cardiovasculaire(12). Que disent les recommandations ? À la lumière des dernières données, les recommandations émises en 2016 par la Société européenne de cardiologie (ESC) préconisent un objectif de PA inférieur à 140/85 mmHg pour la majorité des patients et inférieur à 130/80 mmHg pour les patients les plus jeunes et à risque cardiovasculaire élevé, notamment pour réduire le risque d’accident vasculaire cérébral, de rétinopathie et d’albuminurie(13). Les recommandations 2017 de l’American Diabetes Association (ADA) vont dans le même sens (< 140/90 mmHg en général, < 130/80 mmHg pour les patients à risque cardiovasculaire élevé si cet objectif peut être atteint en évitant la surenchère thérapeutique)(14). En France, les recommandations de la Société française d’hypertension artérielle et de la HAS publiées en 2016 plaident pour un objectif de PAS entre 130 et 139 mmHg et de PA diastolique inférieure à 90 mmHg pour la plupart des patients (y compris les patients diabétiques), mais avec des nuances en fonction de l’âge (PAS < 150 mmHg sans hypotension orthostatique après 80 ans ; PAS < 130 voire 120 mmHg chez certains patients — dont le profil n’est toutefois pas clairement précisé)(15). Conclusion Alors, objectif < 130/80 mmHg ou < 140/90 mmHg chez les patients diabétiques ? Comme pour le contrôle glycémique et la valeur cible d’HbA1c, les objectifs tensionnels doivent aujourd’hui être individualisés chez le patient diabétique en fonction de différents facteurs clinico-biologiques (âge, comorbidités, complications cardiovasculaires, fonction rénale, effets secondaires des traitements, observance, etc.), avec sans doute un intérêt à aller vers les valeurs basses pour certains patients à haut risque cardiovasculaire mais à rester plus prudent pour les individus les plus fragiles ou présentant des complications vasculaires évoluées. L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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