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Thérapeutique

Publié le 15 fév 2018Lecture 12 min

Situation actuelle de la greffe d’îlots pancréatiques - De la recherche clinique au soin courant

Laurence KESSLER, Thuibault BAHOUGNE, Service d’endocrinologie-diabète-nutrition, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

L’espérance de vie des patients diabétiques de type 1 s’est considérablement améliorée durant les 20 dernières années. Toutefois une récente étude réalisée à partir du suivi d’une cohorte anglaise de sujets de plus de 20 ans incluant 25 000 patients DT1 rapporte que l’espérance de vie du diabétique de type 1 demeure réduite de 11 ans chez l’homme et de 13 ans chez la femme. Cette réduction d’espérance de vie est en relation avec les complications macrovasculaires mais également les décès secondaires dus aux complications aiguës du diabète que sont les comas hypoglycémiques et par acidocétose(1). Malgré les améliorations dans le domaine des cinétiques d’insuline avec des insulines d’action de plus en plus courte ou de plus en plus prolongée, le développement des dispositifs de mesure continue du glucose, et des traitements adjuvants à l’insulinothérapie, l’instabilité glycémique demeure chez le patient DT1. L’hypoglycémie sévère qui est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital du patient est observée chez un tiers des patients diabétiques de type 1 dans une étude française(2).
La thérapie cellulaire du diabète par greffe d’îlots pancréatiques est une approche biologique capable de restaurer une production d’insuline autorégulée.

Depuis 2000, date de la publication du groupe d’Edmonton qui rapporte une insulino-indépendance consécutive chez 7 patients DT1 après greffe d’îlots, la transplantation d’îlots pancréatiques est apparue comme une thérapeutique prometteuse du DT1 avec hypoglycémies sévères(3). Son efficacité est maintenant clairement démontrée et ses indications de même que son positionnement par rapport aux autres thérapeutiques du DT1 sont de mieux en mieux précisées. En France, la greffe d’îlots pancréatiques est toujours réalisée dans le cadre de protocoles de recherche clinique. Les recommandations de la greffe d’îlots en cours d’élaboration par la Société Francophone du Diabète et les résultats du premier essai randomisé en transplantation devraient accélérer son passage en soin courant. Figure 1. Répartition géographique des réseaux cliniques de greffe d’îlots pancréatiques en France. Modalités actuelles de la greffe d’îlots pancréatiques Actuellement, la greffe d’îlots pancréatiques est une thérapeutique bien codifiée. Elle consiste à isoler les îlots pancréatiques d’un pancréas prélevé dans le cadre d’un prélèvement multiorgane chez un sujet en mort cérébrale. Le pancréas est un organe extrêmement sensible à l’ischémie, son transport à longue distance est difficile. Le temps d’ischémie froide ne doit pas excéder 8 à 12 heures afin de garantir une bonne qualité de fonction des îlots, imposant ainsi une grande disponibilité des équipes à la fois de prélèvement et des laboratoires d’isolement d’îlots. Au niveau technique, l’isolement des îlots pancréatiques nécessite un laboratoire dédié à cette procédure travaillant en condition stérile. La procédure d’isolement se déroule en deux phases, une première phase de digestion à l’aide d’une enzyme, la collagénase, permettant de libérer les îlots de la structure conjonctive du pancréas et une phase de purification afin de séparer le tissu endocrine du tissu exocrine. La préparation est considérée comme valide pour la greffe si le nombre d’îlots est suffisant, supérieur à 5 000 îlots/kg de poids du receveur, et la qualité optimale (fiabilité 70 %). Selon les conditions, les îlots peuvent être maintenus en culture pendant une période de 2 à 10 jours. La transplantation d’îlots est effectuée selon une procédure minimalement invasive. Sous anesthésie locale, le radiologue effectue un cathétérisme de la veine-porte sous ponction hépatique transcutanée ; les îlots sont injectés via le cathéter dans le flux porte et ainsi dans le foie. Certaines équipes proposent une technique chirurgicale miniinvasive par laparotomie. Pour assurer une efficacité maximale de la greffe, il est nécessaire d’injecter entre 10 et 12 000 îlots/kg de poids du receveur. Dans la mesure où les techniques d’isolement d’îlots pancréatiques ne permettent actuellement de recueillir que 200 000 à 400 000 îlots par pancréas, il sera nécessaire d’avoir recours à 2 ou 3 injections d’îlots pancréatiques. La transplantation d’îlots pancréatiques est réalisée en groupe ABO compatible et après s’être assuré de la négativité du cross-match (cellules de la rate du receveur en présence des lymphocytes du donneur). Comme toute transplantation, la greffe d’îlots pancréatiques va nécessiter la mise en place d’un traitement immunosuppresseur qui comprend à la phase initiale de la greffe un traitement d’induction par thymoglobuline et anticorps anti-récepteurs de l’Interleukine 2 et une phase d’entretien qui associe du tacrolimus et du mycophénolate mofétil. Une efficacité démontrée : résultats de la première étude randomisée en transplantation Les données du registre international de transplantation d’îlots pancréatiques rapportent à 1 an une insulino-indépendance chez 80 % des patients recevant une greffe d’îlots seuls ou après transplantation rénale(4). A cinq ans, cette insulino-indépendance est de 30 % dans le groupe îlots seuls et 20 % dans le groupe îlots après rein. En termes de fonction du greffon attestée par positivité du C-peptide sanguin, 80 % des patients greffés d’îlots ont un C-peptide positif à 5 ans et une étude rapporte une positivité du C-peptide chez 70 % des patients à 10 ans(5). Afin d’évaluer l’impact clinique de la persistance de la fonction du greffon, même si le patient doit reprendre de petites doses d’insuline, le groupe international consensus IPITA/EPITA en 2017 propose une évaluation de la greffe d’îlots pancréatiques en 4 stades : optimal, bon, marginal et échec sur la base de 4 indicateurs : HbA1c, hypoglycémie sévère, besoins en insuline et C-peptide(6). Quels risques ? La transplantation d’îlots pancréatiques est une technique peu invasive d’injection d’îlots purifiés dans la veine porte du foie sous contrôle radiologique ou par mini-chirurgie. En comparaison à la greffe de pancréas, la greffe d’îlots a une morbidité moindre, essentiellement des risques hémorragiques (7 à 10 %). Une laparotomie exploratrice en raison de complications hémorragiques est nécessaire dans moins de 15 % des cas et la mortalité est exceptionnelle(7). Les complications tardives de la greffe d’îlots pancréatiques concernent les effets secondaires du traitement immunosuppresseur. Ce dernier favorise la leucopénie qui peut nécessiter un traitement par facteur de croissance hématopoïétique et les infections opportunistes, en particulier à CMV. L’effet de la thymoglobuline est rémanent et la déplétion lymphocytaire peut persister plusieurs années, favorisant les désordres lymphoprolifératifs(4). L’impact néphrologique des traitements immunosuppresseurs a fait l’objet de plusieurs études sur la fonction rénale. Des études ont rapporté une aggravation de la fonction rénale à 4 ans chez des patients recevant une greffe d’îlots seuls pour diabète avec hypoglycémies sévères(8). Toutefois cette étude ne comportait pas de groupe témoin. Résultats de l’essai TRIMECO Parallèlement à l’amélioration de l’efficacité de la greffe d’îlots pancréatiques(9-11), les dispositifs de mesure continue du glucose couplés à l’insulinothérapie ont été progressivement introduits dans la thérapeutique du diabète de type 1. Pour la première fois dans le domaine de la transplantation, une étude nationale française regroupant tous les centres impliqués dans la transplantation d’îlots pancréatiques a proposé de réaliser l’essai TRIMECO, un essai de phase III, prospectif, ouvert, double bras, randomisé, multicentrique, impliquant 15 centres universitaires français et trois centres de préparation d’îlots (Lille, Paris, Genève). Cette étude vise à évaluer l’efficacité métabolique de l’allogreffe d’îlots pancréatiques en comparaison de l’insulinothérapie intensive (multi-injection ou pompe à insuline) pour le traitement du patient DT1 avec instabilité glycémique. Des patients DT1 avec hypoglycémie sévère étaient randomisés en deux groupes parallèles, le groupe greffe d’îlots immédiate versus greffe différée d’îlots de 6 mois. Le critère d’évaluation principal était le bêtascore, un score composite établi sur 4 paramètres : la glycémie à jeun, le C peptide sanguin, l’HbA1c et les besoins en insuline(12). Le succès était défini pour un bêta-score ³ 6, six mois après la première injection d’îlots : – 64 % du groupe greffe immédiate ont atteint le bêta-score contre 0 patient dans le groupe greffe différée d’îlots ; – 84 % des patients du groupe greffe d’îlots immédiate avaient une HbA1c < 7 % contre 4,5 % dans le groupe greffe différée d’îlots ; – 88 % des patients du groupe greffe d’îlots immédiate ne présentaient plus d’hypoglycémies sévères contre 36 % dans le groupe greffe différée d’îlots. Pour le groupe greffe d’îlots immédiate : 92 effets secondaires ont été rapportés chez 46 patients dans les six mois suivant la première injection d’îlots ; 6,8 % d’hémorragies au point de ponction ont été rapportés soit 12 épisodes sur 111 infusions d’îlots. Dans le groupe greffe différée d’îlots : 10 événements d’effets secondaires ont été rapportés entre l’inclusion et la première injection d’îlots. Un patient dans le groupe greffe différée d’îlots est décédé d’arrêt cardiaque en relation avec une hypoglycémie nocturne prolongée alors qu’il était en liste d’attente de greffe d’îlots. L’essai TRIMECO a montré la supériorité métabolique et clinique de la greffe d’îlots pancréatiques en comparaison aux traitements insuliniques intensifs chez le patient diabétique de type 1 à haute variabilité glycémique. Impact de la greffe d’îlots pancréatiques sur les complications dégénératives Les données de l’efficacité de la greffe d’îlots pancréatiques sur les complications du diabète commencent à être précisées. Une amélioration de la neuropathie, en particulier sensitive, 5 ans après la greffe d’îlots pancréatiques et de la rétinopathie a été objectivée(13,14). L’évolution des complications macroangiopathiques est plus difficile à apprécier mais une diminution de l’épaisseur intima-média carotidienne a été observée par le groupe d‘Oberholzer(15). Les données d’impact sur la fonction rénale sont plus difficiles à démontrer en raison de la toxicité potentielle du tacrolimus. Le groupe de Warnock a comparé prospectivement un groupe de 21 patients transplantés à un groupe de patients DT1 traités médicalement par le suivi de la filtration glomérulaire et n’a pas montré de différence entre les deux groupes. La perte de la valeur moyenne de la clairance était de 0,3 ml/min/mois par 1,73 m2 dans les deux groupes(14). L’équipe de Lehmann n’a pas montré de différence de fonction rénale dans une série de greffe d’îlots après 10 ans d’évolution en intention de traiter dans un groupe de greffe d’îlots seuls et de greffe d’îlots après rein(16). Cette étude laisse à penser que la greffe d’îlots a un effet protecteur en dépit de la toxicité potentielle des inhibiteurs de calcineurine. Enfin, plusieurs études ont montré une amélioration de la qualité de vie de patients diabétiques présentant un diabète instable après greffe d’îlots en lien avec la diminution des hypoglycémies et ce, malgré la reprise d’une insulinothérapie à petite dose(17). Indications actuelles de la greffe d’îlots pancréatiques Les indications de la greffe d’îlots pancréatiques chez le patient diabétique feront l’objet début 2018 de recommandations établies par la Société francophone du diabète. Elles doivent prendre en compte la situation générale du patient. Le succès de la greffe d’îlots a été démontré dans des protocoles comportant des critères d’inclusion et d’exclusion ayant pour but d’optimiser le rapport bénéfique/risque. Les indications concernent le patient diabétique, insulinoprive, traité par multi-injections ou pompe à insuline, avec ou sans mesure continue du glucose, pour lequel les objectifs glycémiques du patient ne sont pas atteints et qui présente une variabilité glycémique conduisant à une altération de la qualité de vie et/ou des hypoglycémies sévères. Chez ces patients devront être pris en compte l’absence d’évolutivité des complications, notamment sur le plan rénal, le poids, les besoins en insuline et l’absence de désir de grossesse chez la jeune femme. Chez le patient DT1 à grande variabilité glycémique et fonction rénale normale (DFG > 50 ml/min) et stable, la transplantation d’îlots pancréatiques est indiquée tout particulièrement chez le patient diabétique de > 50 ans ou à l’âge physiologique équivalent plus ou moins associé à des complications cardiovasculaires suggérant un risque opératoire élevé et contre-indiquant la transplantation pancréatique. Chez le patient de < 50 ans avec des besoins en insuline augmentés > 1 unité/kg/jour et/ou un IMC > 30 kg/m2, la transplantation de pancréas seul sera privilégiée en accord avec le patient, du fait de la difficulté de greffer un nombre d’îlots suffisant permettant d’obtenir une bonne efficacité métabolique. Chez le patient de < 50 ans sans complication cardiovasculaire avec un risque opératoire faible et un IMC < 30 kg/m2, la greffe d’îlots ou de pancréas pourra être proposée au patient selon sa préférence du fait des résultats métaboliques équivalents des deux greffes et après l’avoir informé des complications chirurgicales de la greffe pancréatique. Chez le patient diabétique de type 1 en insuffisance rénale terminale, âgé de > 50 ans avec des complications macrovasculaires et/ou un risque opératoire élevé, la greffe d’îlots pancréatiques sera indiquée soit simultanément à la greffe rénale soit après la greffe rénale. En effet, chez ces patients, l’âge physiologique élevé, les complications cardiovasculaires et/ou le risque opératoire élevé contre-indiquent la transplantation simultanée de rein et de pancréas. Dans tous les cas, il faudra recueillir la préférence du patient vis-à-vis de la technique de transplantation choisie et prendre en compte la balance bénéfice/risque au regard de la toxicité du traitement immunosuppresseur et des complications chirurgicales potentielles de la transplantation pancréatique. Dans le cas de diabète secondaire avec insulino-sécrétion résiduelle réduite, la transplantation d’îlots pancréatiques est indiquée chez le patient après pancréatectomie pour tumeur bénigne par la réalisation d’une autogreffe d’îlots pancréatiques. Dans cette situation, une faible quantité d’îlots permet d’obtenir de bons résultats métaboliques en raison de l’absence de rejet et de réactivité potentielle de l’auto-immunité diabétique. Une autre indication est en train d’être validée dans le cadre d’essai clinique, elle concerne la greffe simultanée d’îlots pancréatiques à la transplantation pulmonaire chez le patient en insuffisance rénale terminale présentant un diabète de la mucoviscidose. La route vers le soin courant Depuis 1999, la transplantation d’îlots pancréatiques est réalisée en France dans le cadre d’essais cliniques à travers deux grands réseaux de transplantation d’îlots pancréatiques : – le réseau GRAGIL : groupe Rhin-Rhône-Alpes-Genève pour la greffe d’îlots pancréatiques qui regroupe les CHU de Nancy, Strasbourg, Besançon, Grenoble, Lyon, Montpellier, Clermont- Ferrand et qui a été rejoint récemment par Paris (Saint-Louis, Foch) et trois laboratoires d’isolement d’îlots pancréatiques, Genève, Paris, Grenoble, auxquels vont s’ajouter le laboratoire d’isolement de Montpellier ; – le deuxième groupe est le groupe G4 qui associe les CHU de Lille, Rouen, Caen, Amiens rejoint récemment par Nantes avec le laboratoire d’isolement d’îlots pancréatiques localisé à Lille. L’ensemble de ces réseaux de transplantation permet une couverture géographique quasi complète du territoire français pour la greffe d’îlots. Ils permettent actuellement aux patients d’accéder à la transplantation d’îlots pancréatiques dans le cadre de trois protocoles cliniques : – le protocole STABILOT qui vise à évaluer l’impact médico-économique de la stabilisation des formes sévères de DT1 par transplantation d’îlots pancréatiques (promoteur Genève) ; – l’essai GRIIF qui vise à évaluer la transplantation d’îlots pancréatiques allogéniques pour le traitement du DT1 (promoteur Paris) ; – l’essai PIM qui évalue l’efficacité métabolique de la greffe combinée de poumons et d’îlots pancréatiques dans la mucoviscidose (promoteur Strasbourg). L’absence de prise en charge par l’assurance maladie de la greffe d’îlots pancréatiques limite considérablement les possibilités d’accès du patient diabétique à cette greffe. En effet, la greffe d’îlots ne peut être réalisée actuellement qu’après avoir obtenu l’autorisation des instances réglementaires dont les procédures de soumission des dossiers sont très complexes et les délais de décision sont extrêmement longs. Pour l’année 2018, nous disposerons, en plus des résultats de 3 PHRC nationaux, des résultats métaboliques du premier essai randomisé dans le domaine de la greffe d’îlots pancréatiques publiés au plan international et des recommandations de la Société francophone du diabète. La dernière ligne droite avant le soin courant est l’essai randomisé STABILOT qui a été demandé par les autorités de santé. Il consiste à comparer la greffe d‘îlots au traitement diabétologique intensif par pompe à insuline couplée à la mesure continue du glucose avec comme critère d’évaluation principal, le QALYs (Quality ajus ted life years), un critère médico-économique(18). Cette dernière étude va compléter le dossier qui sera soumis à la HAS pour établir le service médical rendu de la greffe d’îlots. La décision de permettre à un plus grand nombre de patients de bénéficier de cette innovation appartient désormais aux autorités politiques et règlementaires. Figure 2. Portographie au cours de la procédure mini-invasive de greffe d’îlots pancréatiques (A). Incorporation d’un îlot pancréatique dans le parenchyme hépatique (B).

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