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Cardiovasculaire

Publié le 15 avr 2018Lecture 7 min

Risque d’amputation des membres inférieurs sous inhibiteurs de SGLT2 : état des lieux

Patrice DARMON, Service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, CHU Conception, Marseille

La classe des inhibiteurs des cotransporteurs glucose-sodium de type 2 (ou i-SGLT2) n’est toujours pas commercialisée en France, au grand dam des cliniciens, mais elle reste plus que jamais sous les feux de l’actualité en diabétologie.

L’enthousiasme (justifié) suscité par les résultats de l’étude EMPA-REG OUTCOME démontrant les bénéfices cardiovasculaires et rénaux de l’empagliflozine chez des diabétiques de type 2 en prévention secondaire (réduction du risque d’événements cardiovasculaires majeurs, de mortalité totale et cardiovasculaire, d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, ainsi que du risque d’apparition ou aggravation d’une néphropathie) a été quelque peu tempéré par ceux de l’étude CANVAS. Cette dernière rapportait, certes, une diminution du risque d’événements cardiovasculaires majeurs, d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et d’aggravation de la néphropathie sous canagliflozine versus placebo chez des patients diabétiques de type 2 à haut risque cardiovasculaire, mais aussi, de façon plutôt inattendue, un doublement du risque d’amputation des membres inférieurs (6,3 vs 3,4 amputations pour 1 000 patients-années — risque relatif [RR] : 1,97 ; IC95% : 1,41-2,75). Il s’agissait d’amputations mineures (orteils, métatarse) dans 71 % des cas, et d’amputations majeures (principalement sous le genou) dans 29 % des cas. Les antécédents d’amputation, la présence d’une artériopathie des membres inférieurs ou d’une neuropathie, le sexe masculin ou une HbA1c supérieure à 8 % étaient des facteurs prédictifs du risque d’amputation dans les deux groupes de randomisation, mais l’augmentation de l’incidence des amputations sous canagliflozine était retrouvée à l’identique, indépendamment de la présence ou non de ces facteurs de risque. Ce signal négatif n’avait pas été retrouvé dans EMPA-REG OUTCOME mais les amputations n’avaient pas été systématiquement recensées dans cet essai, à la différence de CANVAS. Le débat est ouvert Quelque temps après la publication de CANVAS, une analyse de la base de pharmacovigilance de la Food and Drug Administration(1) est venue suggérer que la canagliflozine, à la différence des autres i-SGLT2, pourrait effectivement être associée à une majoration du risque d’amputation des membres inférieurs, sans préjuger pour autant d’une quelconque relation de causalité ; ces résultats doivent cependant être analysés avec la plus grande prudence compte tenu des multiples biais possibles, en particulier le biais de déclaration. In fine, même si le nombre d’événements répertoriés était limité, ces données ont conduit à l’ajout d’un avertissement sur la notice de la canagliflozine aux États-Unis et sur celle de tous les i-SGLT2 en Europe, par peur d’un possible effet-classe. L’hypothèse généralement évoquée pour expliquer cet événement indésirable est celle d’un rôle délétère de l’hémoconcentration induite par ces agents aux propriétés diurétiques(2). Des études déjà anciennes rapportent ainsi un excès de risque d’amputation des membres inférieurs chez des diabétiques de type 2 traités par diurétiques thiazidiques comparativement aux autres antihypertenseurs(3). Pour autant, cette hypothèse est très loin d’être démontrée : ainsi, alors que la déplétion volémique est plus marquée lors de l’initiation du traitement par i-SGLT2, les amputations recensées dans CANVAS survenaient surtout après une exposition prolongée à la canagliflozine(2). Nouvelles analyses post-hoc Ces derniers mois, plusieurs publications sont venues nourrir le débat et apporter un nouvel éclairage sur ce possible risque. La première est une analyse post-hoc de l’étude EMPA-REG OUTCOME(4), pour laquelle les auteurs ont pu retrouver les cas d’amputations survenus au cours de l’essai, en passant notamment en revue les données relatives aux hospitalisations pour effet indésirable grave. L’incidence des amputations des membres inférieurs était de 6,5 pour 1 000 patients-années sous empagliflozine comme sous placebo. Le temps moyen écoulé avant la survenue d’une amputation était similaire entre les groupes (RR : 1,00 ; IC95% : 0,70-1,44), et ce quel que soit le dosage d’empagliflozine (10 ou 25 mg). Enfin, un taux d’amputation similaire était retrouvé sous empagliflozine et sous placebo dans chaque sous-groupe de sujets présentant initialement un haut risque d’amputation. Une autre analyse post-hoc de l’étude EMPA-REG OUTCOME(5) concerne le sous-groupe de patients présentant une artériopathie périphérique à l’inclusion (20,8 % de la population de l’essai, soit 982 patients randomisés dans les bras empagliflozine et 479 dans le bras placebo). Il s’avère que, chez ces patients, le traitement par empagliflozine a un bénéfice comparable à celui observé chez les individus sans artériopathie, et ce sur l’ensemble des critères de jugement (événements cardiovasculaires majeurs, mortalité totale et cardiovasculaire, hospitalisations pour insuffisance cardiaque, apparition ou aggravation d’une néphropathie). Surtout, il n’a pas été observé, dans les groupes empagliflozine, de majoration significative du risque d’amputation (cas recensés a posteriori) chez les patients présentant une artériopathie à l’inclusion : 54 cas sur 982 patients (5,5 %) vs 30 cas sur 479 patients sous placebo (6,3%) ; HR 0,84 (IC95% : 0,54-1,32). L’absence de surrisque d’amputation sous empagliflozine est aussi retrouvée dans le sous-groupe de patients initialement indemnes d’artériopathie périphérique (34 cas sur 3 704 patients (0,9 %) vs 13 cas sur 1 853 patients sous placebo (0,7 %) ; HR : 1,30 ; IC95% : 0,69-2,46). Avec toutes les limites méthodologiques que l’on peut imputer aux analyses post-hoc, ces résultats ne sont pas en faveur de l’existence d’un excès de risque d’amputation sous empagliflozine, y compris pour les patients souffrant d’artériopathie périphérique, qui bénéficient en outre comme les autres des avantages cardiovasculaires et rénaux de l’empagliflozine. Qu’en est-il en vraie vie ? Pour compléter les enseignements des grands essais d’intervention, il est toujours intéressant de se pencher sur les résultats des (bonnes) études observationnelles de « vraie vie ». Dans cette catégorie, on trouve tout d’abord une étude rétrospective réalisée à partir d’une base de données américaine visant à comparer l’incidence des amputations en dessous du genou chez des patients diabétiques de type 2 nouveaux utilisateurs d’un i-SGLT2 (n = 118 018), et plus particulièrement de canagliflozine(n = 73 024), ou de tout autre agent antihyperglycémiant hors metformine (n = 22 623)(6). L’incidence brute des amputations était de 1,22 pour 1 000 patients-années sous i- SGLT2, 1,26 pour 1 000 patients-années sous canagliflozine et 1,87 pour 1 000 patients-années sous autres agents antihyperglycémiants. Parmi les patients en prévention cardiovasculaire secondaire (environ 20 % de la cohorte), l’incidence brute des amputations était de 2,03 pour 1 000 patients-années sous i-SGLT2, 1,99 pour 1 000 patients-années sous canagliflozine et 3,29 pour 1 000 patients-années sous autres agents antihyperglycémiants. Les auteurs ont ensuite apparié selon un score de propension 127 690 nouveaux utilisateurs de canagliflozine ou de tout autre agent antihyperglycémiant : le risque relatif d’amputation était similaire dans les deux groupes (HR : 0,98 ; IC95% : 0,68-1,41), avec une incidence de 1,18 pour 1 000 patients-années sous canagliflozine et 1,12 pour 1 000 patients-années sous autres antihyperglycémiants. Une autre étude observationnelle rétrospective, réalisée à partir des données d’une assurance santé militaire américaine est riche d’informations(7). L’étude de cohorte EASEL (Evidence for cArdiovascular outcomes with Sodium glucose co-transporter 2 inhibitors in the rEal worLd) regroupe des diabétiques de type 2 en prévention cardiovasculaire secondaire ayant débuté un i-SGLT2 ou un autre agent antihyperglycémiant (à l’exception de la metformine) entre 2013 et 2016. Les auteurs ont apparié selon un score de propension 25 258 nouveaux utilisateurs d’un i-SGLT2 (canagliflozine 58,1 %, empagliflozine 26,4 %, dapagliflozine 15,5 %) ou d’un autre antihyperglycémiant. Après un suivi médian de 1,6 an, l’incidence du critère composite primaire (mortalité toutes causes, hospitalisation pour insuffisance cardiaque) était plus faible dans le groupe « i-SGLT2 » que dans le groupe « autres antihyperglycémiants » (1,73 vs 3,01 événements pour 100 patients-années ; HR : 0,57 ; IC95% : 0,50-0,65). Il en allait de même pour chacun des composants du critère primaire, ainsi que pour les événements cardiovasculaires majeurs – mortalité totale, IDM non fatal, AVC non fatal (2,31 vs 3,45 événements pour 100 patients-années ; HR : 0,67 ; IC95% : 0,60-0,75). Le risque relatif d’amputation était multiplié par deux dans le groupe « i-SGLT2 » (HR : 1,99 ; IC95% : 1,12-3,51), avec une incidence de 1,7 pour 1 000 patients-années sous i-SGLT2 et de 0,9 pour 1 000 patients-années sous autres antihyperglycémiants. La majorité des amputations a été observée sous canagliflozine, mais celle-ci était largement plus prescrite que les autres i-SGLT2. Après exclusion des sujets ayant déjà subi une amputation, et en intention de traiter, l’incidence brute des amputations était de 1,9 pour 1 000 patients-années sous canagliflozine, 1,2 pour 1 000 patients-années sous empagliflozine et 0,9 pour 1 000 patients-années sous dapagliflozine, mais l’étude n’avait pas assez de puissance pour autoriser des comparaisons entre les molécules. Conclusion Toutes ces études doivent être interprétées avec prudence en raison de leurs limites méthodologiques, et aucune d’entre elles ne permet de conclure avec certitude. Les résultats des analyses post-hoc de l’étude EMPA-REG OUTCOME et de la publication de Yuan et coll. rassurent sur le risque d’amputation des membres inférieurs sous i-SGLT2 (y compris sous canagliflozine), tandis que le registre EASEL confirme en vraie vie le doublement du risque d’amputation observé dans l’étude CANVAS, sans pouvoir conclure sur un effet propre à la canagliflozine ou sur un effet-classe. À ce jour, et dans l’attente des résultats de nouveaux grands essais d’intervention — comme l’étude CREDENCE menée avec la canagliflozine chez des patients diabétiques de type 2 présentant une néphropathie —, le débat sur les amputations sous i-SGLT2… n’est pas encore tranché !

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