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Diabète et médecine interne

Publié le 15 juin 2018Lecture 11 min

Diabète et cancer : des relations plus complexes qu’il n’y paraît

Jean-Louis SCHLIENGER, Professeur Honoraire, Université de Strasbourg

Les prévalences du diabète et du cancer ont augmenté toutes deux à l’échelle de la planète au cours des dernières décennies mais le diagnostic de cancer et de DT2 chez un même individu est plus fréquent qu’attendu, même après ajustement sur l’âge(1). Le risque relatif de cancer du foie, du pancréas, de l’endomètre, du côlon et de la vessie est augmenté alors que le risque de cancer de la prostate est moindre en cas de DT2. L’association avec d’autres cancers est douteuse (rein, lymphome non hodgkinien) ou absente (poumon). Les données de la cohorte française Entred 2001-2011 sont parlantes à cet égard (tableau)(2). La compréhension des relations complexes entre le diabète et ces différents types de cancer nécessiterait davantage d’études prospectives de population comportant une enquête sur le mode de vie, les habitudes alimentaires, le niveau d’activité physique, les facteurs de risque communs, l’insulinémie, la résistance à l’insuline et d’autres biomarqueurs ainsi qu’une bonne caractérisation du patient et de son diabète (durée, traitements, qualité du contrôle métabolique, etc.).

*significativité statistique Facteurs de risque modifiables communs au diabète et au cancer Une alimentation hyperénergétique à densité nutritionnelle faible et pro-oxydante est associée à la fois à un risque accru de cancer, de surpoids et de diabète. Surpoids et obésité, pourvoyeurs importants de DT2 chez les sujets prédisposés, sont associés à un risque de cancer du sein après la ménopause, de cancer de l’endomètre, de cancers colo-rectal, du pancréas, du foie et de la vessie. Si l’existence d’une relation de causalité entre l’obésité et le DT2 a été démontrée par des interventions prospectives comportant une perte de poids, comme dans le Diabetes Prevention Program, il n’en est pas de même pour le cancer. La perte de poids programmée, notamment après un geste de chirurgie bariatrique n’a pas ou peu de conséquence sur l’incidence du cancer du sein(3) et le sur-risque de cancer persiste après ajustement sur l’IMC(4). L’activité physique est un autre facteur confondant. Elle est associée à une moindre prévalence du DT2 et à un risque relatif réduit pour divers cancers (côlon, sein, endomètre). De plus, l’activité physique est associée à une amélioration du pronostic du cancer colo-rectal. Mécanismes biologiques potentiels Initiation, promotion tumorale, invasion et diffusion sont les étapes du processus néoplasique qui pour tout ou partie peuvent être sous la dépendance d’agents humoraux partagés avec le DT2 tels que l’hyperinsulinémie (qu’elle soit endogène ou thérapeutique), l’hyperglycémie et l’inflammation chronique. La stimulation des récepteurs de l’insuline et de l’IGF-1 a des effets mitogènes, favorise la prolifération et la dissémination des cellules néoplasiques. L’activation des voies de signalisation intracellulaires peut stimuler les phénotypes de divers cancers. Nombre de tumeurs surexpriment les récepteurs à l’insuline ou à l’IGF-1. L’augmentation de la forme circulante active d’IGF-1, secondaire à une diminution de la synthèse hépatique de sa protéine vectrice liée à l’hyperinsulinémie, majore son potentiel mitogène. L’hyperglycémie pourrait favoriser la progression tumorale du fait de son activité métabolique intracellulaire assortie d’un transport membranaire de glucose plus important dans les cellules cancéreuses. En réalité elle ne semble pas favoriser la progression tumorale de façon directe mais plutôt par l’intermédiaire de l’hyperinsulinémie (figure). Figure. Relations diabète/cancer : mécanismes à court terme (cancer du pancréas) et à long terme (cancers du sein, colo-rectal, hépatique, endomètre, etc.). L’obésité et le DT2 sont des situations métaboliques caractérisées par une inflation du tissu adipeux viscéral qui produit des acides gras libres, des cytokines pro-inflammatoires, du PAI-1 (inhibiteur de l’activateur du plasminogène) et bien d’autres substances susceptibles de jouer un rôle dans la carcinogenèse(5). Dans l’obésité, c’est surtout la diminution de la production d’adiponectine aux propriétés antiprolifératives, pro-apoptotiques et antiangiogéniques qui favoriserait la survenue de certains cancers alors que l’augmentation de la leptine dont le potentiel mitogène est limité aurait peu de conséquences. Expérimentalement, le TNF α ou d’autres cytokines pro-inflammatoires favorisent la prolifération tumorale en activant le facteur nucléaire NF-kB et altèrent le fonctionnement mitochondrial et la réparation de l’ADN. Les modifications de l’insulinémie et des cytokines induites par l’alimentation ont un impact sur le comportement tumoral. Le cas particulier du cancer du pancréas Connue de longue date, la relation entre le cancer du pancréas et le diabète est bidirectionnelle. Le risque de développer un cancer pancréatique exocrine est majoré d’un facteur 3 à 8 dans les trois premières années qui suivent la découverte d’un DT2. La chronologie de survenue du cancer plaide en faveur d’une origine paranéoplasique du diabète(6,7). La prévalence élevée du diabète chez les patients ayant un cancer pancréatique de petite taille encore morphologiquement invisible et l’amélioration du diabète après une résection de la tumeur suggèrent que le diabète n’est pas dû à une insulinopénie par destruction du parenchyme pancréatique mais plus probablement à la production de médiateurs induisant des troubles de l’homéostasie glucidique. Des données expérimentales in vitro et in vivo viennent à l’appui de la théorie paranéoplasique du diabète. Dans un modèle de cancer pancréatique induit, la carcinogenèse s’accompagne d’une intolérance glucosée avec hyperinsulinémie et hyperglucagonémie en quelques semaines. Le syndrome paranéoplasique comprend à la fois une dysfonction des cellules α et une insulinorésistance périphérique. L’augmentation de la production d’adrénomédulline par les cellules tumorales a un effet inhibiteur sur la sécrétion d’insuline et un effet lipolytique au niveau du tissu adipeux sous-cutané (tableau ci-dessus). L’hyperglycémie et l’excès d’acides gras libres contribuent à une dysfonction des cellules α et à une insulinorésistance. En pratique, la survenue d’un DT2 en dehors d’un contexte de risque évocateur devrait faire rechercher un cancer du pancréas, a fortiori si l’évolution proche est marquée par une perte de poids. Traitements du diabète et cancer Modifications thérapeutiques du mode de vie De nombreuses études se sont intéressées à la relation entre la nutrition et la survenue de cancer dans la population générale. Une alimentation hyperénergétique responsable d’une prise pondérale compliquée d’un diabète contribue au risque accru de cancer. Une prise importante d’hydrates de carbone est associée à une augmentation du risque de cancer de l’endomètre et l’excès de consommation de graisses animales et de sel majore le risque de néoplasie du côlon et de l’estomac. À l’opposé, une consommation régulière de fruits et de légumes aurait un rôle protecteur sur l’apparition de certains cancers. L’application des recommandations nutritionnelles actuelles est de nature à réduire le risque de cancer chez les sujets diabétiques. Traitements pharmacologiques Plusieurs molécules utilisées couramment dans le traitement du diabète ont des effets favorables ou défavorables sur l’apparition et l’évolution des cancers par rapport à d’autres traitements hypoglycémiants(8). • Metformine, un effet antitumoral surestimé ? Les études observationnelles et leurs métaanalyses ont suggéré que les sujets diabétiques traités par metformine présentaient un risque moindre de développer un cancer, la réduction de l’incidence des cancers allant de 18 à 72 %, tant pour les cancers considérés dans leur globalité que pour des cancers spécifiques (côlon, sein, pancréas, foie). Il n’en fallait pas davantage pour affirmer que la metformine possédait des propriétés antitumorales en perturbant le métabolisme énergétique et la synthèse protéique des cellules malignes, ainsi que les processus d’autophagie et d’apoptose par un effet cellulaire direct d’inhibition de la voie mTORC1 (mechanistic target of rapamycin complex 1), indépendamment ou non de l’AMPK (AMP activated protein kinase). Elle aurait de surcroît une action indirecte en diminuant l’insulinémie qui est un promoteur tumoral(9). Alors que des études sont en cours pour préciser la place de la metformine comme adjuvant dans le traitement du cancer, les études les plus récentes sont beaucoup moins affirmatives quant au potentiel antitumoral de la metformine dans le diabète, de nombreux biais n’ayant pas été pris en compte dans l’interprétation des résultats(10). Les grands essais thérapeutiques randomisés avec un suivi prolongé comme ADOP ou RECORD n’ont pas permis de confirmer de diminution des cas incidents de cancer sous metformine(11). • Les sulfonylurées Les données concernant un effet sur le risque de cancer de cette classe thérapeutique sont entachées de biais importants. Les métaanalyses sont globalement rassurantes. Toutefois, une étude de cohorte française (données de l’Assurance Maladie) a suggéré que les patients les plus exposés aux SU présentaient un risque de cancer doublé(12). Une revue Cochrane n’a pas mis en évidence d’augmentation du risque de cancer par rapport aux patients traités par metformine ou par insuline(13). • Thiazolidinediones La pioglitazone a été retirée du marché français en application du principe de précaution en raison d’une suspicion de lien avec le cancer de la vessie, dont la prévalence est de toute façon augmentée dans le DT2. Les résultats d’une métaanalyse récente comportant 26 études sont rassurants (RR = 1,07, IC95% : 0,96-1,18)(14). • Incrétines (analogues du GLP1 et inhibiteurs de la DPP4) Un effet carcinogène des analogues du GLP1 et des inhibiteurs de la DPP4 a été évoqué à la suite de la survenue de carcinomes médullaires de la thyroïde chez les rongeurs et après la description de cas de pancréatites aiguës et chroniques chez des sujets traités par des analogues du GLP1. D’après les données de pharmacovigilance de la FDA, les patients traités par exénatide ou sitagliptine présentaient une augmentation de la prévalence des pancréatites, du cancer du pancréas (x 3) et des carcinomes thyroïdiens de toute nature (x 4,7) (pour l’exénatide mais non pour la sitagliptine) par rapport aux patients traités par d’autres classes d’hypoglycémiants(15). Les preuves manquent pour attribuer un effet cancérogène général ou spécifique aux incrétines(16) bien que des études anatomiques se soient montrées très alarmistes, notamment en ce qui concerne la sitagliptine(17). Avec un peu de recul, ces données qui ont semé le trouble auprès des prescripteurs et dans les médias sont considérées comme non significatives par les Agences de Santé, mais le feu couve toujours et des études prospectives alimentent encore le débat. D’autres sont en cours. Dans la cohorte composée d’assurés de l’Assurance Maladie belges et de la région de Lombardie, le risque de cancer du pancréas était majoré chez les 33 000 patients traités par incrétines par rapport aux 525 000 patients traités par d’autres hypoglycémiants oraux (RR = 2,14 ; IC95% : 1,71-3,16). Toutefois le cancer s’est révélé principalement au cours des premiers mois de traitement, ce qui suggère que l’augmentation de l’incidence est vraisemblablement liée à la présence d’un cancer occulte provoquant ou aggravant le diabète(18). Il reste que le tropisme pancréatique du GLP1 doit faire considérer avec prudence la prescription des incrétines chez les sujets ayant des antécédents d’atteintes pancréatiques et des antécédents familiaux ou personnels de de cancer médullaire thyroïdien. • Les insulines L’impact de l’insuline sur le développement tumoral a été étayé par le fait que les cellules cancéreuses expriment souvent des récepteurs de l’insuline et de l’IGF-1 et que l’insuline a la propriété de stimuler la prolifération cellulaire en agissant sur l’isoforme A du récepteur et en activant l’enzyme mTOR. L’insuline agit également sur les récepteurs de l’IGF-1 et augmente la forme active circulante de l’IGF-1 dont les effets mitogènes et apoptotiques sont établis. Les études observationnelles ont accrédité l’hypothèse d’une association entre l’insulinothérapie et le risque de cancer tous sites confondus. Les premières métaanalyses ont confirmé le risque accru de cancer de 14 et 23 % chez les sujets diabétiques insulinés. L’intensité de l’exposition à l’insuline semble associée au risque de cancer dans le DT2 mais il existe de nombreux biais dont le moindre n’est pas l’ancienneté du diabète. Le cancer du pancréas est le plus concerné dans la plupart des études avec un risque relatif pouvant dépasser 3. Le biais d’indication inhérent à ce type d’études de comparaison entre utilisateurs et non utilisateurs d’insuline est incontournable et incite à une grande prudence dans l’interprétation des données. Le type d’insuline utilisé paraît sans effet sur l’incidence des cancers et l’alerte sur l’insuline glargine, qui a in vitro une affinité plus grande pour le récepteur de l’IGF-1, a été levée. Quatre études observationnelles et un essai clinique contrôlé, publiés en juin 2009 dans Diabetologia, montraient un lien possible entre l’insuline glargine et un risque de cancer. Toutefois, les résultats de l’ensemble des travaux menés depuis 2009 n’ont pas confirmé ce risque. Aucune association significative n’a été retrouvée entre l’utilisation de l’insuline glargine et l’incidence des cancers et les Autorités de santé ont statué en 2014 en considérant que le rapport bénéfice/risque était toujours favorable mais que la surveillance du risque devait néanmoins être poursuivie(20). En l’état il est difficile de conclure à la réalité d’un effet cancérogène de l’insuline exogène suffisamment important pour modifier la stratégie de prise en charge du diabète. À l’avenir, des études ultérieures ciblées chez des sujets à risque tels que les femmes ayant un risque génétique de cancer du sein ou ayant eu ce cancer, qui exprime particulièrement les récepteurs de l’insuline et de l’IGF-1, pourraient être entreprises pour mieux étayer le risque cancérogène de l’insuline exogène(18). Impact du diabète sur l’évolution du cancer Une métaanalyse a conclu à l’augmentation du risque relatif de décès toutes causes confondues en cas de cancer chez les personnes diabétiques par rapport aux individus sans diabète. Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer ce phénomène : risque plus élevé de développer des complications en lien avec le traitement anticancéreux, comorbidités plus fréquentes (maladie coronarienne, insuffisance rénale, neuropathie) incitant à proposer un traitement oncologique moins agressif, stratégie antidiabétique moins ambitieuse ou moins rigoureuse du fait du cancer, etc.(21). Conclusion Le DT2 augmente modérément le risque de survenue de divers types de cancers du fait d’une communauté de facteurs de risque et du fait de l’allongement de l’espérance de vie des sujets diabétiques. Le cancer du pancréas infraclinique occupe une place à part dans la mesure où le DT2 peut être considéré comme une manifestation paranéoplasique de ce cancer à suspecter en cas de perte de poids spontanée au début de l’évolution du diabète. La relation entre le risque de cancer et le traitement pharmacologique est complexe et possiblement surfaite. Le rôle protecteur de la metformine n’est pas démontré formellement pas plus que les méfaits d’une exposition prolongée à l’insuline exogène et aux insulinosécrétagogues. En l’état de nos connaissances, il n’y a pas lieu de modifier les stratégies thérapeutiques recommandées puisque le rapport bénéfice/risque reste favorable mais d’optimiser la prise en charge globale pour corriger les facteurs de risque environnementaux communs au diabète et au cancer. La compréhension des relations complexes entre le diabète et ces différents types de cancer nécessiterait davantage d’études prospectives de population comportant une enquête sur le mode de vie, les habitudes alimentaires, le niveau d’activité physique, les facteurs de risque communs, l’insulinémie, la résistance à l’insuline et d’autres biomarqueurs, ainsi qu’une bonne caractérisation du patient et de son diabète (durée, traitements, qualité du contrôle métabolique, etc.).

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