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Congrès

Publié le 25 oct 2018Lecture 10 min

Métabolisme des lipides : quoi de neuf ?

Michèle DEKER, Paris

Congrès de la SFE

Le domaine des lipides a été secoué par plusieurs crises, largement alimentées par l’écho des grands médias : remise en cause des principes diététiques fondant les recommandations pour la prise en charge du risque cardiovasculaire, prise de conscience des effets secondaires des statines ayant provoqué une défiance à l’égard de cette classe thérapeutique. Malgré tout, les preuves en faveur d’un bénéfice du régime et du traitement hypolipémiant continuent de s’accumuler... et les objectifs de LDL-C de s’abaisser.

Impact de la nutrition sur le LDL-C L’étude épidémiologique des 7 pays initiée par A. Keys, qui mettait en évidence une relation entre la consommation alimentaire de graisses et la mortalité cardiovasculaire, forme le socle des recommandations pour la prise en charge diététique du risque cardiovasculaire. Contrairement aux critiques formulées par les détracteurs de A. Keys, cette relation existe réellement, tirée par les lipides saturés, comme le confirme l’ajout d’autres pays aux 7 pays initialement analysés. Des études contrôlées randomisées sont venues conforter le bien-fondé des recommandations diététiques. L’Oslo Diet-Heart Study (412 patients en post-infarctus) a montré qu’un régime apportant moins d’acides gras saturés et davantage d’acides gras insaturés permet une réduction du taux de cholestérol et une réduction significative des infarctus du myocarde fatals et de la mortalité cardiovasculaire. Une autre étude d’intervention de plus grande envergure, FINRISK, conduite chez plus de 34 000 sujets en prévention primaire a évalué l’effet de modifications du régime alimentaire associées à d’autres mesures (lutte contre le tabagisme et l’hypertension) sur la mortalité par cardiopathie ischémique sur une période d’une quarantaine d’années. Durant les 20 premières années, la réduction de mortalité a suivi la baisse de la cholestérolémie, elle-même liée aux modifications diététiques ; les 20 années suivantes, la réduction de mortalité s’est avérée plus importante que prévu. Plusieurs métaanalyses ont regroupé les études d’intervention diététique, avec des résultats contradictoires. Notamment la dernière, qui inclut les données de l’étude WHI chez les femmes ménopausées, ne corrobore pas les recommandations en faveur d’une restriction des apports en graisses saturées. L’inclusion de WHI explique ce résultat inattendu. Il faut, en effet, tenir compte des modifications du régime alimentaire adoptées dans les années 2000 ; à l’inclusion dans l’étude, l’alimentation apportait environ 30-35 % de lipides, à comparer à 40-45 % dans les années 1970, et 10-11 % de lipides saturés. Autrement dit, les recommandations avaient eu un réel impact sur la consommation alimentaire de la population américaine ; il faudrait une étude de plus longue durée pour observer une réduction du risque. L’étude espagnole PREDIMED a relancé le débat en montrant qu’un régime méditerranéen associé à un apport supplémentaire d’huile d’olive, plus ou moins des fruits à coque, permet d’obtenir une réduction du critère composite cardiovasculaire de 30 % à 5 ans. Ce régime est d’ailleurs assez proche du régime DASH développé pour le traitement de l’hypertension artérielle. Au final, le régime consensuel privilégie les fruits et les légumes, en diminuant les apports lipidiques et en préférant les acides gras mono-insaturés. Les résultats de l’étude PURE, qui évaluait la relation entre, d’une part, les apports de lipides et de sucres et, d’autre part, les maladies et la mortalité cardiovasculaire, ont apporté la contradiction. Cette étude mondialisée (18 pays sur 5 continents) ne serait pas davantage en faveur de la consommation de graisses insaturées ou saturées, mais il faut tenir compte de la disparité des revenus entre les populations étudiées, laquelle explique la différence entre les sources alimentaires. Néanmoins, quel que soit le pays, l’apport des fruits et légumes consommés en quantité exerce un effet protecteur à l’égard de la mortalité totale et cardiovasculaire, de même que l’activité physique. Enfin, une dernière étude ayant mis en émoi les populations européennes concerne le risque de mortalité cardiovasculaire lié à la consommation d’alcool. Il ressort de cette étude mondialisée que le risque de mortalité par cancer augmente dès le premier verre. La relation avec les maladies cardiovasculaires suivrait une courbe en J : après un effet bénéfique initial, la mortalité augmenterait dès 200 g par semaine. On peut conclure de ce rapide tour d’horizon qu’il est sage de recommander la modération dans les apports alimentaires en acides gras saturés, glucides, apport calorique global et alcool. Enfin, le régime méditerranéen qui associe fruits et légumes, acides gras mono- ou polyinsaturés et glucides complexes résume bien les recommandations diététiques consensuelles. Sémiologie des effets secondaires des statines Les effets secondaires des statines ont été longtemps méconnus, ce relatif déni constituant l’un des piliers de la crise qui a frappé cette classe thérapeutique. Plusieurs études ont évalué leur sémiologie. Les symptômes musculaires peuvent être multiples : courbatures, crampes, sensation de pesanteur, de faiblesse, tendinopathies ; ils peuvent être permanents, diffus ou localisés, nécessitant la prise d’antalgiques, et s’améliorent à l’arrêt du traitement. La fréquence des symptômes en vraie vie est évaluée à 10 % environ. Dans la grande majorité des cas (> 70 %), les symptômes débutent dans les 3 mois suivant l’instauration du traitement (1 mois en durée médiane), ce qui exclut la responsabilité du traitement dans les symptômes survenant plus tardivement. De même, un symptôme unilatéral exclurait la responsabilité du traitement. Dans près de 40 % des cas, les douleurs sont ressenties comme importantes, nécessitant la prise d’antalgiques. Une étude réalisée sous forme d’entretien téléphonique auprès de plus de 10 000 personnes parmi lesquelles un quart déclaraient avoir une hypercholestérolémie, dont un tiers traitées par une statine, retrouve la même incidence de symptômes musculaires (10 %) : douleurs, raideur, crampes, faiblesse ou perte de force à l’exercice, ayant conduit à un arrêt de traitement pour certains patients. L’une des avancées majeures est la publication d’un score diagnostique des effets musculaires qui donne la probabilité que les symptômes soient associés au traitement par statine. Outre des éléments sémiologiques (localisation et distribution des symptômes), sont pris en compte le lien chronologique entre les symptômes et le traitement, l’évolution des symptômes à l’arrêt et à la réexposition au traitement. Ce score a été validé dans le cadre d’une étude en double aveugle chez des patients ayant déclaré un effet secondaire sous statine. La rareté des effets secondaires déclarés dans les essais cliniques des statines, à la différence des études observationnelles, révèle les biais inhérents aux essais randomisés dans lesquels les patients sont sélectionnés soit par les critères d’inclusion, soit par autosélection, après une période de run-in. En outre, les patients motivés ont tendance à sous-déclarer leurs symptômes alors que les médecins ne les évaluent pas systématiquement. Une meilleure approche pour évaluer l’incidence réelle des symptômes musculaires sous statine est fournie par l’étude STOMP, qui évaluait en doubleaveugle une statine puissante à forte dose versus placebo. Le surcroît de plaintes musculaires a été de 5 % environ chez les sujets sous statine. On peut donc en conclure que, dans la vraie vie, sur 100 patients traités, 10 se plaindront de symptômes musculaires, mais que la moitié sont liés à un effet nocebo. L’importance de l’effet nocebo a été bien illustrée dans les études cliniques des inhibiteurs de PCSK9. Ainsi dans la première phase de l’étude GAUSS-3 visant à sélectionner les patients intolérants aux statines (cross-over placebo/atorvastatine 20 mg), une large proportion de patients se sont plaints de douleurs musculaires sous placebo seul (26,5 %), sous placebo et atorvastatine (9,8 %) ou sous atorvastatine seule (42,6 %). La physiopathologie des symptômes musculaires est multiple, faisant intervenir : les comorbidités (âge, sexe, race asiatique, IMC faible, hypothyroïdie, insuffisance rénale, chirurgie majeure), des interactions médicamenteuses et avec le jus de pamplemousse ; des facteurs génétiques, notamment liés à la pharmacocinétique des statines ou musculaires. Une conduite à tenir chez les patients présentant des symptômes musculaires sous traitement a été élaborée dans le cadre des recommandations ESC/EAS 2016 pour la prise en charge des dyslipidémies. À noter quatre messages importants : – la nécessité d’analyser la douleur alléguée ; – les CPK ne sont pas un critère de diagnostic, mais un critère de gravité et un indicateur d’arrêt de traitement ; – l’importance du lien chronologique et de la bilatéralité des symptômes ; – faire des propositions thérapeutiques : diminution de dose, changement de statine, arrêt/réintroduction du traitement, si la cible de LDL n’est pas atteinte à la dose maximale tolérée de statine, envisager l’ajout d’un autre hypolipémiant. Dyslipidémie diabétique : quelle approche thérapeutique ? Classiquement, la dyslipidémie du diabétique est caractérisée par une triade associant : un excès de lipoprotéines riches en TG, surtout de larges particules de VLDL ; une diminution du HDL-C et la pré pondérance de particules petites et denses ; une augmentation modérée du LDL-C avec une augmentation des particules petites et denses. À moins d’être âgé de < 40 ans, sans facteur de risque cardiovasculaire (CV) ni atteinte d’organe, tout patient diabétique de type 1 ou 2 est considéré à risque élevé ou très élevé, cette dernière classe de risque incluant des patients en prévention primaire et secondaire. L’enjeu pour les années à venir sera de mieux caractériser les patients à risque très élevé. Les objectifs de LDL-C proposés par la HAS, proches de ceux des recommandations ESC/EAS, sont < 0,70 g/l pour les patients à risque très élevé. Une catégorie à risque extrême incluant les patients diabétiques en prévention secondaire a été identifiée dans les recommandations de l’AACE avec un objectif de LDL-C < 0,55 g/l et de non-HDL-C < 0,8 g/l. Les recommandations ESC/EAS préconisent un traitement par statine en première intention, à la dose maximale tolérée et associée à un autre hypolipémiant si la valeur cible n’est pas atteinte : l’ajout d’ézétimibe « devrait » être considéré, alors que celui d’un i-PCSK9 « pourrait » être considéré. Le traitement par une statine est justifié par les résultats des études ayant montré un bénéfice en population générale et, plus particulièrement, chez les patients diabétiques (surtout de type 2, car le nombre de patients diabétiques de type 1 inclus dans les études est plus faible). Le bénéfice sur les événements cardiovasculaires et la mortalité CV et toutes causes chez les patients diabétiques de type 1 a été mis en évidence grâce aux données du registre suédois ayant inclus près de 25 000 patients en prévention primaire, dont plus de 5 000 suivis durant ≥ 6 ans. Le risque résiduel chez les patients diabétiques en prévention secondaire traités par une statine est d’environ 30 % dans la métaanalyse des CTT vs 35 % dans le groupe témoin ; il est de 39,8 % chez les patients diabétiques assignés au bras statine à forte dose dans l’étude TNT, comparativement à 26,1 % chez les patients non diabétiques, pour une réduction du LDL-C à 0,77 g/l en moyenne. Ce haut risque résiduel sous traitement par statine justifie d’intensifier le traitement en prévention secondaire. Un algorithme décisionnel a été proposé par un groupe français pour clarifier la conduite à tenir en post-SCA. Ainsi, l’ajout d’ézétimibe devrait être envisagé en fonction du taux de LDL-C à l’admission et de la catégorie de risque du patient, notamment lorsque le LDL-C est ≥ 0,70 g/l chez un patient à risque élevé recevant la dose maximale tolérée de statine. Les résultats du sous-groupe de patients diabétiques de l’étude IMPROVE-IT apportent un argument supplémentaire en faveur de l’ajout d’ézétimibe en montrant une réduction du risque absolu du critère principal de 5,5 % sous traitement associant statine et ézétimibe, comparativement au traitement par statine seule. Ce bénéfice est confirmé par une métaanalyse. L’association d’ézétimibe à une statine permet chez certains patients d’atteindre des valeurs de LDL-C < 0,3 g/l, sans signal d’effet délétère particulier sur une très longue période de suivi (6 ans). La question se pose de l’intensification du traitement audelà de l’association ézétimibe + statine. Les positions européennes et nord-américaines diffèrent quant au fénofibrate : il peut être considéré pour les uns quand les TG sont > 2 g/l ; il n’est pas recommandé pour les autres hormis certains sous-groupes TG élevées et HDL bas. Dans l’étude ACCORDLIPID, l’ajout de fénofibrate à la statine n’avait pas montré de bénéfice si les TG étaient normaux, mais une réduction du risque absolu des événements CV de près de 5 % si les TG étaient élevés et le HDL-C bas, et de 7,6 % si le LDL-C était < 1 g/l et le non-HDLC ≥ 1,30 g/l. Le suivi prolongé de l’étude a montré un résultat, certes, globalement neutre mais un bénéfice chez les patients diabétiques avec élévation des TG et HDL-C bas. La place des fibrates sera peut-être résolue par l’étude PROMINENT qui évalue un fibrate versus placebo chez des patients diabétiques à haut risque sous statine. Une autre alternative possible réside dans les oméga-3 à forte dose (2-4 g), qui n’ont pas jusqu’ici fait la preuve d’un quelconque bénéfice à dose modérée. Deux essais sont en cours (REDUCE-IT et STRENGTH) chez des patients qui n’atteignent pas la cible de LDL-C sous statine et avec TG élevés. Enfin, la dernière version des recommandations ESC/EAS dédiées aux i-PCSK9 précise leur place chez les patients dont le LDL-C reste > 1 g/l sous statine à dose maximale tolérée ± ézétimibe, présentant des indices de sévérité, tels qu’une hypercholestérolémie familiale, un diabète avec atteinte d’organe cible ou des facteurs de risque majeurs. Aujourd’hui, le patient diabétique en prévention secondaire doit être considéré comme à risque extrême de récidive. Le traitement de référence chez ce patient repose sur l’association d’une statine à la dose maximale tolérée et d’ézétimibe. Quant à la place des autres hypolipémiants, il faudra attendre les résultats d’autres études d’intervention pour la préciser. D’après M. Krempf, E. Bruckert et M. Farnier Symposium dans le cadre du congrès de la Société française d’endocrinologie, Nancy 2018

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