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Obésité

Publié le 20 fév 2019Lecture 9 min

Obésité de l’enfant et de l’adolescent, une menace pour le futur

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, Université de Strasbourg

L’incidence de l’obésité a fortement augmenté au cours des dernières décennies dans les pays développés et dans les pays en transition économique. Favorisés par une abondance alimentaire et par un développement technologique inédits contribuant à déséquilibrer la balance énergétique, surpoids et obésité interpellent particulièrement chez l’enfant et l’adolescent du fait de leurs conséquences sur la morbi-mortalité à l’âge adulte. Les données disponibles plaident pour une prise en charge précoce chez l’enfant et l’adolescent à la fois pour empêcher les méfaits immédiats (répercussions sur la qualité de vie, discrimination sociale, etc.) et pour prévenir diverses complications chez l’adulte dont certaines peuvent déjà se manifester chez le grand adolescent(1).

La situation du surpoids en France : stabilité chez l’enfant, augmentation chez l’adolescent L’étude nationale transversale Esteban menée en 2014-2016, 10 ans après l’Étude Nationale Nutrition Santé (ENNS), indique une stabilisation du surpoids et de l’obésité à tous les âges, imputable à la mise en place du Programme National Nutrition Santé (PNNS). La prévalence du surpoids (obésité comprise) n’a guère évolué en 10 ans chez les garçons (16 %) et les filles (18 %) ainsi que chez les adultes (54 % chez les hommes et 44 % chez les femmes dont 17 % d’obésité). Ces chiffres plutôt rassurants sont à nuancer en raison de la majoration de la prévalence de l’obésité chez les adolescents de 15 à 17 ans (tableau) et de l’augmentation de la prévalence de l’obésité chez les garçons qui est passée de 2,6 à 4,1 % en 10 ans(2). Ces données sont proches de celles de l’étude INCA3 (2014-2015) qui confirme la stabilité de la corpulence avant l’âge de 15 ans et la nette augmentation de l’obésité chez les garçons entre 15 et 17 ans (+90 % par rapport à INCA 2 menée 10 ans avant). Par ailleurs, INCA 3 met en évidence l’association du surpoids avec le niveau d’études primaires du représentant adulte. Obésité juvénile, facteur prédictif de l’obésité chez l’adulte L’obésité de l’enfant expose à divers problèmes de santé et d’inconfort où dominent les problèmes psychologiques, orthopédiques, pneumologiques à type d’asthme, et à un moindre degré, métaboliques et cardiovasculaires(3). Toutefois, si l’obésité de l’enfant et de l’adolescent est désormais considérée comme un défi de santé publique, ce n’est pas tant en raison de la mauvaise qualité de vie et des risques immédiats pour la santé auxquels elle expose, mais plutôt en raison de l’accroissement du risque de morbi-mortalité quand l’adolescent sera adulte. La persistance de l’obésité à l’âge adulte vient en tête des morbidités. La métaanalyse d’une quinzaine d’études de cohorte où la corpulence a été mesurée à divers stades du développement indique que le risque d’être obèse à l’âge adulte est multiplié par 5 chez les adolescents obèses par rapport aux adolescents non obèses. Près de 55 % des enfants obèses resteront obèses pendant l’adolescence ; environ 80 % des adolescents obèses le sont encore à l’âge adulte et 70 % d’entre eux seront obèses après l’âge de 30 ans (figure)(4). L’obésité survenant chez les sujets jeunes a de bonnes chances de persister à l’âge adulte. Le continuum de l’obésité aux différents âges de la vie illustre la difficulté qu’il y a à corriger l’obésité une fois qu’elle est installée. Toutefois ces données sont à nuancer par le fait que 70 % des adultes obèses n’étaient pas obèses durant l’enfance ou l’adolescence. Si la pathogénie de l’obésité de l’adulte ne se résume pas aux seuls antécédents pondéraux personnels, ceux-ci occupent néanmoins une place suffisamment importante pour justifier la mise en œuvre de mesures préventives précoces pour un bénéfice à très long terme dans la mesure où la moindre prévalence de l’obésité chez l’enfant et l’adolescent est associée à une moindre incidence de l’obésité de l’adulte et donc, logiquement, à moins de complications liées à l’obésité. Figure. Persistance de l’obésité à l’adolescence et à l’âge adulte (d’après(4)) et probabilité de présenter un DT2 tout au long de la vie selon qu’il existait ou non une obésité juvénile (d’après(6)). *% de sujets présentant un surpoids ou une obésité Répercussions à long terme de l’obésité juvénile Au-delà du risque accru d’obésité à l’âge adulte, l’obésité juvénile expose à une surmortalité prématurée et un ensemble de complications en lien avec l’obésité. Le risque relatif de surmortalité est de l’ordre de 1,4 à 2,9(5). Parmi les causes principales figurent les complications communes de l’obésité (dont certaines peuvent être exceptionnellement présentes chez le grand adolescent) : syndrome métabolique, diabète de type 2, cardiopathies ischémiques, hypertension artérielle commune et gravidique, insuffisance cardiaque, syndrome des ovaires polykystiques et même certains cancers, sans compter les états d’invalidité ouvrant droit à une indemnisation. Ces relations résistent à un ajustement sur le poids à l’âge adulte, ce qui prouve la réalité de l’impact d’une corpulence excessive pendant l’adolescence sur l’état de santé de l’adulte. Obésité juvénile et risque de diabète ultérieur Il existe un lien de cause à effet entre la corpulence et le DT2. L’obésité juvénile fait partie des facteurs de risque modifiables du DT2 en favorisant l’installation d’une insulinorésistance chez des sujets prédisposés. Quelques études longitudinales ont permis de préciser la probabilité pour un adulte de devenir diabétique en cas d’obésité juvénile(6). Dans la cohorte nord-américaine du National Health Interview Survey (1997 à 2004), la probabilité de devenir diabétique tout au long de la vie après l’âge de 18 ans est de 70,3 % chez les garçons obèses contre 7,6 % chez ceux dont de poids est normal et, respectivement, de 74,4 % et 12,2 % chez les jeunes filles (figure). L’impact de l’obésité sur le risque de diabète diminue paradoxalement avec l’âge. À 65 ans, il n’est plus que de 23,9 % chez les hommes qui avaient une obésité juvénile (contre 3,7 % chez ceux qui avaient un poids normal) et de 26,7 % chez celles qui étaient des jeunes filles obèses (contre 8,7 % chez celles dont le poids était normal durant l’enfance), rappelant ainsi que l’obésité juvénile favorise l’installation du diabète de façon assez précoce(7). Dans une étude regroupant 4 cohortes suivies pendant 23 ans, les adultes en surpoids qui présentaient une obésité juvénile sont à risque plus élevé de diabète (RR = 5,4 ; IC95% : 3,4-8,5), d’hypertension, de dyslipidémie et d’athérosclérose (p < 0,002) alors que les adultes qui ne sont plus en surpoids après avoir présenté une obésité juvénile régressive ont un risque comparable à ceux qui avaient un IMC dans les limites de la normale tout au long de l’enfance et de l’adolescence(8). Enfin, le degré d’obésité participe au niveau de risque de DT2 qui est corrélé à l’IMC. Toutefois le fait d’aborder l’âge adulte avec un surpoids est à considérer comme un facteur diabétogène significatif(9). L’insulinorésistance est le principal mécanisme en cause chez ces sujets mais l’influence de l’obésité abdominale, peu étudiée dans ce contexte, semble modeste. Obésité juvénile et risque cardiovasculaire En augmentant nettement le risque de DT2 à l’âge adulte, le surpoids et l’obésité juvéniles sont à considérer comme des facteurs de risque de l’ensemble des complications liées au diabète, au premier rang desquelles figure la morbidité cardiovasculaire. Risque coronarien La présence de facteurs de risque coronarien tels que l’hypertension artérielle, la dyslipidémie ou l’intolérance glucosée rapportée chez certains enfants et adolescents obèses ou en surpoids, voire l’existence d’un syndrome métabolique, contribuent logiquement à l’augmentation du risque cardiovasculaire coronarien à l’âge adulte. Dans une cohorte de population danoise de plus de 250 000 enfants scolarisés, le risque d’événements coronariens après l’âge de 25 ans est associé linéairement à l’IMC chez les garçons entre l’âge de 7 et 13 ans et chez les filles entre 10 et 13 ans et s’accroît avec la durée de l’excès de poids durant l’enfance. L’augmentation du tour de taille accroît peu le risque coronarien mais l’ajustement sur le poids de naissance accroît la significativité des résultats(10). Plusieurs autres études ayant rapporté des résultats comparables, il ne fait pas de doute que le surpoids et l’obésité juvéniles majorent le risque coronarien ultérieur, davantage chez les garçons que chez les filles. L’odds ratio est de 1,30 (IC95% : 1,16-1,47) chez les enfants en surpoids à partir de l’âge de 12 ans, ce qui équivaut à une augmentation de 11 % du risque coronarien pour 1 kg/m2 supplémentaire d’IMC. L’association existe également mais de façon plus atténuée entre 7 et 11 ans. Toutefois les adultes de poids normal ayant présenté une obésité juvénile régressive ne présenteraient pas de surrisque athéroscléreux(8). Hypertension artérielle Il existe une corrélation entre le surpoids des enfants et des adolescents et la pression artérielle des adultes jeunes. Il existe également une relation positive entre l’HTA diagnostiquée chez les adultes et leur IMC pendant l’adolescence. Ces relations sont plus significatives chez les garçons que chez les filles et en cas d’obésité sévère(11). Dans une métaanalyse, l’OR est de 1,29 (IC95% : 1,19-1,40). Accident vasculaire cérébral Il existe trop peu de données pour se faire une opinion définitive mais il ne semble pas que l’obésité juvénile soit un facteur prédictif d’AVC chez l’adulte. Autres pathologies L’obésité diagnostiquée avant l’âge de 7 ans semble avoir une valeur prédictive moindre pour les maladies à venir. Une revue systématique récente ayant pris en compte 37 études permet de situer le poids de l’obésité juvénile chez l’adulte par quelque rapport des cotes : OR = 1,70 (IC95% : 1,30-2,22) pour le diabète de l’adulte, OR = 1,30 (1,16-1,47) pour les coronaropathies et OR = 1,29 (1,19-1,40) pour l’HTA. D’autres morbidités apparaissant à l’âge adulte sont associées peu ou prou à l’obésité juvénile. À l’exception du cancer du sein dont l’incidence semble diminuer paradoxalement avec l’augmentation de l’IMC, l’incidence de nombreux cancers tend à être augmentée (foie, côlon, urothélial) et il existe une association à la limite de la significativité avec la mortalité par cancer(6). L’évaluation des risques futurs de l’obésité juvénile ne doit pas occulter de possibles conséquences lointaines des morbidités contemporaines de celle-ci tels que l’asthme, les troubles psychologiques et les difficultés d’acquisition cognitive. Conclusion Les études observationnelles s’accordent sur les conséquences de l’obésité juvénile quant au risque ultérieur d’obésité, de diabète et de maladie cardiovasculaire, complications habituellement associées au surpoids et à l’obésité chez l’adulte. L’obésité diagnostiquée avant l’âge de 7 ans ne semble pas avoir de valeur prédictive pour ces affections qui sont plus fréquentes chez les garçons que chez les filles. À vrai dire, si le pouvoir prédictif de l’obésité juvénile est réel, il n’en est pas moins limité. En l’état, seuls 31 % des cas de diabète, 22 % des cas d’HTA et de coronaropathies et 20 % des cas de cancers attribués à l’obésité chez l’adulte sont associés aux antécédents d’obésité juvénile. La fréquence de la rémanence de l’obésité juvénile à l’âge adulte attestée par de nombreuses études suffit à considérer l’obésité de l’enfant et de l’adolescent comme un authentique problème de santé publique au-delà des conséquences immédiates sur la qualité de la vie des enfants. Les complications inhérentes au surpoids et à l’obésité suffisent à obérer l’avenir lointain. Le phénomène est particulièrement inquiétant chez les adolescents de 15 à 17 ans, d’une part, parce que l’incidence de l’obésité a nettement augmenté dans ce groupe au cours de la dernière décennie (alors qu’elle est stabilisée chez les enfants) et, d’autre part, parce que la persistance de l’obésité chez l’adulte est plus fréquente à cet âge. Être en surpoids après l’âge de 15 ans est annonciateur d’une forte probabilité de le demeurer après. C’est donc cette période de transition qui devrait être la cible prioritaire des mesures de prévention secondaire à défaut de n’être pas parvenu à empêcher le surpoids chez l’enfant par des mesures de prévention primaire. Les stratégies sont évidemment différentes chez l’enfant qui reste en grande partie dépendant du milieu familial et éducatif et chez l’adolescent en recherche d’autonomie et d’identité avec la tentation d’enfreindre les conventions sociétales y compris alimentaires.

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