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Thérapeutique

Publié le 15 juin 2019Lecture 10 min

Peut-on bien vivre après 50 ans de diabète de type 1 ?

Lyse BORDIER, Bernard BAUDUCEAU, service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé

Les progrès dans la prise en charge ont permis de limiter les complications et d’augmenter l’espérance de vie des patients diabétiques. Ainsi, dans la cohorte prospective Epidemiology of Diabetes Complications de Pittsburgh, l’espérance de vie des patients atteints d’un diabète de type 1 (DT1) dont le diagnostic a été porté avant l’âge de 17 ans, a augmenté de 15 ans entre les périodes 1950-1964 et 1965-1980(1). Ainsi, il n’est pas rare aujourd’hui de suivre des patients DT1 âgés, présentant un diabète découvert parfois il y a plus de cinquante ans comme dans l’étude Jubilé(2). Quel est le profil de ces patients ? Existe-t-il des facteurs « protecteurs » expliquant cette survie prolongée ? Ou s’agit-il simplement de patients sélectionnés a posteriori par cette longue survie ? L’examen des différentes études sur le sujet peut fournir certaines réponses à ces questions.

Profil des patients survivants Les premières études danoises et anglaises ont mis en exergue certaines caractéristiques des patients survivants à une grande ancienneté de leur diabète de type 1. Ces sujets avaient en effet un poids normal et n’étaient pas hypertendus, ne nécessitaient que de faibles doses d’insuline et étaient régulièrement suivis par des professionnels de santé. Des études plus récentes menées dans différents pays ont permis d’affiner ces données. Étude Golden Year Cohort Cette étude anglaise, qui a débuté en 1996, a inclus 400 patients DT1 titulaires de la médaille Alan Nabarro (50 ans de traitement par insuline) ou de la médaille RD Lawrence (60 ans de traitement par insuline), distinctions accordées depuis 1985 par « Diabetes UK ». Ces sujets étaient âgés en moyenne de 68,9 ans, l’ancienneté du diabète était de 55,8 ans et l’âge au diagnostic de 13,7 ans. Les patients étaient majoritairement des hommes (54 %) et leur poids était normal (IMC : 25 kg/m2). La dose quotidienne d’insuline s’avérait relativement faible (0,52 UI/kg). La majorité des patients (73 %) recevaient deux injections d’insuline par jour, 10 % une seule injection et 17 % étaient traités par 3 injections ou plus. Le niveau moyen de l’HbA1c était de 7,6 %, le cholestérol total de 5,86 mmol/l et le HDL de 1,84 mmol/l. Le tabagisme (actuel ou passé) intéressait 64 % des sujets et la consommation d’alcool était faible. Seuls 29 % de ces patients étaient traités pour une HTA et l’âge de décès de leurs parents était en moyenne de 71,5 ans. Ces personnes présentaient une rétinopathie sévère traitée par laser pour 43 % d’entre eux, une cécité chez 2 % et une intervention pour cataracte chez 39 %. La créatininémie moyenne était de 125 μmol/l tandis que 31 % des hommes et 22 % des femmes présentaient une néphropathie incipiens et 9 % une macroalbuminurie. Enfin, une maladie coronaire était observée chez 43 % de ces sujets(3). Étude Joslin 50 years Medalist Study Cette étude américaine, réalisée entre 1997 et 2007, a inclus 351 patients DT1 âgés en moyenne de 67 ans(4). Le diabète avait été découvert à l’âge de 11 ans, ce qui correspond à une ancienneté moyenne de la maladie de 56 ans. À l’inclusion, ces patients avaient un IMC de 26 kg/m2 et leur HbA1c était en moyenne de 7,3 %. La population était masculine dans 47 % des cas, comptait 41 % de fumeurs, 56 % étaient traités pour une HTA, 60 % recevaient un IEC et 64,5 % un traitement hypolipémiant. Les doses quotidiennes d’insuline étaient de 0,46 UI/kg. Parmi ces sujets, beaucoup étaient indemnes de complications : 42,6 % ne présentaient pas de rétinopathie diabétique, 86,9 % pas de néphropathie, 39,4 % pas de neuropathie et 51,5 % pas de complications cardiovasculaires. Le registre national suédois Cette enquête s’est intéressée à un groupe de 1 023 patients dont la durée du diabète excédait 50 ans parmi les 18 450 patients suivis pour un diabète de type 1 entre 2002 et 2004. Ces patients présentaient dans 44 % des cas des complications cardiovasculaires, 52 % une néphropathie ou une rétinopathie sévère. En revanche, 31 % étaient indemnes de complication dégénérative. Ces derniers étaient plus jeunes, avaient une meilleure HbA1c, un IMC moins élevé, une plus faible microalbuminurie et recevaient moins de traitement antihypertenseur et d’hypolipémiant(5). Étude Jubilé Cette étude multicentrique française avait pour objectif d’étudier une population de patients diabétiques de type 1 dont l’ancienneté du diabète excédait 50 ans(2). La cohorte recrutée comportait 671 patients d’âge moyen 63 ± 10 ans, avec une répartition équivalente selon le sexe. Le diabète de type 1 avait été découvert en moyenne vers l’âge de 15 ans et l’ancienneté de la maladie était de 49 ± 7 ans. Les patients étaient plutôt citadins (52 %), mariés dans les trois quarts des cas avec en moyenne 1,6 enfant et au moins un petitenfant. Leur statut scolaire et professionnel était élevé puisque le tiers d’entre eux avaient fait des études supérieures. Ces patients avaient pris leur retraite vers 60 ans, âge supérieur à la moyenne nationale. En dépit de la maladie, leur absentéisme au cours de leur vie professionnelle avait été très modéré. Presque tous les patients étaient autonomes, la moitié d’entre eux faisaient du sport et participaient régulièrement à des activités culturelles. L’HbA1c était en moyenne de 7,4 ± 0,9 %. Les hypoglycémies étaient mal ressenties chez 1 patient sur 10 et les sujets déclaraient une hypoglycémie sévère par mois, un coma hypoglycémique par an et deux épisodes d’acidocétose durant leur vie entière. Une rétinopathie diabétique minime était observée chez la moitié de ces personnes, une atteinte modérée chez 20 % et une rétinopathie proliférative chez 26 % d’entre eux. Un oedème maculaire était noté dans 12 % des cas et 60 % des patients avaient bénéficié d’un traitement par laser. Sur le plan rénal, la créatininémie était de 77 ± 35 μmol/l, 65 % des patients ne présentaient pas d’albuminurie, 2 % étaient en dialyse et 3 % avaient bénéficié d’une greffe rénale. Une HTA était notée chez 65 % des patients, les complications coronariennes touchaient 20 % de ces sujets et 7 % présentaient une atteinte vasculaire, AVC ou artérite. Facteurs associés aux complications et à la survie dans les études longitudinales Dans les grandes études longitudinales concernant l’ensemble de tous les patients DT1, les facteurs intervenant de façon déterminante dans les complications et la mortalité sont représentés par l’ancienneté du diabète et la qualité de l’équilibre glycémique. En revanche, ces paramètres explicatifs sont inconstamment retrouvés dans les études publiées chez les DT1 très âgés. Ce fait est probablement en rapport avec la longue durée du diabète et les variations inévitables de l’efficacité de la prise en charge tout au long des années de suivi. Ancienneté du diabète Dans la Joslin 50 years Medalist Study, les facteurs associés aux complications des DT1 très anciens n’étaient pas les mêmes que ceux observés lorsque le diabète était plus récent. Cependant, l’ancienneté du diabète était bien corrélée à la néphropathie, à la neuropathie et aux maladies cardiovasculaires, mais pas à la rétinopathie(4). L’incidence des complications rénales a été évaluée dans l’étude EDC de Pittsburgh qui a inclus les enfants au moment de la découverte du DT1 ou dans l’année qui a suivi le diagnostic(6). Toutes les complications rénales comprenant l’incidence de la microalbuminurie ou de la macroalbuminurie, de l’insuffisance rénale terminale et des décès d’origine rénale augmentaient avec l’âge et l’ancienneté du diabète. Cependant, de façon inattendue, l’incidence de ces complications rénales semblait diminuer lorsque le diagnostic de diabète avait été fait avant l’âge de 6 ans. Néanmoins, après 50 ans de diabète, 88 % des patients présentaient une microalbuminurie, 72 % une macroalbuminurie et 60 % une insuffisance rénale terminale. Âge d’apparition du diabète L’âge d’apparition de la maladie intervient dans la morbi-mortalité cardiovasculaire comme le montre cette étude portant sur l’exploitation des données d’une cohorte suédoise de patients diabétiques de type 1 comparée à la population générale. Le groupe des sujets diabétiques de type 1 comportait 27 195 personnes et celui du groupe contrôle était composé de 135 178 témoins. Au cours de la période de suivi dont la médiane était de 10 ans, 959 personnes atteintes de diabète de type 1 et 1 501 témoins sont décédés. Indépendamment de l’âge au moment du diagnostic, toutes les personnes atteintes de diabète de type 1 présentaient un risque élevé de mortali té toutes causes confondues (taux d’incidence de 1,9 par 100 000 personnes-années [IC à 95 % : 1,71-2,11]). Les patients qui ont développé un diabète de type 1 entre les âges de 0 et 10 ans présentaient des risques relatifs beaucoup plus élevés que les sujets ayant développé la maladie entre 26 à 30 ans. Ainsi, les risques étaient majorés jusqu’à un facteur 5 selon l’âge du diagnostic du diabète. L’apparition du diabète de type 1 avant l’âge de 10 ans s’est traduite par une perte de 14,2 années de vie (IC95% : 12,1-18,2) pour les hommes et de 17,7 années de vie (IC95% : 14,5-20,4) pour les femmes. Ces dernières, dont le diagnostic de diabète était précoce, couraient un risque presque 60 fois plus élevé de maladie coronarienne (HR : 58,73, IC95% : 28,86-119,55) par rapport aux personnes non diabétiques. L’âge lors de l’installation du diabète de type 1 est donc un déterminant important dans la survenue des complications cardiovasculaires et la survie des patients. Cependant, bien que ces risques relatifs d’événements cardiovasculaires et de mortalité soient très élevés, les risques absolus sont faibles, en raison de l’âge relativement jeune (moyenne de 29 ans) et de la courte durée de la maladie diabétique. Ainsi, l’élévation spectaculaire des risques qui est observée chez les patientes est probablement en rapport avec la très faible incidence des maladies cardiovasculaires chez les jeunes femmes non diabétiques(7). Équilibre glycémique Dans la Joslin 50 years Medalist Study, les facteurs associés aux complications des DT1 très anciens n’étaient pas les mêmes que ceux observés lorsque le diabète était plus récent. Ainsi, il n’y avait pas de corrélation entre l’HbA1c et les complications du diabète(4). L’effet de l’équilibre glycémique a été réévalué chez 952 patients de cette cohorte qui ont été suivis entre 2005 et 2015(8). Ces personnes étaient âgées en moyenne de 65,8 ans avec une ancienneté du diabète de 54,7 ans. En 2015, 87 % des participants étaient encore en vie, leur HbA1c était à 7,2 % et la dose moyenne d’insuline de 0,46 UI/kg/jour. Près de 60 % des patients étaient porteurs d’une pompe à insuline, la moitié d’entre eux réalisaient plus de 5 contrôles quotidiens de leur glycémie capillaire et 79,5 % pratiquaient une activité physique. En analyse multivariée, l’HbA1c n’était qu’inconstamment associée aux complications cardiaques, rétiniennes ou rénales. Enfin, l’HbA1c n’était pas significativement associée à la mortalité, quel que soit le sexe. Toujours dans cette étude Joslin 50 years Medalist Study, les 97 patients suivis pendant 23 ans sur le plan ophtalmologique en raison d’une rétinopathie avaient une HbA1c moyenne de 7,7 %. Chez presque la moitié de ces malades (47 %), une aggravation de la rétinopathie a été constatée, notamment en cas d’élévation de la pression artérielle. En revanche, parmi les patients indemnes au moment de l’inclusion, 44 % n’ont pas développé de rétinopathie diabétique au cours du suivi. Enfin, l’absence de progression de la rétinopathie dans les 17 premières années de suivi a auguré de la stabilité des lésions dans la presque totalité des cas (96 %). Dans le registre national suédois, l’HbA1c était associée à la survenue des complications cardiovasculaires. L’implication de l’HbA1c était observée, quelle que soit l’ancienneté du DT1, mais son influence diminuait en fonction de ce paramètre(5). Produits avancés de la glycation Dans la Medalist Study, le taux de toutes les complications augmentait d’un facteur de plus de 7 avec la présence de produits avancés de la glycation (AGE). La rétinopathie était ainsi majorée d’un facteur 1,3, la néphropathie d’un facteur 3,1, la neuropathie de 2,5 et les complications macrovasculaires de 2,3(4). Facteurs de risque cardiovasculaire La Canadian Study of Longevity in Diabetes comportait 325 DT1, âgés en moyenne de 65 ans avec 44 % d’hommes(9). L’ancienneté du diabète était de 54,9 ans et la dose insuline de 0,5 UI/kg/jour. Les complications étaient associées à la valeur élevée de l’HbA1c, mais également à l’HTA, à la prise de statine, d’aspirine, d’IEC ou d’ARA2. Le vécu de la maladie (score PAID) et l’existence d’une dépression étaient également des paramètres intervenant dans la prévalence des complications. Cependant, en analyse multivariée, seules l’élévation du score PAID et la prise d’aspirine et de statine étaient associées aux complications. Ces résultats ne sont probablement pas la cause, mais la conséquence des complications qui justifient la prescription de statine ou d’aspirine et altèrent la qualité de vie. Dans la Joslin 50 years Medalist Study, la prévalence des maladies cardiovasculaires était plus importante chez les patients dont la pression artérielle, la fréquence cardiaque et le taux de LDL étaient les plus bas, probablement en raison des traitements que recevaient ces patients(4). Ces mêmes complications cardiovasculaires étaient également plus fréquentes chez les patients présentant un fort taux de Lp(a), un HDL-cholestérol bas et une CRP élevée. Enfin, la néphropathie était en partie liée au tabagisme et à certains marqueurs de l’inflammation tandis que la neuropathie était associée à l’âge, à la taille élevée et au poids du patient. Activité physique Le bénéfice de l’activité physique comme facteur protecteur des complications a été rapporté dans la Joslin 50 years Medalist Study chez 955 patients âgés de 65 ans présentant un DT1 depuis 56 ans(4). Ces patients, dont plus de la moitié était des femmes, déclaraient pratiquer une activité physique pour 77,5 % d’entre eux. Les personnes ayant une activité physique avaient un meilleur taux de survie par rapport aux sujets sédentaires. L’activité physique semblait jouer un rôle protecteur vis-à-vis des complications dans la cohorte de suivi des médaillés(8). Les limites de ces études de survivants Les caractéristiques de ces patients qui ont survécu à de nombreuses années de diabète de type 1 découlent d’un biais de sélection puisque la survie est de façon certaine associée à un faible taux de complications, à un meilleur suivi et sans doute à un profil génétique favorable. Les faibles doses d’insuline soulèvent également la question de l’existence possible d’une sécrétion résiduelle bien qu’une étude pilote réalisée chez les récipiendaires de la médaille Alan Navarro n’en ait pas mis en évidence et que le peptide C était détectable chez seulement 19 patients (6 %) de l’étude Joslin 50 years Medalist Study(3,4). Conclusion Toutes ces études mettent en lumière les améliorations dans la prise en charge des patients DT1 dont l’espérance de vie n’a fait que croître. Ce message d’espoir peut être adressé à ces malades et doit les encourager à prendre soin d’eux avec l’aide de leurs médecins. Certains patients DT1 paraissent relativement protégés à long terme des complications de la maladie et obtiennent ainsi une meilleure espérance de vie. La génétique, l’amélioration de la qualité des soins, l’équilibre glycémique et la lutte contre les facteurs de risque cardiovasculaire jouent probablement un rôle déterminant dans ces faits. Cependant, la distinction entre les causes et les conséquences est difficile à déterminer en raison d’un biais de sélection puisque les survivants ont forcément moins de complications que les patients qui sont malheureusement décédés.

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