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Diabète et médecine interne

Publié le 25 oct 2019Lecture 6 min

Diabète induit par les immunothérapies anticancéreuses

Sarra SMATI et coll.*, Institut du thorax, département d’endocrinologie, CHU de Nantes

Au cours de ces dernières années, l’immunothérapie est devenue un traitement de choix pour la prise en charge d’un certain nombre de cancers. L’immunothérapie agit en modulant les protéines de point de contrôle ou checkpoint qui permettent, de manière physiologique, de contrôler le système immunitaire afin qu’il ne soit pas nuisible pour l’hôte en stoppant rapidement une réponse immunitaire.

Dans le cas du cancer, les cellules malignes sont capables d’échapper au système immunitaire par différents mécanismes, notamment en jouant sur ces checkpoints. Les molécules de costimulation inhibitrices de la réponse immunitaire sont principalement le PD-1 (program death 1) et son ligand (PD-L1) ainsi que le récepteur CTLA-4 (cytotoxic T-lymphocyte-associated protein) (figure 1). Ces molécules exercent des checkpoints immunologiques induisant la tolérance immunitaire. Dans les deux cas, l’approche est différente de la chimiothérapie classique puisque, d’une part, le principe est de cibler sélectivement la croissance d’un type de tumeur et, d’autre part, le traitement est souvent donné au long cours jusqu’à progression ou reprise évolutive. Les indications de thérapie ciblée et d’immunothérapie ont ainsi augmenté, avec des résultats prometteurs comme dans la prise en charge des mélanomes. Figure 1. Mode d’action des immunothérapies. Le blocage des molécules de co-stimulation inhibitrices conduit à une activation des cellules T et améliore leur capacité à détruire les cellules tumorales, d’après Stamatouli et al. Diabetes 2018(1). Les immunothérapies provoquent souvent des effets indésirables touchant surtout la peau, le tractus digestif et le système endocrinien. Les effets endocriniens les plus fréquents concernent l’hypophyse et la thyroïde(2). Des cas de diabètes insulino-requérants auto-immuns ou non (type 1 ou type 1B) ont été rapportés avec les inhibiteurs de PD-1/PD-L1 utilisés seuls ou en association avec les anti-CLA-4. Ces diabètes sont associés systématiquement à une insulinopénie conduisant fréquemment à des acidocétoses, voire à des diabètes fulminants. Cet effet indésirable n’a pas été rapporté jusqu’à présent avec les anti-CTLA-4 utilisés en monothérapie. Une récente étude américaine retrouve une prévalence de 0,9 % des cas de diabète induits par l’immunothérapie : 27 patients parmi 2 960 traités par immunothérapie dans 2 centres hospitaliers sur une durée de 6 ans, allant de 2012 à 2018(1). Il s’agit donc d’une atteinte rare, mais aux conséquences potentiellement graves, compte tenu du caractère brutal de la maladie. Physiopathologie Sur le plan physiopathologique, PD-L1 est exprimé dans les îlots pancréatiques et l’interaction PD-1/PD-L1 semble jouer un rôle dans la protection contre le diabète auto-immun, en inhibant l’activation des lymphocytes T autoréactifs. Les preuves de l’implication des inhibiteurs de PD-1 dans la survenue du diabète auto-immun ont été apportées avec les modèles de souris NOD (non obese diabetic), modèle murin fréquemment utilisé pour l’étude des diabètes auto-immuns. L’injection d’anticorps anti-PD-1 ou anti-PD-L1 a précipité chez la souris NOD l’apparition du diabète qui est survenu en moyenne quelques jours seulement après l’injection de l’anticorps(3). Dans cette même étude, aucune souris n’a développé de diabète après l’administration d’anticorps anti-CTLA-4. L’analyse histologique des pancréas de ces souris a mis en évidence une insulite destructive massive chez les souris NOD traitées par anticorps anti- PD-1 ou anti-PD-L1 (figure 2), alors que les souris NOD contrôles du même âge n’avaient qu’une inflammation minime des îlots pancréatiques. Figure 2. Accélération de l’insulite des souris NOD après injection d’anticorps anti PD-1. À gauche, îlot pancréatique chez une souris NOD contrôle, à droite îlot pancréatique d’une souris NOD traitée par anticorps anti-PD-1, la flèche indique l’infiltrat inflammatoire, d’après Ansari et al.(3). Diagnostic Les symptômes classiques d’insulinopénie, caractéristiques du diabète de type 1 (DT1), sont retrouvés tels que la polyurie, la polydipsie ou l’asthénie. Le diagnostic est confirmé biologiquement par la présence d’une hyperglycémie franche. Dans les formes les plus sévères qui sont majoritaires (diabète fulminant), le tableau clinique est associé à une acidocétose. Dans la série américaine de 27 cas, l’âge moyen au diagnostic était de 66 ans, avec une acidocétose dans 57 % des cas, une glycémie moyenne à 6,53 g/l et une HbA1c moyenne à 7,95 %. Dans cette même série, le peptide-C était bas (< 1,1 ng/ml), voire indosable au moment du diagnostic dans 85 % des cas, témoignant d’une destruction des cellules bêta avec un défaut majeur d’insulino-sécrétion. La fonction exocrine du pancréas n’a pas été systématiquement explorée, mais il a été récemment rapporté un cas de diabète induit par nivolumab (anti-PD1) avec à la fois un déficit en insuline et en glucagon associé à une insuffisance pancréatique exocrine (baisse asymptomatique de l’élastase fécale). Une élévation des enzymes pancréatiques (amylase et/ou lipase) a été observée chez 32 % des patients de la série américaine. Le diabète est diagnostiqué après un délai médian de 20 semaines après le début du traitement par inhibiteurs de PD-1 ou anti PD-L1 (le cas le plus tardif est survenu après 54 mois de traitement). Les auto-anticorps spécifiques de la cellule bêta pancréatique (anti-GAD, anti-IA-2, anti-ZnT8 et anti-îlots) sont présents chez environ la moitié des patients ; parmi eux, les anticorps anti-GAD sont toujours retrouvés. Néanmoins, il n’est pas recommandé de doser ces anticorps avant le début de l’immunothérapie, car leur présence ne semble pas prédire la survenue d’un diabète. En revanche, il semble y avoir une prédisposition génétique avec une fréquence augmentée du génotype HLA-DR4, présent chez 76 % des patients ayant développé un diabète sous immunothérapie dans l’étude américaine. Cette fréquence est supérieure à celle observée dans la population générale et chez les diabétiques de type 1. La survenue d’un diabète sous immunothérapie s’accompagne fréquemment (dans 44 % des cas) d’autres complications endocriniennes, majoritairement des dysthyroïdies. Compte tenu du caractère souvent très brutal du diagnostic (« fulminant-like »), il est important d’éduquer le patient à la reconnaissance des symptômes annonciateurs du diabète (polyuro-polydipsie, vomissements, douleurs abdominales) lors de l’initiation de l’immunothérapie. Traitement Tous les patients décrits dans la littérature ont été traités par insulinothérapie en multi-injections. Au cours du suivi, l’objectif d’HbA1c est inférieur à 8 %. En l’absence de données d’efficacité, la corticothérapie n’est pas indiquée. Il est recommandé de poursuivre l’immunothérapie en parallèle de la mise en route de l’insulinothérapie et de la prise en charge du diabète, sauf en cas de situation sévère pour laquelle l’immunothérapie pourra être décalée de quelques jours. Surveillance Il y a peu de données dans la littérature concernant les patients qui étaient diabétiques avant le début de l’immunothérapie. Cependant en cas de diabète préexistant, il est recommandé de réaliser un renforcement des surveillances des glycémies capillaires dès l’introduction de l’immunothérapie. Le diabète induit par l’immunothérapie présente un caractère définitif et nécessite donc la poursuite du traitement à l’arrêt de l’immunothérapie. Conclusion La survenue d’un diabète induit par une immunothérapie anticancéreuse nécessite une prise en charge concertée entre endocrinologue et oncologue. Ce risque rare mais grave justifie une éducation des patients, mais aussi une formation des oncologues permettant une orientation diagnostique rapide. Enfin, la survenue d’un diabète ne doit pas entraîner l’arrêt de l’immunothérapie, au détriment de la survie du patient. La prise en charge de ces patients a récemment fait l’objet d’un avis d’experts dans le cadre du consensus de la Société française d’endocrinologie (encadré).

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