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Glycémie

Publié le 30 avr 2025Lecture 11 min

Les produits terminaux de la glycation avancée (AGE) : comment les maîtriser en pratique ?

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg

Les AGE sont formés par la fixation irréversible, car non enzymatique de glucides (glucose, fructose, pentose) sur des macromolécules biologiques (protéines surtout, lipides et acides nucléiques) par l’intermédiaire d’une réaction décrite par Louis Camille Maillard en 1912 survenant lors de la transformation thermique des aliments : la glycation spontanée des protéines en présence de glucose.

Cette réaction de glycation avancée résultant de la condensation entre la fonction réductrice d’un sucre et la fraction NH2 libre d’un acide aminé libre d’une protéine est à l’origine de nombreux composés dans les aliments ayant subi une transformation thermique — les AGE exogènes – ou de molécules formées dans l’organisme à 37 °C — les AGE endogènes (figure 1). Les AGE exogènes absorbés et les AGE endogènes se lient à un récepteur transmembranaire (RAGE). RAGE est exprimé à un niveau faible dans des conditions physiologiques. Son expression augmente en situation d’afflux d’AGE, d’inflammation chronique et d’hyperglycémie. L’activation des RAGE induite par la liaison du ligand initie une cascade complexe de réactions associées à la production de radicaux libres (espèces réactives de l’oxygène EROs), à la prolifération cellulaire et aux processus immuno-inflammatoires favorisant le dysfonctionnement mitochondrial ou la sénescence cellulaire. L’accumulation des AGE participe à la pathogénie de plusieurs complications du diabète, de l’inflammation, de la progression tumorale et du dysfonctionnement endothélial. Pour toutes ces raisons, la régulation de l’ingestion et de la production des AGE apparaît comme une cible d’importance pour la prévention des maladies chroniques et de leurs complications. La consommation de plus en plus importante d’aliments ultra-transformés interpelle quant aux conséquences de l’ingestion des AGE qu’ils contiennent souvent en abondance, indépendamment d’éventuels effets toxiques directs. Figure 1. Voies de formation des AGE.   AGE exogènes   Les AGE exogènes sont formés dans la matrice des aliments glucido-protidiques ou, à un moindre degré, lipido-protéiques, soumis à une température élevée dans le but de modifier le goût des aliments et/ou d’obtenir un phénomène de brunissement. Les AGE alimentaires se forment pendant la cuisson, la trans - formation et le stockage des aliments glucido-protidiques ou, à un moindre degré, lipidoprotéiques, soumis à une température élevée à la suite de la réaction de Maillard décrite en 1912. Une faible teneur en eau pendant la cuisson, un pH élevé et les traitements culinaires majorent leur formation. Les AGE sont davantage formés dans les aliments exposés à une chaleur sèche (grillades, cuisson au four, friture) que dans les aliments cuits longtemps à basse température (mijotage, cuisson à la vapeur)(1). Les AGE exogènes peuvent être absorbés et se lier aux RAGE, être partiellement métabolisés, s’accumuler dans divers organes ou être éliminés dans les urines. Seuls 10 à 30 % des AGE ingérés sont absorbés par un processus complexe dans la circulation systémique où ils rejoignent le pool des AGE endogènes. L’absorption dépend principalement du poids moléculaire des produits de l’hydrolyse des protéines. Les AGE non absorbés pourraient affecter l’homéostasie du microbiote intestinal et induire une réponse inflammatoire locale. Du fait de leur hétérogénéité, il est difficile d’attribuer à l’une ou à l’autre espèce d’AGE un effet délétère ou toxique précis. La carboxyméthyl-lysine (CML), l’un des AGE les plus abondants, a été particulièrement étudiée. Expérimentalement, l’exposition au CML favorise les phénomènes de vieillissement des artères. Chez l’homme, il a été montré qu’un régime riche en AGE et, tout particulièrement en CML, accroît le stress oxydatif, l’inflammation et le déclin cognitif chez des sujets à risque atteints de diabète ou d’insuffisance rénale chez lesquels s’accumulent les AGE. En l’absence d’études cliniques contrôlées d’envergure, le rôle pathogène spécifique des AGE exogènes reste spéculatif, mais est néanmoins probable si on se réfère aux études expérimentales(2). Pour Hélène Vlassara, pionnière en ce domaine, les AGE exogènes sont de véritables « glycotoxines » dont les méfaits s’ajoutent à ceux des AGE endogènes pour participer à la pathogénie de la néphropathie diabétique(3). Comme autre source d’AGE exogènes, il convient de mentionner la fumée de cigarette qui contient des produits de glycation hautement réactifs agissant comme des précurseurs de la formation d’AGE.   AGE endogènes   La glycation endogène est un processus métabolique lent affectant principalement les protéines à durée de vie longue qui détermine des modifications de structure et de fonction au niveau des tissus et des organes. Il en résulte une modification structurelle et une réticulation des protéines, comme le collagène et l’élastine, deux constituants essentiels de la matrice extracellulaire. L’intensité du processus de glycation des protéines circulantes dépend de la glycémie moyenne, ce dont témoigne l’hémoglobine glyquée (HbA1c), la plus connue des protéines glyquées, utilisée comme biomarqueur du statut glycémique. La production d’AGE endogènes est également possible à partir de composés dicarbonylés – issus de l’autooxydation du glucose, de la voie des polyols et de la peroxydation lipidique – dont la formation est favorisée en milieu oxydatif. Globalement, le stress oxydatif et l’hyperglycémie sont les principaux promoteurs de la production d’AGE endogènes. AGE et pathologie   En se fixant aux récepteurs RAGE, les AGE exogènes et endogènes activent une myriade de voies de signalisation intracellulaires délétères, telles que MAPK/ERK, TGF-β, JNK et NF-κB, conduisant à l’expression de molécules pro-inflammatoires, pro-angiogènes et pro-fibrosantes et amplifient le stress oxydatif en produisant des EROs. Nombre de protéines et d’enzymes biologiquement actives sont désactivées, deviennent résistantes à la digestion protéolytique et fournissent des sites catalytiques pour la formation d’EROs. Une balance entre l’activation des RAGE par les AGE et leur inhibition ainsi que l’élimination des AGE par d’autres récepteurs permet en théorie de maintenir une homéostasie non pathogène (figure 2). Tout excès d’apport ou de production des AGE, quel qu’en soit le mécanisme, conduit à leur accumulation, potentiellement pathogène du fait de la production de cytokines, de facteurs de croissance et de l’expression de molécules d’adhérence. La capacité des AGE de se réticuler entre eux et avec certaines protéines conduit à la détérioration irréversible de l’intégrité structurelle et fonctionnelle des protéines (figure 3)(2). Figure 2. Mécanismes et conséquences de l’augmentation du pool des AGE (d’après(12)). Figure 3. Modèle conceptuel des modifications des AGE altérant la qualité et la quantité d’une protéine. L’exemple du collagène : 1) Accumulation des AGE dans la matrice entraînant une réticulation des molécules de collagène et une activation des RAGE ; 2) Les AGE provoquent un catabolisme accru dépendant de RAGE avec dégradation du collagène et rupture des fibrilles ; 3) La dégradation chronique du collagène aboutit à une diminution du collagène et à une altération fonctionnelle (ex. : rigidité des vaisseaux sanguins, vieillissement cutané) (d’après [12]).   Le rôle physiopathologique des AGE est relativement bien documenté dans le diabète et l’insuffisance rénale ainsi que dans le phénomène de vieillissement. Les mécanismes biochimiques déclenchés par les AGE sont au cœur de la pathogénie des complications du DT2 et de ses complications associées.   Diabète Les AGE sont étroitement liés au diabète et à ses complications. L’hyperglycémie chronique majore la glycation des protéines circulantes et des protéines de structure (collagène), des lipides et des acides nucléiques. L’interaction AGE/RAGE entraîne une altération de la signalisation de l’insuline, une perturbation de l’homéostasie métabolique, une toxicité des cellules bêta pancréatiques et des modifi - cations épigénétiques qui sont fortement associées à la progression des complications diabétiques(3). L’interaction AGE/RAGE, l’activation de NF-κB, l’inflammation et la génération d’EROs entraînent une résistance à l’insuline due à l’augmentation de la phosphorylation et de la dégradation du récepteur à l’insuline. La surcharge d’AGE exerce une toxicité sur les cellules bêta par l’intermédiaire de l’activation des voies de l’inflammation et du stress oxydatif. L’augmentation de l’expression de RAGE dans les îlots pancréatiques en réponse à l’excès d’AGE active la transcription de NF-κB, avec pour conséquences une inflammation chronique, un dysfonctionnement mitochondrial, une altération des cellules bêta et une apoptose. L’existence d’une corrélation directe entre le complexe AGE/RAGE, l’activation des voies de MAP-kinase et NFκB et la production des EROs induisant l’expression accrue de facteurs inflammatoires, profibrotiques et prothrombotiques a été décrite expérimentalement et chez l’homme. Les AGE/RAGE médient l’augmentation du stress oxydatif et favorisent l’oxydation des LDL qui agissent comme des ligands de RAGE, ce qui accentue l’activation de ces phénomènes. Il en résulte un dysfonctionnement endothélial, une augmentation des calcifications vasculaires et une rigidité des vaisseaux(5). Par ailleurs, les modifications des protéines et des lipoprotéines par les AGE entraînent une augmentation du dépôt de collagène dans les parois artérielles, conduisant à une altération des fibres élastiques et des muscules lisses. Outre l’athérogenèse, la modification non enzymatique du collagène est associée à une micro-inflammation systémique qui participe également à la physiopathologie de la néphropathie, de la neuropathie et la rétinopathie. La surexpression de RAGE induite par les AGE contribue au maintien d’un état inflammatoire persistant en dépit d’une amélioration ou d’une normalisation de glycémie et serait responsable en partie du phénomène de « mémoire métabolique », associée aux complications macrovasculaires et microvasculaires du diabète(7).   Complications diabétiques Les AGE exogènes et endogènes sont actuellement considérés comme des agents de progression des complications cardio-vasculaires, rénales et neurologiques du DT2 directement liés au mode de vie et à la dysnutrition. Plusieurs études ont montré que le taux des AGE circulants était lié à la gravité des complications diabétiques(8). Des produits de la glycation ont été détectés au niveau du parenchyme rénal à des taux corrélés avec la sévérité de la néphropathie diabétique, qui est caractérisée par un épaississement de la membrane basale lié à une accumulation de collagène et une expansion du mésangium(9). Expérimentalement, la suppression du gène des RAGE chez des souris diabétiques s’accompagne d’une diminution de l’albuminurie, de l’expansion mésangiale et de la glomérulosclérose, indiquant l’implication des RAGE dans la pathogénie de la néphropathie diabétique(10). Dans la rétinopathie diabétique, les AGE contribuent à l’apoptose des péricytes, trait précoce de la rétinopathie, et sont détectables dans les parois des vaisseaux rétiniens. Ils contribuent à l’occlusion vasculaire, à l’épaississement de la membrane basale des capillaires et à l’augmentation de la perméabilité des cellules endothéliales(11). Enfin, en altérant la structure et les fonctions du collagène, les AGE sont des facteurs d’altération de la cicatrisation des plaies.   Obésité Les AGE, dont le taux est particulièrement élevé chez les gros mangeurs, contribuent probablement à l’accroissement de l’inflammation de bas grade, si commune dans l’obésité, et participent ainsi à la pathogénie de ses complications cardiométaboliques. Ils favorisent l’insulino-résistance.   Évaluation clinique de l’accumulation des AGE, marqueurs de la mémoire métabolique   Bien que le dosage direct des AGE plasmatiques ne soit pas accessible en routine clinique, il est néanmoins possible d’estimer la concentration tissulaire des AGE en mesurant l’autofluorescence cutanée par un examen simple et non invasif. En effet, la plupart des AGE accumulés au niveau cutané sont fluorescents. La mesure se fait par un appareil ad hoc (AGE Reader®) qui fournit une estimation relativement fiable de la teneur en AGE de l’organisme. Cette technique a été validée par la mise en évidence d’une corrélation avec la concentration des AGE mesurée sur des biopsies cutanées, mais les résultats sont d’interprétation délicate. L’intérêt potentiel de cet examen est de fournir un marqueur de la « mémoire métabolique » et d’être un indicateur précoce des complications diabétiques microet macro-vasculaires susceptible d’infléchir la stratégie thérapeutique(12).   Prévention et traitement L’ensemble des études expérimentales et chez l’homme suggèrent que l’association des AGE avec leurs récepteurs est une nouvelle cible thérapeutique dans la prévention des complications chroniques du diabète.   Prévention La prévention de la formation des AGE endogène passe d’abord par l’obtention d’un contrôle glycémique strict. À cette première mesure propre au diabète doit être associée une diminution de la consommation d’aliments riches en AGE du fait de leur transformation et de leur traitement thermique, puisque les AGE exogènes intègrent le pool des AGE circulants. Il est souhaitable de bien contrôler la température et la durée des cuissons domestiques et de limiter les aliments à forte teneur en AGE (aliments ultra-transformés, grillades, friture, rôtis, barbecue, etc.), dont la consommation a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies. Les « glycotoxines » sont particulièrement abondantes dans les régimes alimentaires de type « western » caractérisés par la consommation de grandes quantités de sucres, de graisses et d’aliments ultra-transformés. Quel ques recommandations permettent d’atténuer ce nouveau risque alimentaire : préférer les cuissons brèves et douces, à la vapeur ou au micro-ondes, éviter les aliments brunis ou torréfiés, éviter les aliments ultra-transformés, limiter les aliments ayant un indice glycémique élevé et les aliments riches en fructose (particulièrement réactif à la glycation). En somme, adopter une alimentation frugale de style méditerranéen… assez éloignée des aspirations des mangeurs occidentaux de ce temps. Certains aliments fournissent également des molécules inhibitrices de la formation des AGE. Les fruits et les légumes sont naturellement riches en molécules qui réduisent la formation d’AGE par une activité antioxydante. D’autres aliments contiennent des molécules qui neutralisent les intermédiaires de la glycation : vitamines (pyridoxamine, thiamine) et polyphénols. L’arrêt du tabac dont la fumée contient des AGE et des molécules équivalentes est une autre mesure indispensable. L’activité physique, qui réduit le stress oxydatif, contribue à réduire l’accumulation des AGE dans l’organisme.   Traitement L’approche pharmacologique qui vise à prévenir la formation des AGE, à rompre les liaisons croisées après leur formation et à prévenir leurs effets négatifs est encore du domaine de la recherche. Plusieurs agents pharmacologiques ont été testés chez l’animal et des études précliniques ont été entreprises puis suspendues en raison de leur toxicité. L’aminoguanidine ou l’alagébrium ont la capacité de limiter les effets délétères des AGE en prévenant leur formation ou en les détachant de la matrice protéique ou des tissus. L’intérêt d’une telle approche a été validé, en ralentissant la progression de la néphropathie et de la rétinopathie diabétiques ainsi que de l’athérosclérose. L’utilisation d’anticorps anti-RAGE ou de RAGE solubles recombinants piégeurs des AGE circulants est également efficace chez l’animal, tout comme les molécules bloquant l’interaction AGE/RAGE. D’autres molécules moins toxiques ont des effets pléiotropes anti-AGE comme les IEC, les sartans, la metformine. Leur efficacité est modeste, mais utile dans l’attente de la mise à disposition de molécules anti-AGE ciblées et non toxiques.   CONCLUSION   • Les AGE, à la croisée de nombreux mécanismes biochimiques intervenant dans la physiopathologie du DT2 et de ses complications, font l’objet de recherches prometteuses. • D’ores et déjà, la gestion des AGE par le biais d’une modification du mode de vie et des choix alimentaires, associée à un équilibre rigoureux de la glycémie constitue un pan important de la prise en charge du diabète et de ses complications micro et macrovasculaires.

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