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Thérapeutique

Publié le 31 jan 2012Lecture 11 min

Diabète de type 2 : faut-il revoir nos objectifs glycémiques ?

B. CHARBONNEL, Université de Nantes

On sait que le diabète de type 2 est une maladie grave. La compilation récente d’une centaine d’études prospectives, sur les 20 dernières années, a confirmé que le diabète est une cause de surmortalité, à âge égal, non seulement en raison d’un excès de risque cardiovasculaire mais aussi en raison d’un excès de risque dans de nombreux domaines, y compris le risque de cancer. Pour donner un chiffre, la surmortalité liée au diabète est pour 60 % liée aux complications cardiovasculaires mais est donc pour 40 % liée à des complications qui ne sont pas cardiovasculaires. Bref, le diabète est une maladie multisystémique qu’il serait réducteur de limiter au domaine cardiovasculaire.

Traditionnellement, depuis l’étude STENO-2, il est admis dans toutes les recommandations qu’il faut traiter à la fois les lipides, la pression artérielle et la glycémie avec des valeurs cibles aussi basses que possible, par exemple < 6,5 % pour l’HbA1c. On oublie parfois de se rappeler que, dans STENO-2, les résultats spectaculaires de l’intervention multifactorielle étaient liés pour l’essentiel à un bon contrôle des lipides et accessoirement à un bon contrôle glycémique puisque la valeur cible d’HbA1c < 6,5 % n’avait été atteinte dans cette étude que dans 15 % des cas. Ceci nous amène aux résultats des grandes études d’événements – la vieille UKPDS, menée sans grande rigueur méthodologique il y a plus de 20 ans lorsque n’existaient pas les statines –, et évidemment à ceux plus instructifs des études récentes et menées suivant une bonne méthodologie – ACCORD, VADT et ADVANCE. Il convient de rappeler qu’il n’y a aucun argument, ni épidémiologique, ni dans les études d’intervention, en faveur d’un mauvais contrôle glycémique, avec une HbA1c > 8-9 %. Les hypothèses des grandes études récentes étaient d’évaluer s’il y avait un avantage à faire baisser l’HbA1c en dessous de 7,5 %. Si l’HbA1c est > 8 %, a fortiori > 9 %, il convient évidemment de la faire baisser par un traitement antidiabétique approprié. La discussion porte exclusivement sur l’intérêt de faire baisser l’HbA1c < 8 % et, si oui, jusqu’où.   Que disent les cohortes ?   Une grande cohorte britannique publiée en 2010 a montré une courbe en U, avec un point bas pour le risque de mortalité chez les diabétiques à 7,5 %, un sur-risque de mortalité pour, d’une part, les patients dont l’HbA1c était < 7 % et, d’autre part, ceux dont l’HbA1c était > 8,5 %, qu’il s’agisse de diabétiques traités par des comprimés ou de diabétiques traités par insuline (figure 1). En revanche, dans UKPDS, considérée comme cohorte, il y avait une relation épidémiologique claire entre le niveau d’HbA1c et le risque de complications : le plus bas était le mieux, c’est le principal argument sur lequel se fondent les recommandations (on se rappelle du slogan des recommandations françaises de 2006 : « plus tôt, plus fort… ») et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la valeur cible de 6 % a été retenue dans l’étude ACCORD. Figure 1. Deux cohortes de médecine générale en Grande-Bretagne : 27 965 patients dont le traitement a été intensifié d’une monothérapie orale vers une combinaison d’hypoglycémiants oraux et 20 000 patients sous insuline chez qui le schéma d’insuline a été intensifié. Le suivi a été de 22 ans (Lancet 2010 ; 375 : 481-89). Figure 2. Compilation des métaanalyses issues des grandes études d’intervention pour évaluer la réduction ou l’augmentation du risque absolu (pour 1 000 patients traités pendant 5 ans) des différentes complications du diabète ou de son traitement en comparant une stratégie intensive à une stratégie conventionnelle de traitement (Diabetologia 2010 ; 53 : 2079-85). Que disent les études d’intervention ?   Tout le monde sait qu’une relation épidémiologique n’a pas valeur de lien de causalité : - l’HbA1c est clairement un marqueur de risque des complications du diabète mais est-elle un facteur de risque ? - Et, question accessoire mais importante, une fois constituées, les complications du diabète sont-elles réversibles ? À ces questions posées depuis plus de 40 ans, il n’y a pas de réponse claire en 2011 ou, plus exactement, si on regarde le résultat des grandes études, les réponses sont plutôt négatives : • 1970 : UGDP négative. • 1998 : UKPDS positive sur les complications microvasculaires, négative pour l’AVC et pour les décès, limite sur l’infarctus du myocarde. • 2008 : les 3 grandes études ACCORD, ADVANCE et VADT ± positives sur les complications microvasculaires, négatives pour les complications macrovasculaires et les morts. Si on regarde les données des métaanalyses récentes, qui sont désormais impressionnantes, puisqu’elles portent sur près de 150 000 patients-années de traitement, un strict contrôle glycémique (pendant 5 ans) : • réduit le risque coronarien, de 15 % par point d’HbA1c ; • est sans effet sur le risque d’AVC ; • est sans effet sur la mortalité (mais hétérogénéité : effet neutre dans ADVANCE et UKPDS, risque augmenté dans ACCORD et VADT) ; • augmente le risque d’hypoglycémies sévères, plus que doublé par rapport à un traitement standard. Dans ces métaanalyses, si on observe les sous-groupes, il y a une tendance pour un bénéfice cardiovasculaire d’un traitement intensif chez les patients qui ne sont pas trop déséquilibrés, chez les patients en début de diabète et chez les patients non compliqués. Cela suggère qu’après plusieurs années d’évolution, chez les patients mal contrôlés, une fois constituée, la maladie cardiovasculaire du diabétique n’apparaît pas réversible, du moins à moyen terme. C’est un peu ce que suggère le résultat du suivi des patients d’UKPDS, avec le concept de « mémoire glycémique » : le bénéfice cardiovasculaire d’un bon contrôle glycémique nécessite du temps… Traiter tôt va se traduire par un bénéfice (infarctus du myocarde, mortalité) mais 10 à 20 ans plus tard…   Pourquoi une surmortalité sous stratégie intensive de traitement dans ACCORD et VADT ?   D’une certaine manière, ces deux études viennent d’ailleurs supporter la courbe en U observée dans certaines cohortes : il y a une surmortalité pour les valeurs trop basses comme pour les valeurs trop hautes. Rappelons les chiffres : il y a eu un excès de mortalité sous stratégie intensive de 22 % dans ACCORD et de 26 % dans VADT. Il n’y a pas eu d’excès de mortalité, même une tendance positive à -8 %, dans ADVANCE. La principale différence dans les populations de ces études concerne le chiffre initial d’HbA1c : < 7,5 % dans ADVANCE, > 8 % dans ACCORD et VADT ; il a donc fallu « pousser le traitement » beaucoup plus dans ACCORD et VADT pour atteindre la valeur cible fixée par le protocole et, d’ailleurs, l’HbA1c a baissé de -1,7 % dans ACCORD et de -2,5 % dans VADT alors que, dans ADVANCE, un traitement moins agressif a été suffisant pour faire baisser l’HbA1c de simplement -0,9 %. Les hypoglycémies ont-elles été la cause de la surmortalité ? Dans les deux groupes de traitement standard et intensif de l’étude ACCORD, les hypoglycémies sévères ont été un facteur prédictif de mortalité (avec beaucoup plus d’hypoglycémies dans le groupe intensif). Mais l’hypoglycémie n’a été adjudiquée comme un possible facteur causal de la mort que dans 8 % des cas du bras standard et 11 % des cas du bras intensif, et un seul cas de décès a finalement été attribué à une hypoglycémie. Par ailleurs, l‘hypoglycémie a été le prédicteur d’une morbi-mortalité non spécifique, certes cardiovasculaire, mais aussi dans les domaines respiratoire et digestif, vis-à-vis des cancers, des maladies cutanées, etc. Exactement les mêmes résultats ont été observés dans ADVANCE où il n’y avait pourtant pas de surmortalité globale. Enfin, il n’y avait pas de relation chronologique entre l’événement hypoglycémique prédictif de mortalité et la survenue du décès puisque le délai moyen entre les deux a été de plus d’un an. La conclusion générale des analyses détaillées de ces grandes études est donc de dire que l’hypoglycémie est un marqueur de risque de mortalité, et non pas un facteur de risque : il n’en est pas la cause. Différents facteurs con-fondants peuvent augmenter le risque de survenue à la fois d’une hypoglycémie et d’un d’événement clinique, par exemple, les maladies hépatiques, les maladies rénales, un déclin cognitif, un cancer, différentes médications, des problèmes de comportement, une mauvaise observance des traitements… Quelle relation entre l’HbA1c en cours d’étude (dans ACCORD) et le risque de mortalité ? On retrouve dans la population d’ACCORD considérée comme cohorte exactement le même résultat que dans la cohorte d’UKPDS : la classique relation épidémiologique, +20 % par point HbA1c, entre l’HbA1c et le risque de mortalité. Mais il est intéressant d’observer que ce résultat moyen cache une grande disparité suivant la stratégie de traitement. La corrélation entre HbA1c et risque de mortalité est très forte, +66 % par point HbA1c, dans la stratégie d’intensification. Il n’y a, en revanche, pas de corrélation nette (+14 % par point HbA1c) dans la stratégie conventionnelle de non-intensification. C’est un paradoxe apparent : une mortalité d’autant plus élevée que l’HbA1c est élevée, mais aussi une mortalité plus élevée lorsqu’on veut diminuer l’HbA1c par l’intensification du traitement ! Pour comprendre cet apparent paradoxe, il faut se rappeler que, dans une grande étude, au-delà de la moyenne (HbA1c de 6,4 % pour la stratégie intensive), il convient d’être attentif à la répartition des patients. Or, de nombreux patients présentaient une HbA1c < 6 % et, à l’inverse, une forte minorité de patients « a résisté » à l’intensification du traitement et présentait une HbA1c > 7 %. C’est dans ce dernier sous-groupe qu’a été observé l’excès de mortalité d’ACCORD, chez ces patients randomisés vers la stratégie intensive, mais dont l’HbA1c restait sous traitement > 7 %, contrairement aux objectifs du protocole. On comprend mieux les différences d’attitudes thérapeutiques entre les deux bras de traitement : en cas de stratégie intensive, chez les patients qui restaient > 7 %, on a « poussé » les traitements pour essayer d’atteindre la valeur cible de 6 % prescrite par le protocole. À l’inverse, en cas de stratégie conventionnelle, pour les patients > 7 %, du fait même du protocole, on n’a pas intensifié le traitement. Un sous-groupe particulier de patients à haut risque : les patients dont l’HbA1c est élevée et résiste à l’intensification du traitement Ce sont ces mêmes patients, avec une HbA1c élevée à l’entrée dans l’étude et une HbA1c qui reste élevée malgré l’intensification du traitement, qui sont à la fois à haut risque d’hypoglycémie sévère (ce ne sont pas les patients dont l’HbA1c était basse qui ont présenté le plus d’hypoglycémies sévères… mais au contraire les autres) et à plus haut risque de mortalité, sans qu’il y ait un lien causal direct entre hypoglycémie, marqueur de vulnérabilité, et mortalité. Les facteurs impliqués dans ce double risque (d’hypoglycémie sévère et de mortalité) associé à une résistance à l’intensification du traitement sont inconnus. Il pourrait s’agir d’une physiopathologie particulière (insulinorésistance ?), d’un défaut d’observance, des conditions psychosociales, d’anomalies de la fonction cognitive, d’un état dépressif, de comorbidités qui pourraient interférer avec le traitement antidiabétique et augmenter en parallèle le risque de mortalité… Cette observation inattendue suggère en tout cas que l’intensification intempestive du traitement antidiabétique n’est pas la bonne solution chez des patients dont l’HbA1c ne diminue pas suffisamment sous un traitement standard. Il convient de rappeler qu’il n’y a aucun argument en faveur d’un mauvais contrôle glycémique, avec une HbA1c > 8-9 %. La discussion porte sur l’intérêt de faire baisser l’HbA1c < 8 % et jusqu’où. Le principal message : personnaliser le traitement, en particulier chez des patients de plus de 60 ans, avec des complications constituées et/ou qui résistent à un traitement conventionnel. Plutôt qu’un empilement excessif des traitements chez les patients qui répondent mal à un traitement standard (mono- ou bithérapie orale, insuline à doses raisonnables…) pour atteindre à tout prix « l’objectif », il semble plus avisé : – de comprendre les raisons (physiopathologiques ou comportementales) de la résistance au traitement ; – et d’individualiser le schéma thérapeutique, à la fois la valeur cible d’HbA1c, moins ambitieuse, et les moyens de l’obtenir.   Qu’en est-il des complications microvasculaires ?   Dans ACCORD, les complications microvasculaires (définies comme dans l’UKPDS) n’ont pas été réduites par le traitement intensif, mais certaines d’entre elles, prises individuellement, l’ont été, pour l’essentiel l’albuminurie, ce qui rejoint les résultats d’ADVANCE. En revanche, rien de bien net pour la fonction rénale, ou pour les complications rétiniennes sérieuses, et il en était de même dans ADVANCE. Bref, une tendance positive, mais des résultats en demi-teinte. Finalement, en regroupant les résultats, désormais conséquents et bien cohérents entre eux, des grandes études d’intervention dont nous disposons en diabétologie pour essayer de fixer une valeur cible optimale d’HbA1c, il est clair que les résultats d’une stratégie de traitement agressive sont décevants. Peut-être n’avons-nous pas les meilleurs outils antidiabétiques ? Peut-être de nouvelles médications, sans risque hypoglycémique et sans prise de poids, apporteront-elles quelque chose ? Mais encore faut-il le démontrer par des études d’événements. En tout cas, du moins avec les médications antidiabétiques évaluées dans ces études (metformine, sulfamides, glitazones, insuline), le bénéfice d’un traitement antidiabétique intensif (sur 5 ans) : • est faible, qu’il s’agisse du risque cardiovasculaire ou microvasculaire ; • est obtenu au prix d’une diminution de la qualité de vie, avec en particulier un risque élevé d’hypoglycémies ; • ce bénéfice est par ailleurs observé sur le long terme, ce qui le relativise chez les patients âgés.   Faut-il revoir nos objectifs thérapeutiques ?   Il faut, du moins pour l’HbA1c, se garder d’une « valeur cible pour tout le monde », malgré les affinités pour ce type (d’absence) de raisonnement de ce qu’on appelle les recommandations. En matière de traitements antidiabétiques, après les grandes études, il n’y a pas que la valeur cible de l’HbA1c ; il y a aussi, et peut-être surtout, considérer les moyens nécessaires pour l’obtenir. L’essentiel est de faire de la bonne médecine, c’est-à-dire d’adapter la stratégie de traitement, qui n’est d’ailleurs pas que pharmacologique, à chaque personne et à son environnement, autour de ce qui pourrait être le slogan des années 2010 : plus tôt probablement, plus fort probablement pas… 

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