publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Insuline

Publié le 28 fév 2011Lecture 21 min

Diabète, insuline et cancer - Triumvirat fortuit ou relation entre trio de coupables ?

L. MONNIER*, C. COLETTE*, E. RENARD**, * Institut universitaire de recherche clinique, Montpellier ** Département d’endocrinologie, maladies métaboliques, nutrition, Hôpital Lapeyronie, Montpellier


Les états diabétiques et les cancers sont deux maladies dont l’incidence ne cesse de croître(1,2). La  conséquence est une augmentation ininterrompue du nombre et du pourcentage de décès directement liés à ces deux affections. Les cancers sont devenus la 2e cause de mortalité aussi bien au niveau mondial qu’au niveau nord-américain.
Les états diabétiques sont enregistrés comme la 7e cause de décès aux États-Unis et la 12e au niveau mondial(3). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les épidémiologistes aient cherché à savoir si les états diabétiques et les cancers étaient reliés par une simple association ou par une relation de cause à effet.

Cette recherche est loin d’être récente. Autour des années 1960, certains diabétologues, dont Joslin(4) à Boston, avaient déjà remarqué une association « suspecte » entre diabète et cancer. Toutefois, ces auteurs avaient « conclu » à l’époque que la relation n’était pas « concluante ». Bien que les maladies cardiovasculaires restent toujours la première cause de mortalité chez les diabétiques, il apparaît de plus en plus que le diabète sucré de type 2 est associé avec plusieurs types de cancer : côlon, pancréas, sein(5-8). Ces observations,  quoique bien validées, furent longtemps négligées par les diabétologues qui étaient surtout préoccupés par les complications cardiovasculaires de  leurs patients. C’est pour cette raison que la communauté des diabétologues fut particulièrement ébranlée en juin 2009 par la publication dans Diabetologia de plusieurs articles accusant certaines insulines de favoriser le développement de cancers chez les diabétiques de type 2(9-13). Après une période de crise et de doute alimentée par des articles parus dans la presse grand public, il n’est pas sûr que l’épreuve du temps ait permis une clarification totale des idées et des positions(14-16). Un an après le début de la polémique, le débat continue de couver comme un volcan mal éteint, prêt  à se réveiller à la moindre occasion. Nous citerons, pour l’oublier immédiatement, le nom imprononçable du volcan « Eyjafföll » qui a agité les autorités et les transporteurs aériens au printemps 2010. Éteindre un volcan est sûrement difficile, éteindre une polémique n’est pas forcément plus facile. Dans ces conditions, une mise au point mérite d’être envisagée sur l’association diabète, insuline et cancer. La présence de ces trois partenaires justifie le titre de cette revue et du débat qui l’accompagne : « Triumvirat fortuit ou relation entre trio de coupables ? » La simple association est possible puisqu’on assiste à une augmentation parallèle de la fréquence du diabète de type 2, du nombre des diabétiques de type 2 traités par insuline et de la fréquence et du nombre des cancers. Relier les trois observations n’est donc pas une démarche incongrue. En fait, l’objet des débats est d’essayer avec un an de recul de trancher entre deux modèles, un associatif « passif » et un associatif « actif » (figure 1) en sachant que les zones d’incertitude restent souvent présentes comme dans tout domaine scientifique, surtout lorsqu’il est médical. Figure 1. Le  triumvirat  « diabète, insuline et cancer ». Modèle associatif « passif » ou « actif » ? Le modèle « passif » correspond à une augmentation parallèle de taille (fréquence ou quantité) des 3 composants, mais sans relation entre eux. Le modèle « actif » correspond à une augmentation parallèle de taille des 3 composants, mais avec relation entre eux. L’association diabète et cancer   Cet article n’est pas destiné à reprendre toutes les publications ou revues qui ont été faites sur le sujet car au cours des dernières années, ce thème a été traité de manière exhaustive et toutes les études montrent que la fréquence des cancers est plus élevée chez les diabétiques que chez les non-diabétiques, toutes choses étant égales par ailleurs(3,5,8,14,17,18). Les études sont si convergentes que certains ont déjà franchi le cap en affirmant que le cancer pouvait être rangé parmi les complications du diabète(13,14). Ce ne sont pas les résultats de la dernière enquête épidémiologique publiée par les auteurs de l’étude DECODE(19) qui permettront d’infirmer ces conclusions. À partir des données recueillies sur une population de 44 655 sujets âgés de 25 à 90 ans et provenant de 17 cohortes européennes suivies sur une durée de 5,9 à 36,8 ans, les auteurs de l’étude DECODE ont clairement démontré que le diabète et même le prédiabète (intolérance au glucose) sont associés à un risque accru de décès par cancer (figure 2), avec une mention particulière pour le cancer du foie(19). Pour résumer ce chapitre, il apparaît que les conclusions « non concluantes » des années 1960 sont désormais devenues « concluantes ». Figure 2. Le risque de décès par cancer (hazard ratio) est augmenté dans le diabète et le prédiabète (d’après(19)). Quels sont les liens mécanistiques potentiels entre diabète et cancer ?   Figure 3. Liens mécanistiques potentiels entre diabète et cancer : facteurs de risque environnementaux et facteurs de risque métaboliques communs au diabète et au cancer (d’après(17)). Les mécanismes restent obscurs et les multiples hypothèses qui ont été émises sont résumées sur la figure 3 que nous avons empruntée à D. Simon(17). Deux types de facteurs ont été évoqués : – les premiers sont environnementaux : alimentation trop riche en calories et en graisses animales, sédentarité excessive, obésité ; – les seconds sont d’ordre métabolique et hormonal, le facteur le plus vraisemblable étant l’insulinorésistance avec ses désordres secondaires : l’hyperinsulinisme réactionnel et l’augmentation des IGF (insulin-like growth factors). Ces deux groupes de facteurs sont présents soit comme cause, soit comme conséquence dans le diabète de type 2(20). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le rôle cancérigène de l’insuline et de l’IGF1 ait été évoqué. Il est bien connu que les récepteurs à l’insuline et à l’IGF1 appartiennent à la famille des récepteurs de type tyrosine kinase. La transduction du signal insulinique passe par une activation de plusieurs médiateurs intracellulaires avec phosphorylation des protéines IRS (insulin receptor substrates), activation de la phosphatidyl inositol 3 kinase (PI3-kinase), translocation vers la membrane cellulaire du transporteur de glucose (GLUT4) et pénétration du glucose du milieu extracellulaire vers l’intérieur de la cellule (figure 4a)(21). À côté de cette voie, l’insuline est capable d’activer des voies parallèles qui conduisent à la croissance et à la prolifération cellulaire : voie de la MAP kinase (mitogen-activated-protein kinase) et de la farnésyl transférase(16,22). L’insulinorésistance des diabétiques de type 2 obèses, qui conduit à un hyperinsulinisme endogène réactionnel ou à une augmentation des doses d’insuline (hyperinsulinisme exogène chez les diabétiques insulinés)(20), peut activer la voie de la MAP kinase qui garde sa réactivité à l’insuline alors que la voie classique qui sert à l’utilisation du glucose a perdu une partie de sa sensibibilité à l’insuline (figure 4b)(23). Dans ces conditions, on peut comprendre que l’activation anormale de la voie de la MAP kinase puisse conduire à une stimulation excessive de la prolifération cellulaire et à un risque accru de carcinogenèse(16). De plus, compte tenu de la similitude entre les récepteurs de l’insuline et de l’IGF1, l’insuline peut agir directement sur le récepteur de l’IGF1. Chez un sujet normal, l’affinité de l’insuline est 1 000 fois plus faible pour le récepteur de l’IGF1 que pour son propre récepteur(24). Ceci explique que l’insuline ait, à l’état normal, un effet négligeable sur la croissance cellulaire par la voie du récepteur de l’IGF1. En revanche, cet effet peut devenir significatif lorsque la concentration d’insuline devient élevée, c’est-à-dire chez les sujets insulinorésistants avec hyperinsulinisme endogène ou exogène. Des études in vitro ont démontré que les différentes catégories d’insuline contenues dans les préparations commerciales ont une affinité variable pour les récepteurs de l’insuline et de l’IGF1, avec des capacités métaboliques et mitogènes différentes(25,26). Il apparaît que les analogues rapides de l’insuline (aspart et lispro) ont des propriétés similaires à celle de l’insuline humaine, en ce qui concerne à la fois l’affinité pour les récepteurs de l’insuline et de l’IGF1 et les  potentiels métaboliques et mitogènes(25). L’insuline glargine aurait une affinité pour le récepteur de l’IGF1 6 fois plus élevée comparativement à l’insuline humaine prise comme référence. Le potentiel mitogène de la glargine serait 7 à 8 fois plus fort que celui de l’insuline humaine(25). L’insuline detemir a théoriquement un pouvoir mitogène faible mais les résultats doivent être corrigés par le fait que son affinité pour le récepteur insulinique et son pouvoir métabolique sont beaucoup plus faibles que ceux des autres insulines. Très récemment, il a été rapporté que la glargine, en dépit de son potentiel mitogène plus élevé que celui de l’insuline humaine, n’exprime pas ce potentiel aux concentrations et aux doses usuelles(26). Tous ces résultats doivent être interprétés avec prudence en raison de l’existence de possibles conflits d’intérêt au niveau des auteurs. Par ailleurs, il convient de souligner que les doses d’insuline detemir, lorsqu’elles sont exprimées en masse par unité d’insuline, sont beaucoup plus fortes pour obtenir les mêmes effets : 24 nmol/U pour la detemir vs 6 nmol/U pour les autres insulines(27). Figure 4. A : Transduction du signal insulinique chez le sujet normal : fixation de l’insuline sur son récepteur puis autophosphorylation des résidus tyrosine du récepteur. La pénétration du glucose dans la cellule met en jeu la phosphorylation des IRS (insulin receptor substrates), l’activation de la PI3-kinase (phosphatidyl inositol 3 kinase) et la translocation vers la membrane cellulaire du transporteur du glucose (GLUT4). B : Relation entre l’altération de la transduction du signal insulinique et l’activation de la prolifération cellulaire chez les sujets insulinorésistants. L’hyperinsulinisme endogène ou exogène n’arrive pas à activer la voie classique (IRS1 et PI3 kinase). En revanche, elle peut conduire à une suractivation de la voie de la MAP kinase, à une stimulation de la prolifération cellulaire et à un risque accru de carcinogenèse. Pour conclure ce chapitre, il est possible de dire que les résultats des études in vitro sont fragiles car obtenus sur des souches cellulaires différentes et parfois avec des cellules sarcomateuses humaines, c’est-à-dire dans des conditions non physiologiques. Compte tenu de toutes ces remarques, il semble que, pour une activité métabolique comparable à celle de l’insuline humaine, toutes les insulines à action prolongée, actuellement commercialisées, ont un potentiel mitogène qui ne diffère pas de celui de l’insuline humaine après correction par les concentrations exprimées en nmol/U.   Association traitements antidiabétiques et cancer : que faut-il en penser ?   L’étude des associations entre traitement antidiabétique et cancer est une histoire à rebondissements, alimentée en permanence par de nouvelles publications. La suspicion soulevée par certaines publications est immédiatement levée par d’autres, aboutissant à un cycle ininterrompu « affirmation-infirmation » dans lequel le clinicien a du mal à trouver des points de repère. Pour tenter de clarifier la situation, nous envisagerons l’analyse des différentes études et nous tenterons de faire une synthèse des connaissances actuelles afin de tirer quelques conclusions pratiques.   Les études publiées dans Diabetologia en septembre 2009 Comme déjà indiqué plus haut, la polémique sur insuline et cancer a été initiée ou relancée par la parution de 4 articles dans Diabetologia(9-12). Le terme relancé est d’ailleurs plus approprié qu’initié car, en 2006(28), il avait été déjà rapporté que le taux de décès par cancer sur une période de l’ordre de 5 ans est multiplié par un facteur égal à 1,3 ou 1,9 chez des diabétiques de type 2 traités respectivement par sulfonylurées et insuline comparativement à une cohorte de diabétiques traités par metformine seule. Dans leur conclusion, les auteurs se posaient la question de savoir si c’étaient les sulfonylurées et l’insuline qui avaient un effet délétère ou la metformine qui avait un effet protecteur. La THIN Study. Trois ans après, Currie et al. ont publié une étude rétrospective sur une cohorte de diabétiques suivis en Grande-Bretagne en pratique médicale courante mais inclus dans le réseau d’information pour la santé (THIN ou The Health Information Network)(12). Cette étude désignée sous le terme de THIN Study a d’abord montré que le risque de développer une tumeur cancéreuse chez un diabétique de type 2 dépend du type de traitement. Dans le sous-groupe des sujets n’ayant jamais reçu au préalable de traitement antidiabétique, le risque de cancer exprimé par le hazard ratio (HR neutre : 1) est diminué chez ceux qui sont traités par metformine seule (HR : 0,90) tandis qu’il est augmenté chez les sujets traités par sulfonylurées (HR : 1,23) ou par insuline (HR : 1,28). Chez les patients soumis à une association thérapeutique metformine + sulfonylurées, le risque est de 0,97. Ce dernier résultat semble confirmer que la metformine joue un rôle protecteur vis-à-vis du cancer(12,13). L’étude THIN apporte également d’autres informations en ce qui concerne les différentes catégories d’insuline. Lorsque l’analyse est faite sur l’ensemble de la population (61 368 patients, préalablement traités ou non par antidiabétiques), le risque de cancer dans le groupe traité par insuline est globalement augmenté (HR : 1,42 ; IC 95 % : 1,27-1,60) quel que soit le type d’insuline administrée au patient. Lorsque les schémas thérapeutiques de type basal utilisés seuls sont comparés entre eux, le HR insuline basale humaine vs insuline glargine est égal à 1,24 (IC : 0,90-1,70). Ce résultat non significatif ne montre pas de danger particulier lorsque l’insuline glargine est utilisée comme insuline basale. L’étude de Hemkens. C’est cette étude publiée dans le même numéro de Diabetologia qui a stigmatisé l’utilisation de l’insuline glargine(9). Cette étude allemande réalisée chez des diabétiques de type 1 ou 2 traités par insuline a porté sur 127 031 sujets. À l’issue de la période de suivi (1,63 ans en moyenne), la probabilité de néoplasie quantifiée par le HR a été analysée et comparée dans 4 groupes : patients traités par insuline humaine, par insuline aspart, par insuline lispro et par insuline glargine. En prenant comme groupe de référence c’est-à-dire comme comparateur l’insuline humaine (HR : 1 par définition), les auteurs ont observé que le risque de cancer n’est pas augmenté dans les groupes aspart et lispro par rapport au groupe insuline humaine (figure 5). En revanche, le risque augmente progressivement avec la dose d’insuline glargine, le HR atteignant la valeur de 1,31 (IC : 1,20-1,42) lorsque la dose d’insuline glargine est de 50 U/j. Lorsque l’analyse porte sur le risque de décès de toute cause, les résultats montrent toujours la neutralité des insulines aspart et lispro versus insuline humaine et l’augmentation progressive de la mortalité avec l’accroissement des doses quotidiennes d’insuline glargine (figure 6). Toutefois, il convient de noter que, par rapport aux insulines humaines, la mortalité sous insuline est diminuée (HR : 0,76) avec une dose de 10 U/j et qu’elle est identique (HR : 0,96) avec 30 unités ; elle n’est augmentée que lorsque les doses de glargine sont de 50 U/j (HR : 1,20 ; IC : 1,11-1,30) (figure 6). Figure 5. Probabilités de néoplasie (HR par rapport à l’insuline humaine considérée comme référence égale à 1 avec différents types d’insuline : insuline glargine, insuline aspart, insuline lispro) (d’après(9)). Figure 6. Probabilités de décès (HR par rapport à l’insuline humaine considérée comme référence égale à 1 avec différents types d’insuline : insuline glargine, insuline aspart, insuline lispro) (d’après(9)). Ce résultat semble indiquer que les doses d’insuline ne sont pas indifférentes. Nous le commenterons ultérieurement. Le problème soulevé par l’étude allemande et mis en exergue par les auteurs de cette étude est la responsabilité éventuelle et spécifique de l’insuline glargine dans le développement des cancers. Comme nous l’avons indiqué plus haut, cette hypothèse n’est pas en accord avec l’étude de Currie qui n’a pas montré de rôle propre à l’insuline glargine(12). Les deux études complémentaires publiées dans le numéro de septembre de Diabetologia ont également innocenté l’insuline glargine. L’étude écossaise a montré en prenant comme comparateur toutes les autres insulines que l’insuline glargine n’augmente pas le risque de développer un cancer, quelle que soit sa nature (HR : 1,02 ; IC : 0,77-1,36)(11). Si on restreint l’analyse aux cancers du sein, les résultats sont également négatifs (HR : 1,49 ; IC : 0,79-2,83), ce qui enlève toute signification statistique à ce résultat. Ces observations sont confirmées par l’étude suédoise lorsque l’insuline glargine est comparée aux autres insulines(10). Pour tous les types de cancers, le risque relatif (RR) est égal à 1,07 (IC : 0,91-1,27). Pour le cancer du sein, les résultats sont ambigus : risque augmenté (RR : 1,99 ; IC : 1,31-3,03) quand l’insuline glargine est utilisée en monothérapie, risque non augmenté (RR : 1,10 ; IC : 0,77-1,56) pour l’insuline glargine quand elle est associée à d’autres catégories d’insuline. • La conclusion de ces études est que le risque de cancer n’est globalement pas augmenté avec l’insuline glargine par rapport aux autres insulines. • Par contre, les traitements par insuline, quelle que soit leur nature, et par sulfonylurées, c’est-à-dire tous les traitements qui s’accompagnent d’un hyperinsulinisme soit par substitution exogène, soit par stimulation endogène peuvent faciliter la survenue de cancers chez des patients eux-mêmes prédisposés à ce type d’événements par un état d’obésité et d’insulinorésistance. • Enfin, les doses d’insuline utilisées dans les traitements insuliniques des diabètes de type 2 insulinorequérants pourraient avoir un rôle qui n’est pas anodin. Il n’en reste pas moins que les titres de la « grande presse » qui avaient mis en exergue le possible rôle délétère des insulines, en particulier de l’insuline glargine, ont certainement « gonflé » à tort les prétendus risques. Une analyse minutieuse des résultats et des observations faites dans ces études aurait été préférable avant de les diffuser de manière large sans réflexion approfondie préalable. Telle était au mois de juillet 2009 la réflexion de Jay Skyler, ancien rédacteur en chef de la revue Diabetes Care. Dans une mise au point cosignée avec Satish Garg et Irl Hirsch dans la revue Diabetes Technology and Therapeutics(29), ces trois diabétologues terminaient leur revue par la célèbre citation de Charles Darwin : «  Le fait de tuer une erreur rend un service aussi bon, si ce n’est meilleur, que d’établir une nouvelle vérité ». Ces conclusions relativement claires ont été cependant remises en cause par la publication récente d’une étude réalisée par une équipe italienne sur une cohorte de 1 340 diabétiques de type 2 traités par insuline(30). Les 112 sujets ayant développé un cancer sur la période de suivi ont été comparés à 370 sujets appartenant à la cohorte, présentant les mêmes facteurs de risque que les 112 cas de cancers mais n’ayant pas développé de maladies néoplasiques. Cette étude de type « cas-témoins » a montré, d’une part, que les doses de glargine étaient plus élevées chez les patients ayant développé un cancer et, d’autre part, que le risque de cancer était associé à une dose de glargine > 0,30 U/kg de poids par jour. Cette étude assez critiquable en ce qui concerne la méthodologie a eu pour effet de relancer la polémique sur la glargine. L’analyse de ces résultats par Lachin, statisticien du NIH au cours de l’ADA 2010 à Orlando a conduit cet auteur à conclure que rien n’était « concluant ». Ce qualificatif reste le plus utilisé quand ces études sont analysées par des statisticiens compétents.   Les leçons des études randomisées En décembre 2009, Philip Home a publié dans Diabetologia une analyse de tous les essais thérapeutiques randomisés ayant impliqué l’insuline glargine(31). Cette analyse porte sur 31 études : 12 dans le diabète de type 1 et 19 dans le diabète de type 2. Dans 20 études, l’insuline glargine a été comparée à l’insuline NPH. Vingt-neuf études sont effectuées sur des groupes parallèles et 2 en « cross-over ». Globalement, 10 880 sujets ont été suivis, soit 5 657 dans les groupes insuline glargine et 5 223 dans les groupes « comparateurs » (autre insuline ou antidiabétique oral). Les résultats sont indiqués sur le tableau. Ils montrent que, quel que soit le comparateur (insuline ou antidiabétique oral), le type de diabète ou la durée de la maladie, la fréquence des cancers est la même dans les groupes insuline glargine et dans les autres groupes. Cette absence de différence est retrouvée quand l’analyse porte sur l’ensemble des cancers quelle que soit leur nature ou lorsqu’elle est limitée aux cancers du sein. Les auteurs de cet article concluent que leurs données suggèrent que l’insuline glargine n’est pas associée à un risque accru de cancer. Toutefois, même si leurs observations sont rassurantes, ils conseillent de poursuivre la surveillance sur le long terme. Que faut-il retenir de toutes ces études ?   • La grande conclusion est que la metformine aurait un effet antitumoral. En revanche, le diabète de type 2 est un facteur de prédisposition à la survenue de cancer. • L’insuline peut jouer un rôle, davantage par les quantités administrées que par le type d’insuline injectée. Pour cette raison, nous nous permettrons de faire 3 remarques qui relèvent du bon sens mais qu’un certain nombre de thérapeutes tendent à oublier de temps à autres : – les doses d’insuline trop élevées ne sont pas souhaitables ; – les traitements insuliniques dans le diabète de type 2 doivent être couplés avec un programme nutritionnel ; – un traitement par multi-injections de type basal-bolus est préférable à un schéma de type basal avec une seule injection d’analogue lent.   En pratique   Les doses d’insuline élevées ne sont pas souhaitables L’étude de Hemkens a démontré que le risque de cancer et la mortalité totale augmentent avec l’accroissement des doses d’insuline glargine(9), mais la mortalité totale a tendance à être plus faible que la moyenne tant que la dose d’insuline glargine est < 30 U/j(9). Ceci n’a rien d’étonnant dans la mesure où l’insuline, lorsqu’elle est administrée à doses physiologiques, cumule une série d’avantages qui viennent s’ajouter à son effet hypoglycémiant. L’insuline a un effet anti-inflammatoire(32), antistress oxydatif(33) et même anticancer comme l’a montré une étude chinoise(34). Dans une étude récente, nous avons démontré que l’insuline administrée chez des diabétiques de type 2, traités préalablement par des antidiabétiques oraux, normalise l’excrétion urinaire de la 8-isoPGF2a qui est l’un des marqueurs fiables de l’activation du stress oxydatif(33). Sous antidiabétiques oraux, le taux d’excrétion urinaire de ce marqueur était augmenté et sa moyenne était multipliée par 2 par rapport à la normale à l’état de base. Il est néanmoins nécessaire d’émettre quelques bémols. Dans un travail récent(35), nous avons observé que l’excrétion urinaire de la 8-isoPGF2a dans le diabète de type 2 insuliné est normale tant que la dose d’insuline journalière reste modeste, < 0,4 U/kg de poids. En revanche, le taux d’excrétion de la 8-isoPGF2a est augmenté chez les diabétiques de type 2 pour lesquels la dose d’insuline est > 0,4 U/kg/j(35). L’insuline pourrait avoir un effet bimodal : favorable à faibles doses, défavorable à fortes doses comme l’ont évoqué d’autres auteurs avant nous(9,34). C’est ainsi que l’hyperinsulinisation des diabétiques de type 2 insulinorequérants semble conduire à des effets délétères parmi lesquels on peut répertorier l’activation du stress oxydatif et la prolifération cellulaire. L’activation anormale de la voie de la MAP kinase pourrait être impliquée dans ces effets néfastes, comme indiqué plus haut. En dehors des effets déjà rapportés, les fortes doses d’insuline ont d’autres conséquences néfastes : la prise de poids en est une. Comme Yki-Järvinen(36), nous avons observé que toute diminution de l’HbA1c de 1 % sous traitement insulinique s’accompagne dans le diabète de type 2 d’une prise de poids moyenne de 2 kg(37).   Les traitements insuliniques doivent être couplés avec un programme nutritionnel L’insuline est une hormone qui favorise la prise de poids car, en dehors de son effet hypoglycémiant, elle exerce une action antilipolytique(38) et, par ce biais, favorise l’accumulation de tissu adipeux. Par conséquent, les mesures diététiques, indispensables dans le diabète de type 2, doivent être non seulement poursuivies mais plus encore renforcées lors de la mise en route d’un traitement insulinique(39). Pour avoir oublié ce principe simple, de nombreux malades avec un diabète de type 2 sont confrontés à une prise de poids sous insulinothérapie.   Les multi-injections sont préférables à l’injection unique Le but du thérapeute est d’essayer de réduire au maximum les doses d’insuline pour éviter l’hyperinsulinisme. En général, la concentration plasmatique de l’insuline exprimée en µU/ml a une valeur qui est voisine de la dose d’insuline injectée, exprimée en unités/jour. Ainsi, un sujet qui reçoit 120 U/j d’insuline aura une insulinémie de l’ordre de 120 µU/ml. Ces taux sont supérieurs aux concentrations insuliniques observées en périodes préprandiales (< 20 µU/ml) et postprandiales (< 60-80 µU/ml) chez un individu non diabétique(40). Pour éviter l’hyperinsulinisme il est donc préférable de réduire les doses journalières d’insuline, ce qui est souvent une entreprise difficile chez les diabétiques de type 2, obèses et insulinorésistants. Ceci peut être partiellement obtenu en répartissant la dose d’insuline journalière en plusieurs injections. En effet, la résorption de l’insuline après son injection sous-cutanée et son passage dans la circulation sanguine est d’autant meilleure que le volume de chaque dose injectée est plus petit. Si nous prenons un exemple chiffré, la résorption d’une dose journalière de 80 U est plus efficace lorsqu’elle est répartie en 4 injections de 20 U (par exemple 20 U d’analogue rapide avant chaque repas et 20 U d’analogue lent avant le dîner) plutôt qu’administrée sous forme d’une injection unique de 80 U d’analogue lent avant le dîner. - La probabilité d’absorption de l’insuline (p) est inversement proportionnelle à la concentration de l’insuline, au volume et à la profondeur de l’injection (figure 7)(41). Comme il est impossible d’agir sur la concentration qui est fixée par les laboratoires (100 U/ml), on ne peut agir que sur le volume et sur la profondeur de l’injection. - Agir sur le volume revient à répartir les doses, agir sur la profondeur consiste à utiliser des aiguilles suffisamment longues. C’est pour cette raison qu’il est préférable, en particulier chez les sujets obèses, d’éviter l’usage des aiguilles de 5 mm, la préférence allant aux aiguilles dont la longueur est ≥ 8 mm. Figure 7. Probabilités d’absorption d’un dépôt insulinique (passage de l’insuline dans la circulation générale) après une injection d’insuline par voie sous-cutanée La probabilité d’absorption (p) est inversement proportionnelle au volume du dépôt (V), à la concentration de l’insuline (c) et à la distance par rapport au lit capillaire (d). En conclusion, une injection profonde de petit volume est mieux absorbée qu’une injection superficielle sous un grand volume. Étant donné qu’il est impossible d’agir sur la concentration qui est égale à 100 U/ml, on peut agir uniquement sur le volume et la profondeur. Les probabilités de passages réussis sont indiquées par les flèches pleines. Les flèches en pointillés correspondent aux échecs. Conclusion   Pour conclure cette revue et répondre à la question initialement posée dans le titre, nous dirons que le triumvirat diabète, insuline et cancer est loin d’être fortuit et qu’il se rapproche plutôt d’un modèle associatif « actif » que d’un modèle associatif « passif ». En revanche, la relation insuline-cancer est  beaucoup plus complexe. Que l’insulinothérapie ait un potentiel cancérigène dans le diabète de type 2 paraît vraisemblable à la lumière des travaux épidémiologiques mais la réponse doit être nuancée par deux constatations. La première, qui est à notre avis la plus importante, est que l’insuline exerce un effet bimodal : À doses physiologiques et modérées, elle a sûrement des effets bénéfiques (anti-inflammatoire et antioxydant). Compte tenu de ces constatations, l’insulinothérapie ne doit pas être différée chez les diabétiques de type 2 qui en ont besoin. Nous sommes donc partisans des insulinothérapies précoces à partir du moment où les antidiabétiques oraux n’assurent plus un contrôle correct des glycémies. À doses supraphysiologiques, et c’est souvent le cas dans le diabète de type 2 insulinorequérant, l’insuline peut exercer des effets délétères : proathérogènes et procarcinogènes. Cette question esquissée dans les deux études de Hemkens(9) et de Manucci(30) n’a pas reçu de réponse claire dans les autres études car les doses d’insuline n’ont malheureusement pas été enregistrées. Comme d’autres auteurs(42), nous pensons que le problème des doses d’insuline devrait faire l’objet de recherches ultérieures. Le type d’insuline administrée ne semble pas avoir d’influence délétère particulière. Pour l’instant, en l’absence de réponse claire, nous conseillons l’utilisation de doses modérées, ce qui revient à remettre au goût du jour l’importance des mesures diététiques lorsqu’on préconise un traitement insulinique chez un diabétique de type 2(39). Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt avec le contenu de cet article.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème