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Société

Publié le 31 jan 2006Lecture 10 min

Diabète et précarité

A. KRIVITZKY, Hôpital Avicenne, Bobigny

Si toutes les affections médicales aiguës ou chroniques sont plus graves chez les personnes en état de précarité sociale, cela est particulièrement vrai au sujet du diabète, des circonstances de son diagnostic et des modalités de son traitement.

Approche de la notion de précarité   La  définition de la précarité est difficile et relative. Elle intègre des données économiques, sociales, psychologiques et familiales. Un sujet précaire d’Afrique ou d’Asie ne ressemble pas à un sujet précaire français. Si, en France, on ne meurt plus de faim, la précarité est un facteur de surmortalité. Le Conseil économique et social l’a définie comme « l’absence d’une ou de plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux ». Selon le Haut Comité de la Santé Publique, elle touche 20 à 25 % de la population vivant en France : il s’agit de sujets sans couverture sociale, de chômeurs en fin de droits, de personnes vivant en dessous du RMI. Des critères affinés, prenant en compte les données de souffrance psychosociale induites par les contraintes économiques et les différences culturelles, sont en cours d’évaluation. La pathologie diabétique qui intègre, parfois dans son étiologie, toujours dans son évolution, une part primordiale d’aspects socio-économiques, comportementaux, diététiques, relationnels, etc. est donc indissociable de la situation de l’individu au regard de son statut social, familial et culturel.     Le diabète de type 1   Comme chez tout sujet, jeune ou moins jeune, un diabète de type 1 chez un sujet en état de précarité sociale peut se révéler par un coma inaugural avec forte hyperglycémie, déshydratation, acidocétose, hyper- ou hypokaliémie, parfois insuffisance rénale aiguë et collapsus cardiovasculaire, le tout évoluant dans un contexte souvent infectieux accompagné d'un amaigrissement progressif, d'une grande asthénie, de soif et de polyurie. Ce tableau conduit naturellement aux urgences, à une hospitalisation et à la prescription obligatoire ultérieure et définitive d'insuline. Le problème du suivi ultérieur sera majeur pour éviter la récidive de coma ou d'autres complications aiguës ou chroniques. Si ce diabète de type 1 n'est pas plus fréquent au sein d'une population précaire, cette entrée bruyante dans la maladie est souvent l'apanage de personnes non suivies médicalement, où le diagnostic est retardé dans un contexte de difficultés alimentaires et d'infections de rencontre. On pense ici en parti­culier à de jeunes adultes désinsérés, en rupture familiale, à des migrants restant parfois des années en situation irrégulière, voire à la population carcérale.   Le diabète de type 2   Le diabète de type 2 frappe tout particulièrement les personnes en état de précarité sociale chronique, non pas celles qui sont dénutries, mais celles qui pour des raisons économiques et parfois culturelles ont une alimentation inadaptée, déséquilibrée, au profit de sucres rapides avec surpoids, voire obésité. Si ces sujets sont, en principe, à l'abri des complications aiguës de type coma, acidocétose et déshydratation, ils sont en revanche menacés à terme par les complications chroniques du diabète, au niveau des microvaisseaux de la rétine, du rein et des nerfs périphériques, ou du système artériel avec hypertension, insuffisance coronaire, artérite des membres inférieurs et accidents vasculaires cérébraux. Une forme intermédiaire peut être observée chez des patients africains à la suite de l'ingestion massive et répétée de boissons sucrées : au début, leur état évoque un diabète de type 1, nécessitant une insulinothérapie, mais au bout de quelques mois en général, l'insulinothérapie peut être arrêtée et leur maladie évolue ensuite comme un diabète de type 2. Comme on le sait, ce diabète de type 2 ne signifie pas toujours absence d'insulinothérapie car celle-ci peut devenir nécessaire, soit à l'occasion d'infections ou de complications, soit parce que les médicaments antidiabétiques ne normalisent plus la glycémie : cette situation, redoutée au point de faire encore plus différer le suivi, pourra néanmoins être l’occasion d’une prise de conscience et  d’une mobilisation des moyens thérapeutiques  et sociaux autour de la maladie. On comprend que le diabète de type 1 ou de type 2 dans une situation de précarité ne sera souvent diagnostiqué que trop tardivement, lors d'une complication aiguë, mais aussi chronique : baisse de la vision, hypertension artérielle, neuropathie douloureuse, accident coronaire ou cérébral, mal perforant plantaire, infection voire gangrène des orteils. Le pied est un organe particulièrement vulnérable chez le diabétique et d'autant plus menacé en situation de précarité que coexistent : l'impossibilité d'assurer une  hygiène correcte, des chaussures mal adaptées, une gêne à la marche non ressentie du fait de la neuropathie, des déformations et enfin, des troubles ischémiques liés à l'artériopathie proximale ou/et distale.   Prise en charge du diabétique précaire   On a vu que le diagnostic de diabète se pose souvent dans des conditions dramatiques, conduisant à une hospitalisation d'urgence. Celle-ci a le mérite de faire le diagnostic, le bilan des complications, d'instituer le traitement d'urgence et de définir pour la suite un programme thérapeutique à la fois médicamenteux, diététique, reposant notamment sur une éducation et une prise en charge de l'affection et de ses contraintes par le patient lui même. Toutes ces données, qui sont la base d'un projet, sont contradictoires avec le vécu quotidien d'un patient en situation précaire : difficultés sociales, situation irrégulière, désinsertion familiale, troubles dépressifs, difficultés de compréhension et de langue, convictions alimentaires particulières, tout ou partie de ces handicaps pouvant être groupés. Le traitement d’une maladie chronique comme le diabète repose sur un projet, alors que la précarité en signifie l’absence. Chaque élément de l’exclusion compromet ce traitement : absence de droits, manque de ressources, isolement, incompréhension, habitudes alimentaires, dépression, refus. Cependant, des ressources existent : ALD, AME, CMU, consultations de précarité, dispensaires, soins de jour ; on peut et on doit rechercher la simplicité des techniques de surveillance et de traitement, expliquer la diététique de base peu coûteuse, grouper les bilans, et  hospitaliser dès que nécessaire.   Comment organiser le traitement et le suivi ? Une première étape est celle de la reconnaissance des droits sociaux, rendue plus difficile actuellement par les nouvelles contraintes ou délais pesant sur l'attribution de l'AME pour le patient en situation irrégulière sur le territoire : c'est donc parfois au niveau des consultations dites de précarité que devront être délivrés au début les moyens du traitement. Pour les patients assurés sociaux, la demande d'ALD 30 est le premier geste à faire dès le diagnostic confirmé : glycémie à jeun > 1,26 g/l (7 mmol/l) à 2 reprises. L'objectif thérapeutique doit naturellement rester le même que chez un patient non précaire : les glycémies doivent être de l'ordre de 0,8  à 1,20 g/l avant les repas et < 1,60 à 1,8 g/l en post-prandial, ce qui permet à l'HbA1c, reflet stable de la moyenne des glycémies au cours des 8 semaines précédentes, d'être maintenue à un taux < 7 %.   Le traitement insulinique Dans le diabète de type 1, il est indispensable. Les présentations actuelles en stylos jetables contenant 300 unités d'insuline ont simplifié ce traitement. Quelle insuline prescrire ? Chez un patient qui mange à des heures variables, le mieux serait d'associer une petite quantité d'insuline rapide (Humalog®, Novorapid®) juste au début de chaque repas à une injection le soir d'une dose fixe d'insuline de durée d'action de 24 h (Lantus®), ou de 12 à 16 h (Insulatard®). Les aiguilles pour stylos doivent être prescrites à part ; les injections doivent se faire en alternant les sites, sur un territoire propre sans avoir besoin d'alcool. Un équilibre correct peut être obtenu, si l'alimentation et les glycémies sont plus stables, par 2 injections d'insuline semi-lente, type Insulatard®, ou d'insuline mixte, type Mixtard® 30 ou Humamix® 25 ou 50, l'ensemble existant en stylos jetables, et le chiffre indiquant la proportion d'insuline rapide au sein du mélange. Enfin, dans quelques cas, on devra se limiter à une injection par jour qui peut être de Lantus®, dont l'avantage est de donner un taux stable d'insuline et de ne pas avoir besoin d'être agitée avant l'injection pour la rendre homogène. Une éducation simple est nécessaire sur la pratique des injections et la mesure de la glycémie capillaire sur les appareils de mesure, qui sont devenus de maniement plus aisé. Le mieux est de faire inscrire les glycémies sur un carnet avant chaque injection d'insuline, en notant la date et l'heure, tout en sachant que les appareils actuels sont dotés d'une mémoire. La plupart des services de diabétologie disposent d'un hôpital de jour et/ou d'une infirmière d'éducation qui permettront d'enseigner ces données afin de savoir adapter les doses d'insuline à la glycémie, à l'activité et à l'alimentation. On est parfois surpris de voir que des patients précaires, non francophones, ayant des difficultés de lecture, peuvent adhérer rapidement à cette pratique. Il ne s’agit pas, à travers la prise en charge du diabète, de supprimer un état de précarité le plus souvent subie, parfois voulue, mais d’aider un sujet à aménager sa vie quotidienne de façon compatible avec sa maladie chronique, ses souhaits, ses possibilités.      Le traitement par antidiabétiques oraux Il est réservé au diabète de type 2, non équilibré par des mesures diététiques, ce qui est souvent le cas. On dispose de trois types de traitements : Les sulfamides et glinides (Daonil®, Diamicron®, Amarel®, Novonorm®), médicaments bien tolérés, mais pouvant entraîner des hypoglycémies, car ils stimulent la sécrétion d'insuline. Diamicron® 30 LM et Amarel® doivent être donnés en une fois le matin, les autres à chacun des repas. Ils ont tendance à faire prendre du poids. Les biguanides (Glucophage®, Stagid®) sont les médicaments de choix du diabète de type 2 avec excès de poids. L'inconvénient majeur est la possibilité de troubles digestifs, notamment de diarrhée. Le générique le plus utilisé est la Metformine® 850 à la dose de 2 à 3 cp/j à répartir aux repas. Biguanides et sulfamides peuvent être associés dans le même comprimé : Glucovance®. Les glitazones (Actos®, Avandia®). Cette nouvelle classe est bienvenue dans le diabète de type 2 puisqu'elle combat l'insulinorésistance et améliore le pronostic métabolique et vasculaire. Il n'est plus nécessaire de les prescrire sur des ordonnances d’exception. Ils ont une pleine action au bout de plusieurs semaines, sont contre-indiqués en cas d'insuffisance cardiaque caractérisée, de cirrhose évoluée, bien qu’en fait ils améliorent la stéatofibrose non alcoolique (NASH) et ne doivent pas actuellement être associés à l'insuline. On peut les utiliser en monothérapie, ou associés aux biguanides, ou en cas d'intolérance à ceux-ci à un sulfamide, et très bientôt à ces deux classes (trithérapie). Un type de prescription peut par exemple être : metformine 850, 1 cp matin et soir, associé à 1 cp d'Actos® 30/j, ou bien Avandamet® dont chaque comprimé contient 1, 2 ou 4 mg d'Avandia® et 500 mg à 1 gramme de Metformine®, la posologie étant de 1 cp matin et soir. - Dans certains cas, le traitement antidiabétique oral doit être remplacé par l'insuline, du moins temporairement, en cas de complication aiguë ou d'insuffisance rénale ou en cas de grossesse. Parfois, on peut associer les antidiabétiques oraux à une injection d'insuline retard type Lantus® ou Insulatard® le soir, à une dose de 12 à 16 unités. - Dans le diabète de type 2, l'auto­surveillance est utile et peut se faire selon les possibilités une à quatre fois par semaine (à jeun et après un repas). On doit fournir des bandelettes urinaires afin de déceler l'acétone, en cas de troubles digestifs, neurologiques, d'amaigrissement ou de glycémie > 2,5 g/l.   Les bilans et la périodicité des consultations Dans le cas d'un patient précaire, il faut grouper les bilans rechercher les complications, notamment ophtalmologique(s), neurologique(s), rénal(es) et cardiovasculaire(s), sous forme d'un bilan hospitalier au moins annuel en hôpital de jour.   Les propositions diététiques Il s'agit manifestement d'un sujet important et difficile, quelles que soient les habitudes et contraintes alimentaires ou culturelles. La plupart des problèmes diététiques peuvent être résolus grâce à des explications permettant une relative hygiène alimentaire équilibrant les nutriments et choisissant, à valeur énergétique et glucidique égale, les moins coûteux. L'essentiel est d'éviter, dans la mesure du possible, les erreurs majeures que sont l'abus de sucres rapides et de graisses. Des fiches peuvent être demandées au CERIN* par exemple la brochure Bien manger sans trop dépenser. Le principe général est d'assurer au petit-déjeuner pain ou autres céréales, lait ou fromage ou yaourt, boisson sans sucre ; au déjeuner et au dîner un plat de féculents et/ou du pain, un plat de légumes verts crus ou cuits, de la viande ou du poisson ou des œufs, un produit laitier, un fruit, un peu de matière grasse et globalement un litre et demi d'eau par jour. L'évaluation du prix de revient d'une alimentation équilibrée apportant 1 700 à 2 000 calories par jour représente 3 à 4 €/j.   Conclusion   On comprend que toutes les ressources médicales et sociales doivent être sollicitées pour la prise en charge d'un patient diabétique en situation de précarité. Les objectifs doivent être les mêmes que chez un patient non précaire et on devra souvent s'adapter avec réalisme en simplifiant au maximum du raisonnable les modalités thérapeutiques, l'autosurveillance et les bilans. Le patient diabétique est par ailleurs particulièrement exposé à d'autres anomalies métaboliques et vasculaires et à des facteurs de risque tels que la dyslipidémie, l'hypertension artérielle, l’alcool, et bien entendu le tabagisme. Si le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, en France comme aux États-Unis, sont plus fréquents et plus graves parmi les patients précaires, c'est aussi au sein de ces groupes que les mesures de prise en charge donnent des résultats presque immédiatement visibles. Pour en savoir plus Huot C. Diabète et précarité. Thèse de Médecine. Faculté X. Bichat, Paris 7, 2003. * CERIN : 45 rue Saint-Lazare, 75009 Paris.

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