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Diabète et médecine interne

Publié le 31 mai 2012Lecture 9 min

Débat : Le patient expert - Une clarification nécessaire

A. GRIMALDI, service de Diabétologie, métabolisme, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

« L’expert profane » n’est pas un simple oxymoron. Le concept est le produit de quatre faits de société : la critique de l’expert scientifique, la diffusion du savoir favorisée notamment par les nouvelles techniques de communication,  l’existence d’un savoir expérientiel singulier et le développement de l’aspiration démocratique aux contre-pouvoirs.
Il trouve une application toute particulière en médecine avec la revendication par certaines associations de patients d’une expertise spécifique et de la reconnaissance de « patients experts ».

La critique de l’expert scientifique porte moins sur ses erreurs, du moins s’il est capable de les reconnaître, que sur ses abus d’expertise. En effet, l’expert scientifique a une compétence profonde mais limitée, et il peut être tenté de prétendre à l’expertise au-delà de son champ de compétences. C’est ainsi que l’on peut être un très bon chercheur et un assez mauvais médecin, un très bon médecin pour le diagnostic et le traitement d’une maladie aiguë et un assez médiocre médecin pour la prise en charge d’un patient atteint de maladie chronique. Le rôle des médias favorise la confusion entre le talent de communication et la réalité de l’expertise. Cependant, le principal reproche fait aux experts scientifiques, porte sur les conflits d’intérêts, qu’il s’agisse de conflits avec des financeurs privés ou de conflits d’intérêts avec la puissance publique. En médecine, trop d’experts spécialisés ont accompagné sans réserve suffisante le marketing de l’industrie pharmaceutique, y compris pour des médicaments secondairement retirés du marché. Ce faisant, ils ont contribué à décrédibiliser les experts spécialisés aux yeux des médecins généralistes, et finalement à susciter la suspicion chez les patients eux-mêmes. L’affaire du Médiator a jeté un discrédit hélas généralisé sur les experts et a suscité la croyance mythique dans un expert « totalement indépendant », alors qu’en la matière la seule garantie est, d’une part, la transparence, d’autre part, le débat contradictoire, c’est-à-dire la contre-expertise. Ceci dit, la critique de l’expert scientifique et l’acquisition d’authentiques compétences par les patients, a engendré le concept de « patient expert ». Le mot a fait florès, bien que chacun l’interprète à sa manière. Essayons d’en distinguer les différents contenus.   Le patient expert de lui-même Cette expertise, résultant de l’information, de l’expérience, de l’apprentissage, est pour l’essentiel à usage personnel, permettant au patient de développer un authentique partenariat avec les soignants, de discuter voire de contester leurs propositions. Les « patients experts », loin d’être leur propre médecin, viennent confronter leur expertise à la recherche d’une validation par le professionnel. Alors que ces « patients experts » d’eux-mêmes devraient pouvoir être amenés à changer de médecin si celui-ci développe une relation paternaliste infantilisante à l’ancienne, ou une relation objectivante plus moderne réduisant le malade à sa maladie, ils le font en réalité très rarement.   Le patient « ressource » Ces patients experts d’eux-mêmes ayant acquis des compétences diverses, peuvent, à la demande d’équipes soignantes médicales et paramédicales, servir s’ils le souhaitent de « patients ressources ». Les soignants peuvent leur adresser des malades susceptibles de tirer profit de leur expérience. Ils peuvent aussi leur proposer d’intégrer les équipes d’éducation thérapeutique au moins lors de certains ateliers, pour témoigner, soutenir et renforcer les apprentissages. Ils peuvent être des « médiateurs » de la relation entre les patients et les soignants. Ils peuvent aussi faire bénéficier de façon bénévole l’équipe d’éducation thérapeutique d’une expertise indépendante, par exemple pour des ateliers d’activité physique, de relaxation, d’écriture, de peinture, de théâtre… Les patients ressources ne sont pas forcément des patients modèles. Ils ne sont pas forcément utiles à tous les patients. Dans tous les cas, ce sont les soignants qui leur proposent de participer à l’information ou à l’éducation d’autres patients. En conséquence, en cas de difficultés entre un « patient apprenant » et un « patient ressource », ce sont les soignants qui doivent en assumer la responsabilité. Les patients experts pour les autres   C’est à notre sens, la principale source de confusion qu’il convient de clarifier. Une chose est d’être expert pour soi, et autre chose est d’être expert pour les autres. Certes, une association de patients peut et doit proposer une aide aux patients qui le souhaitent. Cette aide peut prendre deux formes : - une aide professionnelle, assurée par des équipes mixtes comportant médecins, paramédicaux, patients ou parents de patients, comme le fait par exemple l’Aide aux Jeunes Diabétiques. Certaines associations de patients dans d’autres pays, salarient même des médecins et des infirmières et gèrent des centres de santé… ; - une aide de pairs pour les patients novices ou ayant des difficultés à suivre leur traitement. Les mieux à même d’apporter cette aide sont, bien sûr, les patients qui ont eux-mêmes connu des difficultés pour accepter leur maladie et pour gérer leur traitement. Le patient novice ou en difficultés peut trouver auprès de ces « anciens » d’abord une écoute, ensuite un échange à partir de leur expérience à la fois singulière et commune. Il s’agit donc de développer les capacités de communication. Le patient dit « expert » n’est pas là pour dire au novice ou au patient en difficultés ce qu’il doit faire et lui parler d’evidence-based medicine dans la langue profane, mais seulement pour lui permettre d’exprimer ses questions et ses difficultés et lui faire part de son savoir-faire et de son expérience. Ce fut également dur pour lui au début, comment a-t-il fait pour y arriver ? Quels « trucs » utilise-t-il ? Comment gère-t-il telle ou telle situation ? Ni cours, ni prescription, ni éducation thérapeutique, mais seulement échange d’informations, entraide et soutien. Le patient « expert éducateur certifié » Il est une autre définition du « patient expert », qui demande au contraire au patient postulant d’oublier son expérience personnelle, surtout de ne pas en parler, et d’acquérir des compétences sur la maladie et sur son traitement, sur la psychologie et sur la communication. On parle même de validation des compétences pour acquérir le titre officiel de « patient expert certifié » et un jour sûrement recertifié. Il y aurait donc des collés et des reçus. On ne sait pas si un niveau d’HbA1c sera exigible, ou si le fait d’avoir des complications sera un critère d’exclusion. Le « patient expert » pourra-t-il faire état publiquement de son expertise en dehors de l’association de patients ? En fait, sans le dire, on définit un nouveau métier d’éducateur : un peu infirmière, un peu psychologue, un peu communicateur, qui tôt ou tard devra être rémunéré pour son travail. Resterait à justifier dans notre modèle égalitaire républicain, pourquoi ce métier est seulement accessible aux patients diabétiques, c’est-à-dire à ceux qui ont une glycémie supérieure ou égale à 1,26 g/l. Pourquoi sommes-nous opposés à ce « patient expert éducateur certifié » ? Nous sommes opposés à cette conception du « patient expert éducateur certifié », pour au moins deux raisons. L’expertise en la matière nécessite une double expertise : biomédicale et psychologique, car le malade qui a du mal à se traiter, a en réalité deux maladies : il est malade et il est malade d’être malade. Par ailleurs, l’idée que le fait d’être patient vous offre une compétence particulière pour le traitement des autres patients, est réfutée par l’expérience inverse de professionnels de santé notamment médecins, compétents dans une maladie dont ils sont eux-mêmes atteints. L’expérience prouve qu’on peut être en même temps un très bon diabétologue et un assez mauvais patient diabétique. C’est d’ailleurs pourquoi il est classique et sage d’insister sur le fait qu’un médecin ne doit pas se soigner lui-même ; il ne doit pas non plus soigner les membres de sa famille. On ne voit pas pourquoi l’inverse ne serait pas vrai. Un très bon patient expert pour soi, peut être un très mauvais patient expert pour les autres, et au contraire un mauvais patient pour soi peut être très efficace pour aider les autres (car un altruiste a beaucoup de mal à s’occuper de lui-même). À l’inverse, il nous semble logique que des patients amenés à représenter leur organisation au sein du système de soins et à participer à son évaluation acquièrent en la matière une compétence de santé publique. Il paraît donc normal que les associations de patients reçoivent pour ce faire une subvention publique. Reste que la notion de « patient expert » se trouve par ailleurs utilisée et dévoyée par deux courants de pensée qui se développent dans notre société post-moderne.   Du « patient expert » au « consommateur éclairé » Le courant de pensée néolibéral estime que la santé est une marchandise comme les autres, et qu’en conséquence les soignants sont des « producteurs de soins » tandis que les patients sont des « consommateurs ». Le « patient expert » est, pour les porte-parole de ce courant de pensée, le prototype du consommateur éclairé, apte à mettre en concurrence les différents producteurs et/ou les différents assureurs. Ce concept de « consommateur éclairé », libre de ses choix, est une mystification. En réalité, tout patient, quel que soit son niveau social ou culturel, est une personne angoissée qui ne cherche pas à acheter d’abord une prestation, mais d’abord une confiance. Il est donc dans une situation de vulnérabilité, et peut être facilement manipulé. C’est pourquoi les professions médicales doivent être régies par des principes éthiques et non par le code du commerce.   Tous experts !   L’autre courant, à partir d’une critique des experts scientifiques et d’une analyse de la relativité des vérités scientifiques, en vient à nier l’existence de toute vérité scientifique, estimant que la prétendue vérité n’est que relative aux outils d’observation et représente en réalité les intérêts sociaux corporatistes des prétendus experts. Pas de vérité, pas d’expert ou plutôt à chacun sa vérité et tous experts ! Ce courant relativiste s’est développé à partir de la critique justifiée de l’impérialisme culturel à la prétention universaliste et de la contestation de l’élitisme hiérarchique. Le relativisme a notamment investi le champ des médecines dites « naturelles », « traditionnelles », « parallèles », « douces », opposées à ce qu’ils appellent la médecine « officielle » ou « académique ». Récusant les méthodes de la médecine expérimentale, ils prétendent échapper à toute évaluation. Les relativistes se réclament également de la régulation de la santé par le marché libre. La seule évaluation acceptable pour eux reste celle réalisée par le consommateur, décidant d’acheter ou non la prestation proposée selon qu’il en est satisfait ou mécontent.   Conclusion   La notion « d’expert profane » témoigne, selon nous, de l’ambivalence de l’évolution de nos sociétés s’exprimant par l’ambiguïté des mots. D’un côté, elle exprime le progrès de la relation médecin/malade débouchant sur un véritable partenariat entre les patients atteints de maladie chronique et/ou leur famille et les soignants. Elle pose la question de la « démocratisation de la démocratie » grâce au pouvoir de contre-expertise de la société civile et en l’occurrence des associations de patients. Mais elle doit clarifier sa position sur le « patient expert ». Il peut être un « patient ressource » travaillant avec des professionnels ou un « patient aidant » proposant, à partir de son expérience singulière, une écoute et une aide au patient novice ou connaissant des difficultés. Chercher à dénommer ces différentes activités avec précision relève d’un souci d’authenticité qui permet à chacun de se situer, soignant comme patient. À l’inverse, le qualificatif de « patient expert » est un concept, certes novateur, mais source de confusion et donc de suspicion, car comme disait sa grand-mère « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! ». L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêt en rapport avec cet article.

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