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Physiologie-Physiopathologie

Publié le 14 oct 2013Lecture 8 min

Sécrétions du tissu adipeux - Profusion et confusion (III)

M. LAFONTAN, Inserm/UPS UMR 1048-I2MC, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires, Hôpital Rangueil, Toulouse

La découverte d’une infiltration du tissu adipeux par des cellules immunitaires et l’existence d’une inflammation de bas niveau chez l’obèse ont abouti au concept de « méta-inflammation » développé par G. Hotamisligil(1). Les travaux des dernières années sur les adipokines ont débouché sur une conceptualisation renouvelée de leur contribution dans les pathologies associées à l’obésité.

Adipokines et développement d’une inflammation dans le tissu adipeux L’augmentation de la masse grasse est associée à une augmentation chronique mais modérée de nombreux marqueurs circulants de l’inflammation tels que le TNF-a, l’interleukine- 6, CCL2 (C-C motif chemokine ligand 2)/MCP-1 (monocyte chemoattractant protein-1) , PAI-1 (plasminogen activator inhibitor-1), CSF (colonystimulating factor) et la synthase inductible du monoxyde d’azote (iNOS). Bien que le foie et le système lymphoïde soient les sites majeurs de production usuels de nombreux médiateurs de l’inflammation, le tissu adipeux (TA) a acquis un statut particulier de site de production d’adipokines et de cytokines. La composition cellulaire du TA varie notablement selon sa localisation anatomique et l’évolution pondérale. Dans l’obésité, le TA se caractérise par une hypertrophie des adipocytes (augmentation de la taille), une hyperplasie (augmentation du nombre), une infiltration macrophagique, une activation des cellules endothéliales microvasculaires et une fibrose. L’hypertrophie des adipocytes est associée à une dérégulation de l’expression et de la sécrétion d’adipokines avec une expression augmentée de molécules pro-inflammatoires(2). Chez l’obèse, en dehors des adipocytes, les cellules immunitaires (c.-à-d. lymphocytes T et macrophages en particulier) qui infiltrent le TA vont contribuer à la production de cytokines pro-inflammatoires et d’autres facteurs sécrétés par les TA. La dysrégulation de la production d’adipokines observée chez l’obèse a des effets locaux et systémiques sur la réponse inflammatoire et contribuera, de ce fait, à l’initiation et à la progression des complications métaboliques et cardiovasculaires observées chez l’obèse(3,4). En ce qui concerne les adipokines majeures – leptine et adiponectine –, en dehors des effets sur la prise alimentaire, la leptine est connue comme médiateur pro-inflammatoire alors que l’adiponectine s’avère posséder des effets anti-inflammatoires et insulinosensibilisateurs notables (voir Diabétologie Pratique N° 41). De nombreuses adipokines appartenant à différentes classes biologiques ont été décrites dans le TA, nous citerons les plus couramment décrites avec la nomenclature officielle et les synonymes communs afin de faciliter la lecture. La famille des cytokines est très représentée avec le TNF-a, plusieurs interleukines (IL-1b, IL-1Ra, IL- 6, IL-7, IL-8, IL-18 et IL-10). Les chémokines sont aussi très représentées dans le TA (CCL2/MCP-1, CCL7/MCP-3 et CCL13/MCP-4 (monocyte chemoattractant proteins), CXCL1/ GRO-a (growth-related oncogen factor-a), CCL5/RANTES (regulated on activation, normal T-cell expressed and secreted) un ligand naturel de CCR5, CCL3/MIP- 1a et CCL4/MIP-1b et CCL20/ MIP-3a, (macrophage inflammatory protein-1a,-b et -3a). Le TGF-b (transforming growth factor- b) et sa famille des MIC (macrophage inhibitory cytokines) sont produits par le TA (c.-à-d. adipocytes et cellules de la FSV). Le tissu adipeux sécrète également un activateur majeur de TGF-b1, la thrombospondine-1 (TSP-1). Le TGF-b1 est un inhibiteur de la différenciation adipocytaire et de la production de certaines cytokines pro-inflammatoires. Le TGF-b et la TSP-1 jouent également un rôle important dans l’angiogenèse et la fibrose .      La profusion d’adipokines pro- et anti-inflammatoires produites au sein du TA ne facilite pas une appréhension aisée de leurs rôles physiologiques respectifs. Un dialogue complexe, encore mal compris, doit s’établir entre de nombreuses adipokines qui possèdent des activités pro-inflammatoires et un nombre plus restreint de celles qui sont douées de propriétés anti-inflammatoires (encadré, Diabétologie Pratique n° 41). Selon leur niveau de production respectif, la balance fonctionnelle entre ces divers facteurs influencera positivement ou négativement l’homéostasie au sein du tissu ou de l’organisme sain ou malade. Un équilibre complexe entre les adipokines pro- et/ou anti-inflammatoires va assurer la modulation des processus inflammatoires. De plus, il n’est pas aisé de définir la contribution spécifique des adipokines produites par le TA par rapport à celles qui proviennent d’autres sites de production. Macrophages et processus inflammatoires dans le tissu adipeux Chez l’homme, des macrophages s’accumulent dans le TA (macrophages du TA : MTA) des obèses et leur niveau d’accumulation est corrélé positivement au niveau d’insulinorésistance des individus(5). Bien que les mécanismes contribuant à leur infiltration/activation restent encore débattus, la densité de ces macrophages, issus majoritairement de la moelle osseuse, est plus importante dans le tissu adipeux viscéral que dans les tissus adipeux sous-cutanés. Une perte de poids consécutive à une chirurgie bariatrique est associée à une réduction des MTA et du niveau d’expression des marqueurs inflammatoires dans le TA. In vivo, les MTA représentent une population complexe avec des niveaux d’activation distincts et évolutifs selon l’expansion des dépôts adipeux ; l’obésité est associée à une modification des pools de macrophages au sein du TA. Plasticité et polarisation fonctionnelle sont une des caractéristiques du système des cellules phagocytaires mononucléaires(6). Le niveau d’activation des macrophages se définit in vitro selon deux états essentiels de polarisation distincts, définis comme M1 et M2. Les macrophages de phénotype M2 (activation alternative) sont présents, dispersés et en faible densité dans le TA sain3. Ils sont induits in vitro, mais également in vivo, par IL-4 ou IL-13 (cytokines issues de lymphocytes natural T helper, ou d’éosinophiles) et ont une expression réduite de cytokines pro-inflammatoires. Ils produisent plus spécifiquement des protéines anti-inflammatoires (comme les cytokines anti-inflammatoires IL-10 et IL-1Ra [IL-1Receptor antagonist], qui possède des effets anti- IL-1) ainsi que de l’arginase-1 (qui peut bloquer l’activité de la synthase inductible de NO [iNOS] et la production de monoxyde d’azote [NO]). Ces macrophages M2 participent à la modulation des processus de réparation et de remodelage tissulaires. L’activation physiologique des voies M2 est également capable de réduire la méta-inflammation et d’améliorer la sensibilité à l’insuline(7,8). Les macrophages de phénotype M1 (activation classique) ont une production accrue de cytokines pro-inflammatoires (TNF-a, IL-6 et IL-12) et génèrent des espèces réactives de l’oxygène comme le NO via l’activation de la iNOS. Ils sont activés par des médiateurs pro-inflammatoires tels que les liposaccharides (LPS) ou l’interféron gamma (INFg). En cours d’installation d’une obésité, l’hypoxie, les AGNE et les adipokines produites par l’adipocyte hypertrophié sont connus pour favoriser l’activation des MTA qui vont exprimer une polarisation de type M1. Les études de la cinétique des processus conduisant à l’activation des MTA ont attiré l’attention sur les lymphocytes du TA. L’infiltration d’une population de lymphocytes T CD8+ et CD4+ précède celle des MTA et contribuerait, avec les adipocytes, au recrutement des MTA(9). Logiquement, ces lymphocytes T sont une source de stimuli TH1 ou TH2 pour les MTA. Le phénotype M1 est associé à une obésité sévère et à une insulinorésistance (figure 1, Diabétologie Pratique n° 39). Certains macrophages M1 du TA sont capables de phagocyter des lipides issus d’adipocytes apoptotiques ou nécrotiques et d’acquérir dans le temps un phénotype évoquant des cellules spumeuses artérielles (p. ex., avec une nette accumulation de gouttelettes lipidiques) ; ils s’organisent en structures en couronne (crown-like structures) autour de certains adipocytes et sont aisément identifiables et quantifiables par l’histologie usuelle(10,11). Les mécanismes cellulaires conduisant au recrutement des macrophages dans le TA restent discutés. En dehors d’une implication précoce des lymphocytes T précédemment rapportée, les facteurs produits par les adipocytes hypertrophiés, tels que CCL2/MCP-1 ou CSF-1 (colony-stimulating Factor-1), surexprimés dans l’obésité, pourraient contribuer au recrutement de monocytes circulants exprimant leurs récepteurs respectifs. L’axe CCL2/MCP- 1/CCR2 semble important dans le contrôle de l’infiltration de macrophages dans le TA des obèses ; l’invalidation du gène Ccr2 atténue l’accumulation de macrophages et l’inflammation chronique dans le TA. Certains travaux que nous ne développerons pas ont également suggéré un rôle de l’ostéopontine, de l’angiopoietin-like protein-2 et de la chimiokine CXCL14. La libération excessive d’AGNE par l’adipocyte hypertrophié pourra également induire une activation des macrophages (via l’activation de récepteurs TLR-4 [tolllike receptor-4]) et la production de cytokines pro-inflammatoires. Enfin, la diminution de l’adipokine anti-inflammatoire, l’adiponectine, et l’augmentation concomitante de la leptine viendront renforcer le contexte pro-inflammatoire général et contribuer à l’activation des macrophages. Conclusions et perspectives Les approches cellulaires et moléculaires ont permis de décrypter de nombreux mécanismes d’action des adipokines au cours des 20 dernières années. L’utilisation des souris transgéniques a révélé une profusion de contributions physiologiques essentielles de nombreuses adipokines chez le rongeur. La découverte de l’infiltration du TA par des cellules immunitaires chez l’obèse a conduit à une reconsidération du rôle des processus inflammatoires dans le déterminisme des pathologies associées à l’obésité. La validation des effets de plusieurs adipokines du TA en physiopathologie humaine reste à faire. Face à l’abondance et à la diversité des adipokines, qui constituent un réseau très complexe d’interactions intercellulaires et intertissulaires, on peut penser que des approches innovantes fondées sur l’analyse globale des réseaux de signalisation seront nécessaires afin de mieux identifier le nombre d’acteurs et leur contribution respective à la complexité des régulations métaboliques abordées. L’intégration de la profusion d’informations fournies actuellement par la génomique, la protéomique et la métabolomique va certainement progresser dans les prochaines années.  En pratique  Le TA est un organe endocrine qui sécrète une grande variété de facteurs à effets proximaux (c.-à-d. autocrines ou paracrines) ou systémiques. Certaines productions du TA sont strictement adipocytaires, alors que de nombreux facteurs sont produits par les cellules de la FSV. L’obésité est associée à une inflammation de bas niveau ou « méta-inflammation ». Le TA est une source notable d’adipokines pro- ou anti-inflammatoires dont la modulation varie selon le dépôt adipeux et qui est affectée par l’obésité ou le diabète de type 2. La leptine est un régulateur de la prise alimentaire et de la dépense énergétique liée à son action au niveau du système nerveux central. Elle affecte également l’activité de nombreux autres types cellulaires (cellules endothéliales, cellules musculaires et pancréatiques, etc.) et influe sur la sécrétion de cytokines inflammatoires en modulant la réponse immunitaire. Un état de résistance aux effets de la leptine est commun chez l’obèse. L’adiponectine est une adipokine anti-inflammatoire majeure dont les concentrations plasmatiques sont réduites dans l’obésité, l’insulinorésistance et le diabète de type 2. Elle améliore la sensibilité à l’insuline en augmentant la dépense énergétique, l’oxydation des lipides et l’expression de gènes régulés par PPAR peroxisome proliferator-activated receptor- ). Parmi l’abondante production de cytokines et de chémokines par le TA, le TNF-, l’IL-6, le PAI-1, la MCP- 1/CCL2 et la résistine représentent les cytokines pro-inflammatoires du TA qui pourraient contribuer majoritairement à l’inflammation de bas niveau observée chez l’obèse. Les adipocytes sont une source majeure d’angiotensinogène extrahépatique ; une production d’angiotensine II existe au sein du TA. Certaines adipokines, telles que l’adiponectine, l’omentine, la visfatine et l’ARDF (adipocyte-derived relaxing factor), ont des effets vasorelaxants en agissant sur les cellules endothéliales. L’apeline est une nouvelle adipokine aux effets prometteurs qui régule l’insuline, l’adiposité et le métabolisme énergétique.   Conflits d’intérêt L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article.

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