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Thérapeutique

Publié le 31 mar 2014Lecture 6 min

Prise en charge du patient diabétique cirrhotique

J.-M. PETIT, Service de diabétologie et endocrinologie, CHU du Bocage, Dijon


Le diabète sucré est une comorbidité fréquente chez les patients atteints de cirrhose. La prise en charge de ce diabète présente un certain nombre de particularités du fait des contre-indications médicamenteuses liées à l’insuffisance hépatocellulaire, mais également de la dénutrition et de perturbations rendant certains paramètres biologiques comme l’HbA1c moins fiables. L’existence de ce diabète va influer de façon péjorative sur l’histoire naturelle de la maladie hépatique. 

Fréquence et facteurs de risque La plupart des études rapportent une prévalence de 20 à 40 % du diabète avec parfois des variations selon l’étiologie ou la gravité de la cirrhose(1-3). On peut distinguer le diabète de type 2 associé à la cirrhose, et le diabète hépatogène qui est secondaire à l’atteinte hépatique. La durée d’évolution de la maladie diabétique par rapport à la maladie du foie et l’existence ou l’absence des facteurs de risque habituels de diabète peut permettre de caractériser ces deux types de diabète (tableau). Malgré un rôle diabétogène du virus de l’hépatite C, il ne semble pas que les cirrhoses post-hépatite C soient plus souvent associées au diabète que les cirrhoses alcooliques. À l’inverse, dans le cas des cirrhoses métaboliques, le risque de diabète sucré est doublé par rapport aux cirrhoses d’autre étiologie avec environ 60 % de patients diabétiques(4).   Influence du diabète sur le pronostic La cirrhose est une pathologie grave dont la mortalité à 5 ans peut dépasser 50 % selon le niveau de sévérité initiale de l’atteinte hépatique. La présence d’un diabète va avoir un impact défavorable sur le pronostic de ces patients(6). Ainsi, l’équipe de Bologne a montré que le diabète multiplie par deux la mortalité en cas de cirrhose(6). Mais la mortalité cardiovasculaire n’était pas différente entre les patients diabétiques et non diabétiques alors que la mortalité liée aux complications de l’hépatopathie était très significativement majorée en cas de diabète(6). En dehors des cirrhoses métaboliques, les patients cirrhotiques sont à moindre risque vasculaire, même en présence d’un diabète(3,5). La faible prévalence d’infarctus myocardique ou d’AVC retrouvée chez les patients cirrhotiques et diabétiques pourrait être liée à une courte durée d’évolution du diabète et à certains facteurs protecteurs comme une tension artérielle diminuée ou un taux de LDL-cholestérol bas. À l’inverse, l’impact du diabète sur le pronostic de la cirrhose est plus péjoratif avec une augmentation du risque de mortalité par défaillance hépatique, et des risques de transplantation et de péritonite bactérienne. De plus, le diabète multiplie par 2 à 3 le risque d’apparition de carcinome hépatocellulaire en cas de cirrhose(7). Ces données suggèrent donc qu’en cas de cirrhose, le diabète est plus un facteur de mauvais pronostic concernant les risques de complications hépatiques que ceux des complications cardiovasculaires. Il paraît donc légitime dans ce contexte que le traitement antidiabétique des patients cirrhotiques soit réalisé en privilégiant le pronostic hépatique plutôt que celui des complications macro- ou microvasculaires habituelles du diabète. Ce raisonnement semble moins adapté aux cirrhoses métaboliques où le risque cardiovasculaire reste élevé(4). Objectifs de traitement et moyens de surveillance Le traitement du diabète de ces patients reste complexe et nous ne disposons pas d’études permettant de connaître le bénéfice d’un bon contrôle glycémique sur le pronostic de ces patients. Il semble donc logique d’adapter nos objectifs de traitement hypoglycémiant en fonction de la sévérité de l’atteinte hépatique et de la fragilité de ces patients. En effet, un patient ayant une cirrhose alcoolique avec ascite présente un risque de mortalité à 5 ans évalué à 59 % ; en cas d’antécédent d’encéphalopathie, ce risque monte à 85 %(8). Il serait déraisonnable dans cette situation de rechercher un très bon équilibre glycémique alors que le risque iatrogène, et notamment par hypoglycémie, serait très important. Inversement, une cirrhose CHILD A, avec éradication de la maladie causale garde un très bon pronostic avec plus de 83 % de survie à 5 ans(8). Dans ce cas, la recherche d’un bon équilibre glycémique semble plus justifiée. Toutefois une des difficultés concerne les paramètres utilisés pour évaluer l’équilibre glycémique des patients cirrhotiques. L’HbA1c et la fructosamine perdent beaucoup de fiabilité pour évaluer l’équilibre métabolique des patients cirrhotiques(9). En raison de l’anémie, de l’hypertension portale et des carences nutritionnelles, la cirrhose s’accompagne d’une modification de la durée de vie des globules rouges avec un excès de formes jeunes. • Cela se traduit par une HbA1c faussement basse, ce qui conduit à surestimer l’idée d’un bon équilibre glycémique. • À l’inverse, la fructosamine est anormalement élevée chez le patient cirrhotique du fait d’un temps de résidence des protéines plasmatiques augmenté pour compenser le défaut de synthèse hépatique lié à l’insuffisance hépatocellulaire. Cette augmentation du temps de résidence plasmatique augmente la durée de glycation des protéines et produit donc une fructosamine faussement élevée chez le patient cirrhotique(9).   Particularités de prise en charge La prise en charge diététique du diabète de ces patients est compliquée par l’existence d’une dénutrition retrouvée chez plus de 50 % d’entre eux et par la poursuite d’une intoxication éthylique(10). La dénutrition et les faibles réserves hépatiques en glycogène sont une des particularités du patient diabétique cirrhotique. Ce pourcentage de dénutrition augmente avec la gravité de la cirrhose. Il est donc important que la prise en charge nutritionnelle du diabète n’aggrave pas la dénutrition. Ce point est d’autant plus important que l’évaluation nutritionnelle de ces patients est rendue difficile par l’ascite, les œdèmes et l’hypoalbuminémie liée à l’insuffisance hépatocellulaire. Les faibles réserves hépatiques en glycogène se traduisent par une augmentation des hypoglycémies lors du jeûne nocturne avec une glycogénolyse abaissée et une majoration de l’utilisation des protéines musculaires pour synthétiser du glucose. Ce phénomène contribue à majorer la perte des masses musculaires de ces patients et donc leur dénutrition. Une réponse thérapeutique simple pour limiter cette dénutrition est l’administration d’une collation au coucher. Ainsi, il a été montré que ce type de collation au coucher permettait aux patients cirrhotiques d’augmenter très significativement leurs masses musculaires d’environ 2 kg en 1 an(11). Sur le plan médicamenteux, l’existence d’une insuffisance hépatocellulaire contre-indique les hypoglycémiants oraux. Néanmoins, dans plusieurs études, l’utilisation de la metformine chez les patients cirrhotiques, s’accompagne d’une diminution du risque de carcinome hépatocellulaire(12,13). Une étude transversale, évaluant 1 226 patients cirrhotiques avec ou sans carcinome hépatocellulaire (CHC), a observé que les patients porteurs d’un CHC sont moins souvent traités par metformine(12) (figure). De même, un suivi longitudinal a montré que les patients diabétiques porteurs d’une cirrhose sur hépatite chronique C avaient une diminution de 80 % du risque de développer un CHC dès lors qu’ils recevaient de la metformine, comparativement à des patients diabétiques non traités par metformine(13). Des résultats récents montrent que la metformine diminue également le risque d’encéphalopathie chez le patient cirrhotique(14). On peut donc proposer de privilégier la metformine comme traitement du diabète chez les patients présentant une cirrhose compensée (CHILD A). Bien évidemment, le recours à l’insulinothérapie s’avère souvent indispensable en cas de cirrhose décompensée contre-indiquant la metformine ou de déséquilibre glycémique important.   Traitements antidiabétiques dans 2 groupes de patients cirrhotiques, avec ou sans carcinome hépatocellulaire : étude transversale à partir de 1 226 patients. Les patients porteurs d’un CHC sont moins souvent traités par metformine (p < 0,001). D’après Donadon et coll.(12)  Conclusion  Le diabète concerne plus du tiers des patients cirrhotiques ; il a un impact très péjoratif sur le pronostic, lié principalement au développement des complications de l’hépatopathie. La prise en charge devra éviter de majorer la dénutrition fréquemment observée chez ces patients. La diminution de fiabilité des marqueurs d’équilibre glycémique comme l’HbA1c doit conduire à privilégier le recours à l’autocontrôle glycémique. La metformine reste le traitement de référence chez le patient cirrhotique compensé du fait d’une présomption d’effet favorable sur la prévention des complications hépatiques de la cirrhose, et notamment du risque de carcinome hépatocellulaire.

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