publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Nutrition

Publié le 31 mai 2014Lecture 7 min

Le paradigme de la frugalité

J.-L. SCHLIENGER, Professeur émérite de nutrition et de médecine interne, Faculté de médecine de Strasbourg


Frugalité, le mot peut faire peur ou sourire. Il ne s’agit pas ici de la frugalité de circonstance ou de contrainte imposée par la pénurie, mais de la frugalité consentie par choix.

Les motivations sont diverses : - recherche de la sagesse ou démarche pénitente, mêlant morale et spiritualité, par une réduction significative des portions ; - démarche de qualité et d’éthique alimentaire refusant le superflu, le dispendieux, privilégiant les circuits courts et les produits locaux préparés de façon simple, sans valeur ajoutée, avec une approche humaniste épicurienne proclamant qu’un repas simple partagé avec des amis vaut mieux qu’un festin ; - restriction alimentaire volontaire par l’application de règles diététiques pour éviter les carences et préserver l’équilibre alimentaire dans le but d’accroître la longévité, d’améliorer la qualité de vie et l’état de santé. C’est ce dernier point qui intéresse davantage le médecin. La frugalité, facteur de longévité C’est en 1935 que Mc Caig a démontré chez le rat qu’une réduction des apports énergétiques débutée après le sevrage était associée à une espérance de vie maximale. De fait, une restriction énergétique d’environ un tiers de la ration spontanée allonge la durée de vie d’environ 25 % dans toutes les espèces étudiées. Elle ralentit le déclin lié à l’âge de la plupart des fonctions physiologiques alors que la suralimentation accentue les altérations liées à l’âge. Chez le macaque, primate proche de l’homme, elle diminue le métabolisme de repos, la température corporelle, les hormones thyroïdiennes et l’IGF-1 et améliore l’insulinorésistance et les facteurs de risque cardiovasculaire. La restriction calorique sans malnutrition réduit la mortalité liée à l’âge chez ces singes (13 % au lieu de 37 %)(1). À ce jour, la restriction calorique est le meilleur modèle expérimental pour ralentir le vieillissement chez les mammifères. La frugalité : facteur de santé chez l’homme Chez l’homme, dont l’espérance de vie n’a cessé d’augmenter au cours du XXe siècle avec un gain de 28 ans durant le siècle dernier, les bienfaits d’une restriction énergétique sur la longévité sont plus discutables. Ils sont documentés en cas de surpoids mais encore débattus chez les sujets de poids normal. Les effets d’une restriction calorique sur la longévité sont quasi impossibles à démontrer expérimentalement compte tenu de la longue durée de vie spontanée de l’homme. Par défaut, on cite le bénéfice paradoxal de la restriction imposée durant la Seconde Guerre mondiale qui a été associée à une diminution de l’incidence des maladies cardiovasculaires et à une diminution du cancer colorectal chez les survivants. Les membres d’une société de restriction calorique ayant participé à l’étude CRONIES (Calorie Restriction with Optimal Nutrition) ont présenté une amélioration du profil cardiovasculaire et une diminution des paramètres de l’inflammation(2). Les premiers résultats d’une autre étude prospective comportant une restriction énergétique de 25 %, l’étude CALERIE (Comprehensive Assessment of the LOng term effects of Reducing Intake of Energy), mettent en évidence une amélioration de la sensibilité à l’insuline avec une diminution de l’insulinémie basale et de la température corporelle, paramètres considérés comme des marqueurs de longévité. Il existe de surcroît une diminution du poids d’environ 10 % et une diminution des lésions de l’ADN liées au stress oxydatif(3). L’étude des habitudes de vie des habitants de l’archipel d’Okinawa qui se singularisent par une longévité exceptionnelle a conclu à une relation probable entre la longévité et une alimentation traditionnelle frugale hypocalorique à haute densité nutritionnelle. Ce style alimentaire est assez proche de la diète méditerranéenne et du régime de l’étude DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension)(4,5). Plus que de montrer les bénéfices de la restriction calorique sur le vieillissement, ces résultats apportent une preuve supplémentaire du rôle délétère de l’alimentation hyperénergétique de type « western » et du surpoids. Avant de faire l’apologie de la frugalité, il faut être conscient qu’elle peut exposer à un certain nombre d’effets indésirables lorsqu’elle transgresse les notions d’équilibre alimentaire : faim, troubles de l’humeur et dépression, obsessions alimentaires et orthorexie, hypersensibilité au froid, carences en micronutriments… Une hypotrophie fœtale relative observée dans la population d’Okinawa semble cependant sans effet métabolique à long terme. Comment concilier frugalité et vie moderne ? Les restrictions alimentaires réduisant les apports énergétiques de 20 % dans le respect de l’équilibre et de la diversité alimentaire sont faciles à mettre en œuvre chez les sujets en surpoids et n’exposent guère au risque de carence. Le problème tient à la mauvaise observance des prescriptions à moyen terme. La prescription diététique est souvent inadaptée car elle ne tient pas suffisamment compte du volume des portions auquel les mangeurs sont quasi viscéralement attachés. Le rassasiement passe par le remplissage gastrique davantage que par le comptage des calories. La prise en compte des deux notions essentielles que sont la densité énergétique et la densité nutritionnelle facilite l’applicabilité du concept de frugalité dans le souci de l’équilibre alimentaire. L’équilibre alimentaire La tentative de schématisation des aliments en fonction de leurs principaux nutriments a abouti aux classes alimentaires dont on retient qu’il est souhaitable de les associer dans un effort de complémentarité et de diversité alimentaire. Les recommandations comme celles du PNNS s’en sont inspirées dans un souci de simplification : 5 fruits et légumes par jour, 3 produits laitiers, un féculent au moins une fois par jour… Cette approche simpliste ne prend pas en compte la ration ou la portion des aliments. Or, chaque mangeur ingère une certaine masse relativement fixe d’aliments, en fonction d’habitudes souvent familiales, jusqu’à ce que se produise le rassasiement. Par ailleurs, un aliment ne vaut pas seulement par son apport énergétique, mais aussi par les nutriments non énergétiques qu’il contient. La densité énergétique et la densité nutritionnelles sont des paramètres qui prennent en compte cette autre dimension de l’alimentation. La densité énergétique La densité énergétique (DE) d’un aliment, d’un plat, d’un repas ou de l’alimentation globale correspond à la charge énergétique exprimée en kcal par unité de poids ou de volume. La DE dépend du contenu en nutriments et en eau. Plus le degré d’hydratation est élevé et plus la DE est faible. Une teneur élevée en fibres, qui apportent du volume et du poids sans calories, réduit également la DE. Un aliment apportant beaucoup d’énergie sous un faible volume est moins rassasiant qu’un aliment apportant la même quantité d’énergie sous un volume nettement plus grand (tableau). La DE joue un rôle dans la détermination de la ration quotidienne au moins aussi important, et peut-être davantage, que la composition en nutriments(6). Une DE élevée est un élément de surconsommation à court terme. Des données expérimentales sont en faveur d’une relation entre la DE et l’apport énergétique et, partant, du contrôle du poids. Les régimes alimentaires « volumétriques » proposant une alimentation contenant peu d’énergie sous un grand volume ont été proposés dans l’obésité avec des résultats intéressants. Cette approche revient à limiter la part des lipides, à augmenter celle des fruits et légumes et à écarter les boissons contenant de l’énergie.   La densité nutritionnelle La densité nutritionnelle (DN) correspond au rapport entre la teneur en un ou plusieurs nutriments essentiels, non énergétiques, et l’apport en énergie exprimé en mg/100 kcal. La DN peut aussi s’exprimer par rapport aux besoins journaliers recommandés. Le « Nutrition Rich Food Index » (NRF), calculé à partir d’une formule mathématique, est utilisé dans les recommandations diététiques américaines bien que son calcul ne soit pas réalisable en pratique quotidienne. Une DN élevée est habituellement associée à une faible charge glycémique(7). DE et DN ont l’avantage de distinguer les aliments au sein d’une même classe alimentaire ou les présentations différentes d’un même aliment. Ainsi, la DN d’un aliment frais conservé dans de mauvaises conditions sera moindre que le même aliment surgelé ou appertisé. DN et DE permettent d’optimiser les conseils aussi bien en prévention primaire qu’en prévention secondaire. L’objectif est de maintenir une portion rassasiante avec un apport énergétique limité du fait d’une DE faible – ce qui revient à réduire les matières grasses, le sucre ajouté et à augmenter les fruits, les légumes et les fibres – et d’assurer une DN élevée en favorisant la diversité à partir d’aliments à faible apport énergétique. La réalisation de ces objectifs répond assez bien à l’instauration d’un nouvel équilibre alimentaire intégrant la notion de frugalité. Conclusion La restriction calorique fondée sur un régime à haute densité énergétique avec une faible charge glycémique est adaptée à la prévention cardiométabolique et dépasse le cadre de la longévité dont la pertinence n’est pas criante dans l’espèce humaine. Dans notre société contemporaine, la restriction calorique sans malnutrition proche du régime méditerranéen est possible par la manipulation des données de densité. Elle doit d’abord être envisagée pour améliorer l’état de santé des sujets en surpoids(8), mais est probablement utile pour tout un chacun.  Absence de conflit d’intérêts. 

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème