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Diabète et médecine interne

Publié le 30 nov 2014Lecture 7 min

Chirurgie métabolique : faut-il opérer les diabétiques de type 2 avec un IMC < 35 kg/m2 ?

P. DARMON, Service de nutrition, maladies métaboliques et endocrinologie, CHU Sainte-Marguerite, Marseille

La plupart des recommandations internationales stipulent que les patients éligibles pour une chirurgie de l’obésité doivent avoir un IMC ≥ 40 kg/m2 ou ≥ 35 kg/m2 avec des comorbidités susceptibles d’être améliorées par la perte de poids. La vision « bariatrique » de cette chirurgie (objectif : réduction de l’excès pondéral) évolue peu à peu vers une vision plus « métabolique » (objectif : amélioration des comorbidités), ouvrant la voie à un nouveau paradigme dans le traitement du diabète de type 2. Dans cette optique, il est aujourd’hui légitime de s’interroger sur le bien-fondé de proposer une intervention à des diabétiques de type 2 présentant une obésité de grade 1 (IMC = 30-35 kg/m2), voire un simple surpoids, lorsqu’ils sont mal équilibrés malgré une observance diététique et thérapeutique satisfaisante. 

Le diabète de type 2, une maladie opérable ?  Au-delà de son efficacité spectaculaire sur le poids, la chirurgie bariatrique est un traitement remarquable du diabète de type 2 (DT2) puisqu’elle est associée à une rémission de la maladie – certes définie de manière parfois discutable – chez 55 à 95 % des patients comme l’ont montré de très nombreuses études de cohorte, une célèbre étude observationnelle prospective contrôlée, l’étude SOS (Swedish Obese Subjects), ainsi que plusieurs métaanalyses(1). Il ressort de ces travaux que : - l’amélioration du contrôle glycémique intervient de façon très précoce (surtout après chirurgie malabsorptive), bien avant l’obtention d’un amaigrissement significatif, et n’est pas prédite par l’IMC initial ; - la rémission du DT2 est d’autant plus difficile à obtenir que le sujet est âgé, le diabète ancien, l’HbA1c de départ élevée et le traitement antidiabétique complexe(1). Le bénéfice glycémique très rapidement observé est lié à la restriction alimentaire et à l’amaigrissement (baisse de l’insulinorésistance, réduction de la glucotoxicité et de la lipotoxicité) mais également à des modifications de sécrétion de certaines hormones digestives (ghréline, GLP1, PYY, oxyntomoduline, etc.) impliquées dans la régulation de la prise alimentaire et/ou dans l’homéostasie du glucose ; d’autres mécanismes pourraient intervenir, comme une augmentation de la néoglucogenèse intestinale après gastric bypass (responsable d’une diminution de la prise alimentaire et de la production hépatique de glucose), ou des modifications de la microflore intestinale(1).   Ces dernières années, quatre essais randomisés ont démontré l’impressionnante supériorité à court et moyen terme de la chirurgie bariatrique sur la prise en charge médicale de référence dans la rémission du DT2, avec un recul variant de 1 à 3 ans(2,3). En dépit du nombre limité de patients, ces études sont venues renforcer la légitimité de l’approche chirurgicale dans le traitement du DT2, avec par ordre croissant d’efficacité (et de risque opératoire) : anneau gastrique ajustable, sleeve gastrectomy, gastric bypass et diversion biliopancréatique. Il n’en reste pas moins que rémission n’est pas synonyme de guérison ; le suivi ultérieur des patients inclus dans ces études permettra de définir dans quelle mesure la rémission peut se maintenir à plus long terme – ainsi, dans SOS, 72 % des DT2 opérés étaient en rémission à 2 ans, mais seulement 36 % à 10 ans et 30 % à 15 ans. Cet échappement est plus fréquent chez les patients présentant un diabète ancien avec fonction ß-sécrétoire défaillante, et est considérablement influencé par la reprise de poids (ce qui explique une fréquence plus élevée de récidive après anneau ou sleeve gastrectomy qu’après gastric bypass). Quels résultats chez les patients diabétiques de type 2 présentant un IMC < 35 kg/m2 ? Le rapport bénéfice-risque de la chirurgie métabolique chez les patients DT2 avec IMC entre 30 et 35 kg/m2 n’est pas clairement établi. En l’absence de preuves scientifiques, la plupart des sociétés savantes internationales restent prudentes sur le sujet. Ainsi, l’ADA précise dans ses dernières recommandations : « Bien que de petits essais aient montré un bénéfice en termes de contrôle glycérique chez des patients diabétiques de type 2 avec un IMC de 30-35 kg/m2, les éléments de preuve sont encore insuffisants aujourd’hui pour recommander en général une intervention chirurgicale chez les patients avec un IMC < 35 kg/m2, hormis le cadre d’un protocole de recherche ». En France, cette position est partagée par les académies de médecine et de chirurgie. Cependant, depuis 2011, la chirurgie bariatrique est reconnue par l’IDF comme une option thérapeutique pouvant être retenue chez les patients DT2 présentant un IMC entre 30 et 35 kg/m2 à condition que le diabète reste mal équilibré (HbA1c > 7,5 %) malgré un traitement médical optimisé, en particulier lorsqu’il existe des comorbidités liées à l’obésité comme l’HTA, les dyslipidémies ou le syndrome d’apnées du sommeil(4). La position de l’IDF que l’on pourra juger prématurée, iconoclaste ou avantgardiste est basée sur l’analyse de données observationnelles illustrant l’efficacité du traitement chirurgical de l’obésité sur l’équilibre glycémique et le taux de rémission du diabète dans cette population particulière, et reprises dans différentes métaanalyses(2). Ces métaanalyses concluent toutes à l’efficacité de la chirurgie métabolique chez ces patients (baisse de plus de 5 kg/m2 de l’IMC et d’environ 2,5 % de l’HbA1c ; rémission du DT2 dans 55 à 85 % des cas) ; si les résultats pondéraux semblent un peu inférieurs à ceux observés chez les sujets avec un IMC > 35 kg/m2, le bénéfice métabolique paraît lui comparable, et les taux de décès (0,02 à 0,4 %) et de complications postopératoires (3 à 10 %) sont similaires à ceux retrouvés habituellement. La dernière et la plus vaste métaanalyse à ce jour, sur 2 258 DT2 issus de 53 études (IMC entre 28,6 et 34,6 kg/m2) et au terme d’un suivi médian de 19,7 mois, montre une réduction moyenne de 5,5 kg/m2 de l’IMC et de 2,8 % de l’HbA1c, avec un taux de rémission (défini par une HbA1c < 6,5 % sans traitement pendant au moins 1 an) de 60,1 % et une efficacité un peu inférieure de l’anneau gastrique ajustable et du duodenal jejunal bypass comparativement aux autres techniques chirurgicales(5). Cependant, les études incluses dans ces métaanalyses sont très hétérogènes (critères d’inclusion, techniques chirurgicales utilisées, définition de la rémission) et portent sur de faibles effectifs, avec une médiane de suivi assez courte. Pour autant, dans une analyse secondaire de SOS, l’impact de l’intervention a été évalué sur la population des patients qui étaient (n = 3 814) ou non (n = 233) éligibles à la chirurgie de l’obésité selon les critères traditionnels : après 10 ans de suivi, le niveau des facteurs de risque cardiovasculaire était amélioré par la chirurgie de la même façon dans les deux groupes, à l’exception d’une efficacité supérieure sur la glycémie, le rapport T/H et les ALAT dans le groupe « éligible » ; concernant l’incidence du DT2, après ajustement pour l’âge et le sexe, la réduction du risque était comparable : 67 % dans le groupe « éligible » vs 73 % dans le groupe « non éligible »(6).   Toutes ces données semblent légitimer la position de l’IDF et plaider pour l’élargissement des indications opératoires pour les patients DT2 avec un IMC < 35 kg/m2. Pour autant, il n’existe pas à ce jour d’études randomisées menées spécifiquement dans cette population. Dans les quatre essais randomisés récemment publiés, le nombre de patients présentant une obésité de grade 1 est faible (0/60 patients inclus dans l’étude de Mingrone ; 13/60 dans celle de Dixon ; 51/150 dans celle de Schauer(2,3)), à l’exception notable de l’étude d’Ikkramudin (71/120) pour laquelle on ne dispose pas encore malheureusement de l’analyse de ce sous-groupe de patients(7). Cependant, dans l’étude de Schauer, l’efficacité de la chirurgie bariatrique sur l’IMC, l’HbA1c et le sevrage en antidiabétiques est similaire chez les sujets ayant un IMC < 35 kg/m2 (n = 51) et chez ceux ayant un IMC > 35 kg/m2 (n = 99)(3). Un rapport bénéfice-risque encore mal connu La balance bénéfice-risque de la chirurgie chez ces sujets diabétiques avec obésité de grade 1 reste cependant à déterminer, en particulier pour les patients les plus fragiles ou présentant des complications du diabète. En dépit des progrès réalisés au cours de ces dernières années, la chirurgie bariatrique reste une chirurgie à risque, avec un taux de mortalité postopératoire variant entre 0,1 et 0,5 % selon l’expertise du centre, l’état général du patient et la technique utilisée (jusqu’à 1 % pour la diversion biliopancréatique) et un taux de complications périopératoires autour de 5 %(1). La chirurgie bariatrique n’est pas dénuée non plus de risques somatiques et psychologiques à moyen et long terme : dénutrition protéique, carences en micronutriments, neuropathies, déminéralisation osseuse, dumping syndrome, hypoglycémies, troubles du comportement alimentaire, suicide, etc. le tout dans une population où l’expérience nous apprend que le suivi postopératoire à long terme, pourtant essentiel, est loin d’être conforme à ce qui est recommandé. On manque cruellement d’études randomisées menées spécifiquement chez ces patients avec un suivi à long terme, versus une prise en charge basée sur des modifications intensives du style de vie et/ou versus des traitements « modernes » susceptibles de faire perdre du poids comme les agonistes du récepteur du GLP1. Seules des études de ce type, évaluant également le risque de complications, l’impact sur la qualité de vie et les conséquences socio-économiques, nous permettront d’identifier la place de la chirurgie métabolique dans la stratégie thérapeutique du DT2 chez les patients avec IMC < 35 kg/m2. Conclusion  Avant d’intégrer définitivement l’option « chirurgie métabolique » dans les algorithmes de prise en charge du DT2, et plus particulièrement chez les patients présentant une obésité de grade 1 ou un simple surpoids, il faudra garder une certaine prudence et trouver des réponses aux nombreuses questions encore en suspens : - à partir de quelle valeur d’IMC pourra-t-on considérer la chirurgie métabolique comme une option thérapeutique chez le patient DT2 ? - quelle technique chirurgicale devra-t-on privilégier ? Au vu de la meilleure compréhension des mécanismes hormonaux sous-jacents, quelle sera la place des techniques chirurgicales innovantes (prothèse endoluminale duodéno-jéjunale, interposition iléale) ? - la chirurgie métabolique devra-t-elle être envisagée précocement afin de ralentir l’évolution du DT2 (et, on l’espère, de ses complications) ou plutôt comme une solution de dernier recours ? Quoi qu’il en soit, il est évident qu’en raison de ses risques potentiels, de son retentissement médico-psychologique potentiel et de la nécessité d’un long et rigoureux suivi, les indications de la chirurgie métabolique devront toujours, au-delà des recommandations, rester suspendues à une évaluation individuelle du rapport bénéfice-risque.   L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêts en rapport avec cet article. 

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