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Nutrition

Publié le 01 juil 2015Lecture 11 min

Diabète et ramadan - Un modèle de prise en charge globale intégrant l’éducation thérapeutique

P. BÖHME, P. DANTELLE-CORBONNOIS, L. DUCHESNE, Service de diabétologie, maladies métaboliques, nutrition, CHU de Nancy

Le ramadan correspond à un mois de recueillement pendant lequel il est imposé à tout croyant musulman de jeûner du lever au coucher du soleil(1), ce qui implique des modifications importantes des comportements gouvernant le mode de vie (alimentation, activités physiques, traitements). Pour les patients diabétiques, certaines situations peuvent être source de difficultés et de déséquilibre glycémique. Tous les ans, patients et professionnels de santé se retrouvent confrontés à cette problématique pouvant conduire à des modifications thérapeutiques parfois significatives. Des recommandations internationales permettent d’orienter le médecin dans cette prise en charge mais celle-ci est, par définition, personnalisée. De même, compte tenu des différentes dimensions concernées par cette prise en charge, l’association « diabète et ramadan » relève certainement d’une démarche globale dans laquelle s’intègre pleinement le concept d’éducation thérapeutique du patient.

Il paraît ainsi essentiel d’appréhender les pratiques de soins de ces patients, tout en prenant en considération les valeurs de dimension religieuse et culturelle associées au jeûne. De même, instaurer une démarche d’accompagnement et d’éducation thérapeutique spécifique à cette situation, permet de prévenir au mieux les risques de complications métaboliques aiguës. En effet, l’étude EPIDIAR, réalisée dans 13 pays où la religion musulmane est la plus importante, révèle que 43 % des patients diabétiques de type 1 (DT1) et 79 % des patients diabétiques de type 2 (DT2) jeûnent pendant le ramadan. Pourtant, les écrits religieux dispensent les personnes atteintes de maladie dont le jeûne serait potentiellement dangereux(2). Une vigilance toute particulière de la part des professionnels de santé paraît donc nécessaire dans ce domaine. Quelques notions à connaître concernant le ramadan Les musulmans se référent au Coran qui est le livre sacré mais aussi à la Sunna et aux Hadiths (écrits relatant la vie et les paroles du Prophète). La religion musulmane se fonde sur 5 « piliers » qui décrivent des devoirs ou objectifs de vie pour chaque croyant : la profession de foi ou Chahadah, les cinq prières quotidiennes ou As Salaat, l’aumône ou Az Zakat, le pèlerinage à La Mecque ou Al-Hadj et le ramadan ou As Sawm(3). Ce dernier est le nom donné au neuvième mois du calendrier lunaire où chaque musulman pubère doit s’abstenir de boire, de manger et d’avoir des relations sexuelles du lever au coucher du soleil(1). Il permet au croyant de prendre conscience des sensations de faim et de soif que peuvent éprouver les plus pauvres et les plus démunis. Il correspond aussi à une période privilégiée pour le recueillement, le partage mais aussi la maîtrise des envies et des passions. Outre les modalités de jeûne diurne, le croyant est prié de s’abstenir de péché, d’injustice, de paroles blessantes, de mensonge, de toute calomnie ou de dispute. Ses principes sont rapportés par le Coran et les modalités pratiques sont détaillées dans les Hadiths et la Sunna (« Ô vous qui avez cru ! On vous a prescrit le jeûne comme on l’a prescrit à vos prédécesseurs. Peutêtre serez-vous pieux »)(3). À cette importance spirituelle et religieuse s’est ajoutée au fil du temps une signification sociale et communautaire (nombreuses réunions conviviales en famille, rapprochements avec ses amis, ses voisins, etc.). Tous ces aspects peuvent influencer les patients diabétiques à jeûner malgré les risques pour leur santé, aspects dont il faut tenir compte pour une prise en charge adaptée(4).   Les dates du mois de ramadan sont déterminées grâce au calendrier hégirien basé sur les cycles lunaires. Il débute dès l’apparition du premier croissant lunaire de la nouvelle lune, soit le soir du 29e jour du mois de Chahbâne (mois précédant le mois de ramadan) ou après le 30e jour du même mois si le croissant lunaire n’est pas visible. La durée totale du ramadan peut varier de 29 à 30 jours selon les pays. Par ailleurs, étant donné le décalage calendaire par rapport au calendrier solaire, le ramadan recule chaque année de 11 jours. Les dates approximatives pour les deux prochaines années sont : du 18 juin au 17 juillet 2015 et du 7 juin au 6 juillet 2016. Comment se déroule le ramadan en pratique ? Au cours du ramadan, un premier repas est pris juste avant l’aube (le Suhur). Il est souvent composé d’aliments à index glycémique élevé tels que dattes, pâtisseries, semoule, etc. La prise même de ce repas est bien entendu recommandée et doit être retardée le plus possible avant l’aube. Pendant les heures de jeûne, le croyant poursuit ses activités (professionnelles, sociales, activités de prières, etc.). À la tombée de la nuit (il existe un calendrier avec des horaires précis), le jeûne est rompu par un repas appelé « Iftar ». Bien que variable d’une région à l’autre, ce repas comporte souvent, à des degrés divers, une soupe (Chorba), des dattes, des pâtisseries, du thé et de l’eau. Viennent ensuite des prières qui peuvent durer plusieurs heures, et un autre repas (le troisième du cycle de 24 heures) qui correspond lui à un véritable dîner, plus complet (souvent composé de salade, de viande, de semoule, de féculents ou de brik par exemple). Ce repas peut, selon les traditions, les régions et les saisons, fusionner avec celui de l’Iftar. Ceci est particulièrement observé lorsque les jours sont longs et les nuits courtes, ce qui est le cas pour la décennie actuelle dans l’hémisphère Nord et donc en France métropolitaine. Bien que les repas festifs au cours de cette période spécifique soient plus nombreux, une majorité de travaux n’ont pas montré de majoration significative de la charge calorique quotidienne cumulée de l’ensemble des repas au cours du ramadan par rapport au reste de l’année(5). Enfin, les repas pris le soir sont souvent l’occasion de réunions de famille et de festivités qui peuvent durer jusque tard dans la nuit. En conséquence, le temps de sommeil est réduit, contribuant aussi à une diminution des performances physiques et intellectuelles(6).   Il existe des exemptions à la pratique du jeûne du ramadan, et notamment : les longs trajets lors de voyages, l’âge avancé, la période prépubère, la grossesse, l’allaitement ou la période menstruelle. Les préceptes religieux proposent que les jours non jeûnés soient en quelque sorte « rattrapés » avant le mois de ramadan suivant. En l’absence de rattrapage, les journées non jeûnées (pour des raisons de santé notamment) sont compensées par le versement d’une aumône (dont le montant est déterminé par les autorités religieuses) pour chaque jour de jeûne « manqué ». Certains Hadiths soulignent que les exemptions sont plus que de simples permissions et rappellent que mettre sa santé en péril est considéré comme un péché. Enfin, outre l’alimentation, plusieurs situations invalident le jeûne : les vomissements provoqués ou involontaires, l’absorption ou l’aspiration d’eau, l’acte sexuel, l’éjaculation, etc. Les patients atteints de maladie(s) aiguë(s) ou chronique(s) et qui craignent que le jeûne n’aggrave leur état de santé sont autorisés à ne pas jeûner. Cependant, le degré d’atteinte ou de morbidité autorisant à ne pas jeûner n’est pas précisé dans les textes religieux et semble être laissé à l’appréciation de chacun. Le rôle du médecin et des autres professionnels de santé prend ici toute son importance afin de conseiller au mieux le patient tout en prenant en compte les aspects médicaux, spirituels et socioculturels. En 1997 à Casablanca, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé et les institutions religieuses, la Fondation Hassan II pour la recherche scientifique et médicale sur le ramadan a élaboré des recommandations sur la compatibilité des actes médicaux avec la période de ramadan(7). Selon ces recommandations, les voies d’administration compatibles avec le jeûne du ramadan sont multiples, et notamment les injections souscutanées, mais aussi les patchs, la nitroglycérine par voie sublinguale ou encore les soins dentaires (voire la dialyse péritonéale). À l’inverse, il est précisé que seules les voies orales et intraveineuses rompent le jeûne. Pour les patients diabétiques, il faut souligner la compatibilité de la glycémie capillaire au cours du jeûne. Une période de jeûne prolongée et la carence en insuline chez les sujets diabétiques entraînent une stimulation excessive des voies métaboliques de la glycogénolyse et de la lipolyse, favorisant la production de corps cétoniques(8). Le risque d’acidocétose est moindre chez les patients DT2 et le risque d’hyperglycémie dépend surtout de l’importance de la carence et de la résistance à l’insuline(8). Les données plus anciennes de l’étude EPIDIAR montrent cependant que l’incidence des hyperglycémies est multiplié par 5 chez les patients DT2 et par 3,2 des chez les patients DT1 (hospitalisation pour hyperglycémie avec ou sans acidocétose)(2). Mais le risque hyperglycémique était en partie expliqué, d’une part, par une consommation plus riche en aliments glucidiques et, d’autre part, par une crainte de l’hypoglycémie conduisant à une diminution des posologies. Rappelons que les patients DT1 présentent un risque accru d’acidocétose durant cette période de jeûne, d’autant plus que le contrôle glycémique précédant le ramadan était mauvais. L’effet du jeûne du ramadan sur l’hyperglycémie chronique au long cours est peu documenté : soit une détérioration, soit une amélioration, soit un effet neutre du ramadan(9). Le risque hypoglycémique au cours du ramadan s’explique par les traitements à plus ou moins fort risque d’hypoglycémie. Le risque relatif d’hypoglycémie sévère est de 4,7 chez les DT1 et de 7,5 chez les DT2 d’après les données de l’étude EPIDIAR(2). Or, cette étude n’a pris en compte que les hypoglycémies nécessitant une hospitalisation. De plus, elle a été menée à une époque où les analogues rapides et lents de l’insuline n’étaient pas encore disponibles. Bien que l’incidence réelle des hypoglycémies paraisse difficile à estimer, des données observationnelles récentes françaises rapportent un faible taux d’hypoglycémie sévère chez des patients DT2 non traités par insuline(10). Enfin, le risque hypoglycémique peut varier d’une année à l’autre en fonction de la durée quotidienne de la période diurne exposant à ces incidents métaboliques. Enfin, le ramadan est logiquement une période plus propice à la déshydratation et aux thromboses. Or, les patients diabétiques présentent potentiellement un état d’hypercoagulabilité relative, ces risques sont donc plus importants aussi(11). Prise en charge Les critères interdisant le jeûne (insulinothérapie par exemple) ont été jugés trop stricts lors de la conférence de consensus de Casablanca et la tendance actuelle est plutôt de suivre les recommandations anglo-saxonnes plus récentes(12,13). La première étape consiste à évaluer le risque lié à la pratique du jeûne religieux (tableau 1). Une prise en charge personnalisée comporte une surveillance étroite de la glycémie capillaire, surtout chez les patients traités par insuline. Les conseils nutritionnels sont en fait peu spécifiques du ramadan lui-même et s’orientent vers une alimentation « raisonnable » de produits riches en lipides et en glucides lors du repas pris le soir. La consommation d’aliments riches en glucides complexes est recommandée au repas pris juste avant l’aube. *Non commercialisées en France. Les conditions pour lesquelles il est conseillé de rompre le jeûne immédiatement sont : l’hypoglycémie (glycémie < 60 mg/dl ou 70 mg/dl dans les premières heures du jeûne, surtout si le patient est traité par insuline et/ou sulfamides hypoglycémiants), l’hyperglycémie (glycémie > 300 mg/dl) ou une pathologie aiguë intercurrente.   En termes de suivi et de préparation, toutes les recommandations soulignent la nécessité d’une évaluation médicale plusieurs semaines avant le ramadan, évaluation faisant l’objet de conseils spécifiques en ce qui concerne l’alimentation, l’hydratation, les modifications thérapeutiques, la prévention et le repérage des hypoglycémies et des hyperglycémies(12,13). Ces recommandations préconisent spécifiquement des activités formalisées de prévention et de formation comme des campagnes de sensibilisation destinées aux patients diabétiques, aux professionnels de santé, aux responsables religieux et au grand public ; des programmes de formation sur le ramadan destinés aux professionnels de santé ; des programmes d’éducation thérapeutique destinés aux patients diabétiques(13). Les patients DT1 les plus à risque de complications aiguës lors du ramadan sont ceux dont le contrôle glycémique paraît insuffisant, ayant des difficultés d’accès aux soins, ne ressentant pas ou peu les hypoglycémies ou étant régulièrement hospitalisés. Pour ces patients, l’ADA recommande le schéma « basalbolus » (1 ou 2 injections d’insuline lente et 1 injection d’insuline analogue rapide avant chaque repas) ou un schéma associant 1 ou 2 injections d’insuline intermédiaire par jour associée(s) à une injection d’insuline rapide avant chaque repas. Une étude comparative réalisée chez 64 patients DT1 au cours du ramadan a montré que le schéma basal-bolus maîtrise mieux la glycémie postprandiale et est associé à moins d’événements hypoglycémiques(14). Les autres schémas insuliniques (1 ou 2 injections d’insuline intermédiaire ou d’insuline prémélangée) sont peu adaptés. Le traitement par pompe à insuline sous-cutanée est une autre option thérapeutique efficace si les conditions de sa prise en charge sont optimales (centre de référence, éducation, etc.). L’autosurveillance glycémique pluriquotidienne reste indispensable dans tous les cas. Chez les patients DT2, les thérapeutiques insulinosensibilisantes ne sont pas associées à un risque majeur d’hypoglycémie, même si la réduction transitoire de la posologie peut avoir un bénéfice en termes de tolérance globale, en particulier pour les patients âgés. Il paraît souhaitable que la dose de metformine soit répartie selon les deux tiers de la dose au moment de l’Iftar et un tiers au Suhur. En ce qui concerne les insulinosécréteurs, quelques études révèlent le moindre risque hypoglycémique du répaglinide par rapport aux sulfamides(15). Les sulfamides à prise unique méritent aussi une réduction de doses et une prise le soir après la rupture du jeûne(16). Enfin, plusieurs travaux, dont une étude française, ont montré l’intérêt des gliptines en révélant une moindre incidence d’événements hypoglycémiques au cours du ramadan(10,17). Des propositions d’adaptation thérapeutique inspirées des recommandations de l’ADA et de récentes publications sont proposées dans le tableau 2. *Non commercialisées en France. Intérêts de l’éducation thérapeutique La relation soignant-soigné est au coeur de la relation de soin et d’éducation thérapeutique et est visiblement importante pour les patients diabétiques au cours du ramadan(4). Les professionnels de santé informent naturellement leurs patients sur les risques du jeûne et font des propositions variées et plutôt orientées vers le renoncement(18). L’intérêt d’une éducation thérapeutique structurée est ainsi souligné par les sociétés savantes(19). Par exemple, le programme conçu par une équipe anglaise comporte des séances délivrées en 4 langues différentes (l’anglais, le somalien, l’arabe et l’ourdou) et aborde des thèmes variés et complémentaires (comportement alimentaire, activité physique, autosurveillance glycémique, gestion des traitements et de l’hypoglycémie). Les séances collectives sont le plus souvent co-animées par un diététicien spécialisé et un diabétologue. En France, de plus en plus d’équipes hospitalières ou territoriales proposent des parcours éducatifs centrés sur cette thématique, mais qui ouvrent à d’autres dimensions facilitant la prise en charge globale des patients diabétiques. Conclusion De nombreux patients diabétiques semblent jeûner pendant ce neuvième mois du calendrier lunaire, malgré l’exemption coranique. Les principaux risques tels l’hypoglycémie et l’hyperglycémie transitoire sont variables et dépendent du type de diabète et des traitements hypoglycémiants en place. Les difficultés rencontrées sont souvent celles rencontrées plus globalement en éducation thérapeutique. Les croyances et les représentations des patients, mais aussi celles des soignants, jouent un rôle considérable et méritent d’être prises en compte et travaillées. Des recommandations existent et préconisent une anticipation de cette période particulière et une adaptation concertée de la thérapeutique, tout en soulignant la place incontournable de l’éducation thérapeutique. 

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