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Nutrition

Publié le 14 fév 2016Lecture 12 min

Intolérance et allergie au gluten : où en est-on ? À qui doit-on proposer un régime sans gluten ?

P. DUCROTTÉ, C. MELCHIOR, Service d’hépato-gastroentérologie, UMR 1073, CHU Charles Nicolle, Rouen


Le gluten est un mélange de protéines combinées avec de l’amidon dans l’endosperme de la plupart des céréales, telles que le blé, le seigle, l’orge ou le maïs. Il constitue environ 80 % des protéines contenues dans le blé. Le gluten est responsable de l’élasticité de la pâte malaxée et permet aux produits à base de céréales cuits au four d’être masticables. Ses propriétés visco-élastiques aident aussi la pâte à gonfler avec la levure.
Éliminer toute trace de gluten de son alimentation est une nécessité pour certains, mais un choix délibéré, souvent sans fondement, pour d’autres.

Entre les véritables intolérants et les accros aux régimes en quête d’une nouvelle solution miracle pour perdre du poids, accroître leur énergie ou améliorer leur confort digestif, le régime sans gluten rencontre de plus en plus d’adeptes. Cet engouement est favorisé par les déclarations de stars du showbusiness ou de sportifs de renom qui vantent les vertus d’un tel régime, et par les magazines, notamment féminins, qui relaient ces avis en publiant régulièrement des recettes culinaires sans gluten. Dans des pays tels que les États-Unis, le phénomène est de grande ampleur. On estime actuellement qu’environ 25 à 30 % des Américains ont adopté un tel régime ou sont tentés par lui, engendrant un marché pour les produits sans gluten de l’ordre de 6 à 7 milliards de dollars ! Il importe donc de combattre beaucoup de fausses idées pour éviter un régime inutile qui peut avoir des conséquences délétères. Inversement, il est nécessaire d’insister sur le fait que dorénavant la maladie cœliaque et l’allergie au blé ne résument plus les situations où un régime dépourvu en gluten peut être bénéfique.   Trois différentes situations existent, au cours desquelles le gluten doit être exclu (figure 1) : Figure 1. Les différentes situations au cours desquelles le gluten déclenche des symptômes. La première situation est l’allergie IgE-médiée au blé qui est une situation rare puisqu’elle affecte environ 0,4 % de la population générale(1). Si le blé est l’un des 6 aliments impliqués dans 90 % des allergies alimentaires, cette allergie est moins fréquente que celles à l’œuf, au lait de vache, à l’arachide ou au poisson. Elle semble cependant en augmentation et le blé est mis en cause dans 5 % des cas d’anaphylaxies sévères répertoriés entre 2000 et 2005 par l’allergo-vigilance. La deuxième situation est la maladie cœliaque qui est une intolérance vraie au gluten. Cette intolérance se traduit par la destruction de l’épithélium grêlique sous l’effet d’une réaction inflammatoire et auto-immune, provoquée par la gliadine. La maladie affecte environ 1 % de la population générale mais tous les experts s’accordent à reconnaître que sa prévalence est certainement sousévaluée compte tenu de l’existence de formes frustes, méconnues et que la prévalence exacte de la maladie cœliaque est plus proche de 2 à 4 %. La troisième situation est d’identification plus récente. Il s’agit d’une authentique intolérance au gluten en dehors de toute maladie cœliaque, appelée non celiac gluten sensitivity ou NCGS par les Anglo-Saxons qui ont été les premiers à la décrire. L’affection concerne environ 5 % de la population générale. Elle se traduit par la survenue récurrente, lors de la consommation de certaines farines, de symptômes intestinaux (ballonnement, diarrhée, douleurs abdominales) qui composent un tableau clinique très proche de celui du syndrome de l’intestin irritable (SII). Les symptômes disparaissent lorsque le régime est dépourvu ou très appauvri en farines. Ainsi, environ 7 % des sujets dans la population générale française sont des candidats à un régime sans gluten. Nous sommes donc très loin des chiffres nordaméricains. L’allergie au blé IgE-médiée(1) L’allergie IgE-médiée au blé est une réaction aux parties protéiques du blé, les albumines, les globulines, les gliadines et les gluténines. L’allergie aux gliadines ou aux gluténines, protéines regroupées sous le terme « gluten », est une allergie alimentaire (nécessité d’ingestion) alors que celle liée aux albumines et aux globulines est respiratoire avec des accidents allergiques déclenchés par l’inhalation de farine de blé. L’allergie alimentaire peut affecter tous ceux qui consomment des produits contenant du blé alors que l’allergie respiratoire est surtout observée chez les boulangers. Les symptômes digestifs se déclarent le plus souvent peu de temps après ingestion. Ils sont dominés par les nausées et les vomissements. Une diarrhée est possible. L’allergie est suspectée lorsque les symptômes digestifs sont associés à des symptômes extradigestifs évocateurs, notamment buccaux ou respiratoires (figure 2). Un état rare et mal compris est l’anaphylaxie alimentaire d’effort, causée par l’exercice après la consommation d’un allergène. Cette anaphylaxie est fréquemment provoquée par la consommation de blé, bien que des observations indiquent que d’autres aliments comme certains fruits ou des crustacés puissent être impliqués. Les personnes atteintes développent une réaction anaphylactique lorsqu’elles pratiquent des activités physiques peu de temps après avoir consommé un allergène alimentaire particulier. Cependant, si elles repoussent leur séance d’exercice de plusieurs heures, la consommation des aliments peut se faire sans problème. Le mécanisme évoqué est une augmentation de la perméabilité intestinale lors de l’effort qui facilite le passage de certains antigènes alimentaires vers les cellules immunocompétentes qui réagissent. Le diagnostic d’allergie est basé sur la positivité des prick-tests et le dosage des IgE spécifiques à la farine de blé. Figure 2. Symptômes orientant vers un phénomène d’allergie digestive lors de la consommation d’aliments. L’intolérance au gluten : la maladie cœliaque(2) La maladie cœliaque est une entéropathie inflammatoire chronique auto-immune provoquée par un antigène alimentaire, la gliadine du gluten, l’une des fractions protéiques de la farine de blé, de seigle ou d’orge. Le processus d’auto-immunité à l’origine de la maladie cœliaque est très particulier et l’antigène responsable, la gliadine, bien identifié (figure 3). La gliadine (et les prolamines apparentées) contient des fractions peptidiques de 20 à 30 acides aminés ayant soit un effet toxique sur l’épithélium intestinal via le recrutement des lymphocytes intraépithéliaux, soit un effet immunogène au niveau des lymphocytes T du chorion. Ces deux mécanismes coopèrent pour induire des lésions épithéliales et inflammatoires. Les peptides du gluten ne sont pas naturellement immunogènes mais le deviennent après attaque enzymatique par la transglutaminase entérocytaire, qui transforme les résidus glutamine en acide glutamique. Le complexe associant peptides du gluten et transglutaminase intracytoplasmique est reconnu par les cellules présentatrices d’antigène chez les patients porteurs d’un phénotype HLA DQ2 ou DQ8. Ce complexe stimule de façon répétitive les lymphocytes T CD4+ du chorion. L’immunisation ainsi obtenue persiste toute la vie. Il faut souligner qu’être porteur du phénotype HLA DQ2 ou DQ8 (présent chez un quart de la population générale) est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour développer une maladie cœliaque. Les raisons pour lesquelles seulement peu de sujets HLA DQ2 ou DQ8 développent la maladie sont, d’une part, génétiques, d’autre part, environnementales. On a ainsi démontré que de multiples autres gènes étaient impliqués, notamment des gènes associés à la production de protéines intervenant dans le contrôle de la perméabilité intestinale et des gènes associés ou non au développement de diabète de type 1. Des facteurs d’environnement, comme les viroses intestinales ou le tabagisme, interviennent en altérant la perméabilité intestinale et en déclenchant le processus immunitaire. Figure 3. Mécanismes physiopathologiques dans la maladie cœliaque. Les résidus glutamines de la gliadine ingérée sont convertis en glutamates sous l’effet de la transglutaminase tissulaire. Chez des individus génétiquement prédisposés (HLA DQ2/DQ8), cette gliadine modifiée active les lymphocytes T CD4+ qui produisent de l’interféron γ (IFNγ) et de l’interleukine 21 (IL-21). IFNγ et IL-21 induisent la production d’IL-15 qui active les lymphocytes intraépithéliaux (LIE). Les LIE activés détruisent les cellules épithéliales provoquant une atrophie villositaire. La présentation clinique de la maladie cœliaque est très variable, allant d’une forme asymptomatique à un tableau de malnutrition sévère. Les manifestations classiques de la maladie cœliaque sont un inconfort abdominal, une diarrhée chronique faite de selles grisâtres, graisseuses, non supprimées par les ralentisseurs du transit, en association avec des douleurs osseuses traduisant une ostéomalacie, une pâleur et une fatigue traduisant une anémie souvent mixte par carence à la fois en fer et en folates. Fréquemment, la maladie cœliaque s’exprime par un ballonnement et un inconfort abdominal qui simulent un trouble fonctionnel intestinal (notamment un syndrome de l’intestin irritable ou SII) ou par une anémie isolée. Le diagnostic de la maladie cœliaque est posé grâce à la combinaison d’arguments cliniques, biologiques et des biopsies endoscopiques de l’intestin grêle proximal. En cas de signes cliniques faisant suspecter cette maladie, la recherche des anticorps produits au cours de la maladie est indiquée. La recherche d’anticorps anti-transglutaminase de classe IgA est recommandée, éventuellement associée à celle d’anticorps anti-endomysium. Celle d’anticorps anti-gliadine est abandonnée. Les biopsies de l’intestin grêle recherchent les signes essentiels de la mala - die qui vont d’une infiltration muqueuse par des lymphocytes intraépithéliaux (LIE) (plus de 25 LIE pour 100 entérocytes) à une atrophie villositaire complète. Le traitement de la maladie cœliaque repose sur un régime sans gluten, à vie. L’appréciation du suivi de l’observance du régime sans gluten repose sur l’évolution des signes cliniques, des tests sérologiques et sur des critères histologiques. Le diagnostic définitif de la maladie cœliaque est confirmé après régression de l’atrophie villositaire intestinale et/ou la disparition des symptômes cliniques, à la suite d’un régime sans gluten. L’intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque (non celiac gluten sensitivity)(3,4) Une réalité La réalité de cette intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque a été récemment démontrée. Cette intolérance se traduit par la survenue, lors d’épreuves de réintroduction de farine de blé ou de gluten en double aveugle, de symptômes digestifs survenant en l’absence de maladie cœliaque et d’allergie au blé après une résolution initiale des symptômes faisant suite à l’éviction du gluten. L’étude pivot montrant cette intolérance fut celle de Biesiekierski en 2010(5). Cette étude a concerné 34 patients âgés de 29 à 59 ans, avant tout des femmes, qui avaient été sélectionnés sur l’amélioration franche de leur confort digestif par un régime sans gluten strict. Chez tous ces malades, une maladie cœliaque avait été formellement écartée. Un peu plus de la moitié d’entre eux étaient HLA DQ2/DQ8. Tous participèrent à une épreuve de réintroduction du gluten en double aveugle qui démontra que la récidive des symptômes était beaucoup plus fréquente (68 % vs 40 % ; p < 0,001) en cas de réintroduction effective du gluten alors que n’existait toujours aucun stigmate de maladie cœliaque en cas de réapparition des symptômes. Quelques séries sont venues confirmer cette intolérance vraie en dehors de la maladie cœliaque. Une large enquête italienne a révélé que la prévalence de l’affection est de l’ordre de 5 %, qu’elle est plus fréquente chez la femme (sex-ratio 5/1), que le tableau clinique associe des symptômes digestifs (figure 4) à des symptômes extradigestifs (figure 5), que les symptômes apparaissent entre quelques heures et un jour après l’ingestion du gluten(6). Entre 5 et 25 % des malades ont un antécédent familial de maladie cœliaque. Aucune corrélation n’a été observée avec le génotype HLA DQ2/DQ8 qui est retrouvé chez environ 50 % des malades, prévalence comparable à celle calculée dans la population générale. Lorsque des biopsies duodénales sont réalisées, l’histologie est normale ou montre seulement un infiltrat lymphocytaire discret. Le diagnostic demeure difficile en l’absence de biomarqueur. Le consensus d’experts de Salerno en 2014 a recommandé un certain nombre de critères pour le diagnostic : - maladie cœliaque formellement exclue ; - réponse symptomatique à un régime sans gluten strict (réduction d’au moins un des 3 principaux symptômes du malade > 30 % sur un score de quantification symptomatique) ; - confirmation de l’effet délétère du gluten lors d’une épreuve de 3 semaines de réintroduction en double aveugle de 8 g de gluten/jour, contre placebo comportant au milieu une période de « wash-out » d’une semaine(7). Si ces critères furent consensuels parmi les experts, leur utilité et leur faisabilité en pratique clinique courante (notamment l’épreuve de réintroduction en aveugle) restent à démontrer. Figure 4. Fréquence des symptômes digestifs au cours de l’intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque(6).   Figure 5. Fréquence des symptômes extradigestifs au cours de l’intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque(6). Quelle physiopathologie ? Les facteurs sous-tendant cette intolérance au gluten demeurent très incomplètement appréhendés. Ils associent une augmentation de la perméabilité intestinale qui a pu être visualisée par des images de microscopie confocale, une stimulation des macrophages de la lamina propria entraînant la production de cytokines pro-inflammatoires et une activation des basophiles. L’augmentation de la perméabilité de l’intestin grêle, après ingestion de gluten est particulièrement nette chez les patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable diarrhéique et porteurs d’un génotype HLA DQ2/DQ8. Cette altération de la perméabilité intestinale est associée à une production d’IL-10 et de TNFα(3,4). Une entité distincte du syndrome de l’intestin irritable (SII) ? Il s’agit d’une question importante et non encore résolue car cette intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque regroupe beaucoup des symptômes de SII. Elle a été observée avant tout chez les malades décrivant un SII, essentiellement diarrhéique (SII-D). La mauvaise tolérance aux farines est-elle le reflet des anomalies de plus en plus nombreuses qui ont été trouvées chez les malades souffrant d’un SII : dysbiose, altérations de l’expression des récepteurs TLRs sur les entérocytes, troubles de la perméabilité, activation des cellules immunitaires, etc. ? Les malades sont-ils considérés à tort comme souffrant d’un SII alors qu’ils sont en fait atteints d’une intolérance au gluten sans maladie cœliaque ? Réelle intolérance au gluten ou plutôt mauvaise tolérance à certains sucres, les FODMAP ? La composition des céréales et les farines n’est pas exclusivement de nature protéique. Elles contiennent également une importante fraction glucidique. Or, certains de ces hydrates de carbone, faiblement absorbés dans le grêle, peuvent provoquer un inconfort digestif. En restant dans la lumière intestinale, ils provoquent par effet osmotique un afflux endoluminal d’eau, d’abord grêlique puis colique. Dans le côlon, la fermentation de ces hydrates de carbone par les bactéries coliques produit des acides gras à chaînes courtes mais aussi des gaz, hydrogène et/ou méthane. Ces effets peuvent être majorés par l’existence d’une dysbiose ou d’une pullulation bactérienne endoluminale grêlique. Fermentation et effet osmotique provoquent de façon dose-dépendante une distension endoluminale à l’origine de douleurs abdominales, de flatulences, d’une sensation de ballonnement abdominal et/ou d’une diarrhée, surtout lorsque le malade souffre d’une hypersensibilité viscérale (environ 50 % des malades avec SII). Ces hydrates de carbones à chaînes courtes ont été regroupés sous l’acronyme FODMAP (Fermentable, Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols) et comprennent le fructose, le lactose, les fructo-oligosaccharides, les fructanes ainsi que certains sucres-alcools présents notamment dans les confiseries comme le sorbitol (tableau). Les fructanes sont particulièrement abondants dans les farines. Ils pourraient être responsables de l’effet symptomatique délétère de la consommation de farines que les malades attribuent au gluten. Les résultats d’une récente étude australienne vont dans ce sens(8). Cet essai, particulièrement rigoureux sur le plan méthodologique du fait d’un contrôle très strict des ingestats pendant toute l’étude, a révélé que les malades qui rapportent une intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque pourraient ne pas décrire une mauvaise tolérance au gluten. Cet essai impliquant des malades souffrant d’un SII a comporté une première phase durant laquelle les malades étaient soumis à un régime appauvri en FODMAP. Ce régime a permis d’obtenir une amélioration symptomatique initiale franche. Dans un second temps, l’effet symptomatique d’une réintroduction en double aveugle de 2 g ou 16 g de gluten a été évalué par comparaison à celui obtenu après réintroduction d’un placebo. L’apport de gluten, quelle que soit la dose, n’a pas davantage aggravé l’inconfort digestif que le placebo, apportant donc des arguments contre un rôle nocif du gluten. L’interprétation des résultats de cet essai a été cependant rendue délicate par l’importance de l’effet nocebo observé dans les divers groupes, notamment avec le placebo.  Conclusion Une petite fraction d’individus tolère mal le gluten. Chez eux, un régime d’exclusion (allergie au blé, maladie cœliaque) ou une réduction de l’apport en gluten (intolérance au gluten en dehors de la maladie cœliaque) sont indiqués. Ces patients correspondent à moins de 10 % de la population générale. Dans les autres cas, aucune preuve scientifique ne vient justifier le régime sans gluten que s’imposent les patients. 

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