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Diagnostic

Publié le 14 fév 2016Lecture 7 min

Comment dépister la « fragilité » du patient diabétique âgé

I. BOURDEL-MARCHASSON, CHU de Bordeaux, Pôle de gérontologie clinique


La fragilité associée au vieillissement a été définie en 2011 par la SFGG (Société française de gériatrie et gérontologie) ainsi : « La fragilité est un syndrome clinique. Il reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’événements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. »

Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. Cependant la recherche d’un consensus international sur une définition opérationnelle de la fragilité partagée par tous, des sciences médicales aux sciences humaines, s’est avérée un échec, les symptômes composants du syndrome de fragilité n’étant pas partagés par les différents domaines. Le terme de fragilité peut porter à confusion car il est une piètre traduction du mot « frailty » anglo-saxon. En effet, la traduction exacte serait « l’état d’être frêle » ou la « faiblesse » plutôt que « fragilité » qui évoque le risque de se casser pour un objet. Un autre terme est préféré par les sciences humaines, c’est celui de vulnérabilité. Cette discussion sémantique complique la communication. Les composantes du « syndrome de fragilité » Ces composantes sont définies comme prédisant des événements graves dans les années qui suivent l’évaluation. Il s’agit donc de définitions épidémiologiques. Les événements graves considérés sont habituellement les hospitalisations, l’entrée en institution, la perte d’indépendance fonctionnelle et le décès. Les chutes, les accidents iatrogéniques et l’apparition d’une démence sont également considérés comme des événements graves secondaires à un état de fragilité. Les modèles de prédiction ont été réalisés sur de très importantes cohortes de personnes de plus de 65 ans nord-américaines : la Canadian Study of Health and Aging pour les échelles de Rockwood et la Cardiovascular Health Study pour les critères de Fried. Le phénotype de Fried (tableau 1)   D’après Fried LP et al. Frailty in older adults: evidence for a phenotype. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2001 ; 56 : M146-56. Parmi les très nombreux paramètres évalués, 5 critères sont retenus pour prédire les événements graves : la perte de poids, l’épuisement, l’activité physique, la vitesse de marche sur environ 4 m et la force de préhension au bras dominant. Une personne est fragile si elle remplit 3 critères, préfragile si elle en remplit 1 ou 2. On peut être surpris par l’absence de critères cognitifs mais ceux-ci sont le plus souvent associés à une vitesse de marche lente, une perte de poids, ou à une diminution de l’activité physique. La détermination complexe de ces critères en fait un instrument inutilisable en pratique clinique. L’index de fragilité de Rockwood La démarche est différente car basée sur la notion d’accumulation des déficits comme facteurs prédictifs d’événements graves mais aussi de vieillissement prématuré. Les critères sont très nombreux, incluant les comorbidités, les limitations d’activité liées à des troubles moteurs, sensoriels ou à la douleur, la santé subjective et le changement d’état de santé par rapport à l’année précédente. Le calcul de cet index est encore plus difficile à faire en pratique clinique que celui du phénotype selon Fried. L’échelle clinique de fragilité en 7 états de Rockwood Une évaluation subjective de l’état de santé en 7 états a été proposée et s’est montrée performante dans la prédiction du risque d’événements graves (tableau 2). On note que la présence d’un diabète place le patient au stade 3, même s’il semble en forme. Cette échelle est plus utilisable en pratique mais elle est peu sensible aux changements. Or, l’évaluation de la fragilité est proposée pour mettre en place des mesures correctives ou préventives d’une dégradation ultérieure. D’après Rockwood K et al. CMAJ 2005 ; 173 : 489-95. La notion d’état réversible Dans la définition de la fragilité proposée par la SFGG figure la possibilité de modifier le risque d’apparition d’événements graves ou même un retour vers un état de santé plus favorable. Cependant nous manquons encore de preuves d’efficacité des actions visant à réduire les risques de ces personnes fragiles. Il est possible de ralentir les processus de perte d’indépendance grâce à l’activité physique à condition qu’elle soit faite avec une intensité au moins modérée chez des personnes fragiles ou même déjà dépendantes (état 5 ou 6 de la classification de Rockwood). La démarche d’évaluation gérontologique standardisée a montré chez des patients fragiles et non dépendants (états 4 et 5) un ralentissement de l’apparition de la dépendance. Cette démarche suppose d’évaluer 4 domaines : polypathologie, santé mentale, état fonctionnel, situation sociale, puis de proposer des actions d’amélioration selon les domaines, dont une révision thérapeutique globale. Cette possibilité d’intervention explique l’engouement actuel des acteurs de la santé pour ce syndrome de fragilité et la mise en place de politique de screening en population générale. Les échelles de repérage en population Les critères de fragilité issus de l’épidémiologie n’étant pas utilisables en pratique clinique, des outils ont été développés pour repérer ces personnes âgées fragiles. Celles-ci sont encore fonctionnellement peu dépendantes et peuvent apparaître comme ayant un vieillissement usuel pour leur médecin et leur entourage. Ces outils sont extrêmement nombreux et rarement validés. Le Gérontopôle Frailty Screening Tool (GFST) est actuellement  retenu par la HAS comme outil de repérage de la fragilité chez les personnes sans perte fonctionnelle pour les activités élémentaires de la vie quotidienne. Il semble, selon les premiers travaux effectués, identifier correctement les personnes préfragiles ou fragiles (tableau 3). Une échelle d’autoévaluation est également proposée (FIND, tableau 4) et est en cours d’évaluation. Ces échelles n’ont été comparées pour validation qu’aux critères de Fried. Une fois le patient repéré, une évaluation gérontologique standardisée est recommandée. Cependant ces échelles de repérage de la fragilité comme le phénotype de Fried ne donnent pas d’indication sur les possibilités de réversibilité de la fragilité. D’après Vellas B et al. J Nutr Health Aging 2013 ; 17 : 629-31. D’après Cesari M et al. PLoS One 2014 ; 9 : e101745. La fragilité et le traitement du diabète Évaluer la fragilité permet aussi de déterminer des objectifs de traitement dans le but d’une action efficace sur la qualité de vie et pour agir sur les trajectoires d’autonomie. La HAS recommande un seuil inférieur à 7 % pour les patients diabétiques robustes, 8 % pour les fragiles et 9 % pour les dépendants. On ne parle pas de préfragiles dans ces recommandations mais ils sont a priori à traiter comme des patients robustes. En pratique, il n’est pas si aisé de déterminer si une personne est fragile, du moins pas uniquement grâce aux échelles de repérage de la fragilité. L’échelle clinique de la fragilité de Rockwood est plus adaptée, les robustes appartiennent à la catégorie 3, les fragiles aux catégories 4 et 5 et les dépendants aux catégories 6 et 7. Cependant le choix des objectifs du traitement du diabète peut être modulé par l’existence ou non de complications pour la catégorie 4. La fragilité s’accompagne fréquemment de troubles cognitifs non démentiels, de troubles des fonctions exécutives plus particulièrement, qui ont un fort retentissement sur la capacité des personnes à prendre en charge leur diabète. En effet, sous le terme « fonctions exécutives » sont rassemblés stratégie, planification, maintien de l’attention, flexibilité mentale, attention et abstraction. Spécifiquement, les patients âgés diabétiques fragiles ont une vitesse de traitement mental ralentie accompagnant une vitesse de marche également ralentie. Les conséquences de ces troubles sont donc un besoin d’éducation thérapeutique adaptée sans oublier l’éducation des aidants, et des objectifs de sécurité vis-à-vis d’un risque accru d’hypoglycémies sous traitement. Les Canadiens proposent la réalisation d’un test de l’horloge (figure 1) pour explorer les capacités des patients âgés diabétiques à gérer leur diabète. Il s’agit d’un test global mais ayant le défaut de ne pas explorer la vitesse de traitement mental. La capacité à être autonome pour gérer son insuline peut, elle, être évaluée par le test de comptage d’argent (figure 2). Ce test explore les fonctions exécutives, la rapidité, mais aussi l’habileté manuelle et la vision. Figure 1. Le test de l’horloge. Proposé pour évaluer les capacités des patients diabétiques à gérer leur diabète. D’après Trimble LA. Canadian J Diabetes 2005 ; 29 : 102.   Figure 2. Le test de comptage d’argent chronométré. On présente au patient un 1 billet de 5 euros, 1 pièce de 2 euros, 2 pièces de 1 euros, 1 pièce de 50 cents et 3 pièces de 10 cents. On demande au patient de compter le plus vite possible la somme et on chronomètre le temps passé. Si le temps < 46 s, le patient est considéré comme capable de faire ses injections d’insuline de manière autonome et correctement après éducation. D’après Zeyfang A. J Am Med Dir Assoc 2012 ; 13 : 81. La fragilité : une complication du diabète ? Le diabète est une pathologie source de handicap, l’altération de la qualité de vie portant surtout sur le domaine physique mais aussi sur le domaine mental. Le ralentissement de la vitesse de marche peut être la conséquence des complications macroet microvasculaires du diabète ; la part de responsabilité de la neuropathie sensitivo-motrice semble particulièrement importante. L’altération des fonctions exécutives est aussi une conséquence de la pathologie vasculaire cérébrale, plus fréquente chez le patient diabétique. La situation sociale des patients diabétiques est aussi moins favorable que celle des autres personnes de même âge (éducation, revenus) et ceci contribue également à augmenter leur fragilité. Conclusion  Le concept de fragilité apparaît particulièrement utile dans le suivi des patients âgés diabétiques. Évaluer l’état de santé, robuste, fragile ou dépendant, permet d’adapter la prise en charge du diabète et de la santé globale du patient. Il reste à évaluer l’efficacité de cette évaluation et des actions qui en découlent sur les trajectoires de qualité de vie des patients. 

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