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Diabète et médecine interne

Publié le 15 fév 2018Lecture 10 min

La dépression, une comorbidité du diabète à ne pas méconnaître

Jean-Louis SCHLIENGER, Professeur hononaire, Faculté de médecine, Strasbourg

Le diabète semble associé de façon non fortuite à des troubles psychologiques de la série dépressive. De nombreuses études observationnelles ont rapporté un tel lien sans pouvoir affirmer l’existence d’une relation de causalité entre ces deux affections qui sont toutes deux particulièrement fréquentes, la dépression et le diabète émargeant respectivement au 4e et au 9e rang des causes les plus importantes de perturbations en nombre d’années de vie corrigées du facteur invalidité (DALYS). Au cours du diabète, la dépression (et les états apparentés) est-elle une association fortuite, une comorbidité ou une complication ? La survenue d’un état dépressif a-t-elle des répercussions sur l’équilibre métabolique et l’incidence des complications et modifie-t-elle la prise en charge thérapeutique ? Autant d’interrogations faisant sens en pratique, auxquelles de nombreuses publications récentes tentent de répondre.

Les données épidémiologiques en faveur d’une relation bidirectionnelle Les données d’association entre diabète et syndrome dépressif sont nombreuses et parfois contradictoires, d’autant plus que le terme de dépression utilisé par commodité ne correspond pas toujours aux définitions du DSM IV et du DSM V, et regroupe des troubles divers de l’humeur et de l’anxiété. Néanmoins plusieurs métaanalyses et revues systématiques ont confirmé la réalité d’une telle relation. Diabète et dépression incidente Plusieurs études de population ont conclu à l’augmentation à la fois de l’incidence et de la prévalence des syndromes dépressifs chez les sujets diabétiques, comparativement aux sujets non diabétiques. Les conclusions sont variables selon les techniques d’exploration et le type de population. Un syndrome dépressif est deux fois plus fréquent chez les sujets nouvellement diagnostiqués comme diabétiques par rapport aux sujets non diabétiques et est présent chez environ 20 % des sujets diabétiques. À titre indicatif, une métaanalyse menée à partir d’études prospectives a estimé le risque relatif de dépression en cas de diabète à 1,24 (IC : 1,09-1,40)(1). Il semble que le risque soit comparable dans le DT1 et le DT2 insuliné. Les différences de prévalence et d’incidence de la dépression au cours du diabète tiennent pour une bonne part aux techniques d’identification et de caractérisation de la dépression. L’association semble plus fréquente chez les femmes et les personnes âgées mais ne paraît guère modifiée par les interventions thérapeutiques sur l’IMC ou sur l’équilibre glycémique. Les conséquences d’une telle association sont importantes en termes de retentissement sur la prise en charge de ces patients puisqu’elle prédispose à une moindre adhésion au traitement antidiabétique et aux modifications favorables du mode de vie préconisé(2). Dépression et diabète incident La dépression est volontiers associée à diverses anomalies physiologiques en rapport avec un mode de vie peu satisfaisant. Les patients dépressifs sont habituellement moins concernés par les mesures hygiénodiététiques visant à limiter les risques cardio-métaboliques. La dépression n’a pas d’impact sur l’incidence du DT1 alors que plusieurs métaanalyses établissent une association significative entre dépression et DT2. Les patients dépressifs ont près de deux fois plus de risque de devenir diabétiques. Dans une métaanalyse robuste ayant inclus 33 études regroupant 2,4 millions de sujets présentant des éléments évocateurs de dépression, le risque relatif global de survenue d’un diabète était significativement augmenté : RR = 1,41 (IC : 1,25- 1,59)(3). Au terme de 5 ans d’une étude longitudinale, le risque de DT2 était augmenté de 65 % chez les patients présentant diverses formes de dépression, notamment chez les personnes âgées (4). La réalité d’une comorbidité entre diabète et dépression apparaît avéré avec une probabilité différente selon qu’on s’adresse à une population de sujets dépressifs ou de sujets diabétiques. L’association, qu’il s’agisse d’incidence ou de prévalence, est plus solide lorsque la dépression est l’affection initiale et le diabète l’affection associée. Dans une métaanalyse explorant cette association bidirectionnelle, les sujets dépressifs ont un RR de diabète de 1,60 (IC : 1,37-1,88) alors que les sujets diabétiques ont un RR de dépression de 1,15 (IC : 1,02-1,30)(5). La mise en évidence d’une relation bidirectionnelle suggère l’existence de mécanismes physiopathologiques communs ou intriqués. Aspects physiopathologiques Les mécanismes spécifiques susceptibles d’expliquer l’association d’un diabète et d’un syndrome dépressif sont encore spéculatifs. L’hypothèse d’une étiologie commune s’appuie sur d’éventuels facteurs de susceptibilité génétiques ou environnementaux partagés (figure 1). En l’état, il n’existe pas d’argument en faveur de traits génétiques communs entre le diabète et le syndrome dépressif et ses équivalents. L’exploration d’une corrélation génétique entre diabète et dépression dans une étude de paires de jumeaux (1 200 jumeaux d’âge moyen dont 50 % étaient homozygotes) ne s’est pas avérée concluante(6). Plusieurs facteurs environnementaux péjoratifs liés à une hygiène de vie médiocre — sédentarité, alimentation déséquilibrée et/ou sommeil insuffisant —, à un statut socio-économique difficile et diverses conditions socio-psychologiques incluant les répercussions à long terme d’une exposition au stress pendant la vie intra-utérine (épigénétique) et durant les premiers mois et années de vie sont des facteurs de risque communs au diabète et aux syndromes dépressifs. Ces facteurs environnementaux ont en commun de menacer l’homéostasie du système de stress de l’organisme. Figure 1. Existence d’une relation bidirectionnelle entre diabète de type 2 et dépression par l’intermédiaire de mécanismes communs et/ ou des répercussions d’une affection sur l’autre. L’hypothèse du stress chronique L’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien par un stress chronique favorise l’installation d’une obésité abdominale et d’une insulinorésistance en raison de l’élévation des taux de cortisol. Par ailleurs, la stimulation du système nerveux sympathique libère des hormones catécholergiques qui interagissent avec les métabolismes oxydatifs et s’opposent à l’action de l’insuline. Dans un contexte chronique, ces hormones de stress peuvent être à l’origine d’une intolérance au glucose et éventuellement d’un diabète de type 2. Le stress chronique active également les voies de l’inflammation du fait d’une production accrue de cytokines pro-inflammatoires par les cellules et tissus du système immunitaire, ce qui accentue encore le développement de l’insulinorésistance. Par ailleurs, les modifications hormonales et la production de cytokines liées au stress chronique semblent avoir un impact négatif sur les aires cérébrales impliquées dans la physiopathologie de la dépression. Par des mécanismes différents, l’hypercortisolisme et les cytokines ont des effets négatifs sur l’hippocampe : diminution de la neurogenèse et de la plasticité synaptique pour la première et moindre production de BDNF, un peptide neurotrope, pour les secondes. Les cytokines proinflammatoires augmenteraient également la dégradation du tryptophane, ce qui accroît le risque de dépression du fait d’une moindre disponibilité de la sérotonine(7) (figure 2). Figure 2. Le stress chronique, un mécanisme commun hypothétique pour expliquer la relation bidirectionnelle entre diabète et dépression. Capacité de résistance au stress et risque de diabète La réponse au stress chronique induit par des facteurs environnementaux pourrait aboutir à un processus conduisant à la fois au diabète et à un syndrome dépressif. De fait, plusieurs études indiquent que des événements de vie traumatisants, le stress au travail, l’anxiété ou la dépression sont associés à un risque accru de diabète de type 2 et de dépression. Dans ce contexte, une bonne capacité de résistance au stress pourrait avoir un effet protecteur contre le diabète et la dépression. Dans une étude suédoise menée entre 1969 et 1997 chez tous les conscrits, le risque de diabète a été estimé selon le niveau de résilience au stress mesuré par une interview psychologique standardisée. Après un suivi moyen de plus de 25 ans, les sujets ayant le niveau de résilience le plus faible ont un risque de diabète augmenté de 50 % par rapport à ceux dont le niveau de résilience était le plus élevé. Par ailleurs, il existe une relation linéaire inverse entre le niveau de résilience au stress et le risque de DT2. Ces résultats confortent l’hypothèse physiopathologique du stress chronique pour expliquer la coexistence du diabète et de la dépression et la relation bidirectionnelle entre ces deux maladies. Les sujets psychologiquement les plus fragiles seraient, indépendamment d’autres facteurs de risque, plus susceptibles de devenir diabétiques(8). Les facteurs comportementaux jouent également un rôle déterminant dans l’étiologie du diabète et de la dépression. Les patients dépressifs sont moins actifs, ont des troubles du sommeil et des troubles de l’appétit qui prédisposent au surpoids et au syndrome métabolique. Aspects cliniques   Diabète de type 1 et dépression Si le DT2 semble le plus souvent concerné dans les études de population, le DT1 n’est pas en reste. Dépression, anxiété, dysthymie, attaques de panique, phobies sociales et troubles du comportement alimentaire n’y sont pas anecdotiques. La prévalence importante de la dépression est attribuée en partie à une dérégulation biologique, à la crainte de l’hypoglycémie, à l’anxiété liée au devenir du diabète et à une qualité de vie médiocre. Dans une étude observationnelle prospective multicentrique comportant la réalisation d’un bilan psychologique annuel pendant les 5 ans qui ont suivi la découverte du diabète, 7,8 % des sujets étaient considérés comme modérément dépressifs et 10,2 % comme sévèrement dépressifs. L’état dépressif avait une répercussion négative sur l’équilibre glycémique(9). Diabète gestationnel (DG) et dépression La grossesse est marquée par une extraordinaire insulinorésistance physiologique transitoire et une incidence élevée de troubles dépressifs, tout particulièrement durant le post-partum. L’interaction entre ces deux phénomènes a été explorée dans une étude prospective longitudinale multicentrique nord-américaine comprenant plus de 2 000 femmes enceintes indemnes de tout antécédent métabolique et de tout syndrome dépressif. L’étude effectuée durant la grossesse et 6 semaines après l’accouchement chez les 162 femmes qui ont présenté un diabète gestationnel, a révélé que les gestantes dont le score de dépression se situait dans le quartile supérieur avaient un risque relatif de DG deux fois plus élevé que lorsque le score se situait dans le quartile inférieur (p < 0,01). Le risque de DG était multiplié par 4 lorsque la dépression persistait tout au long de la grossesse. Par ailleurs, la survenue d’un DG apparaissait comme un facteur prédictif de la dépression du post-partum (RR = 4,62 ; IC : 1,26-16,98). Cette étude illustre bien l’existence d’une relation bidirectionnelle entre le syndrome dépressif et le diabète. Le fait que le risque de DG soit augmenté, même en l’absence d’obésité, renforce le rôle de la dépression par rapport aux autres facteurs de risque connus de DG. La survenue d’un DG doit inciter à mettre en place une veille psychologique durant le post-partum(10). Conséquences cliniques de la dépression Le syndrome dépressif est associé au non-respect des principes hygiéno-diététiques et à une moindre adhérence aux principes de l’autosurveillance et de l’autocontrôle chez les sujets diabétiques, ce qui perturbe l’équilibre glycémique et instaure un cercle vicieux(11). Dans le DT1 comme dans le DT2, la dépression, dont le diagnostic est trop souvent méconnu, perturbe l’équilibre glycémique et accroît le risque de complications micro- et macrovasculaires. Le diabète et la dépression altèrent chacun la qualité de vie mais leur coexistence a un impact plus négatif(12). Cette association peut avoir des conséquences notables sur la qualité de la prise en charge de ces patients qui sont moins compliants aux modifications souhaitables du mode de vie et au traitement antidiabétique. De fait, la dépression est associée à un moins bon équilibre glycémique. Il existe une augmentation du risque de complications du diabète chez les patients dépressifs, une prévalence plus grande des séjours en unité de soins intensifs et une mortalité cardiaque et globale plus élevée. Dans une étude menée auprès de vétérans américains, la coexistence d’une dépression chez des patients diabétiques était associée à davantage de comorbidités que chez les sujets diabétiques non dépressifs avec un risque accru d’insuffisance rénale chronique, de complications macrovasculaires et de mortalité(13). Stratégie thérapeutique L’identification de la dépression est souhaitable chez tout diabétique tout comme le diagnostic de diabète chez un déprimé afin de traiter spécifiquement chaque maladie. Un dépistage de la dépression par des échelles validées telles que le questionnaire PHQ-9 (recommandé par l’ADA) a été proposé chez les sujets diabétiques, notamment en cas de contrôle métabolique non optimal(14). Le traitement d’un syndrome dépressif diagnostiqué dans le cadre d’un diabète apparaît prioritaire parce que ses effets bénéfiques sont observés après 2 à 4 semaines alors que l’amélioration de l’équilibre glycémique, qui pourrait théoriquement contribuer à améliorer l’état dépressif, n’est obtenue qu’après plusieurs semaines ou mois. Toutefois, il est admis que l’humeur des sujets diabétiques est d’autant meilleure que l’équilibre métabolique est meilleur(15). L’efficience d’une prise en charge multidisciplinaire a été démontrée en cas de dépression associée au diabète. L’amélioration attendue porte sur la qualité de vie, l’implication personnelle dans le traitement non médicamenteux et médicamenteux et dans l’auto surveillance, le contrôle glycémique et l’indice de satisfaction du traitement(16). Une autre approche consiste à traiter les déterminants communs du diabète et de la dépression pour prévenir le stress chronique et la réponse inflammatoire. Les modifications thérapeutiques du mode de vie ont ici toute leur place : activité physique, alimentation équilibrée à faible densité énergétique, mise en place des conditions d’un sommeil de qualité, recours aux méthodes de relaxation et de méditation, éviction des habitudes à risque comme la consommation d’alcool et de tabac. Ces différentes mesures ont fait la preuve de leur intérêt dans l’amélioration de l’humeur et du métabolisme glucosé(17). Le recours aux antidépresseurs est possible, voire souhaitable en dépit d’une polémique autour de cette classe thérapeutique dont on a prétendu qu’elle prédisposait à un risque accru de diabète sur la base de résultats non convaincants. Conclusion Il existe une relation bidirectionnelle entre le diabète et la dépression, la dépression étant une comorbidité et non une complication. La recherche d’un syndrome dépressif devrait être systématique au cours du diabète en accord avec les recommandations de l’ADA. La dépression relève d’une prise en charge précoce et multidisciplinaire dans la mesure où elle a des conséquences délétères sur la prise en charge des troubles métaboliques du diabète et sur le risque de complications.

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