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Études

Publié le 04 mai 2018Lecture 8 min

Une étude scandinave propose de démembrer les deux grands types de diabète en 5 catégories

Louis MONNIER, Claude COLETTE, Institut universitaire de recherche clinique, Université de Montpellier

Pour proposer quelque chose de nouveau, les auteurs scandinaves(1) se sont appuyés sur l’analyse de 6 variables au moment du diagnostic : l’âge des sujets, leur poids (index de masse corporelle) et le niveau de l’HbA1c.

Quelques remarques sur les variables utilisées pour démembrer la classification des états diabétiques Pour proposer quelque chose de nouveau, les auteurs scandinaves(1) se sont appuyés sur l’analyse de 6 variables au moment du diagnostic : l’âge des sujets, leur poids (index de masse corporelle) et le niveau de l’HbA1c. À ces trois premières variables relativement classiques, les auteurs ont rajouté une évaluation de la sécrétion insulinique résiduelle par le HOMA-B, une évaluation de l’insulinorésistance (HOMA-IR) et un dosage des anticorps anti-GAD pour séparer les formes auto-immunes des formes non auto-immunes. Le HOMA (Homeostasis Model Assessment) a été initialement décrit en 1985 par le groupe d’Oxford(2) pour être ultérieurement revisité, les auteurs scandinaves ayant utilisé une « mouture » relookée(3) informatisée, basée non pas sur le dosage de l’insuline (formule classique) mais sur celui du peptide C. L’utilisation du HOMA pour évaluer l’insulinosécrétion et l’insulinorésistance appelle quelques remarques. Bien que cet index ait une certaine valeur quand il est appliqué sur de grandes populations (il a été utilisé dans l’étude UKPDS pour mettre en évidence la dégradation progressive de l’insulinosécrétion au cours du temps dans le diabète de type 2(4)), il n’a qu’une valeur très limitée au niveau individuel(5). Pour que sa valeur soit réelle pour une personne donnée, il faudrait que les dosages d’insuline ou de peptide C soient parfaitement standardisés, identiques d’un laboratoire à l’autre et de toute manière répétés 3 fois sur le même prélèvement sanguin d’après les concepteurs du HOMA, eux-mêmes(5). De plus, même si ces conditions étaient parfaitement remplies, les résultats du HOMA chez un individu donné ne peuvent être interprétés que dans le cadre de mesures longitudinales pour évaluer sa stabilité ou ses variations dans un sens croissant ou décroissant au cours du temps(5). Pour compléter ces quelques remarques sur le HOMA, il convient de souligner que les choix thérapeutiques pour une personne donnée ne sont jamais pris sur la base du HOMA(6,7). C’est pourtant à ce type de test que les auteurs scandinaves ont eu recours pour bâtir leur classification(1). Une classification hautement critiquable car fondée sur une démarche « tautologique » Les réserves que l’on peut émettre sur ce travail ne se résument malheureusement pas aux simples remarques que nous venons d’énoncer quant à l’utilisation du HOMA. À titre d’exemple, une critique fondamentale que l’on peut formuler à l’encontre des auteurs scandinaves est qu’ils ont, semble-t-il (l’article est confus sur ce point), classé a priori les différentes catégories de diabète désignées sous le terme de « clusters » sur des critères tels qu’un déficit supposé sévère de l’insulinosécrétion. Ensuite ils ont confirmé ce classement (mais comment pourrait-il en être autrement ?) par l’observation d’un HOMA-B (indice d’insulinosécrétion) fortement altéré. Ce type de procédure est un exemple parfait de démarche « tautologique » qui consiste à démontrer une proposition donnée (classement par clusters) par l’utilisation d’un outil qui ne peut que la confirmer. À noter que les anticorps anti-GAD ont été utilisés pour sélectionner le cluster 1, c’est-à-dire les diabètes autoimmuns (a priori type 1 et LADA, bien que ceci ne soit pas explicité clairement par les auteurs). En partant des 6 variables décrites plus haut, les auteurs scandinaves ont individualisé 5 catégories de diabète sous forme de « clusters » (agrégats de variables)(1). La nature des clusters sélectionnés a priori est illustrée sur le tableau 1. Leur validation (?) par l’analyse des 6 variables est donnée sur le tableau 2. À partir de la comparaison de ces 2 tableaux, il est possible de compléter la remarque « tautologique » qui a été faite pour l’insulinosécrétion et de la généraliser à tous les autres paramètres. Si on lit toutes les lignes du tableau 1, on s’aperçoit que le classement en catégories est confirmé par les données obtenues dans le tableau 2. Sur le tableau 2, les valeurs indiquées sont les média nes avec entre crochets les limites de l’IQR (interquartile range,  c’est-à -dire dela dispersion des données entre le 25e et le 75e percentile). Les résultats de l’HbA1c sont donnés en mmol/mol en sachant que laconversion en % peut être effectuée en considérant qu’une HbA1c à 53 mmol/mol correspond à 7 % et qu’il faut incrémenterl’HbA1c de 1 % pour toute augmentation de 11 mmol/mol. Prenons pour exemple la première ligne du tableau 1. Il est bien certain que si les sujets sélectionnés dans le cluster 1 sont jeunes ou relativement jeunes (tableau 1), leur âge médian (53 ans sur le tableau 2) sera inférieur à celui du cluster 5 (67 ans dans le tableau 2) sélectionné sur la base d’un âge moyen (tableau 1). Le même type de raisonnement est applicable à toutes les autres lignes des 2 tableaux. Évolution des « clusters » sélectionnés vers des complications diabétiques : quelques hypothèses et beaucoup de poncifs Après avoir utilisé la méthode tautologique pour classer leurs clusters, les auteurs de cette publication ont étudié l’évolution vers des complications : rétinopathie, complications rénales, dans chaque cluster(1). C’est sans grande surprise que les auteurs retrouvent que ce sont parmi les diabétiques ceux pour lesquels l’insulinorésistance ou le déficit insulinosécrétoire sont les plus marqués qui ont le plus grand risque de développer des complications. L’un des résultats les plus significatifs dans cette étude est représenté par le fait que le délai d’apparition des complications rénales (altération chronique de la fonction rénale, macroalbuminurie, insuffisance rénale chronique terminale) est significativement plus court dans le cluster 3 que dans les autres (figure 1). Le groupe 3 est celui qui est caractérisé par l’insulinorésistance la plus marquée (4,5 sur le tableau 2) et par l’hyperinsulinisme le plus fort (145 % sur le tableau 2). Ce groupe est également caractérisé par une surcharge pondérale manifeste (IMC médian = 33 kg/m2, tableau 2). Dans ce cluster 3, le risque de complications rénales terminales est 5 fois plus élevé que dans le cluster 5 qui est comparable pour l’âge de découverte du diabète (âge médian 67 ans vs 66 ans, tableau 2), pour l’HbA1c de départ (50 mmol/mol soit 6,7 %) mais également pour le niveau de l’HbA1c au cours du suivi (50 mmol/mol soit 6,7 %) sur plusieurs années. Figure 1. Incidence cumulée au cours du temps des altérations chroniques de la fonction rénale dans les différents clusters. C’est dans le cluster 3 le plus insulinorésistant que l’évolution vers des complications rénales a été la plus rapide. Les auteurs arrivent à la conclusion que la maladie rénale du diabète de type 2 est associée à l’insulinorésistance, hypothèse ou opinion qu’ils avaient déjà formulée en 1993(8). Il convient toutefois de souligner qu’association n’est pas synonyme de lien de causalité. Dans la mesure où l’insulinorésistance est associée à d’autres désordres (augmentation de la glycémie et de la pression artérielle) et dans la mesure où ces anomalies sont classiquement considérées comme responsables d’une apparition plus précoce et d’une progression plus rapide des altérations de la fonction rénale(9-13), la question reste totalement ouverte entre 2 options possibles : l’insulinorésistance est-elle le facteur causal de la néphropathie diabétique ou bien n’est-elle qu’un marqueur de désordres plus larges (exposition chronique au glucose, hypertension artérielle) qui l’accompagnent. La seconde option paraît la plus probable bien que les auteurs scandinaves citent des études expérimentales(14) qui, en extrapolant les résultats obtenus, laissent penser qu’une altération des fonctions rénales pourrait se développer chez des sujets insulinorésistants mais restés normoglycémiques. Dès lors le contrôle des désordres glycémiques ne serait pas la « voie optimale » (terme utilisé par les auteurs) pour réduire le risque de complications rénales. Cette hypothèse allant en grande partie à l’encontre de tout ce qui a été démontré précédemment(9-13), il est permis de s’interroger sur la pertinence des hypothèses formulées par les auteurs scandinaves et surtout sur la validité des conclusions qu’ils en tirent. Pour la rétinopathie, c’est dans le cluster 2 (le plus insulinodéficient) que l’évolution vers ce type de complication est la plus précoce. Toutefois, il faut remarquer que c’est dans ce cluster que le taux d’HbA1c est le plus élevé au départ (#100 mmol/mol, 11,3 %, tableau 2) et au cours du suivi (environ 5 mmol/mol soit 0,5 % de différentiel au-dessus des autres clusters à l’exception du cluster 1). Cette observation semble relever d’une vérité connue de tous les diabétologues à savoir que c’est l’intensité et la durée de l’exposition chronique au glucose (hyperglycémie ambiante) qui est responsable en majeure partie de la rétinopathie(12). Pour couronner le tout et pour compléter les poncifs, les auteurs ont « découvert » que c’étaient les clusters 1 et 2, c’est-à-dire les plus insulinodéficients, qui devaient recourir le plus précocement à l’insulinothérapie (figure 2). Figure 2. Incidence cumulée au cours du temps du recours à l’insulinothérapie. C’est dans les clusters 1 et 2 les plus insulinodéficients que l’évolution vers l’insulinodépendance a été la plus rapide. Épilogue À partir de l’analyse de ces données qui relève de la tautologie sur le plan méthodologique et qui consiste en grande partie à enfoncer des portes ouvertes quant aux résultats, les auteurs n’hésitent pas à dire que leur classification permettra de mieux guider les choix thérapeutiques. Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, aucun diabétologue n’a jamais pris une décision thérapeutique sur une mesure de l’insulinémie ou du peptide C, et a fortiori sur une détermination du HOMA. Seuls les critères cliniques sont pris en compte : âge du patient, poids, risque d’hypoglycémie, présence de complications, vulnérabilité et motivation du patient. C’est ce qui est indiqué dans les différentes recommandations énoncées par les différentes organisations, qu’elles soient nationales ou internationales(6,7). En conclusion, cet article confus et limité à une population bien précise ne peut que semer un peu plus de confusion dans un domaine qui n’en avait nul besoin. Dans ces conditions, il faut espérer qu’après son « coup médiatique » dû à son caractère provocateur, cette classification sombre dans les oubliettes de l’histoire bien qu’elle ait été publiée dans un journal prestigieux(1). Par ailleurs, même si cette étude était au-dessus de tout reproche, ce qui est loin d’être le cas, il conviendrait de se demander comment et pourquoi les résultats observés pourraient être extrapolés à d’autres populations et à d’autres pays. Nul ne peut répondre à cette question. Enfin, il est étonnant que cette étude ait été cosignée et cautionnée par un groupe de diabétologues réputés que nous avons connus mieux inspirés dans d’autres circonstances.

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