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Diabète et médecine interne

Publié le 25 oct 2018Lecture 11 min

Changer le microbiote pour prévenir les maladies métaboliques

Jean-Louis SCHLIENGER Université de Strasbourg

Corriger les états de dysbiose intestinale en modifiant le microbiote intestinal est vraisemblablement un des grands défis thérapeutiques de demain. Une approche nutritionnelle et bactériologique (prébiotiques et probiotiques) est préférable aux moyens pharmacologiques (antibiotiques) ou à la transplantation fécale.

Le microbiote intestinal est composé de 1012 à 1014 microorganismes non pathogènes, dits commensaux, soit 2 à 10 fois le nombre de cellules qui constituent notre organisme, pour un poids de 2 kilos. La mise au point de techniques de séquençage haut débit du matériel génétique du microbiote ou microbiome a été à l’origine d’intenses et fécondes recherches sur les interactions existant entre le microbiote et son hôte. Parmi d’autres, l’étude MétaHIT coordonnée par l’Inra, a identifié l’ensemble des génomes microbiens intestinaux (métagénome) et a conforté l’hypothèse d’une relation entre le métagénome et l’état de santé de l’hôte. Concernant les maladies métaboliques, il paraît acquis que la dysbiose intestinale – définie par un déséquilibre entre les espèces bactériennes constitutives du microbiote – peut modfier la signalisation de l’insuline et induire une inflammation chronique de bas grade, l’ensemble concourant à l’installation d’une insulinorésistance et à la pathogénie de diverses affections telles que l’obésité viscérale, le syndrome métabolique, le diabète de type 2 et la stéatohépatite non alcoolique. En conséquence, la modification de la flore intestinale dans le but de corriger la dysbiose devient un nouvel axe de la prévention des maladies métaboliques, voire une cible thérapeutique(1). Le microbiote : un écosystème évolutif Le microbiote intestinal est un écosystème acquis qui s’est développé après la naissance à partir des contacts de l’enfant avec sa mère et son environnement. Au terme des 3 premières années, la communauté bactérienne préfigure ce qu’elle sera à l’âge adulte. Composé initialement pour l’essentiel de bifidobactéries et d’entérobactéries, le microbiote évolue progressivement vers une formule plus complexe, spécifique à chaque individu, tout en restant malléable. Chez la personne âgée, la composition microbienne s’éloigne peu à peu de celle des adultes jeunes. Elle s’avère corrélée avec la fragilité, les comorbidités et l’état nutritionnel(2). Des études de grande envergure ont abouti à la caractérisation de 3 entérotypes principaux fondés sur la présence dominante des Bacteroidetes, de Provatella et de Rulinicoccus. Cette classification encore controversée correspond à 3 types de microbiomes et donc à des fonctionnalités différentes. Le microbiote n’est pas un milieu figé. Bien qu’il soit un remarquable marqueur identitaire d’un individu, il n’en existe pas moins une variabilité intra-individuelle notable. L’identification des facteurs de variation inter- et intra-individus est un préalable à l’établissement de normes et à la compréhension des relations entre le microbiote et la santé de l’hôte. Des associations spécifiques entre le génotype de l’hôte et la composition du microbiote intestinal ont été rapportées. Les études épidémiologiques ont montré l’importance de l’environnement géographique et culturel. À titre d’exemple, la vie en communauté ou le contact avec des animaux de compagnie sont des facteurs d’échange des bactéries qui impactent le microbiote. Mais de tous les facteurs, c’est indiscutablement l’alimentation qui est le pivot de la régulation du microbiote intestinal. Les principaux nutriments et plus particulièrement les graisses saturées et polyinsaturées, les oligosaccharides et les composés phytochimiques sont à même de changer la flore d’un point de vue quantitatif et fonctionnel. Ainsi, une alimentation riche en graisses détermine un remaniement du microbiote associé à une augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale et de la susceptibilité aux antigènes microbiens, facteurs corrélés à l’endotoxinémie métabolique et à l’insulinorésistance. Certains médicaments modifient le microbiote. L’action néfaste des antibiotiques est bien connue. Celle de la metformine l’est moins, pourtant son mode d’action pourrait être médié, en partie, par le microbiote. Alimentation et microbiote intestinal L’alimentation a un impact documenté sur la structure et la fonction du microbiote intestinal. Les grandes étapes de la vie alimentaire sont à l’origine de changements de la communauté bactérienne avec des équilibres nouveaux entre les espèces bactériennes. Dès la naissance, la composition bactérienne est différente, selon que l’enfant est nourri au sein ou non. La diversification alimentaire puis, plus tard, l’adoption d’un nouveau régime alimentaire, sont suivis d’un nouveau profil microbiotique. C’est dire que l’alimentation participe grandement à la variabilité du microbiote chez un individu donné, sans pour autant révolutionner ses principales caractéristiques identitaires. L’expression des effets de l’alimentation se fait dans la durée mais est variable d’un individu à l’autre du fait d’une interdépendance avec le génome de l’hôte. Elle n’est donc ni reproductible, ni prévisible avec certitude. Les données animales montrent de façon caricaturale à quel point le microbiote intestinal est adapté, ou s’adapte au style alimentaire – omnivore, carnivore, herbivore ou nécrophage. On considère que les différences de microbiote décrites entre les sociétés rurales et occidentales sont principalement dues aux diffé- rences de style alimentaire(3). Lacaractérisation du microbiome fécal chez des jumeaux homo- ou hétérozygotes a permis de préciser la part qui revient au génotype de l’hôte et à l’alimentation. Par ailleurs, la colonisation de souris axéniques (« germ free ») par des souches bactériennes bien définies ou par la greffe d’un échantillon de matières fécales pour en faire des souris gnotobiotiques, fournit un excellent modèle pour préciser l’impact de régimes alimentaires contrôlés sur la composition et les fonctions du microbiote. Globalement, une alimentation riche en fibres et en glucides complexes accroît la teneur en Prevotella alors qu’une alimentation riche en graisses et en protéines est associée à un enrichissement en Bacteroidetes. Une alimentation riche en fibres alimentaires provenant des fruits, légumes et céréales contribue à la diversité des bactéries du microbiote intestinal. Or, il existe une relation de causalité probable entre l’appauvrissement du microbiote et la survenue de maladies métaboliques telles que le diabète et l’obésité. Ainsi, l’enrichissement du microbiote intestinal de patients obèses auxquels avait été prescrit un régime hypocalorique enrichi en protéines et en fibres fermentes-cibles pendant quelques semaines a pour conséquence une amélioration de paramètres biologiques comme l’hypercholestérolémie ou l’hypertriglycéridémie. Chez les sujets sains, l’enrichissement du microbiote est proportionnel à la quantité de fibres absorbées. La diversité du microbiote semble être un garant de bonne santé qu’il convient de préserver tout au long de la vie. L’adjonction de graisses à l’alimentation habituelle augmente la proportion des bactéries à Gram négatif, ce qui accroît la concentration locale de composants bactériens inflammatoires, comme les lipopolysaccharides (LPS), présents à la  surface de ces bactéries, ainsi que la perméabilité intestinale. Il en résulte un passage systémique excessif des LPS avec pour conséquence un état inflammatoire chronique tissulaire à bas bruit favorisant l’insulinorésistance préalable au diabète et à l’obésité (figure 1). Chez la souris, un régime riche en graisses provoque une réorganisation profonde entre les espèces bactériennes du microbiote et accroît nettement la perméabilité intestinale, alors que l’activité PPAR-γ, qui joue un rôle important dans le métabolisme des acides gras et dans l’inflammation, est réduite. L’ensemble de ces anomalies est réversible après un mois de reprise du régime habituel(4). En revanche, une alimentation pauvre en graisses et enrichie en fibres solubles a des effets bénéfiques démontrés sur la sensibilité à l’insuline et les marqueurs de l’inflammation (tableau). L’alimentation apparaît dès lors comme un facteur de variation et de stabilité du microbiote relativement facile à manipuler, dans l’optique d’une intervention thérapeutique visant à corriger une dysbiose intestinale potentiellement responsable d’anomalies métaboliques, d’affections systémiques ou de maladies intestinales. Une alimentation équilibrée, à densité énergétique basse et à densité nutritionnelle élevée permet de maintenir un microbiote diversifié et équilibré au fil du temps. En pratique, il s’agit d’une alimentation riche en fibres, donnant la préférence aux protéines végétales plutôt qu’animales, sans excès de graisses saturées et limitant les produits transformés et les sucres « rapides », totalement en accord avec les recommandations du PNNS (figure 2). Figure 1. Effets sur le microbiote et conséquences systémiques d’un régime hyperlipidique (d’après(4)). AMPK : AMP kinase ; FIAF : fasting induced adipose factor ou angiopoietine-like protein 4 ; LPS : lipopolysaccharides ; GLP-1 : glucagon-like peptide 1 ; PYY : peptide YY. Figure 2. Facteurs influençant le microbiote intestinal. Facteurs alimentaires bénéfiques (en vert) et néfastes (en rouge). Quelle place pour les prébiotiques et les probiotiques ? Le recours à la nutraceutique avec l’utilisation des probio- tiques et des prébiotiques est un autre moyen de modifier la flore intestinale, dont l’efficacité est diversement appréciée dans les études disponibles. • Les prébiotiques sont des composants alimentaires non absorbables dans le grêle à type de fibres, d’inuline et de fructo-oligosaccharides peu digestibles (FODMAP) qui favorisent le développement de certaines espèces bactériennes du microbiote. Dans l’obésité, ils augmentent la population des bifidobactéries et diminuent la  production des acides gras à chaîne courte, ce qui aurait un effet favorable sur les paramètres métaboliques de l’hôte. Ils sont classés en fonction de leur résistance à l’acidité gastrique, de leur indigestibilité dans l’intestin grêle et de leur capacité à promouvoir un microbiote équilibré et diversifié. Plusieurs études sont en faveur du rôle favorable des prébiotiques sur diverses anomalies métaboliques telles que l’insulinorésistance par divers mécanismes : augmentation de l’expression des peptides antimicrobiens, majoration de la production d’acides gras à chaîne courte, stimulation de la gluco-néogenèse intestinale, amélioration de l’intégrité épithéliale, libération accrue du GLP-1 et du peptide PYY, qui améliorent l’insulino-sensibilité et augmentent la satiété... • Les probiotiques sont des microorganismes vivants qui, apportés en quantité suffisante, ont la capacité de modifier de façon durable la flore résidente en conférant à l’hôte des bénéfices immunitaires et métaboliques par des mécanismes complexes incluant une amélioration de l’écologie et du métabolisme microbiens et une amélioration de la perméabilité intestinale. On leur attribue diverses propriétés : production de composés bioactifs, induction de gènes d’oxydation des acides gras, diminution de l’expression des cytokines pro-inflammatoires, stimulation de la production de peptides satiétogènes, diminution du stockage des graisses, etc. Bifi- dobacterium et Lactobacillus, espèces les plus étudiées, peuvent être apportées sous formes de vecteurs alimentaires – yaourt, laits fermentés, fromages fermentés – ou sous forme de compléments. La formulation des probiotiques est importante, car chaque souche bactérienne peut avoir des effets différents sur le microbiote et sur l’hôte, et des mécanismes d’action spécifiques, comme cela a été démontré chez la souris ayant un syndrome métabolique induit par un régime hyperlipidique. L’administration de 3 souches différentes a des effets favorables plus ou moins marqués sur le poids, la tolérance au glucose et les marqueurs de l’inflammation par des mécanismes différents(5).  L’utilisation des probiotiques ne comportant qu’une ou deux souches bactériennes n’a pas fait la preuve indiscutable d’une action métabolique chez l’homme. Des questions se posent quant au caractère suffisant de la colonisation bactérienne, l’efficacité d’une souche unique et la durabilité des effets. Le VSL#3, une formule commercialisée contenant 8 espèces différentes de bactéries à haute concentration, a été utilisé avec succès dans certains types de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, mais ses effets métaboliques sont encore peu documentés, bien qu’il semble à même d’atténuer la gravité de la stéatohépatite chez l’enfant obèse(6). Les levures se comportent également comme des probiotiques. Boulardii saccharomyces est associé à une amélioration métabolique chez la souris db/db génétiquement obèse et diabétique, corrélée avec une augmentation des Bacteroidetes et une diminution des Firmicutes comparables à ce qui a été décrit dans l’obésité humaine(5). Les essais cliniques tentés dans l’obésité, la stéatohépatite, le syndrome métabolique ou le DT2, se sont davantage intéressés aux marqueurs métaboliques et d’inflammation chronique qu’aux modifications du microbiote. Dans une étude multicentrique randomisée en  aveugle contre placebo, l’administration de lait fermenté contenant une souche spécifique de Lactobacillus est associée à une réduction significative du poids et de l’adiposité viscérale après 12 semaines(7). Une revue systématique des essais menés dans le DT2 avec des probiotiques contenant diverses souches de lactobacilles confirme qu’au moins un des nombreux paramètres explorés est amélioré de façon significative. Les marqueurs de l’inflammation chronique et la sensibilité à l’insuline en font partie(8,9). D’autres études menées avec des yaourts contenant des probiotiques sont  encourageantes quant à leurs effets sur la tolérance au glucose ou le profil lipidique. Toutes ces études portent malheureusement sur de petits effectifs pendant une durée relativement courte, ce qui empêche de conclure de façon définitive. Néanmoins, pour parcellaires qu’ils soient, les résultats disponibles confortent le bien-fondé du concept de manipulation du microbiote dans les affections métaboliques afin d’augmenter le rapport Bacteroidetes/Firmicutes. • Les symbiotiques associent pré- et probiotiques. Ils sont considérés par certains comme des auxiliaires de la prévention et du traitement du DT2 et des affections cardiovasculaires, par leur capacité à intervenir dans la régulation de la signalisation de l’insuline, à moduler l’inflammation et à baisser la cholestérolémie. Toutefois, la plupart de ces assertions reposent sur des données expérimentales ou descriptives qui sont encore en quête de preuves cliniques chez l’homme. Conclusion L’alimentation, les prébiotiques et les probiotiques ont un impact documenté sur la structure et la fonction du microbiote intestinal par des mécanismes qui restent à approfondir. Les manipulations diététiques offrent la possibilité de reformater le microbiote de façon favorable pour la santé intestinale, métabolique et générale. L’enrichissement et la diversité du microbiote induits par une alimentation à densité nutritionnelle élevée et à densité énergétique basse et riche en fibres avec l’appoint éventuel de pré- et de probiotiques améliore chez l’animal comme chez l’homme les marqueurs de l’inflammation et la tolérance glucosée. Des études complémentaires sont nécessaires pour optimiser ces mesures préventives et, pourquoi pas, curatives, afin de les adapter à un individu donné en raison d’une grande variabilité de la réponse. En l’état, les interactions entre le régime et certains compléments alimentaires avec le microbiote et le microbiome ne sont pas suffisamment étayées et reproductibles pour qu’un rééquilibrage du microbiote intestinal puisse être considéré comme un objectif thérapeutique à part entière dans des situations pathologiques avérées comme l’obésité ou le diabète. Il reste qu’une alimentation équilibrée conventionnelle riche en fibres, proche des recommandations de type santé publique comme celles du PNNS, avec ou sans la consommation de pré- et de probiotiques commerciaux dont l’intérêt reste à prouver, est un merveilleux outil de prévention des maladies métaboliques chroniques... et bien d’autres encore.

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