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Cardio-diabétologie

Publié le 09 déc 2019Lecture 6 min

Une vision des diabétologues sur les recommandations de l’ESC/EASD 2019

Bernard BAUDUCEAU*, Patrice DARMON**, *service d’endocrinologie,Hôpital d’instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé ; **Pôle Endocrinologie, CHU de la Conception, AP-HM, Marseille

Bonne nouvelle, les cardiologues s’intéressent de près au diabète ! Il faut dire que le nombre de patients diabétiques qu’ils prennent en charge ne cesse de croître et que les résultats très favorables des dernières études cardiovasculaires menées avec les nouvelles classes d’agents antihyperglycémiants — agonistes des récepteurs du GLP-1 (GLP-1 RA) et inhibiteurs de SGLT2 (iSGLT2) — ont marqué les esprits. L’ESC (European Society of Cardiology), en collaboration avec l’EASD (European Association for the Study of Diabetes) a donc rédigé des « guidelines » pour la prise en charge des patients diabétiques(1). Tout naturellement, le prisme de ces recommandations est avant tout celui des complications cardiovasculaires du diabète dont l’importance n’est pas contestable mais qui ne résument pas à elles seules l’ensemble des problématiques posées par la prise en charge des patients diabétiques. Si certaines positions peuvent être parfaitement endossées par les diabétologues, d’autres méritent d’être discutées, notamment par les praticiens français qui ne disposent pas de toutes les classes médicamenteuses et dont la préoccupation de la maîtrise des coûts de santé a été soulignée dans la prise de position de la SFD (Société francophone du diabète) en 2017(2).

Les points de convergence • Le poids des complications cardiovasculaires et de l’insuffisance cardiaque ou rénale en termes de morbi-mortalité n’est évidemment discuté par personne : une part importante de la réduction de l’espérance de vie des patients diabétiques est liée à ces pathologies. • La détermination d’un objectif glycémique ambitieux, généralement défini par une HbA1c inférieure à 7 %, doit guider le praticien ; cette valeur cible mérite cependant être adaptée à l’état du patient et co-décidée avec lui. • La volonté d’éviter les hypoglycémies est au coeur des préoccupations du clinicien, même si le lien de causalité entre hypoglycémies et événements cardiovasculaires reste largement débattu ; cette crainte ne doit pas induire une dérive vers le haut de l’objectif d’HbA1c, mais la définition d’une borne basse d’HbA1cmériterait d’être définie dans certaines populations fragiles lorsqu’un sulfamide, un glinide ou de l’insuline sont utilisés. • Fixer un niveau optimal de pression artérielle à 130/80 mmHg et viser une pression artérielle systolique entre 120 et 130 mmHg chez certains patients diabétiques (si le traitement est bien toléré) semble légitime au regard des dernières données de la littérature. • Le retour en grâce de l’aspirine chez certains patients en prévention primaire est logique au vu des dernières données de la littérature : sa prescription ne doit pas être systématique, mais elle se justifie dès lors que la balance bénéfices-risques apparaît favorable (« haut » ou « très haut risque cardiovasculaire » et faible risque de saignement). • Enfin, la lutte contre le tabagisme constitue un point essentiel de la prévention des complications cardiovasculaires des patients diabétiques. Les points qui méritent discussion Si les points précédents font globalement consensus, d’autres éléments de ces « guidelines » nécessitent d’être analysés à la lumière de l’expérience et la sensibilité des diabétologues. Définition du risque cardiovasculaire des patients diabétiques Les experts de l’ESC insistent, à juste titre, sur l’insuffisance des échelles habituellement recommandées car elles ne prennent pas en compte le poids du diabète (comme SCORE) ou le font mal, en négligeant par exemple son type, son ancienneté ou la qualité de son équilibre (comme Framingham). Selon l’ESC, les patients à « haut risque cardiovasculaire » sont ceux qui présentent un diabète évoluant depuis plus de 10 ans, sans atteinte d’organe cible, avec un facteur de risque majeur additionnel (âge, hypertension, dyslipidémie, tabac, obésité). La définition du « très haut risque cardiovasculaire » s’adresse à des patients présentant une maladie cardiovasculaire avérée, mais également à des sujets en prévention primaire avec une atteinte d’organe (protéinurie, insuffisance rénale chronique de grade 3 ou plus, hypertrophie du ventricule gauche, rétinopathie) ou la présence de trois facteurs de risque majeurs ou un diabète de type 1 évoluant depuis plus de 20 ans. En outre, la présence d’un athérome infraclinique significatif permet également de classer le patient comme étant à « très haut risque cardiovasculaire ». La volonté de déterminer précisément le niveau de risque pourrait aboutir à multiplier la prescription d’examens complémentaires sans que cela soit absolument nécessaire chez un patient asymptomatique. Sans nier l’intérêt ponctuel de la réalisation d’un score calcique, d’une échographie de stress, d’un Doppler artériel, d’un coroscanner et même d’une imagerie par résonance magnétique, la généralisation de ces explorations chez un patient asymptomatique pourrait avoir des effets pervers et conduire à des gestes, notamment de revascularisation, dont l’intérêt n’est pas toujours avéré. Les indications de ces explorations mériteraient d’être adaptées au cas particulier du patient et ne pas entrer dans une logique systématique. Cette démarche inflationniste des explorations n’est pas non plus sans conséquence sur le plan des coûts de santé de la maladie. Très prochainement, des recommandations conjointes de la SFD et de la SFC (Société française de cardiologie) devraient préciser au mieux la place des examens chez les patients diabétiques. Les objectifs cibles de LDL-cholestérol Certes, les objectifs de LDL-cholestérol doivent être ambitieux, mais viser le seuil de 0,55 g/l proposé par l’ESC chez tous les patients à très haut risque peut être discuté ; en outre, ce seuil est souvent très difficile à atteindre en l’absence de disponibilité des (coûteux) inhibiteurs de PCSK9. La place des nouvelles classes d’antidiabétiques À la lecture des dernières études, les experts de l’ESC prônent la prescription en première intention des nouvelles classes d’antidiabétiques (GLP-1 RA ou iSGLT2) chez les patients diabétiques de type 2 à « haut risque » et à « très haut risque cardiovasculaire » et relèguent la metformine en seconde ligne (figure 1). Chez les patients déjà sous metformine, l’ajout d’un analogue du GLP-1 ou d’un inhibiteur des SGLT2 ayant fait la preuve de son efficacité sur le plan cardiovasculaire est recommandé quel que soit le niveau de l’HbA1c, ce qui est pour le moins inhabituel (figure 2). À l’évidence, ces molécules sont particulièrement intéressantes sur le plan cardiovasculaire et rénal et la SFD a d’ailleurs récemment publié une prise de position sur l’intérêt des iSGLT2. Figure 1. Traitement médicamenteux de première intention chez les patients diabétiques de type 2 à haut risque ou à très haut risque selon l’ESC/EASD. Figure 2. Traitement médicamenteux chez les patients diabétiques de type 2 à haut risque ou à très haut risque déjà traités par metformine selon l’ESC/EASD. • Pour autant, étendre la prescription préférentielle de ces agents aux patients à « haut risque cardiovasculaire » est sans doute prématuré au regard des données issues des grandes études cardiovasculaires menées avec ces médicaments car elles n’ont inclus quasiment que des sujets considérés comme à « très haut risque cardiovasculaire » selon la définition de l’ESC, y compris dans les groupes dits de « prévention primaire ». Ce point ne relève pas de la simple sémantique puisqu’il conditionne les objectifs et le mode de traitement. En outre, il paraît quelque peu prématuré d’extrapoler les résultats positifs de ces études aux patients dont l’HbA1c est déjà aux objectifs. • Reléguer la metformine en deuxième ligne n’est pas « evidence-based ». Dans toutes les études cardiovasculaires menées avec les GLP-1 RA et les iSGLT2, les patients étaient très majoritairement déjà traités par metformine. Jusqu’à ces derniers mois, la metformine était universellement considérée comme la molécule à utiliser en première intention en l’absence de contre-indication ou d’intolérance. En conséquence, il ne semble pas à ce jour légitime de remettre en cause ce dogme et de maltraiter ainsi cette vieille dame. L’intérêt de la metformine n’est plus à démontrer en raison de son efficacité sur le niveau glycémique par son action sur l’insulinorésistance sans risque d’hypoglycémie ou de prise de poids, de ses effets plutôt favorables sur le plan cardiovasculaire, en particulier chez les patients obèses (même si le niveau de preuve n’est pas optimal) et de son faible coût. • L’autre écueil qui doit être signalé concerne le coût de ces nouveaux médicaments, et notamment de celui des GLP-1 RA, au regard de celui des classes plus anciennes. Il apparaît donc essentiel que l’indication de ces médicaments soit bien pesée afin d’en faire bénéficier les personnes qui en ont le plus besoin. À ce titre, la notion de nombre de sujets à traiter pour éviter un événement doit être sérieusement considérée. • Enfin, les recommandations de l’ESC et l’EASD se heurtent au problème franco-français de l’absence de disponibilité des iSGLT2. Tous les médecins prenant en charge des patients diabétiques espèrent toutefois que cette situation regrettable se terminera prochainement. Conclusion Ces discussions illustrent la nécessité d’une bonne collaboration entre cardiologues et diabétologues afin d’améliorer la cohérence de la prise en charge des patients diabétiques. La mise à jour de la prise de position de la SFD sur le traitement du diabète de type 2, qui doit paraître à la fin de l’année 2019 comme cela était prévu, permettra de préciser certains de ces points de divergences qui peuvent encore persister entre spécialistes.

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