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Nutrition

Publié le 04 fév 2020Lecture 9 min

Nouvelles menaces alimentaires : aliments ultratransformés et nanoparticules

Jean-Louis SCHLIENGER, Université de Strasbourg

Au cours du dernier demi-siècle, les produits alimentaires ultratransformés contenant de nombreux additifs, des microparticules et des nanoparticules se sont invitées à la table des consommateurs, à leur insu, mais de plein gré. Depuis peu, leur éventuel impact délétère sur la qualité nutritionnelle et la santé est sérieusement évalué. Les travaux récents tirent la sonnette d’alarme quant à la probabilité d’une association entre la consommation de ces aliments au profil nutritionnel critiquable et l’incidence des maladies métaboliques chroniques.

Les aliments ultratransformés (AUT) Caractérisés par l’adjonction d’ingrédients ultratransformés tels que le sirop de glucose-fructose (HFCS pour High Fructose Corn Syrup) ou d’additifs dans le but de modifier la texture, le goût et l’apparence, ces AUT ont séduit un grand nombre de consommateurs, surtout les enfants et les classes sociales les moins aisées. Ils ont pu être élaborés grâce aux avancées technologiques les plus récentes – bien au-delà de l’archaïque cuisson, premier acte technique ancestral assurant la comestibilité des céréales et des légumineuses. De nombreux procédés biologiques, physiques et chimiques ont été convoqués pour « améliorer » les aliments et les rendre encore plus comestibles, appétants et sûrs… mais pas forcément plus sains. En effet, des associations entre la consommation excessive d’AUT et un risque accru d’obésité, de diabète, de dyslipidémie, d’HTA, de syndrome métabolique et même de cancer ont été décrites. Indépendamment de l’utilisation d’additifs dont l’innocuité a parfois du mal à être démontrée, la transformation des aliments natifs peut engendrer des produits néoformés soit à la suite de traitements thermiques (par ex. les produits de Maillard), ou d’interactions moléculaires lors du contact avec l’emballage (bisphénol A et autres perturbateurs endocriniens), soit à la suite d’un stockage prolongé dans des conditions non optimales. La nouvelle classification NOVA des aliments Une nouvelle classification des aliments « NOVA » prenant en compte le degré de transformation des aliments sans se préoccuper de leur valeur nutritionnelle a été établie par un auteur brésilien (tableau 1)(1). Elle fait actuellement référence à l’échelle internationale. La plupart de ces aliments ont en commun un profil nutritionnel plus médiocre que celui des aliments peu transformés. Ils se distinguent volontiers par une haute teneur en sucres d’addition, en graisses saturées et en sel et une faible teneur en fibres. Leur densité énergétique élevée et leur densité nutritionnelle basse vont à l’encontre des recommandations nutritionnelles. La stigmatisation des AUT semble d’autant plus justifiée qu’ils ont la faveur des enfants, des adolescents et des populations à faible revenu où ils représentent jusqu’à 25 à 50 % de la ration énergétique(2). Les effets sur la santé Bien que peu nombreuses, les données concernant le lien entre les AUT et la santé sont néanmoins assez convaincantes. Mortalité globale L’exploitation des enquêtes alimentaires détaillées et répétées effectuées par Internet auprès de 44 551 adultes (âge moyen = 57 ans) issus de la cohorte prospective française Nutrinet-Santé a mis en évidence un lien probable entre le niveau de consommation d’AUT et la mortalité toutes causes. Dans cette population, les AUT représentaient 14,4 % du poids de la totalité des aliments ingérés et 29,1 % de l’apport énergétique total. Comparés aux faibles consommateurs d’AUT, les plus grands consommateurs d’AUT étaient plus souvent âgés de moins de 45 ans, avaient plus souvent un niveau d’éducation primaire et/ou des revenus mensuels inférieurs à 1 200 euros, un IMC plus élevé et une activité physique moindre. L’association entre la consommation élevée d’AUT et le taux de mortalité (RR = 1,14 pour une augmentation de 10 % de la consommation d’AUT, p = 0,008) persistait après un ajustement sur divers facteurs de confusion(3). Si une association n’a pas valeur de preuve, elle ne mérite pas pour autant d’être ignorée. D’autres études de cohortes sont évidemment nécessaires pour confirmer ce qui pourrait n’être qu’une tendance dont les mécanismes sont encore hypothétiques. Néanmoins, d’autres associations troublantes renforcent cette présomption de lien. Ainsi dans la même cohorte, l’exploration d’un plus grand nombre de sujets (n = 104 940) a permis de décrire une augmentation du risque de cancer (RR = 1,12, p < 0,001) pour une consommation d’AUT supérieure de 10 %(4). Obésité De nombreuses associations entre la prise de poids ou la prévalence du surpoids ou de l’obésité et la consommation de divers aliments émargeant à la classe des AUT (boissons sucrées, restauration rapide, chips, pommes frites ou confiserie) ont été décrites. La description d’une relation inverse entre la consommation d’aliments peu transformés, tels les céréales complètes et les fruits et légumes, et la prise de poids renforce le jugement négatif porté sur les AUT en matière de gestion pondérale. Récemment, une relation inverse entre la consommation excessive d’AUT et l’IMC a été décrite dans une cohorte d’adolescents brésiliens, pays où a été conceptualisée la notion d’AUT(5). Il existe également une relation positive entre la consommation d’AUT et la prise de poids au cours de la grossesse. La contribution des AUT à la ration calorique est d’ailleurs particulièrement importante dans les pays où la prévalence de l’obésité est élevée, comme aux États-Unis où elle culmine aux alentours de 60 %. L’ensemble de ces arguments est en faveur d’un effet obésogène d’une alimentation riche en AUT. Une analyse de la littérature (10 études) utilisant la classification NOVA des aliments chez des enfants et des adultes confirme, à une exception près, l’existence d’un lien entre la consommation d’AUT et le surpoids(6). Toutefois, il n’existe qu’une seule étude prospective pour argumenter l’idée que les jeunes adultes consommant davantage d’AUT (quartile supérieur par rapport au quartile inférieur) ont un risque significativement plus élevé de prendre du poids ou d’être en surpoids(7). Conséquences cardio-métaboliques Des études se sont intéressées à l’impact des AUT sur les facteurs de risque cardiovasculaire. Dans certaines, ils sont associés à une perturbation précoce des paramètres lipidiques (élévation des taux de cholestérol et de LDL-cholestérol(8). Dans d’autres, il existe une augmentation de la pression artérielle systolique et une prévalence accrue du syndrome métabolique(6). Ces résultats ne permettent pas de faire la part des choses entre l’effet intrinsèque des AUT et l’effet des nutriments dont ils sont les vecteurs sur les conséquences pour la santé. À titre indicatif, l’association entre la pression artérielle et la surconsommation d’AUT persiste après ajustement sur le sel ou sur le score de l’alimentation méditerranéenne. Toutefois, dans une étude, un effet intrinsèque des AUT a été suggéré ; la relation existant entre le syndrome métabolique et les AUT n’a pas été retrouvée en ne prenant en compte que la teneur en macronutriments (glucides, lipides, protéines) ou en fibres(9). Diabète À ce jour il n’existe pas de données permettant d’établir un lien entre la consommation d’AUT et le diabète de type 2. Il n’en reste pas moins que la consommation excessive d’AUT est le marqueur d’un style alimentaire à risque et que tous les indicateurs plaident en faveur de la probabilité d’une telle relation. Ces aliments sont moins satiétogènes et plus hyperglycémiants que les aliments peu transformés(10). L’absence d’association avec le DT2 est peut-être due au fait que la plupart des études ont été effectuées chez des adolescents ou des adultes jeunes. Nanoparticules alimentaires : une nouvelle menace métabolique ? Les microparticules (PM pour particulate matter) désignent habituellement les particules en suspension dans l’atmosphère. Celles dont le diamètre est < 0,1 micromètre sont dites « particules ultrafines » ou « nanoparticules ». En 2011, la Commission européenne a décidé que les nanomatériaux naturels, manufacturés ou accidentels « contiennent un agrégat ou un agglomérat de particules libres dont au moins 50 % ont une taille comprise entre 1 et 50 nm » alors que l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fixé le seuil à 10 %. L’étiquetage des nanomatériaux présents dans les aliments est obligatoire. Où se trouvent les nanoparticules (NP) ? La majorité des NP présentes dans l’environnement ne sont pas d’origine anthropique, mais sont produites par des phénomènes naturels tels que l’érosion éolienne et les tempêtes de poussières et de sable, les feux de forêt, les éruptions volcaniques, les embruns et les végétaux (pollens). En deux décennies, le développement exponentiel des nanotechnologies et la synthèse d’innombrables produits manufacturés exploitant les propriétés physiques, chimiques et biologiques inédites conférées par l’infiniment petit a accru la charge des NP avec un risque de contamination des écosystèmes et de contact direct des individus (tableau 2). Les NP sont également très présentes dans les assiettes puisque plus de 300 produits alimentaires en contiennent sous forme d’additifs tels que E171 (dioxyde de titane), E172 (oxyde de fer) et E551 (dioxyde de silicium). Nanoparticules alimentaires et santé : le cas du dioxyde de titane La problématique sanitaire des NP tient au fait que, comme pour les perturbateurs endocriniens dont les effets délétères peuvent se manifester lors d’une exposition chronique à faible dose pendant les fenêtres de vulnérabilité des individus (grossesse, vie foetale, première enfance), la toxicologie conventionnelle est désarmée pour évaluer objectivement leur nocivité(11). Du fait de leurs tailles, les NP franchissent aisément les barrières biologiques (pulmonaire, placentaire, intestinale, hémato-encéphalique, cutanée) et s’accumulent dans divers organes (foie, rate, moelle osseuse, poumon, système reproducteur) lorsque les systèmes de détoxication ne parviennent pas à les éliminer totalement. À forte concentration, elles ont un effet mutagène et endommagent les organelles cellulaires jusqu’à entraîner la mort cellulaire. En dépit d’un faible taux d’absorption intestinale (0,6 % pour le dioxyde de titane TiO2) l’exposition orale expose, entre autres, à une modification possible du microbiote intestinal et à une perturbation du système immunitaire intestinal(12). L’utilisation du TiO2 par l’industrie alimentaire (E171) devrait être suspendue sous peu à l’initiative du gouvernement français, à la suite de travaux chez le rat suggérant que les NP pouvaient provoquer des troubles immunitaires et des lésions précancéreuses digestives. Toutefois, la responsabilité formelle des NP et du TiO2 comme « promoteur » de la cancérogenèse n’est pas établie chez l’homme. Nanoparticules et diabète : hypothèses et réalités Si, à la suite de divers travaux probants et des résultats de la cohorte du Global Burden Disease, l’effet délétère des macroparticules (MP) dans la pathogénie des maladies métaboliques paraît acquis à ce jour(13,14), le rôle des NP n’a été envisagé qu’indirectement à la suite de travaux expérimentaux(12). À vrai dire, leurs effets sur les voies de l’homéostasie glucosée, sur l’insulinorésistance et sur l’insulinosensibilité et leur impact sur les gènes candidats du DT2 sont encore ténus, mais suffisamment concordants pour retenir l’attention. Globalement les NP présentent à une échelle de taille inférieure les mêmes risques que les MP qui génèrent la formation d’espèces réactives riches en oxygène (EROs) avec des lésions de l’ADN et un processus épigénétique favorisant la surexpression des molécules de l’inflammation secondairement responsables d’une insulinorésistance. Les NP ont également une analogie d’action avec les perturbateurs endocriniens connus pour altérer les régulations endocriniennes physiologiques. In vitro, les nanoparticules de TiO2 induisent de manière dosedépendante une insulinorésistance au niveau des hépatocytes, de façon directe et indirecte par stimulation de la réponse inflammatoire dans les macrophages dans lesquels s’accumule le NP. L’exposition chronique au TiO2 accroît l’expression des cytokines pro-inflammatoires et la production d’ERO. Compte tenu de l’association forte entre ces facteurs et la survenue d’un diabète de type 2, il n’est pas déraisonnable de supposer que les nanomatériaux participent à la pathogénie du DT2, d’autant plus qu’ils se comportent comme des perturbateurs endocriniens en interagissant avec les kinases participant à la signalisation de l’insuline, ce qui entrave la transduction du signal et diminue l’action de l’insuline(12) (figure). Plusieurs études in vivo consolident cette hypothèse. L’administration orale de TiO2 détermine une accumulation de titane dans les organes impliqués dans la régulation glucosée, un excès de production des ERO, une résistance à l’insuline et une augmentation de la phosphorylation du récepteur à l’insuline. L’extrapolation des résultats obtenus avec les MP aux NM ne paraît pas trop aventureuse dans la mesure où les mêmes perturbations – surexpression des molécules de l’inflammation, altération de la signalisation de l’insuline, interactions enzymatiques – ont été évoquées. Figure. Quelques-uns des mécanismes invoqués pour soutenir l’hypothèse d’une relation entre l’exposition aux nanoparticules et le diabète. Conclusion Pour palpitante qu’elle soit, la course à l’innovation n’est pas toujours sans inconvénient pour la santé des consommateurs qui, en théorie, devraient en être les bénéficiaires. L’explosion actuelle de l’incidence des maladies métaboliques et plus particulièrement du diabète de type 2, que les facteurs de risque conventionnels ne suffisent pas à expliquer totalement, incite à prendre à bras-le-corps les nouveaux risques alimentaires en entreprenant une démarche scientifique rationnelle. Dans l’immédiat, il convient de développer une stratégie de prévention et d’information quant à la consommation excessive des aliments ultratransformés et en évitant autant que possible l’utilisation d’additifs anciens ou nouveaux tels que les NP dont le TiO2 est le représentant le plus emblématique.

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