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Nutrition

Publié le 18 mai 2020Lecture 13 min

Les graisses alimentaires : réalités et fictions - Partie II

Louis MONNIER*, Claude COLETTE*, Jean-Louis SCHLIENGER**, *Institut universitaire de recherche clinique, université de Montpellier, **Université de Strasbourg

Suite à une première partie consacrée aux problèmes quantitatifs des graisses alimentaires, nous envisageons dans cette deuxième partie les aspects qualitatifs en annonçant d’emblée que certains d’entre eux sont loin de faire l’unanimité. Plusieurs types d’études sont rapportés. Elles concernent les apports alimentaires en cholestérol, en lipides toutes catégories confondues et en acides gras oméga-3.

Certaines études sont des métaanalyses avec leurs forces et faiblesses(1,2). L’avantage des métaanalyses est de porter sur de larges populations en « poolant » plusieurs études comme des suivis de cohortes ou des essais interventionnels randomisés, réalisées sur des périodes de temps prolongées. L’inconvénient est que ces études peuvent différer en termes de méthodologie. Pour que la qualité des métaanalyses soit garantie, plusieurs conditions doivent être remplies. Le nombre d’études doit être aussi élevé que possible tout en éliminant celles qui ne répondent pas aux critères définis au départ. Cette étape de sélection ne doit pas se limiter à l’analyse des résultats obtenus dans chaque étude, mais doit intégrer des critères méthodologiques précis : définition de la population, type d’intervention, durée de l’étude, définition des objectifs poursuivis et des méthodes d’évaluation des effets observés. Quand la qualité de la méthodologie est garantie, encore faut-il que les auteurs de la métaanalyse puissent garantir la validité de leurs résultats pour éviter 2 erreurs statistiques fondamentales : l’erreur de type I, qui consiste à conclure qu’il y a une différence alors qu’elle n’existe pas, et l’erreur de type II qui, à l’inverse, consiste à dire qu’il n’y a pas de différence alors qu’il y en a une. Le « p » statistique permet en partie de résoudre ce problème à condition d’être convenablement choisi. Dans les métaanalyses, en particulier nutritionnelles, le « p » statistique < 0,05 est probablement très insuffisant et il devrait être fixé à une valeur plus basse(3). Parmi les métaanalyses envisagées dans cet article, certaines conduisent à un « p » statistique peu convaincant, égal à 0,02 par exemple. Parfois le « p » n’est même pas communiqué. Dans ce cas, faut-il croire sur parole qu’il soit significatif parce que l’intervalle de confiance à 95% du « Odds Ratio » (OR) ou du « Hazard Ratio » (HR) ne « mord » pas sur la verticale de neutralité quand on compare 2 groupes avec des profils alimentaires différents. Pour couronner le tout, les auteurs devraient fournir des index permettant de juger de l’hétérogénéité des résultats de la métaanalyse. Cette évaluation peut être obtenue à l’aide de formules mathématiques : calcul du Q de Cochran ou mieux de l’index I2 par exemple(4). Cette évaluation de l’hétérogénéité des résultats ne doit pas être confondue avec celle des méthodes utilisées, cette dernière restant purement subjective et donc uniquement fondée sur la parole des auteurs de la métaanalyse. Toutefois, quelques éléments peuvent donner des informations sur la qualité de la méthode. À titre d’exemple, on peut avoir des doutes importants si la métaanalyse porte sur des études qui diffèrent beaucoup par le nombre de sujets inclus ou par la durée du suivi. La très contestable métaanalyse de Nissen(5) qui a « assassiné » la rosiglitazone, et par ricochet, toute la classe des glitazones est là pour illustrer les conséquences d’un travail mal conduit dans sa méthodologie avec de surcroît des « p » statistiques faiblement significatifs et qui pouvaient être seulement le fruit du hasard. Cholestérol alimentaire et consommation d’oeufs : sont-ils associés au risque cardiovasculaire ? Le rôle du cholestérol alimentaire restant contesté en tant que facteur de risque cardiovasculaire, une métaanalyse réunissant 6 études prospectives a été conduite pour éclairer cette question(6). Après avoir rappelé que les apports moyens en cholestérol alimentaire dans la population américaine sont de 293 mg/jour et qu’une grande partie est fournie par la consommation d’oeufs (3 à 4 unités par semaine, chacune apportant 186 mg de cholestérol), les auteurs détaillent les caractéristiques de leur métaanalyse : 29 615 sujets (âge moyen 51,6 ans) suivis sur une durée médiane de 17,5 années. L’impact de la consommation alimentaire d’oeufs et de cholestérol sur le risque d’accidents cardiovasculaires et de décès quelle qu’en soit la cause est évalué par la méthode du HR. Pour chaque incrément supplémentaire de 300 mg dans l’apport quotidien en cholestérol, le HR a augmenté de 17 % (HR = 1,17, IC95% : 1,09-1,26) pour le risque d’événements cardiovasculaires mortels et non mortels et de 18 % (HR = 1,18, IC95% : 1,10-1,26) pour la mortalité de toute cause. Pour toute augmentation de consommation égale à un demioeuf par jour, le HR a augmenté de 6 % (HR = 1,06 ; IC95% : 1,03- 1,10) pour le risque global d’événements cardiovasculaires et de 8 % (HR = 1,08 ; IC95% : 1,04- 1,11) pour la mortalité totale. Ces résultats sont illustrés sur la figure 1 et sont confirmés par l’augmentation du risque d’événements cardiovasculaires en fonction du niveau de l’apport quotidien en cholestérol dans la population étudiée (figure 2). Au terme de ce travail, les auteurs concluent qu’une augmentation de la consommation en cholestérol ou en oeufs est associée avec un accroissement du risque d’accidents cardiovasculaires ou de décès, quelle qu’en soit la cause. Les limites de cette étude sont liées au fait qu’il est toujours difficile d’évaluer les apports en cholestérol et la consommation d’oeufs, car les consommations sont recueillies de manière déclarative à partir d’enquêtes alimentaires. De plus, la consommation d’aliments riches en cholestérol est habituellement associée aux graisses saturées et aux protéines d’origine animale. Toutefois, après ajustement, les résultats ont montré que l’apport en cholestérol restait un facteur indépendant de risque cardiovasculaire et de décès, quelle que soit la consommation d’aliments d’origine animale. Dans ces conditions, les recommandations nutritionnelles devraient être libellées de manière plus explicite. Figure 1. Association des incréments du cholestérol alimentaire ou de la consommation d’oeufs avec le risque d’événements cardiovasculaires mortels ou non mortels et avec le risque de décès quelle qu’en soit la cause(6). Figure 2. Relation entre cholestérol alimentaire et risque cardiovasculaire. La distribution de l’apport alimentaire en cholestérol dans la population étudiée est indiquée sous forme d’histogramme. La consommation moyenne en cholestérol est de 293 mg/j. La ligne verticale en pointillé (640 mg/j) correspond au 95e percentile de la distribution(6). Actuellement les dernières recommandations américaines pour la période allant de 2015 à 2020 (Dietary Guidelines for Americans(7,8)) contiennent deux messages en apparence contradictoires : « le cholestérol n’est pas un nutriment dont la surconsommation serait un problème » ; « les personnes devraient avoir une consommation de cholestérol aussi faible que possible dans le cadre d’une alimentation saine ». Même si l’étude actuelle montre que les relations entre cholestérol alimentaire et consommation d’oeufs restent modestes, elles sont suffisamment explicites pour conseiller de réduire leur apport, mais sans que l’on sache exactement à quel niveau les seuils devraient être fixés. Sur le plan méthodologique, nul ne sait si l’index d’hétérogénéité a été vérifié, car il n’est l’objet d’aucune mention tout au long de l’article. Remplacer une partie des glucides par des graisses polyinsaturées pour réduire le risque de développer un diabète de type 2 : quand la fiction devient une « fake news » Le diabète de type 2 survient chez des sujets génétiquement prédisposés sous l’influence de facteurs environnementaux, en majorité nutritionnels comme l’obésité et l’excès calorique. Les auteurs d’une métaanalyse de 15 études (102 305 personnes suivies sur une durée médiane de 12 ans) ont cherché à savoir si la consommation de certains acides gras favorise la survenue du diabète de type 2(9). Le risque de développer un diabète de type 2 a été calculé en fonction du profil génétique et de la consommation de graisses alimentaires en utilisant le modèle de Cox à covariables multiples et en se basant sur une substitution isocalorique. Cette dernière a consisté à évaluer le pourcentage de calories glucidiques qui ont été remplacées par des calories lipidiques provenant d’acides gras saturés, mono-insaturés ou polyinsaturés des séries n-6 (acide linoléique et ses dérivés tels que l’acide arachidonique) ou n-3 (acide alphalinolénique et ses dérivés supérieurs tels que les acides éicosapentaénoïque et docosahexaénoïque). Comme on pouvait s’y attendre, le HR de développer un diabète de type 2 a été très significativement influencé par le profil génétique des individus : 1,64 (IC95% : 1,54-1,75), p < 0,001 pour chaque incrément de 10 points du score de risque polygénique mesuré à partir de l’analyse de 66 allèles de risque sur les 88 qui sont habituellement associés au diabète de type 2 (figure 3). En ce qui concerne l’influence du remplacement isocalorique des glucides par des graisses sur le risque (HR) de développer un diabète de type 2, les résultats suivants ont été observés (figure 3). Quand 5 % de l’énergie provenant des glucides sont remplacées par des calories fournies par des acides gras polyinsaturés, avec une mention particulière pour ceux de la série n-6 (oméga 6), le risque de diabète de type 2 diminue : 0,90 (IC95% : 0,82-0,98, p = 0,02). Pour les acides gras mono-insaturés (oméga 9) le risque de diabète de type 2 augmente : 1,10 (IC95% : 1,01- 1,19, p = 0,04). En revanche, le remplacement des apports glucidiques par des apports en graisses totales, saturées, polyinsaturé de type oméga-3 et en acides gras trans ne conduit à aucune association significative avec le risque de développer un diabète de type 2 (figure 3). Figure 3. Risque (HR) de développer un diabète de type 2 pour : - chaque remplacement de 5 % des calories glucidiques par des calories lipidiques (carrés noirs) ; - chaque remplacement de glucides par 1 g de lipides sous forme d’acides gras oméga-3 ou trans (carrés verts) ; - chaque incrément de 10 points du score de risque polygénique (évalué à partir de 66 allèles de prédisposition génétique) (point rouge)(9). Pour résumer ces résultats, il apparaît que c’est la prédisposition génétique qui joue un rôle majeur. En revanche, les données fournies par l’analyse nutritionnelle n’ont aucune pertinence. En effet, il est difficile de comprendre pourquoi les acides gras mono-insaturés favoriseraient l’apparition d’un diabète sucré de type 2 tandis que les acides gras polyinsaturés pris dans leur ensemble joueraient un rôle protecteur. En effet, les recommandations nutritionnelles dans le traitement diététique des diabètes de type 2 patents préconisent l’inverse, c’est-à-dire une augmentation des apports en acides gras mono-insaturés et une diminution des acides gras polyinsaturés de la série oméga 6(10). Plusieurs explications sont envisageables pour comprendre la fragilité des résultats obtenus dans cette métaanalyse. En premier lieu, les études nutritionnelles basées sur les enquêtes alimentaires sont purement déclaratives et de ce fait souvent entachées d’erreur. En deuxième lieu, l’étude que nous venons de rapporter est une métaanalyse qui porte sur 15 études, mais si on prend le résultat qui est le plus significatif (sur les graisses polyinsaturées : HR = 0,90 ; p = 0,02), on s’aperçoit que seules 2 études sur 15 montrent une réduction significative du risque de développer un diabète de type 2. La métaanalyse fait donc « sortir » un résultat significatif qui ne « sort pas » sur 13 des études concernées. Il est à noter que ce n’est pas l’hétérogénéité entre études qui est en cause, car, dans cette métaanalyse, la valeur de l’index I2 utilisée pour évaluer ce paramètre est dans l’ensemble correcte(4), de l’ordre de 25 % : I2 = 18,0 % pour les acides gras polyinsaturés et 25,9 % pour les mono-insaturés. En troisième lieu, pour de nombreuses études portant sur de grandes populations de sujets, le p statistique ne devrait être considéré comme significatif que lorsqu’il est < 0,005(3). Ceci est encore plus vrai pour les études nutritionnelles où le recueil des données est très aléatoire. Dans l’étude dont nous rapportons les résultats, un seul « p » statistique remplit ces conditions (p < 0,001), mais il concerne uniquement la prédisposition génétique alors que les facteurs nutritionnels ne remplissent pas cette condition qui nous paraît essentielle. Aucun des résultats portant sur les données nutritionnelles de cette étude ne mérite une considération particulière, telle est la conclusion que nous tirons de cette métaanalyse. Dans le domaine de la nutrition, cette constatation est malheureusement monnaie courante, ce qui permet à certains de proclamer hâtivement les vertus ou au contraire les dangers de telle ou telle classe d’aliments ou de nutriments. Ainsi à partir de cette métaanalyse des rédacteurs de magazines grand public pourraient être conduits à un raccourci extravagant du type : « l’huile de tournesol protège contre le risque de développer un diabète de type 2 alors que l’huile d’olive a l’effet inverse ». Un vent de défiance souffle sur les oméga-3 Certains nous vantent les propriétés bénéfiques des acides gras oméga-3 dans la prévention et le traitement des maladies cardiovasculaires. Toutefois, de nombreuses réserves devraient être émises quant à l’efficacité des supplémentations en acides gras oméga-3(11), car, en dehors de quelques rares études publiées sous les acronymes GISSI (Gruppo Italiano por lo Studio della Soprawivenza nell’ Infarto miocardico) et DART (Diet And Reinfarction Trial), aucune n’a apporté de résultats probants. En 2004, un groupe de travail du National Institute of Health (Bethesda, États-Unis) avait émis l’avis suivant : « Il y a un ensemble d’éléments qui sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle les acides gras oméga-3 réduisent le risque cardiovasculaire, mais il serait indispensable de disposer d’une étude permettant d’en apporter la preuve définitive. » Depuis, les études se sont accumulées et les résultats se sont avérés globalement en défaveur de l’effet bénéfique des acides gras oméga-3. Citons à titre d’exemple une métaanalyse publiée en 2018 et qui a porté sur 10 études de longue durée regroupant un total de 77 917 participants(12). Après une moyenne de suivi de 4,4 années, aucune baisse significative de l’incidence des maladies coronaires ou des événements cardiovasculaires majeurs n’a été constatée chez les sujets qui avaient été supplémentés en oméga-3 par rapport à ceux qui n’en avaient pas reçu. Le « coup de grâce » si l’on peut dire a été donné par la publication des résultats de l’étude ASCEND (A Study of Cardiovascular Events in Diabetes)(13). Cette étude interventionnelle a été réalisée sur une population de 15 480 patients diabétiques, mais qui ne présentaient au départ aucun stigmate d’athérosclérose. Les sujets ont été randomisés en 2 groupes. Le premier a reçu tous les jours des capsules contenant 840 mg d’acides gras oméga-3 (460 mg d’acide éicosapentaénoïque et 380 mg d’acide docosahexaénoïque). Le deuxième groupe dit « témoin » a reçu une capsule d’huile d’olive. En raison de la faible quantité d’huile d’olive contenue dans ces capsules (1 g), les investigateurs ont considéré que son effet était neutre. Pendant la période de suivi qui s’est étalée sur une période moyenne de 7,4 ans, un accident vasculaire sérieux est survenu chez 8,7 % des patients dans le groupe oméga- 3 et chez 9,2 % dans le groupe témoin (p = 0,55). La survenue d’un événement englobant un accident vasculaire sérieux ou une revascularisation a été observée chez 11,4 % des patients et chez 11,5 % des patients assignés respectivement au groupe oméga-3 et au groupe témoin. Enfin, pour ne parler que des principaux résultats, le nombre de décès de toute cause a été de 9,7 % dans le groupe oméga-3 et 10,2 % dans le groupe témoin. Avec de tels résultats, les calculs statistiques n’ont montré évidemment aucune différence significative entre les 2 groupes. Les résultats sont illustrés sur la figure 4. Figure 4. Risque relatif (HR) d’accidents vasculaires mortels ou non mortels chez des patients diabétiques selon qu’ils sont soumis ou non à une supplémentation en acides gras oméga-3 (460 mg d’acide éicosapentaénoïque et 380 mg d’acide docosahexaénoïque) ou à un traitement par placebo(13). Cette étude interventionnelle, qui a porté sur un nombre important de sujets avec une méthodologie rigoureuse, confirme que la recommandation de consommer 250 mg d’acide éicosapentaénoïque et d’acide docosahexaénoïque, soit 500 mg pour la somme des 2, repose sur des bases fragiles. Ce type de recommandations peut néanmoins être atteint grâce à la consommation de 2 portions de poissons gras par semaine. Cette dernière ne peut pas faire de mal et, si par hasard elle fait du bien sur le risque cardiovasculaire, ne faudrait-il pas se poser la question sur le rôle joué par d’autres nutriments que les oméga-3 ? De toute manière les résultats de l’étude ASCEND(13) ne sont pas en faveur de supplémentations en acides gras oméga-3 chez les sujets diabétiques et il est fortement probable qu’elles ne le sont pas davantage chez les personnes qui ont une alimentation normale et qui ne souffrent d’aucune pathologie carentielle. Conclusion Il apparaît que les conclusions des études nutritionnelles doivent être considérées avec un certain recul. Celles que nous venons d’analyser peuvent être résumées de la manière suivante : les apports en cholestérol alimentaire ne doivent pas être excessifs, mais les seuils ne peuvent pas être déterminés ; les acides gras oméga-3 n’ont pas toutes les vertus dont ils avaient été parés suite à des études observationnelles ou interventionnelles dont la méthodologie laissait à désirer ; les apports en graisses polyinsaturées n’ont rien à voir avec le risque de développer un diabète de type 2, car l’étude qui évoque cette hypothèse repose sur une imposture méthodologique. Nous sommes très loin des affirmations péremptoires véhiculées, ici et là, en particulier par la presse grand public qui leur sert parfois de caisse de résonance.

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