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Thérapeutique

Publié le 16 juil 2020Lecture 10 min

La dapagliflozine en pratique (Forxiga® et Xigduo®) - Quand, comment et pour quels patients ?

Bernard BAUDUCEAU & Lyse BORDIER, service d'endocrinologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé

La période de confinement liée à l’épidémie de COVID-19 a coïncidé avec la mise à disposition de la dapagliflozine, seule ou en association à la metformine (Forxiga® et Xigduo®). Cette commercialisation était très attendue puisque ce médicament est la première molécule de la classe des inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) ou gliflozine qui soit commercialisée en France avec un retard de plusieurs années par rapport au reste du monde. L’épisode épidémique que nous avons connu a profondément modifié le mode de fonctionnement de la diabétologie avec un développement inédit de la télémédecine. Ce fait rendait peu propices les modifications radicales du traitement des patients diabétiques de type 2 et la prescription d’une classe médicamenteuse pourtant bien connue sur le plan théorique. Au décours de cette période difficile, revenir sur les points essentiels de la place et de l’intérêt des iSGLT2 n’est sans doute pas inutile pour favoriser le passage de la théorie à la pratique à la lumière de la prise de position de la Société francophone du diabète (SFD)(1).

Un mode d’action original Les médicaments de la classe des iSGLT2, en bloquant ce système de réabsorption de glucose mais aussi celui du sodium, provoquent une glycosurie et une natriurèse (figure 1). Ce mécanisme induit une perte urinaire de glucose qui entraîne une diminution de la glycémie et une perte de poids de 2 à 3 kg du fait de la fuite calorique urinaire. Cette perte de poids explique vraisemblablement les effets positifs notés au cours de la stéatose hépatique non alcoolique. Figure 1. Mode d’action de la classe des iSGLT2 et de la dapagliflozine en particulier. L’élimination du sodium dans les urines explique la baisse de la pression artérielle de l’ordre de 4 mmHg pour la systolique. Une bonne efficacité sur la glycémie sans risque hypoglycémique Les molécules de la classe des iSGLT2, seules ou en association avec les autres médicaments hypoglycémiants, permettent une diminution de l’HbA1c de l’ordre de 0,5 à 0,9 %(2). Cette fourchette assez large dépend du niveau de départ de l’HbA1c puisque l’efficacité est d’autant plus importante que le diabète est déséquilibré. En revanche, l’existence d’une insuffisance rénale diminue ces résultats si bien que ces médicaments ne sont pas indiqués lorsque le DFG (débit de filtration glomérulaire) se situe en-dessous de 45 ml/min/1,73 m2. L’intérêt des iSGLT2 réside dans leur mode d’action qui est indépendant de l’insuline si bien qu’ils n’entraînent pas d’hypoglycémie en l’absence d’association avec les sulfamides ou l’insuline et qu’ils peuvent être associés à toutes les classes médicamenteuses. Enfin, les iSGLT2 permettent un contrôle glycémique rapide, présentent une durabilité de l’effet et ne comportent pas de sujets non répondeurs sous réserve d’une fonction rénale conservée. La perte de poids est également un atout indiscutable qui n’est observée qu’avec les analogues du GLP-1. Cependant, ces résultats comparables sur le plan glycémique à ceux obtenus avec les autres antidiabétiques oraux, ne justifieraient pas l’intérêt majeur porté à cette classe médicamenteuse si les bénéfices observés sur le plan cardiovasculaire et rénal étaient méconnus. Une efficacité remarquable sur le plan cardiovasculaire L’intérêt des iSGLT2, et notamment de la dapagliflozine, tient à leur effet protecteur sur le plan cardiovasculaire et rénal, ce qui a amené à une modification des indications et de la place de cette classe médicamenteuse chez les patients diabétiques de type 2. En effet, la publication des résultats de l’étude EMPA-REG OUTCOME en 2015 a mis en évidence pour la première fois une efficacité indiscutable de l’empagliflozine dans la protection cardiovasculaire, et notamment de l’insuffisance cardiaque(3). L’étude DECLARE-TIMI, qui concerne la dapagliflozine, démontre également l’absence d’infériorité sur le MACE 3 points et une supériorité sur le critère composite formé du décès d’origine cardiovasculaire et de l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque(4). L’étude DAPA-HF a confirmé chez des insuffisants cardiaques, qui comportaient 42 % de patients diabétiques, un bénéfice sur le critère primaire composite comprenant l’aggravation de l’insuffisance cardiaque ou le décès d’origine cardiaque(5). Les mécanismes expliquant ces résultats remarquables font discuter le rôle de l’hypovolémie induite par l’effet diurétique, la diminution de la pression artérielle et l’élévation d’un corps cétonique, le bêta-hydroxybutyrate qui constitue un substrat énergétique particulièrement efficace pour la fonction cardiaque. Une efficacité innovante sur le plan rénal Les molécules de la classe des gliflozines ont démontré leur effet bénéfique sur le plan rénal dans EMPA-REG OUTCOME avec l’empagliflozine et dans CREDENCE avec la canagliflozine(6,7). La dapagliflozine a également démontré son efficacité sur le plan rénal dans l’étude DECLARE-TIMI alors que les malades inclus devaient avoir un DFG supérieur à 60 ml/min. Dans cette population, une diminution de 47 % a été observée sur la survenue d’un événement rénal (baisse du DFG de plus de 40 % ou mise en dialyse ou mortalité rénale). Le mécanisme en cause de cet effet bénéfique est lié à la majoration du sodium urinaire parvenant à la macula densa du fait de la diminution de sa réabsorption tubulaire, ce qui induit une vasoconstriction de l’artère afférente et par voie de conséquence une diminution de la pression intraglomérulaire. Cette action est donc complémentaire de celle des IEC et des sartans dont l’action résulte d’une vasodilatation de l’artère efférente permettant également de diminuer la pression intraglomérulaire. Des effets indésirables potentiels nombreux mais rarement sévères Les effets indésirables de la classe des iSGLT2 sont nombreux mais de gravité très variable si bien qu’ils ne remettent pas en cause l’intérêt majeur de ces médicaments mais nécessitent une bonne information des patients(8). Effets secondaires fréquents mais bénins • Les mycoses génitales en lien avec la glycosurie surviennent plus souvent chez les femmes, sont rapidement résolutifs sous traitement antimycosique local et ne nécessitent pas l’arrêt du traitement par iSGLT2. • Les infections urinaires, le plus souvent légères à modérées, n’ont été observées que de façon inconstante dans les différentes études. Elles sont accessibles à un traitement habituel et ne nécessitent pas l’arrêt de la gliflozine. Effets secondaires peu fréquents mais qui nécessitent des précautions • Le risque hypoglycémique est très faible en l’absence d’association avec les sulfamides ou l’insuline, dont la posologie doit être diminuée lors du début du traitement par iSGLT2, notamment si l’HbA1c n’est pas très élevée. • Les accidents hypovolémiques, qui peuvent s’accompagner de malaises ou de chutes, sont plus souvent observés en cas d’association avec les diurétiques de l’anse ou chez les sujets fragiles. Cependant, la prise de diurétique peut être maintenue à la même dose sauf si la pression artérielle est basse. • Des observations de cas d’acidocétose associée à une faible élévation de la glycémie ont été rapportées en cas d’insulinopénie, notamment chez les patients présentant un diabète de type 1. Ces accidents sont rares mais peuvent s’observer lors d’une affection aiguë si bien que le traitement par iSGLT2 doit être interrompu 3 ou 4 jours. Effets secondaires graves mais exceptionnels • Les iSGLT2 entraînent une diminution initiale du DFG, qui est réversible. Cependant, quelques cas de dégradation aiguë sévère de la fonction rénale ont été observés avec la dapagliflozine et la canagliflozine. • Une augmentation des cas d’amputation, le plus souvent distale, a été notée avec la canagliflozine dans l’étude CANVAS mais cet effet inquiétant n’a pas été noté dans DECLARE-TIMI avec la dapagliflozine. Une certaine prudence est toutefois de mise chez les patients présentant une artériopathie ou des antécédents de plaie du pied. • Une majoration du risque de fracture a été notée uniquement avec la canagliflozine. • Une augmentation des AVC non fatals qui pourrait être en rapport avec l’augmentation de l’hématocrite, a été montrée dans une métaanalyse incluant les différentes molécules de la classe. • Enfin, des cas tout à fait exceptionnels de gangrène de Fournier intéressant la région périnéale ont été rapportés. Cette longue liste de complications observées au cours du traitement par iSGLT2 ne doit pas alarmer car, en dehors des mycoses génitales, leur fréquence est très faible notamment avec la dapagliflozine. Ainsi, la balance bénéfice risque s’inscrit largement en faveur de ces molécules mais leur prescription nécessite naturellement des précautions d’emploi et une information des patients (figure 2)(8). Figure 2. Avantages et effets secondaires des iSGLT2. Une place privilégiée dans le traitement du diabète • Selon les recommandations de la HAS qui datent de 2013, une monothérapie devait être instaurée en utilisant la metformine en première intention si l’objectif glycémique n’était pas atteint malgré la mise en place des mesures hygiéno-diététiques. En cas d’échec, la bithérapie préconisée reposait sur l’association de la metformine et d’un sulfamide hypoglycémiant. Ces positions sont naturellement obsolètes puisqu’elles ne concernaient pas les iSGLT2 et ne prenaient pas en compte les résultats des grandes études de protection cardiovasculaire et rénale. • La SFD a pris une position actualisée dans son référentiel publié en 2019 en recommandant la prescription d’un iSGLT2 dès le stade de la bithérapie après la metformine en prenant en compte les résultats obtenus dans les différentes études de protection cardiovasculaire et rénale(1) (figures 3 et 4). Pour la SFD, les meilleures indications, en dehors de celle de la normalisation glycémique, concernent les patients diabétiques de type 2 obèses, présentant une maladie cardiovasculaire avérée, une insuffisance cardiaque ou une maladie rénale chronique. Figure 3. Choix du traitement en cas d’insuffisance de l’amélioration du mode de vie associée de la metformine et en situation commune selon la SFD (âge < 75 ans, IMC < 35 kg/m2, absence de maladie cardiovasculaire ou d’atteinte rénale). Figure 4. Choix du traitement en cas d’insuffisance de l’amélioration du mode de vie associée de la metformine chez un patient présentant une maladie cardiovasculaire avérée, une insuffisance cardiaque et/ou une maladie rénale chronique selon la SFD. • Selon les annonces récentes des autorités de santé françaises, les indications de la dapagliflozine qui conditionnent le périmètre de remboursement, concernent les patients diabétiques de type 2 âgés de plus de 18 ans dont l’objectif glycémique n’est pas atteint dans les conditions suivantes : – en bithérapie en association à la metformine, en cas d’intolérance ou de contre-indication aux sulfamides hypoglycémiants ; – en bithérapie en association à un sulfamide hypoglycémiant en cas de contre-indication ou d’intolérance à la metformine ; – en trithérapie en association à la metformine et à un sulfamide hypoglycémiant ; – en trithérapie en association à la metformine et à l’insuline. En revanche, certaines indications conditionnant le remboursement ne sont pas retenues pour le moment : – la prescription de la dapagliflozine n’est pas indiquée à ce jour en monothérapie ; – selon les autorités de santé, la trithérapie associant la dapagliflozine, la metformine et la sitagliptine n’a pas de place dans le traitement du diabète de type 2, en l’absence de données cliniques pertinentes ; – l’indication de ce médicament n’est pas recommandée chez les patients présentant un diabète de type 1 en dépit de résultats intéressants dans la littérature mais avec un risque majoré d’acidocétose. Ces indications officielles de la dapagliflozine ne facilitent pas la vision des prescripteurs car elles sont centrées sur les objectifs glycémiques sans référence aux propriétés de prévention cardiovasculaire et rénale. Nul doute que ces positions devraient évoluer dans le futur ; il est du moins possible de l’espérer. Un mode de prescription bien codifié La dapagliflozine est disponible et remboursée en officine depuis le lundi 6 avril sous le nom de Forxiga® ou de Xigduo® en association fixe avec la metformine pour des patients diabétiques de type 2 âgés de plus de 18 ans. La posologie de Forxiga® est de 1 comprimé de 10 mg, une fois par jour à tout moment de la journée. La posologie de Xigduo® qui comporte 5 mg de dapagliflozine et 1 g de metformine est donc de 1 comprimé matin et soir, ce qui facilite l’observance. Comme tous les iSGLT2, la dapagliflozine ne doit pas être initiée chez les patients avec un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73 m2 et nécessite d’être arrêtée en présence d’un DFG inférieur à 45 ml/min/1,73 m2. La posologie ne doit pas être modifiée pour un DFG situé entre 45 et 60 ml/min/1,73 m2. En cas d’insuffisance hépatique sévère, la dose initiale recommandée de 5 mg/j peut être majorée à 10 mg/j si le traitement est bien toléré. Aucun ajustement de la dose n’est nécessaire chez les patients de plus de 65 ans mais le risque de déplétion volémique est plus important. Enfin, en raison d’une expérience limitée, l’initiation d’un traitement par la dapagliflozine n’est pas recommandée chez les patients âgés de plus 75 ans. La prescription initiale doit être faite par un spécialiste (endocrino-diabétologue ou interniste) mais les ordonnances de renouvellement peuvent être rédigées par les généralistes, ce qui implique que ces médecins connaissent bien la molécule. Conclusion La dapagliflozine est la première molécule de la classe des iSGLT2 qui soit commercialisée en France. Elle ouvre une ère nouvelle dans le traitement des patients diabétiques de type 2 et nécessite d’être maintenant utilisée dans les meilleures conditions. Outre son efficacité sur la glycémie, ses avantages sont de ne pas entraîner d’hypoglycémie, de favoriser la perte de poids et de diminuer la pression artérielle. La dapagliflozine, comme les autres médicaments de la classe, a enfin un effet bénéfique incontestable en matière de protection cardiovasculaire et rénale. Il était grand temps que ce médicament soit disponible en France alors que la quasi-totalité des pays en dispose depuis plusieurs années. La patience est la mère de toutes les vertus et cette citation s’applique tout particulièrement aux diabétologues français.

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