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Nutrition

Publié le 25 oct 2020Lecture 10 min

Les viandes rouges et transformées : consommation en question ?

Louis MONNIER*, Claude COLETTE*, Jean-Louis SCHLIENGER**, *Institut universitaire de recherche clinique, université de Montpellier ,**Professeur émérite, Faculté de médecine de Strasbourg

Depuis plusieurs décennies, les recommandations préconisent de maintenir chez l’adulte un apport en protéines voisin de 15 % de l’apport énergétique total(1). Pour un sujet de poids normal (exemple 75 kg) consommant 2 000 kcal/j, l’apport protéique idéal devrait être de 75 g, soit 1 g/kg de poids corporel par jour. De plus, pour éviter toute perte de masse protéique, il est recommandé de maintenir un apport de sécurité de 0,8 g/kg/j. Pour couvrir ces besoins protéiques, on peut faire appel aux deux grandes variétés de protéines, végétales et animales.

État des lieux Les premières sources de protéines sont d’origine végétale et fournies essentiellement par les céréales (blé, riz, etc.), les légumineuses (haricots, pois chiches, etc.) et les graines. Les secondes d’origine animale ont des sources très variées : poissons, viandes blanches ou rouges, viandes transformées, oeufs, produits laitiers. Les protéines végétales ont l’inconvénient d’avoir une valeur biologique (azote fixé/azote ingéré) beaucoup plus faible (65 %) que celle des protéines animales (75 % pour les viandes et jusqu’à 95 % pour la caséine des produits laitiers ou l’albumine de l’œuf)(2). De plus, la teneur en protéines des produits alimentaires d’origine animale est en général élevée : 20 % pour les viandes et les poissons vs 10 % pour le pain ou les légumineuses après cuisson. Pour les aliments comme le riz ou les pâtes alimentaires, elle tombe à 3 % après cuisson. Ceci signifie qu’il est conseillé de faire appel majoritairement à des protéines animales (environ les deux tiers) si on souhaite obtenir un régime équilibré. Dans un régime purement végétalien, on atteint très péniblement un apport de 60 g de protéines par jour grâce à la consommation de 350 g de pain par jour (35 g de protéines) et 750 g de féculents après cuisson (25 g de protéines)(3). En revanche, la consommation de protéines animales permet d’atteindre assez aisément l’objectif de 1 g/kg/j. Dans la mesure où 100 g de viande (1 petite portion classique) apportent 20 g de protéines, on peut considérer qu’un régime équilibré de bonne santé (Dietary Health Eating Pattern) devrait correspondre à la répartition alimentaire suivante : 1/3 de protéines végétales, 1/3 de protéines apportées par les viandes rouges et/ou blanches, 1/3 apportées par les autres aliments d’origine animale (œufs, poissons, produits laitiers…). Les recommandations américaines pour la période 2015- 2020(4) préconisent une consommation hebdomadaire de viande et d’équivalents viande (oeufs, volailles) comprise entre 670 et 784 g (moyenne 720 g) chez la femme et comprise entre 810 et 950 g (moyenne 880 g) chez l’homme à l’âge adulte entre 31 et 50 ans. Si on tient compte du fait que les « équivalents viande rouge » (oeufs, volailles) représentent une consommation de l’ordre de 150 à 200 g par semaine, on peut considérer que les recommandations américaines correspondent à une consommation de viande rouge comprise entre 500 et 700 g par semaine, c’est-à-dire à 4 à 5 portions, chacune d’elle étant estimée à 125 g avec un apport de 25 g de protéines. Ces recommandations sont comparables à celles du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui préconise de limiter les consommations respectives de viandes rouge et de charcuterie à 500 et 150 g par semaine. L’ensemble de ces recommandations repose sur de nombreuses études qui ont été consacrées aux probables effets délétères d’une consommation excessive de viande rouge(5). L’état des lieux doit-il être remis en question ? Bien que les recommandations que nous venons d’évoquer soient claires, certains soutiennent que des réductions encore plus drastiques devraient être conseillées, confinant à une quasi-exclusion des viandes. Cette attitude est-elle justifiée ? Une série de 7 articles parus récemment dans Annals Internal Medicine(6-12) ont tenté d’apporter quelques éclaircissements sur les relations entre consommation de viande et santé, même si leurs résultats font l’objet de critiques. Parmi ces articles, deux d’entre eux méritent une attention particulière(7,9). Première étude Dans une population de 48 835 femmes ménopausées ayant participé au Women’s Health Initative Trial(7), les risques relatifs de décès ont été évalués par le hazard ratio (HR) en comparant les personnes qui avaient une alimentation standard à celles qui avaient réduit leur consommation de viande rouge (en moyenne -1,4 portion avec des extrêmes allant de 1 à 3 portions). Les résultats rapportés sur la figure 1 ne montrent aucune réduction significative du risque de mortalité globale ou de décès par accidents cardiovasculaires ou cancers. De plus, le nombre d’événements évités pour 1 000 personnes est faible dans tous les cas : -2 pour les décès quelle qu’en soit la cause, -3 pour la mortalité cardiovasculaire et -12 pour la mortalité par cancer. Figure 1. Résultats du Women’s Health Initiative Trial (48 835 personnes). HR (IC95%) du risque de décès quand on compare 2 types d’apports alimentaires : un apport moyen de référence en viande rouge versus une réduction de l’apport en viande rouge (1,4 portion de moins en moyenne par semaine). D’après la référence(7). Deuxième étude Il s’agit d’une métaanalyse(9) constituée d’études de cohortes suivies sur une durée allant de 9 à 28 ans. Les personnes ayant participé à ces suivis de longue durée ont été stratifiées puis comparées en fonction de leur consommation de viande rouge et de viandes transformées, ces dernières étant définies comme des viandes blanches ou rouges, conservées par fumage, séchage, salaison ou addition de conservateurs chimiques. Les charcuteries, saucisses, jambons, font partie du groupe des viandes transformées. Dans ces cohortes de suivi, les investigateurs ont enregistré les décès quelle qu’en soit la cause, les événements cardiovasculaires mortels et non mortels et la survenue d’un diabète de type 2. Le risque relatif (HR) de survenue de ces événements a été comparé entre deux groupes. Le premier a une consommation « standard » de viande rouge ou transformée (groupe de référence) ; dans le deuxième groupe, la consommation a été réduite de 3 portions par semaine par rapport au groupe de référence. Les résultats suivants, illustrés sur la figure 2, ont été observés. Figure 2. Résultats d’une métaanalyse sur plusieurs centaines de milliers de personnes. HR (IC95%) du risque de mortalité globale (décès quelle qu’en soit la cause ou de cause cardiovasculaire) quand on compare les 2 types d’apports alimentaires : un apport moyen de référence en viande rouge transformée ou non versus une réduction de l’apport (3 portions de moins en moyenne par semaine). D’après la référence(9). La diminution de consommation de viande rouge, qu’elle soit transformée ou non, est associée à une réduction du risque de décès (causes cardiovasculaires ou autres). Toutefois le nombre d’événements évités pour 1 000 personnes est faible allant de -4 à -9 événements. Ces résultats pourraient dans l’absolu être considérés comme légèrement significatifs, mais ils ont été jugés comme peu convaincants par les investigateurs eux-mêmes car l’index d’hétérogénéité I2 est très élevé (> 80 %). Ceci signifie que les études constitutives de la métaanalyse n’explorent pas le même effet. Normalement pour qu’une métaanalyse soit recevable et pleinement interprétable, il faut que le I2 soit au minimum < 50 %(13). Interprétation des résultats de ces études Prises dans leur ensemble, ces observations montrent que la réduction de la consommation de viande rouge ou transformée ne conduit pas à un bénéfice substantiel quand elle est portée à un niveau très inférieur (3 portions de moins) à celui qui est conseillé par les recommandations actuelles(4). Dès lors, pourquoi faudrait-il brandir des « interdits » excessifs, voire inutiles ? Par ailleurs, certains d’entre eux pourraient avoir des effets délétères comme des carences protéiques. De plus, comme indiqué plus haut, un sujet éprouve souvent des difficultés à couvrir ses besoins protéiques s’il se soumet à un régime totalement dépourvu de viande rouge et/ou d’équivalents, qu’il s’agisse de viandes transformées ou d’autres produits d’origine animale (oeufs, viandes blanches, etc.). Les considérations environnementales : faut-il en tenir compte dans l’état des lieux ? Les relations entre consommation/production de viande et environnement sont l’objet de débats depuis plusieurs années. Les dernières estimations de la consommation moyenne de viande dans les différentes zones géographiques montrent qu’elle est la plus forte dans les pays à PIB élevé où elle se situe entre 60 à 91 g de viande rouge par jour. Elle est plus faible en Amérique latine : 27 à 44 g/j. Bien que la Chine ait vu la consommation de viande rouge augmenter de manière rapide au cours des dernières années(5), cette consommation reste basse au niveau de l’ensemble du continent asiatique (4 à 7 g/j). Ceci est en grande partie dû au fait que les habitants de la péninsule indienne ont une consommation très faible de viande pour des raisons d’interdits religieux. Au niveau mondial, la consommation de viande rouge ne cesse d’augmenter pour atteindre 400 millions de tonnes au dernier recensement de la FAO en 2010. Le problème est que toute augmentation de la consommation se traduit par une intensification de l’élevage du bétail qui assure une partie de sa subsistance grâce aux produits céréaliers et au soja. Dans tous les cas, l’extension des pâturages ou des champs de céréales se fait aux dépens d’une déforestation progressive(5). De plus, l’alimentation industrielle des animaux conduit à une augmentation des besoins en hydrocarbures indispensables au fonctionnement des véhicules destinés au transport des céréales et des engins utilisés pour labourer les terres agricoles. La production excessive de gaz carbonique d’un côté, et la réduction de son élimination de l’autre par la déforestation, ne peuvent conduire qu’à une augmentation du taux de CO2 de l’atmosphère (figure 3) avec pour conséquence un effet de serre et un réchauffement climatique dont les responsables publics prennent conscience depuis quelques années. Le gaz carbonique n’est pas le seul gaz à effet de serre dont la production est augmentée en cas d’élevage intensif car ce dernier contribue également à l’émission excessive de méthane (CH4) qui provient directement des animaux et d’oxyde nitreux (N2O) (figure 4) qui dérive des nitrates industriels (engrais azotés) ou de la décomposition naturelle des déchets azotés, eux-mêmes provenant des excréments des animaux ou de la décomposition des résidus végétaux. Figure 3. Mécanisme par lequel l’élevage intensif et la déforestation conduisent à une accumulation excessive de CO2 dans l’atmosphère. Figure 4. Cycle de l’azote en cas d’élevage intensif. Dans un cycle normal, les déchets azotés provenant des excréments d’animaux ou les nitrates déversés sous forme d’engrais sont dénitrifiés (voie normale) pour être recyclés sous forme d’azote (N2). En cas d’élevage intensif ou d’apport excessif de nitrates, une partie des nitrates est transformée pour donner de l’oxyde nitreux (N2O) qui s’accumule dans l’atmosphère pour exercer un effet de serre. Enfin, pour couronner le tout, l’élevage intensif a deux conséquences supplémentaires. La première est liée au fait que la production de viande est fortement consommatrice d’eau. Il faut environ 10 tonnes d’eau pour obtenir 1 kg de viande. Pour certains, ces besoins seraient largement surestimés car dans les 10 tonnes d’eau est comptabilisée l’eau de pluie (eau verte) qui est recyclable et qui représente environ 93 à 95 % de l’eau totale utilisée pour l’élevage des animaux. Dans ces conditions, l’eau réellement nécessaire pour produire 1 kg de viande ne serait que de 500 litres (l’eau bleue nécessaire à la boisson des animaux). Il est difficile de se faire une idée précise entre ces deux chiffres qui sont très éloignés, car très dépendants du référentiel choisi : l’eau bleue, l’eau verte ou l’eau totale. Il est probable que la réalité se trouve quelque part entre les deux extrêmes, mais où ? La deuxième conséquence est liée au fait qu’il faut 3 à 20 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéines animales. Ce faible rendement varie d’ailleurs en fonction de l’espèce animale. De toute manière, ceci signifie que toute réduction de la production animale devrait entraîner une augmentation de la consommation directe de protéines végétales. Cette constatation serait loin de déplaire à ceux qui préconisent une inversion de la consommation protéique au profit des végétaux. Afin de mieux saisir les enjeux, nous avons représenté sur la figure 5 l’impact de la production de certains produits alimentaires sur les émissions de gaz à effet de serre en 2005/2007 et les projections en 2050 en supposant que la température n’augmentera pas de plus de 2 °C(14). Cette illustration montre clairement que la part de la viande rouge dans cette production exprimée en gigatonnes d’équivalents CO2 augmentera d’environ 50 %. Figure 5. Impact de la production de certains produits alimentaires sur les émissions de gaz à effet de serre an 2005/2007 (gigatonnes d’équivalents CO2). Projections en 2050 en supposant que d’ici là la température n’augmentera pas de plus de 2° C. La production de viande rouge apparaît dès aujourd’hui comme le plus gros contributeur de ces émissions. Sa contribution risque de s’accroître au cours des 30 prochaines années. D’après la référence(5). Quelles recommandations retenir pour la consommation de viande ? Une position extrémiste serait de préconiser des régimes « sans viande ». Ceci serait absurde si on souhaite conserver un apport protidique suffisant avec des protéines à haute valeur biologique comme le sont les protéines animales. Les recommandations nutritionnelles raisonnables ont été publiées en 2015 par les autorités américaines pour la période allant jusqu’en 2020(4). Quatre à cinq portions de viande rouge et/ou transformée (soit 500 à 700 g) par semaine est une proposition fondée sur des bases scientifiques sérieuses en termes de santé. Les études publiées dans Annals Internal Medicine(9-12) sont en faveur de ces recommandations et disent simplement que la consommation de viande rouge et transformée ne doit pas être restreinte de manière excessive. En revanche, le problème pour lequel nous n’avons que des réponses incomplètes est celui des conséquences de la production de viande sur l’environnement. Les pessimistes diront que nous nous préparons à un avenir sombre. L’excès d’optimisme ne paraît pas être la bonne attitude. Dans ce domaine également, il est probable que c’est la modération qui devra être préconisée et que les recommandations santé et les préoccupations environnementales finiront par converger.

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