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Thérapeutique

Publié le 30 déc 2020Lecture 9 min

GLP-1 RA et rétinopathie diabétique, faut-il s’inquiéter ?

Bénédicte GABORIT, service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, APHM, Marseille ; INSERM, INRA, C2VN, Marseille

La rétinopathie diabétique (RD) est une des complications microvasculaires les plus graves et fréquentes du diabète de type 2 (DT2), et demeure une cause majeure de cécité dans le monde, en particulier chez les adultes en âge de travailler. Une méta-analyse regroupant plus de 288 études publiée dans le Lancet Global Health montre qu’elle fait partie des cinq premières causes de cécité avec la DMLA, le glaucome, la cataracte et la myopie dégénérative(1). Parmi les patients diabétiques avec RD, 5-10 % vont développer une forme grave avec RD proliférante ou oedème maculaire pouvant menacer le pronostic visuel. Outre les facteurs de risque classiquement reconnus que sont l’ancienneté du diabète ou le mauvais équilibre glycémique et tensionnel, peu d’études se sont intéressées à l’effet propre des traitements antidiabétiques sur la rétine. Des études de sécurité cardiovasculaire récentes ont soulevé la polémique sur l’innocuité des incrétinomimétiques, en rapportant une augmentation des événements rétiniens dans le groupe traité par analogue du GLP-1 comparativement au groupe placebo(2-4). S’agit-il d’une association fortuite ou fautil s’inquiéter pour nos patients diabétiques traités par analogues du GLP-1 ?

Les études randomisées de morbi-mortalité qui ont lancé le débat La première étude, LEADER, est une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée, dont l’objectif principal était d’évaluer la morbimortalité à long terme du liraglutide versus placebo, chez 9 340 patients diabétiques de type 2 à risque cardiovasculaire(3). Le critère de jugement principal était le délai jusqu’à survenue d’un des 3 événements cardiaques majeurs confirmés composant le critère composite MACE (major adverse cardiac events) : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non mortel, AVC non mortel. Ce critère de jugement a été atteint de façon moins fréquente dans le groupe liraglutide versus placebo (hazard ratio HR : 0,87 ; IC95% : 0,78-0,97, p < 0,001). À l’inclusion dans l’étude LEADER, les patients n’ont pas eu de fond d’œil systématique et leur statut rétinien reposait sur des données d’anamnèse ; cependant la proportion de patients ayant rapporté un événement rétinien était plus importante dans le groupe liraglutide que dans le groupe placebo (2,3 % versus 2,0 %), avec davantage d’hémorragies du vitré dans le groupe liraglutide : 32 patients versus 22 dans le groupe placebo (HR : 1,15 ; IC95% : 0,87-1,52 ; p = 0,33)(3). La deuxième étude, SUSTAIN-6, est une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée, dont l’objectif principal était d’évaluer la morbi-mortalité à long terme du sémaglutide versus placebo, chez 3 927 patients diabétiques de type 2 qui présentaient déjà une maladie cardiovasculaire, cérébrovasculaire, vasculaire périphérique, une insuffisance cardiaque ou une maladie rénale avec au moins un facteur de risque cardiovasculaire(2). Les patients ont été suivis durant une médiane de 2,1 ans. Une réduction de 26 % du risque d’événement cardiovasculaire majeur a été mise en évidence dans le groupe traité versus placebo, mais les auteurs ont également constaté une augmentation de 76 % du risque de complication à type de RD dans le groupe traité par sémaglutide. Le risque d’hémorragie vitréenne, cécité ou nécessité de traitement par un agent intravitréen ou de photocoagulation s’est élevé à 3 % versus 1,8 % chez les patients du groupe placebo (p = 0,002)(2). La glycémie ayant baissé de 1,1 % avec la dose de 0,5 mg et 1,4 % avec 1 mg de sémaglutide, comparativement à une baisse de 0,4 % dans le groupe placebo, certains auteurs ont fait l’hypothèse que la baisse rapide de la glycémie pouvait être responsable de l’effet observé sur les complications rétiniennes(5). La troisième étude, REWIND, a évalué le dulaglutide, administré de façon hebdomadaire à la dose usuelle de 1,5 mg, comparativement au placebo en plus d’un traitement antidiabétique standard(4). Une des originalités de cette étude était, outre sa durée (suivi médian de 5,4 ans), de tester d’emblée la supériorité du dulaglutide. Par ailleurs, la majeure partie des 9 901 patients inclus dans 24 pays, âgés d’au moins 50 ans (âge moyen 66,2 ans, durée moyenne d’évolution du diabète de 10,5 ans) n’avaient pas d’antécédent cardiovasculaire : seulement 31 % avaient un antécédent d’IDM, d’AVC ischémique, de maladie coronarienne chronique, de revascularisation (coronaire, carotidienne ou périphérique) ou d’ischémie myocardique. Les patients inclus dans l’étude REWIND avaient une glycémie relativement bien contrôlée (HbA1c en moyenne à 7,2 %). Les résultats montrent, sur le critère principal (MACE 3 points), une supériorité du dulaglutide par rapport au placebo : réduction du risque de 12 % (HR = 0,88 ; IC95% : 0,79-0,99 ; p = 0,026). En revanche, une augmentation non significative du risque d’événements rétiniens (traitement par anti-VEGF, laser ou vitrectomie) de 24 % a été mise en évidence dans le groupe dulaglutide (HR = 1,24 ; IC95%: 0,92- 1,68 ; p = 0,16). Le bénéfice cardiovasculaire des analogues du GLP-1 associé à un signal rétinien défavorable a soulevé l’hypothèse que ces molécules pourraient moduler l’angiogenèse et avoir une action pro-angiogénique. Étude ANGIOSAFE DT2 L’étude ANGIOSAFE DT2 est une étude observationnelle multicentrique visant à étudier l’effet des traitements antidiabétiques sur la rétine chez les patients diabétiques de type 2 (figure). Elle implique la participation des services de diabétologie et d’ophtalmologie des hôpitaux Lariboisière et Bichat à Paris, Hôpital Nord et Conception de l’APHM et hôpital Saint-Joseph à Marseille. Tous les patients diabétiques de type 2 majeurs quel que soit leur traitement, dépistés pour la RD par une rétinographie du fond d’œil, peuvent être inclus, s’ils n’ont pas de cataracte (empêchant le grading de la RD sur la rétinophoto), ni de panphotocoagulation datant de plus de 10 ans (date de mise sur le marché des premiers analogues du GLP-1). Les données concernant la durée d’exposition à tous les antidiabétiques oraux et injectables sont collectées depuis le diagnostic de leur maladie par un interrogatoire précis et une analyse du dossier médical partagé. Les patients ont un examen clinique usuel, et deux rétinographies du fond d’oeil, ainsi qu’un prélèvement sanguin avec biobanking (sang, urines et cheveux). Les complications microet macroangiopathiques sont également collectées. La rétinopathie diabétique est gradée selon la classification internationale de sévérité de la RD(6) par deux évaluateurs indépendants en insu à partir du stade de la rétinopathie diabétique non proliférante modérée ; un double grading aléatoire, intracentre et intercentre, est également réalisé sur 10 % des rétinographies. Figure. Présentation de l’étude française ANGIOSAFE DT2 qui prévoit d’inclure 7 200 patients diabétiques de type 2 dépistés pour la rétinopathie diabétique par rétinographies couleur du fond d’œil(7). Il est prévu d’inclure 7 200 patients avec réévaluation du stade de la RD à 3 ans. Le critère d’évaluation principal sera le nombre de patients avec rétinopathie sévère exposés aux analogues du GLP-1 comparativement aux patients ne présentant pas de RD sévère. La RD sévère est définie par la présence d’une RD non proliférante sévère ou proliférante ou inactivée par des injections intravitréennes ou par laser depuis moins de 10 ans, ou un œdème maculaire. Nous avons réalisé une analyse intermédiaire sur les 3 348 premiers patients inclus. La RD sévère a été diagnostiquée chez 10 % des patients inclus (n = 310). De façon attendue, les patients avec RD sévère sont plus âgés (64 versus 62 ans, p = 0,017), avec une durée d’évolution plus longue (20 versus 12 années, p < 0,0001), et ont plus d’hypertension artérielle et de néphropathie, ou de neuropathie que les patients sans RD sévère (p < 0,0001). En analyse multivariée, incluant le sexe, l’âge, la durée d’évolution du diabète, l’HbA1c, l’HTA, la néphropathie et la neuropathie, les autres traitements du diabète (et notamment les inhibiteurs de la DPP4 ou l’insuline), les analogues du GLP-1 ne sont pas significativement associés de manière indépendante avec la RD sévère (OR = 1,139 ; IC95% ; 0,800-1,622 ; p = 0,47) alors que l’on retrouve les déterminants habituels tels que l’âge, le sexe, l’ancienneté de la maladie et l’HbA1c,mais aussi l’association avec l’insulinothérapie(7). Dans une série d’études in vitro, réalisée parallèlement chez l’homme et le rongeur, l’application d’un analogue du GLP-1 n’affectait pas non plus les progéniteurs endothéliaux circulants ni l’angiogenèse de cellules endothéliales vasculaires ou rétiniennes(7). Études de registre internationales En attendant la publication des études randomisées prospectives sur l’impact des analogues du GLP-1 sur la rétine (étude FOCUS pour le sémaglutide), de nombreuses études de registre internationales ont essayé de répondre à la question de la sécurité des analogues du GLP-1 sur la rétine. L’étude des vétérans américains âgés de plus de 65 ans a inclus plus de 200 000 patients suivis sur une durée d’un an ; l’effet d’un traitement par incrétinomimétique (analogue du GLP-1 ou iDPP4) a été comparé à un autre antidiabétique (sulfamide, glitazone ou insuline). Le critère d’évaluation principal était la survenue d’une RD nécessitant un traitement (laser, vitrectomie ou injection intravitréenne). Il n’a pas été observé d’augmentation du risque de RD sous analogues du GLP-1 ; une diminution du risque a même été observée comparativement à la mise sous insuline basale avec un hazard ratio à 0,50 (IC95%: 0,39-0,65)(8). Dans cette étude, il n’y avait aucune donnée sur la durée d’évolution du diabète et 90 % des données étaient manquantes sur l’HbA1c et l’HTA. G.P. Fadini et coll. ont analysé les données de la FDA (Food and Drug Administration) de 2004 à 2017 et les rapports d’effets indésirables sous analogues du GLP-1 (n = 114 814)(9). La fréquence des événements rétiniens déclarés était plus basse (2,53/1 000) dans le groupe analogue du GLP-1 versus autres antidiabétiques (6,62/1 000) avec un rapport de déclaration proportionnel de 0,38 (IC95% : 0,34- 0,43 ; p < 0,0001)(9). Une méta-analyse récente (plus de 60 études et 60 000 patients) évaluant les effets microvasculaires des analogues du GLP-1 a montré une réduction significative du risque d’albuminurie versus placebo ou autre comparateur et une absence d’augmentation significative du risque de RD, oedème maculaire, décollement de rétine et hémorragie rétinienne(10). Cependant, les auteurs ont mis en évidence une augmentation de l’incidence des hémorragies vitréennes de 93 % chez les patients sous analogues du GLP-1 comparativement au placebo (odds ratio : 1,93 ; IC95% : 1,09-3,42). D’autres études de registre ont essayé de répondre à la question : « est-ce que les analogues du GLP-1 sont susceptibles d’aggraver une RD déjà présente ? ». L’étude dano-suédoise de Ueda et coll. s’est intéressée à la prescription d’un analogue du GLP-1 ou d’un iDPP4 (comparateur) chez les patients présentant une RD initiale (définie par panphotocoagulation, IVT, hémorragie intravitréenne ou le décollement de rétine)(11). Cette étude a inclus 6 650 patients ayant reçu une prescription d’analogue du GLP-1 et 11 630 nouveaux utilisateurs d’iDPP4. Dans cette étude, la prescription d’un analogue du GLP-1 n’a pas été significativement associée à une aggravation de la RD (HR ajusté = 1,07 ; IC95% : 0,95-1,20). Enfin, l’étude de registre britannique de la UK Clinical Practice Research Datalink a regardé l’incidence de la RD sous analogues du GLP-1 sur plus de 77 000 patients diabétiques de type 2 ayant débuté un traitement entre janvier 2007 (date d’autorisation de 1re mise sur le marché de l’exénatide, le 20/11/2006) et septembre 2015(12). La durée moyenne de suivi était comprise entre 2,8 et 8,8 ans. Parmi ces patients, 3 047 ont reçu un aGLP-1 (97 % en association avec d’autres antidiabétiques), avec une durée moyenne de prise de 0,8 an (maximum 7,3 ans). Au total, 10 763 patients ont été identifiés avec un nouveau diagnostic de RD (incidence 43,8/1 000 personnes). Comparativement à la prise de  2 antidiabétiques, les analogues du GLP-1 n’étaient pas associés à une augmentation de l’incidence de RD (HR : 1,00 ; IC95%: 0,85-1,17). En comparaison avec l’insuline, ils étaient même associés à une diminution du nombre de nouveaux cas de RD (HR : 0,67 ; IC95% : 0,51-0,90). Toutefois, les groupes différaient en termes d’âge et de nombre de complications (les patients sous insuline étaient plus âgés et présentaient davantage de complications du diabète). Enfin, en analyse de sensibilité, la durée d’exposition de 6 à 12 mois à un analogue du GLP-1 était associée à une augmentation du risque de RD de 44 % (HR = 1,44 ; IC95% : 1,06-1,96), notamment chez les patients hypertendus(12). Les auteurs évoquent la possibilité d’une correction trop rapide de la glycémie ou d’un biais de sélection des personnes susceptibles ou prédisposées à développer une RD. Conclusion ▸ La majorité des études cliniques, même si elles comportent des effectifs importants, sont des études de registre (report d’effet indésirable) et qui ne montrent pas d’association entre les analogues du GLP-1 et le risque de rétinopathie diabétique. ▸ Les études chez les patients présentant déjà une RD ou les études expérimentales sont également rassurantes. Pour conclure, il faudra néanmoins attendre les résultats des études prospectives randomisées conçues pour évaluer les effets de ces traitements sur la rétine, et les résultats de l’étude ANGIOSAFE DT2 dans 3 ans. ▸ En attendant, on ne peut que recommander la prudence, chez les patients non dépistés pour la RD et à risque en raison d’une baisse glycémique rapide à l’introduction d’un GLP-1 RA.

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