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Thérapeutique

Publié le 20 déc 2021Lecture 9 min

Stylos connectés : vers une meilleure prise en charge des patients traités par multi-injections

Michaël JOUBERT, service endocrinologie-diabétologie, CHU de Caen

L’insulinothérapie intensifiée par schéma basal-bolus en multi-injection (MDI – multiple daily injection) ou avec une pompe à insuline est le traitement de référence du diabète de type 1 (DT1), mais également l’étape ultime de l’escalade thérapeutique chez les patients atteints de diabète de type 2 (DT2) après échec d’une insulinothérapie basale bien conduite. Bien que l’utilisation des pompes à insuline soit en croissance régulière en France, les dernières estimations disponibles montrent que cette modalité de traitement reste encore aujourd’hui minoritaire comparativement à l’utilisation des schémas MDI. En effet, d’après les données open source 2019 de l’assurance maladie, parmi les 250 000 patients DT1, environ 75 000 (30 %) étaient équipés d’une pompe à insuline et 175 000 (70 %) étaient traités par MDI. Quant aux patients DT2, environ 25 000 sont traités par pompe à insuline alors qu’ils sont probablement 150 000 à être traités par MDI(1). Il est ainsi possible d’estimer que plus de 300 000 patients atteints de diabète (DT1 et DT2) sont traités par schéma MDI dans notre pays.

Le suivi précis du traitement de ces patients n’est malheureusement pas aisé puisqu’il repose uniquement sur les déclarations des patients. En effet, malgré la digitalisation rapide de la diabétologie depuis quelques années, permettant notamment le suivi en temps réel des données de capteurs de glucose et de pompes à insuline, peu d’avancées technologiques ont été mises à disposition pour le suivi numérique des injections d’insuline réalisées par stylo injecteur. Ce besoin d’un suivi digitalisé des doses d’insuline est d’autant plus prégnant qu’avec l’avènement des capteurs de glucose (qui profitent également aux patients MDI), le « carnet glycémique » a quitté la poche d’une majorité de patients qui n’utilisent plus ce support pour tracer leur traitement. Certes, les applications associées aux capteurs de glucose interstitiel ou autres « carnets » virtuels permettent à l’utilisateur de renseigner les doses d’insuline au fil de l’eau, mais force est de constater qu’une infime minorité de patients s’astreignent à le faire au long cours, cette action pourtant a priori simple et rapide leur paraissant rébarbative. Ainsi, les professionnels du diabète n’ont le plus souvent aucune donnée précise concernant le traitement de ces patients MDI, si ce n’est la dose d’insuline lente qui est souvent assez stable dans le temps et dont les patients se souviennent facilement. En comparaison des patients traités par pompe à insuline, le contraste est saisissant puisque les logiciels et plateformes utilisés pour le téléchargement de ces dispositifs permettent de récupérer dans le détail toutes les informations du traitement, avec les doses et les horaires précis des différentes délivrances d’insuline. Les plateformes et logiciels les plus récents permettent de compiler sur des graphes et tableaux de synthèse horodatés les données de traitement de la pompe ainsi que les informations provenant d’un lecteur de glycémie capillaire ou d’un capteur de glucose interstitiel. La richesse des informations obtenues permet alors aux professionnels du diabète d’analyser finement l’équilibre métabolique et le comportement thérapeutique du patient afin de lui prodiguer les meilleurs conseils possibles dans un échange éducatif facilité par un tel support numérique. Ces informations riches et complètes sont d’autant plus importantes que malgré les modalités les plus modernes de traitement et de surveillance (analogues lents et analogues rapides ou ultra-rapides de l’insuline, pompe à insuline, capteurs de glucose), la période diurne reste difficile à maîtriser, notamment chez les patients DT1, en raison des excursions postprandiales qui justifient toute l’attention et l’expertise des professionnels du diabète. Cependant, afin d’optimiser cette période prandiale, encore faut-il pouvoir disposer a minima des informations de glucose et d’insuline, ce qui n’est quasiment jamais le cas avec les patients MDI. C’est là tout l’enjeu des stylos connectés qui devraient être mis plus largement à disposition très prochainement, ouvrant des perspectives intéressantes pour les patients MDI dont les données de traitement pourront alors être automatiquement et exhaustivement colligées, à l’instar de ce que nous avons l’habitude d’obtenir pour les patients traités par pompe à insuline. | Stylo connecté : de quoi s’agit-il ? Les stylos à insuline ont fait leur apparition dans les années 1990, représentant ainsi une alternative aux seringues et flacons d’insuline qui étaient les seuls dispositifs d’injection depuis la découverte de l’insuline en 1922. Plus précisément, deux types de stylos ont été développés, des stylos jetables pré-remplis pouvant être utilisés pendant 1 mois maximum et des stylos réutilisables, devant être chargés d’une cartouche pré-remplie d’insuline, cartouche devant être remplacée au maximum au bout d’un mois d’utilisation. Ces stylos sont équipés d’aiguilles très courtes et très fines, destinées à une injection sous-cutanée quasi indolore. Bien que plus coûteux que les seringues et les flacons, ces stylos ont été rapidement adoptés par les patients du fait de leur facilité d’utilisation et de leur discrétion. Le premier effort réalisé par les fabricants de stylos à insuline pour « tracer » les injections a été le développement en 2007 de stylos réutilisables avec une mémoire embarquée, signalant à l’utilisateur l’horaire et la dose de la dernière injection sur un petit écran à cristaux liquides intégré au corps du stylo(2). Ces systèmes n’étaient pas communicants et n’étaient destinés qu’à aider le patient dans la gestion de son diabète à court terme, entre deux injections. Il aura fallu attendre la fin des années 2010 pour voir arriver les premiers prototypes de stylos connectés. Le principe de ces stylos connectés est simple : la date, l’heure et la dose de chaque injection sont transmises automatiquement à une application smartphone par un système électronique communicant (i) intégré à un stylo dédié ou (ii) rajouté à un stylo classique. Voici quelques exemples de technologies développées pour récupérer automatiquement ces informations : – le capuchon communicant GoCap® s’adapte sur plusieurs stylos jetables et est capable de détecter les doses injectées en repérant la position du piston du stylo (figure [a])(3) ; – le système Clipsulin® s’emboîte sur n’importe quel stylo à insuline pour en compter les « clicks » au moment de la sélection de la dose par rotation du bouton déclencheur ; ce système deman - de une validation de la part du patient (figure [b])(4) ; – le système Tempo Smart Button® vient se fixer sur le bouton déclencheur des stylos jetables Tempo Pen® (incréments de dose de 1 en 1 UI) (Lilly) et permet d’en tracer automatiquement les doses réalisées puis de les communiquer à différentes applications partenaires (figure [c])(5) ; – les stylos NovoPen® 6 (incréments de dose de 1 en 1 UI) et NovoPen®Echo+ (incréments de dose de 0,5 en 0,5 UI) (Novo Nordisk) sont des stylos réutilisables qui communiquent également toutes les doses à plusieurs applications partenaires (figure [d])(6). | Les stylos connectés permettent une évaluation précise de l’observance Une des premières études qui a évalué l’intérêt de stylos connectés s’est intéressée à une population de 75 patients atteints de DT1 ou de DT2, traités par schéma multi-injection. Leurs stylos à insuline lente et à insuline rapide ont été équipés de capuchons connectés GoCap® pendant une période d’un mois. Le principal résultat de cette étude fait état d’une inobservance majeure puisque 24 % des injections d’insuline rapide et 36 % des injections d’insuline lente ont été oubliées sur cette période. Les oublis d’insuline lente culminaient même à 42 % des injections dans le groupe des patients les plus jeunes (18-35 ans) (n = 42). Les patients ont ensuite été répartis en trois tertiles selon leur niveau d’observance. Le contrôle glycémique était meilleur dans le tertile de bonne observance comparativement au tertile de mauvaise observance (HbA1c : 7,7 ± 1,1 vs 8,6 ± 1,5 %, respectivement ; p < 0,03)(7). Une autre étude réalisée par la même équipe, cette fois-ci sur une population de 50 patients exclusivement DT1 équipés d’un CGM et de stylos connectés (GoCap®), a confirmé la grande fréquence de l’oubli des injections au moment des repas (13 oublis/patient/semaine) et a également mis en évidence que 25 % des injections prandiales non oubliées étaient réalisées avec retard, c’est-à-dire après le début du repas, alors que le glucose interstitiel était déjà en hausse de plus de 50 mg/dl. Le nombre d’injections oubliées/retardées était, sans surprise, corrélé à une HbA1c plus élevée(8). | Les stylos connectés permettent d’améliorer l’observance et l’équilibre métabolique Les stylos connectés permettent ainsi de tracer finement l’observance thérapeutique des N° 83 - Décembre 2021 7 patients équipés, afin de déterminer la fréquence des injections retardées ou complètement oubliées. Au-delà de ce constat, il semble que l’utilisation de stylos connectés puisse améliorer l’observance thérapeutique comme cela est suggéré dans une étude observationnelle scandinave récente portant sur 270 patients traités par schéma MDI. En effet, alors que 25 % d’injections oubliées étaient constatées initialement, l’utilisation de stylos connectés sur plusieurs semaines a permis une réduction significative de ce pourcentage à 14 % (p = 0,002). Parallèlement, après la mise en place des stylos connectés dans cette population, les paramètres CGM se sont améliorés avec une augmentation du TIR70-180 de 1 h 53 min/j et une réduction des TAR>180 et TBR<70 de 1 h 47 min/j et de 29 min/j, respectivement (p < 0,01)(9). Dans cette étude, il faut souligner que les patients n’avaient pas accès en temps réel aux données des stylos connectés qui n’étaient récupérées que lors des visites auprès de leur diabétologue tous les 2-3 mois. Ainsi, les bénéfices constatés sur l’observance et l’équilibre CGM semblent principalement en lien avec l’interaction éducative soignant/soigné qui a été enrichie par ces données de stylos connectés : les soignants ont certainement constaté les injections oubliées et renforcé les messages éducatifs sur ce point essentiel qu’est l’observance. Des bénéfices encore supérieurs pourraient potentiellement être observés avec un système qui permettrait au patient de visualiser au fil de l’eau son usage des stylos, ou encore de recevoir des notifications en cas d’oubli d’injection. Une application de ce type a récemment été développée, permettant un « biofeedback » en temps réel à partir de stylos connectés. En effet, le patient a accès à l’historique horodaté de ses injections d’insuline, avec des rappels d’injection paramétrables et des alertes de sécurité en cas d’injections trop rapprochées(10). Une première évaluation de ce système a montré des résultats favorables : - 9,3 bolus oubliés/retardés par mois (p < 0,05) ; glucose moyen -27 mg/dl (p < 0,05) ; déviation standard du glucose -14,4 mg/dl (p < 0,05) ; TIR70-180 +7 % (p < 0,05)(11). | Et demain, quelles évolutions attendre avec les stylos connectés ? L’arrivée des stylos connectés dans notre arsenal technologique pour le diabète ouvre des perspectives nouvelles pour la prise en charge des patients atteints de diabète et traités par schéma multi-injections. Des développements seront cependant nécessaires pour permettre une utilisation optimale de ces systèmes, leur appropriation par les professionnels de santé et leur intégration dans nos parcours et organisations de soins. En premier lieu, à l’instar de la standardisation des rapports CGM, les rapports des stylos connectés devront faire l’objet d’un consensus d’expert, afin de déterminer les paramètres d’intérêt à extraire de l’ensemble des données et le format de leur présentation. Une première proposition de rapport standardisé de stylos connectés couplés à un CGM a récemment été publiée par deux experts, proposant quelques bases de réflexion vers un travail de consensus(12). Cette standardisation facilitera certainement la lecture des données issues des stylos connectés et suggérera probablement de nouveaux critères de suivi des patients traités par MDI. Une autre évolution importante à venir est la concentration des données issues des stylos connectés, des CGM, et de tout objet connecté en lien avec la santé (podomètre, balance, application de quantification des glucides…), vers une plateforme interopérable. Une telle concentration de données permettra l’intégration d’un module d’intelligence artificielle proposant des adaptations thérapeutiques au patient, en fonction de l’historique de ses données d’insuline et de CGM, et en fonction des données contextuelles du moment (géolocalisation, activité physique, données de l’agenda…)(13). Grâce à l’arrivée de ces stylos connectés, la prise en charge des très nombreux patients traités par multi-injection devrait significativement s’améliorer, lorsque les professionnels du diabète auront pu s’approprier ces systèmes et les intégrer dans les parcours de soins. Après les pompes, les capteurs et les boucles fermées, la révolution technologique du diabète se poursuit avec les stylos connectés ! Liens d’intérêt : M. Joubert déclare avoir des liens d’intérêt avec Abbott, Medtronic, Dexcom, Glooko, Novo Nordisk, Lilly et Sanofi.

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