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Diabète et médecine interne

Publié le 30 avr 2022Lecture 10 min

Comment prendre en charge une douleur d’épaule chez une personne vivant avec un diabète ?

Sylvie PICARD*, Dimitar VASILEVSKI** : *Endocrino-diabétologie ; **Chirurgie orthopédique Point Médical, Dijon

Une douleur d’épaule progressivement croissante et invalidante chez une personne vivant avec un diabète (PVD) doit faire rechercher une capsulite rétractile de l’épaule (CRE) qui est un trouble musculo-squelettique (TMS) particulièrement fréquent, notamment au cours du diabète de type 1 (DT1), mais aussi de type 2 (DT2). L’incidence de la CRE est doublée, voire triplée chez les PVD par rapport à la population générale ; de ce fait, un diagnostic de CRE doit faire rechercher un diabète non connu. L’endocrino-diabétologue doit connaître cette pathologie dont le diagnostic est clinique, dont le traitement est conservateur, fonctionnel, long (18 à 24 mois) et qui peut interférer avec la prise en charge du diabète. Chez une PVD, la présence d’une CRE doit aussi faire rechercher d’autres TMS associés et d’autres complications du diabète.

∣ Circonstances de diagnostic Chez les personnes vivant avec un diabète de type 2 (PVDT2), la CRE touche surtout des femmes en période de périménopause et peut être favorisée par une dysthyroïdie ou une maladie systémique associée. Après exclusion des douleurs d’épaule d’origine arthrosique ou secondaires à un conflit sous-acromial, d’un événement douloureux de l’articulation (traumatisme direct ou indirect de l’épaule, tendinite, chirurgie, etc.), il faut évoquer le diagnostic de CRE. La CRE étant plus fréquente dans le DT1, nous allons nous focaliser dans la suite de cet article essentiellement sur les PVDT1. On retrouve souvent chez elles des antécédents ou une histoire actuelle de douleur d’épaule si l’on pose systématiquement la question en consultation, mais spontanément la PVDT1 nous en parle rarement. La raison est en généralement double. D’abord, la PVDT1 ne voit pas le lien avec le diabète et ne pense pas que cela nous concerne. Ensuite, elle a souvent bénéficié d’examens complémentaires (radiographies, échographie, voire IRM) avec, en conclusion, une absence de lésions ou des lésions ne pouvant pas expliquer l’intensité des symptômes. En pratique, il faut bien observer la PVDT1 et noter ses éventuelles difficultés à se déshabiller/rhabiller lors de l’examen clinique (ou même à enlever sa veste/son manteau en arrivant) et ne pas hésiter à l’interroger sur ces difficultés. Parfois, c’est en recherchant la cause d’un déséquilibre soudain du diabète que la PVDT1 nous rapporte une infiltration intra-articulaire de corticoïdes. Ces infiltrations sont généralement pratiquées pour soulager une tendinite et/ou une bursite sous-acromiale documentées, mais aussi parfois pour un tableau hyper-algique correspondant à la phase initiale d’une CRE. ∣ Pathologies à évoquer prioritairement lors d’une douleur d’épaule chez une PVDT1 Après élimination d’une origine traumatique, microtraumatique, d’une surcharge fonctionnelle (péri-tendinites), d’une origine dégénérative (arthrose acromio-claviculaire) ou d’un conflit sous- acromial, la CRE reste la principale cause de douleur d’épaule à évoquer chez une PVDT1, habituellement relativement jeune (entre 30 et 60 ans). Notre étude rétrospective menée à Dijon(1) confirme que 25 % des PVDT1 dont le diabète évolue depuis plus de 20 ans (PVDT1 20+) présentent des antécédents de CRE. Pour presque la moitié des patients, il s’agissait de formes bilatérales – exceptionnelles en dehors du diabète. La CRE est une inflammation avec épaississement puis rétraction de la capsule articulaire gléno-humérale. La CRE est également connue en tant qu’« épaule gelée ». Les appellations anglo-saxonnes respectives sont « adhesive capsulitis » et « frozen shoulder ». La cause exacte n’est pas clairement identifiée. Des mécanismes auto-immuns et une glycation du collagène capsulaire ont été évoqués pour expliquer la fréquence beaucoup plus importante dans le DT1 : < 5 % dans la population générale, 10-20 % chez les PVD et > 30 % chez les PVDT1. Par ailleurs, la CRE est — comme la maladie de Dupuytren touchant la main — une pathologie rétractile avec des lésions anatomopathologiques globalement comparables, un tissu capsulaire très vascularisé, riche en fibroblastes et en myofibroblastes. La présence d’une CRE multiplie par 8 le risque de maladie de Dupuytren, cette dernière ayant été associée à la présence des allèles HLA DR3 et DR4, tout comme le DT1 et d’autres pathologies auto-immunes. La survenue d’une CRE n’est pas directement liée à l’équilibre glycémique et survient même chez des PVDT1 ayant un équilibre glycémique optimal. Cependant, un déséquilibre prolongé du diabète reste un facteur favorisant par l’accumulation locale de produits avancés de glycation. ∣ Éléments clés de l’interrogatoire Il faut d’abord rechercher des antécédents de traumatisme ou d’événement ayant pu conduire à une immobilisation de l’épaule : un bras en écharpe pour un traumatisme et/ou une chirurgie du coude, du poignet ou de la main. Compte tenu de l’association avec des syndromes canalaires, il faut ensuite rechercher des antécédents de canal carpien, doigt(s) à ressaut, épitrochléite et/ou compression du nerf ulnaire. Bien entendu, il est essentiel de noter l’ancienneté de la douleur, son caractère nocturne ou diurne, sa présence au repos ou à l’effort, les éventuels traitements entrepris. Nous avons montré que, chez les PVDT1 20+ qui avaient au moins un TMS, une CRE était présente dans presque 50 % des cas et que lorsqu’une CRE était présente, on retrouvait très souvent des antécédents de tendinites essentiellement du membre supérieur (40 %), de doigt(s) à ressaut (30 %) et/ou de canal carpien (30 %). Rechercher l’âge de survenue du premier TMS est intéressant, car le caractère associé des TMS semble particulièrement présent quand le premier TMS survient jeune (45 ± 10 ans en cas de TMS multiples versus 50 ± 12 ans pour un TMS isolé dans notre série). L’évolution de la CRE se déroule en 3 phases : la première phase dure environ 3 mois et est caractérisée par des douleurs importantes, souvent insomniantes. La douleur apparaît progressivement et s’aggrave de façon constante. Elle persiste au repos. Elle irradie volontiers dans le bras le long du biceps, parfois dans l’omoplate le long des muscles sus- et sous-scapulaires. La douleur empêche de dormir sur le côté touché, voire de dormir sur le dos. Il n’est pas rare d’entendre que la personne atteinte ne peut plus trouver le sommeil qu’assise au fond du fauteuil. La raideur apparaît au cours de la deuxième phase – qui va durer de 6 à12 mois ; cette raideur va être prédominante au cours de la troisième phase – pour une durée de 9 à 18 mois – alors que la douleur s’estompe. À noter qu’une neuropathie périphérique peut masquer la douleur initiale de la CRE, laquelle se présentera d’emblée au stade invalidant de l’ankylose. Les amplitudes articulaires sont limitées pour les mouvements tant actifs que passifs, caractérisant « l’épaule gelée ». C’est surtout l’examen clinique qui permettra de poser le diagnostic. ∣ Éléments clés de l’examen clinique Le diagnostic repose quasi exclusivement sur l’examen clinique qui peut même être réalisé en télé- consultation si les conditions l’exigent. L’élément essentiel est une limitation non seulement de la mobilité active (la PVD ne peut pas effectuer les mouvements que vous lui demandez), mais aussi de la mobilité passive (vous ne pouvez pas obtenir ces mouvements en mobilisant vous-même le bras ou en demandant à la PVD de le mobiliser avec son autre bras). Cela permet le diagnostic différentiel avec une tendinite où les mouvements peuvent être obtenus en mobilisation passive. Les principaux mouvements atteints sont l’élévation et l’abduction de l’épaule (atteindre un objet sur une étagère au-dessus de l’horizontale), la rotation interne (passer la main dans le dos et remonter la main vers l’angle de l’omoplate ou attacher un soutien-gorge) et de façon quasi pathognomonique la rotation externe : impossibilité en étant assis, coude au corps, d’écarter la main du corps pour essayer d’atteindre un objet sur la chaise à côté. ∣ Examens complémentaires à demander Quelques examens complémentaires sont néanmoins utiles pour éliminer les éventuelles pathologies associées et orienter la prise en charge thérapeutique. Ces examens consistent en une radiographie de l’épaule et une échographie de l’articulation gléno-humérale et des tendons de la coiffe des rotateurs. Souvent ces examens sont peu contributifs au diagnostic de CRE. Ils peuvent montrer un conflit sous-acromial ou une tendinite n’expliquant pas l’intensité des symptômes tout en ayant pu participer au développement de la CRE en limitant la mobilité sur un terrain prédisposé. En cas de lésions plus importantes (rupture partielle ou complète de la coiffe des rotateurs, calcifications étendues) il est indispensable d’orienter la PVD vers un spécialiste de l’épaule (rhumatologue ou chirurgien orthopédique) pour décider de la stratégie thérapeutique. ∣ Traitements à proposer La prise en charge d’une tendinite et/ou d’une bursite sous-acromiale repose sur un traitement médical et fonctionnel : antalgiques et/ou anti-inflammatoires (en l’absence de néphropathie), mobilisation passive et décoaptation douce, sous le seuil de la douleur, douches chaudes. Des infiltrations échoguidées de la bourse sous-acromiale peuvent être proposées, utilisant des corticoïdes ou de l’acide hyaluronique (celui-ci n’étant pas remboursé). Un déséquilibre transitoire du diabète peut suivre l’injection de corticoïdes et il est important d’en discuter avant l’infiltration pour que la PVDT1 ne soit pas surprise et adapte son insuline en conséquence. Cela passe par une augmentation temporaire (quelques jours généralement, parfois une semaine ou plus) de la dose d’insuline basale et une modification temporaire de la sensibilité à l’insuline. Il faut préférer une infiltration réalisée sous échographie de façon à éviter l’injection malencontreuse dans les tendons de la coiffe, ce qui les fragiliserait et pourrait favoriser une rupture progressive. En cas de CRE, la phase initiale hyperalgique est également traitée par antalgiques et/ou anti-inflammatoires (en l’absence de néphropathie), mobilisation passive sous le seuil de la douleur et douches chaudes. L’immobilisation doit être limitée autant que possible et une mobilisation précoce, douce et progressive sera confiée à un masseur-kinésithérapeute diplômé d’état. Le kinésithérapeute pourra pratiquer des massages assouplissant les téguments de l’épaule avec une décoaptation progressive et un étirement de la capsule postérieure. Les courants antalgiques de faible intensité, les ionisations d’anti-inflammatoires et l’application de boues chaudes peuvent apporter un soulagement de la douleur. L’utilisation d’ultrasons en tant qu’ondes de choc est en revanche déconseillée sur ce terrain. L’ordonnance telle que vous pouvez la rédiger est : « Faire pratiquer par kinésithérapeute DE une mobilisation douce passive puis active de l’épaule – gauche ou droite –, à raison de 2 à 3 séances par semaine » en mentionnant « diabète + capsulite rétractile », ce qui autorise la prescription dans le cadre de l’ALD. Des références bibliographiques sont désormais disponibles (bibliographie de la référence 1) pour appuyer une prescription dans ce cadre en attendant une reconnaissance « officielle » des TMS en tant que complication du DT1. En l’absence d’amélioration, il ne faut pas hésiter à adresser la PVD à un spécialiste de l’épaule, rhumatologue ou chirurgien orthopédique. La prescription d’une rééducation intensive en piscine dans un centre de rééducation fonctionnelle peut donner de bons résultats. Ce n’est que très exceptionnellement qu’un traitement chirurgical sera nécessaire (distension articulaire sous arthroscopie). Lorsque la mobilisation active devient possible, le kinésithérapeute va conseiller des exercices quotidiens à domicile, initiés par une éducation au mouvement. La PVD peut ainsi se mettre face à un muret «marcher» avec ses doigts en montant sur le mur pour travailler l’élévation de l’épaule. Un autre exercice consiste à se mettre à côté d’une table, à s’appuyer sur celle-ci avec le coude du côté valide et avec le bras atteint à faire un mouvement rotatif comme pour remuer une soupe qui serait dans une marmite posée sur le sol. ∣ Évolution prévisible En dehors du diabète, une CRE guérit quasiment toujours sans séquelles, même si l’évolution est longue. Chez une PVDT1, l’évolution sera plus longue (nécessitant souvent 12 à 24 mois de kinésithérapie) et les séquelles sont plus fréquentes avec persistance d’une certaine limitation des mouvements qui habituellement ne perturbe pas (trop) la vie quotidienne. Surtout, les formes bilatérales sont très fréquentes (presque 50 % dans notre série) alors qu’elles sont exceptionnelles en dehors du diabète. Habituellement, l’atteinte controlatérale démarre alors que le premier côté est guéri ou quasiment guéri et est moins sévère. En tout cas, le diagnostic est rendu plus facile par les antécédents, et il est généralement directement fait par la PVDT1 qui reconnaît bien les symptômes et démarre souvent immédiatement les exercices, ne souhaitant pas revivre les mêmes difficultés. ∣ Autres complications à rechercher Outre les TMS évoqués plus haut, il est essentiel de rechercher les autres complications du diabète. Nous avons montré que, chez des PVDT1 20+, la prévalence d’au moins une complication du DT1 (rétinopathie, néphropathie, neuropathie, maladie cardiovasculaire) était de 42 % en l’absence de TMS, 68 % en présence d’un seul TMS et 87 % en cas de TMS multiples et ceci, indépendamment de l’âge puisque les PVDT1 avec un TMS isolé étaient plus âgées que celles avec TMS multiples (57 ± 11 ans versus 53 ± 8 ans respectivement) avec une durée de DT1 comparable (35 ± 10 ans versus 36 ± 9 ans respectivement). Inversement, en considérant la CRE de façon isolée, il apparaît que 75 % des PVDT1 ayant ou ayant eu une CRE avaient une autre complication du DT1 (70 % avaient une rétinopathie, 20 % une néphropathie, 15 % une atteinte cardiovasculaire, 10 % une neuropathie). Cet aspect sera précisé dans l’étude SFDT1 en cours(2). ∣ Impact sur le traitement du diabète Il ne faut pas oublier que, malgré le développement des nouvelles technologies, des gestes techniques restent nécessaires dans la prise en charge quotidienne du DT1. Une CRE peut considérablement gêner la réalisation de ces gestes — a fortiori en cas d’atteinte bilatérale — et il faut penser ici en premier lieu à la mise en place et à l’utilisation des capteurs FreeStyle Libre. Si la PVDT1 avec CRE peut généralement trouver de l’aide pour la mise en place du capteur tous les 14 jours, chaque scan nécessite une rotation interne de l’épaule dont on a vu qu’elle est particulièrement limitée par la CRE. La réalisation des nombreux scans quotidiens nécessaires à l’obtention d’un bon équilibre peut vite devenir extrêmement compliquée et la réalisation de glycémies capillaires ne sera pas forcément plus facile s’il existe de façon concomitante une maladie de Dupuytren avec contracture des fascias ou un canal carpien avec troubles de la sensibilité ou des doigts à ressaut. Le remplacement d’un réservoir de pompe ou l’insertion d’un cathéter ou d’un pod peuvent également poser des problèmes ou du moins le nombre d’emplacements accessibles peut être rapidement limité. Même le développement de l’insulinothérapie automatisée ne va pas résoudre ce problème, car il faudra toujours mettre en place et changer des capteurs, des réservoirs et des cathéters de pompe. Le choix du modèle de pompe et/ou de capteur doit tenir compte de ces contraintes physiques chez les PVDT1 ayant des TMS.

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