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Télémédecine

Publié le 27 jan 2023Lecture 9 min

Mise en œuvre de l’éducation thérapeutique à distance : quelques conditions

Catherine HERDT*, Caroline MARTINEAU**, *Coordinatrice régionale de l’Espace ressources ETP Grand-Est **Cadre de santé, Direction de la qualité du CHU de Toulouse

Depuis plusieurs années, les outils numériques sont intégrés dans la prise en charge du diabète. De fait, ces outils sont présents dans les programmes d’éducation thérapeutique (ETP) en diabétologie. Ainsi, la digitalisation de ces programmes pourrait être une continuité des évolutions technologiques des traitements de cette pathologie.

Pour rappel, lorsque nous parlons de digitalisation, il s’agit bien de la conversion d’un format physique à un format numérique plus ou moins élaboré, quels que soient les moyens des équipes. SI la crise sanitaire a précipité le développement du numérique dans l’éducation thérapeutique, le recours « au distanciel » était déjà présent à l’esprit, et parfois dans la pratique des acteurs de l’ETP avant le printemps 2020. Cependant, la mise en œuvre de la digitalisation d’un programme avec tout ce que cela implique requiert du temps, des ressources ainsi qu’un savoirfaire. La pandémie aura au moins permis de s’engager dans ce virage particulier du numérique au service de l’ETP.   Augmenter le nombre de bénéficiaires, aller à la rencontre du patient   L’éducation thérapeutique à distance permet à certains patients de bénéficier de cet accompagnement auquel ils n’auraient pas participé en présentiel pour plusieurs raisons : éloignement géographique(1), difficulté de libérer du temps propre au programme auquel s’ajoute le temps de trajet, refus de rencontrer d’autres personnes vivant avec la même pathologie, handicap physique et difficultés de déplacement… Par ailleurs, l’éducation thérapeutique ne répond pas aux critères de remboursement de transport, ce qui peut être un réel frein pour les personnes en perte d’autonomie ou isolées. La modalité du distanciel pourrait favoriser l’accès à de nouveaux usagers jusqu’alors non accueillis au sein des programmes. Incluant certaines modalités, cela pourrait ouvrir l’accès aux programmes à des personnes parlant ou comprenant mal la langue par exemple. Il importe cependant d’être encore plus vigilant sur les méthodes pédagogiques utilisées par les acteurs de l’ETP. Se pose cependant la question du tout distanciel. Aller à la rencontre du patient, créer l’alliance thérapeutique, le tout en distanciel ? Cette question a été abordée lors de travaux sur la e-etp en Grand-Est. Le groupe de travail constitué de représentants d’association d’usagers et de professionnels a été unanime. L’ensemble de la démarche ne peut pas entièrement être digitalisé : le temps du bilan éducatif partagé (BEP) est un temps de relation qui doit être prioritairement en présentiel.   Retravailler le programme : prévenir la relation verticale   Digitaliser un programme d’ETP ne se résume pas à filmer des séances dispensées en présentiel et à proposer le visionnage aux patients. Ceci s’apparenterait plus à de l’e-learning… Il s’agit de redéfinir l’ensemble du programme qui sera tout ou partie digitalisé. Adopter une méthodologie reprenant les principes de construction d’un programme d’ETP semble incontournable. Les objectifs ? Maintenir le patient au coeur de la réflexion et du process(2), et bien entendu garantir une cohérence du programme dispensé en présentiel par le partage en équipe et la conservation de l’harmonie du groupe. Réfléchir et définir les objectifs d’apprentissages visés et du ou des outils numériques qui permettront de les travailler est essentiel. Enfin, la recherche ou la conception du matériel (photos, illustrations, vidéos, podcasts…) qui servira aux activités devrait être réfléchie et listée en parallèle. En effet, à plusieurs égards, ces données peuvent être coûteuses à la création, et ne pas y penser d’emblée pourrait limiter l’offre proposée in fine, par manque de ressources. Ce travail d’équipe doit également prendre en compte les compétences nécessaires pour utiliser les méthodes/outils choisis pour le patient comme pour l’équipe, sans ajouter au stress de l’animation. C’est pour cette raison qu’il importe d’identifier dès le BEP les possibilités du patient et de son entourage et ses appétences à suivre une ETP digitalisée ou hybride. Effectivement, ce n’est pas parce que j’ai un ordinateur que je sais m’en servir ou que j’ai une connexion stable, et ce n’est pas parce que la personne à 30 ans qu’elle est capable de suivre un tel programme.   Maintenir le patient au cœur de la réflexion : choisir un outil qui le permet   Après avoir défini les objectifs d’apprentissage et construit le programme, le choix de l’outil numérique sera important. En effet, le danger majeur de cette pratique de l’ETP est de proposer de la transmission d’informations ou de connaissances, et de « basculer » vers une relation verticale soignant-patient(3). Pour éviter cet écueil, il semble essentiel de s’appuyer sur un ou des outils qui ne se résument pas à un simple logiciel de visioconférence. Il est nécessaire que l’ETP, qu’elle soit à distance ou en présentiel, propose des activités ludiques et interactives, basées sur une andragogiea active qui engage le patient dans ses apprentissages. En effet, le bénéfice de ce modèle est connu depuis longtemps(4), présent dans la plupart des ateliers d’ETP en présentiel, il serait dommage de perdre cette qualité dans le virage numérique. Pour cela, le choix du système utilisé pour la digitalisation du programme est important. À ce jour, il est difficile de recenser les dispositifs disponibles. Il existe de nombreuses solutions de « visio » permettant le partage d’écran, mais toutes ne disposent pas de tableau blanc interactif. De nombreuses plateformes proposent du contenu avec ou sans quiz pour l’évaluation du développement des connaissances sur le même schéma que les MOOC, avec possibilités de parcours individualisés. Ces deux types de solutions ne permettent pas de respecter les règles de l’ETP ; le patient reste relativement passif devant le contenu proposé. Certaines plateformes numériques offrent des solutions intégrées permettant de proposer au patient des activités synchrone et asynchroneb, en collectif ou en individuel, avec système de « visio » interactive et activités d’apprentissage (tableau).   Pour limiter les parasitages, il conviendra d’expliquer le choix et le fonctionnement de l’outil à l’équipe. Afin de sécuriser les usagers, il leur sera préalablement envoyé des consignes, leur permettant une connexion simplifiée et les modalités garantissant l’interactivité pendant la séance. Une difficulté de connexion peut mettre en péril la relation et la qualité de l’accompagnement ; la personne étant focalisée plus sur la source de l’irritation que sur le contenu de l’échange.   Proposer une activité sécurisée et de qualité : s’assurer des prérequis   Le choix de l’outil qui permettra de mener des ateliers d’ETP à distance est primordial pour les possibilités qu’il offrira pour l’animation et les activités. Cependant, la première chose à vérifier dans le choix de ce dispositif est l’aspect légal, soit : le droit d’hébergement des données de santé (HDS) et le Règlement général sur la protection des données (RGPD)(5). La certification HDS est valable 3 ans, s’assurer donc que le prestataire remplit les conditions pour obtenir cette certification sur le long terme, afin de ne pas être contraint de changer d’outil sur des périodes courtes de 3 années. Outre l’aspect légal et sécuritaire, il existe de nombreuses conditions à mettre en œuvre avant de mener l’ETP à distance(6) : ressources matérielles et techniques pour le patient et l’équipe médico-soignante, formation du personnel, consentement du patient, place de l’aidant ou de l’entourage… Cette ETP à distance modifie les pratiques professionnelles des soignants. De fait, une réflexion devrait être menée sur les compétences requises pour la dispenser. Ceci pourrait amener quelques modifications dans les formations initiales des métiers de la santé, d’une part, et la formation continue en ETP, d’autre part. En synthèse, il y a les prérequis suscités, ceux concernant la pédagogie et une partie concernant la sécurité des sites utilisés. D’autres points importants sont à prendre en compte comme la sécurité des personnes ou la confidentialité des échanges pour les personnes pendant les ateliers à distance, donc au domicile du patient. Quid de l’entourage pendant les séances éducatives, des partages lors des groupes ? Il importe, là aussi, de prévenir les patients des conditions à mettre en œuvre pendant la séance. Prenons l’exemple d’un patient qui suit la séance d’activité physique adaptée. Il fait l’activité, il tombe chez lui, car trop proche du canapé ; qui est responsable ? La question a été posée à des juristes : le « prescripteur » est responsable sauf s’il a transmis les consignes en lien avec l’activité, par exemple avoir un espace libre sur une circonférence d’un mètre cinquante. Autant d’interrogations qui n’avaient potentiellement pas leur place dans la mise en œuvre en présentiel dans des locaux identifiés comme conformes.   Financer le dispositif avec pérennité   Des financements ETP ont été alloués pour les maladies rares par la DGOS, à la suite d’un appel d’offres en 2019. Aussi, des équipes ont pu, grâce à cela, mettre en œuvre de l’ETP à distance pour leurs patients. Si ces budgets permettent la construction du programme, l’obtention des ressources, des outils et d’un prestataire répondant aux critères cités plus haut, ce n’est pas un modèle économique pérenne. Par ailleurs, toutes les ARS n’accordent pas de financement pour ces modalités d’ETP, et les structures sanitaires, médico-sociales ou libérales n’ont pas de financement supplémentaire destiné au développement du numérique dans l’ETP et à l’indemnisation du temps nécessaire à l’adaptation du programme. Charge aux équipes médico-soignantes de défendre leur dossier auprès des financeurs de leurs institutions et des tutelles ou de déployer des trésors d’imagination afin de trouver des cofinancements. Il semblerait judicieux qu’au moins au niveau régional, les acteurs puissent se coordonner afin de pouvoir proposer aux patients cette modalité d’ETP, d’obtenir un financement pérenne et de bénéficier d’un dispositif numérique adapté. Les conditions de mise en œuvre de l’ETP à distance sont nombreuses et importantes, en particulier, cela demande de la méthode (figure), du temps et des moyens humains, matériels et financiers. Cependant, bien que la littérature soit encore pauvre sur l’évaluation du bénéfice pour les patients, nous pouvons penser qu’elle serait positive pour certaines personnes avec une maladie chronique. Elle permettrait de toucher des patients différents qui actuellement n’adhèrent pas à l’offre existante. Cette modalité nous demande également un travail d’équipe différent.   Les points clés et vigilances   À l’ère du numérique, l’éducation thérapeutique ne fait pas exception à la règle et le contexte sanitaire nous a fait gagner du temps. Les réflexions et travaux menés en région (par exemple en Grand-Est (Guidances, Pédagogies et Sécurités (GPS) de mise en œuvre de l’ETP à distance – ETP Grand-Est (etp-grandest.org) et en Paca (etp-a-distance_doc.pdf (crespaca.org)) ont permis de poser des bases de ce qui est attendu, des points de vigilance et des faisabilités. Cependant, il nous faut garder à l’esprit que si la digitalisation est une option pertinente, elle peut être mixte (présentiel/distanciel) et également couplée avec de l’E-Learning. Toutefois les principes du présentiel restent d’actualité avec une offre personnalisée et adaptée incluant ou non l’ensemble des modalités citées. Il faut tenir compte des attentes et besoins des bénéficiaires et de leur entourage, sans omettre la participation active des associations d’usagers lors de la construction du programme, sa mise en œuvre et son évaluation. L’ensemble de ses éléments garantit une ETP ou e-etp sécure et de qualité. Notes : a. Andragogie : la pratique de l’éducation des adultes. Elle s’adresse à des personnes ayant déjà construit des savoirs, des expériences, des représentations et pour lesquelles l’apprentissage est une remise en cause de leurs certitudes. b. Asynchrone : préenregistrement de l’enseignement.

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