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Publié le 28 avr 2023Lecture 11 min

Maladie rénale chronique et diabète de type 2 - Partie 1 • Histologie, pathogénie et stades évolutifs

Louis MONNIER*, Bernard BAUDUCEAU**, Claude COLETTE*, *Université de Montpellier, Faculté de médecine, Montpellier, **Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé

Les caractéristiques et le parcours évolutif de la néphropathie diabétique ont été décrits il y a plus de 30 ans dans le diabète de type 1 par des auteurs scandinaves(1,2). Ultérieurement il a été constaté que cette affection était également très répandue dans le diabète de type 2(3), tout en sachant que la détection d’une atteinte rénale chronique dans le diabète de type 2 peut être liée à des causes qui ne sont pas directement dues au diabète, mais au vieillissement artériel (par exemple néphro-angiosclérose du sujet âgé). Il n’en reste pas moins qu’en se basant sur les 2 critères fondamentaux suivants (excrétion urinaire d’albumine > 30 mg/g de créatinine et filtration glomérulaire < 60 mL/min/1,73 m2)(4), ce sont 20 à 40 % des diabétiques de type 2 qui ont une atteinte rénale chronique(4,5). De surcroît, la maladie rénale chronique du diabète de type 2 est la principale cause d’insuffisance rénale dans tous les pays du monde(5) avec toutes ses conséquences au niveau individuel et, plus généralement, en termes de santé publique(6).

Lésions histologiques   Elles se constituent de manière progressive sur plusieurs années. Au départ les lésions sont essentiellement glomérulaires, mais en l’absence de mesures thérapeutiques appropriées et précoces, elles finissent par toucher tous les compartiments rénaux : tubules, interstitium et microvaisseaux(4,6,7). Leur description est indispensable pour comprendre leurs conséquences et les mesures thérapeutiques pour enrayer leur évolution.   Lésions glomérulaires Elles perturbent la fonction normale du glomérule, qui physiologiquement assure le phénomène de filtration sanguine : formation de l’urine primitive avec passage libre des molécules de petite taille dans la chambre de filtration (espace de Bowman) et obstacle au transfert dans le secteur sanguin des grosses molécules telles que l’albumine. Ces lésions glomérulaires peuvent être classées sous 4 rubriques (figure 1) :   – un épaississement de la membrane basale des capillaires glomérulaires ; – une altération des cellules endothéliales qui tapissent la face endoluminale de la membrane basale des capillaires ; – une disparition progressive des cellules épithéliales (podocytes) qui tapissent le versant externe de la membrane basale des capillaires. Chez un sujet normal, les podocytes sont munis d’extensions cytoplasmiques (pédicelles) accrochées à la membrane basale. Les pédicelles laissent entre eux des espaces liquidiens porteurs de charges anioniques qui refoulent le passage des protéines qui sont elles-mêmes chargées négativement (figure 2). La disparition progressive des podocytes et de leurs pédicelles participe au passage exagéré d’albumine dans l’espace de Bowman (figure 2) ; – une expansion des axes mésangiaux (tiges autour desquelles s’articule normalement le bouquet des capillaires glomérulaires) avec prolifération et altération des cellules mésangiales. La progression au cours du temps des cellules mésangiales conduit à une fibrose des axes mésangiaux, à une destruction des capillaires qui sont remplacés par des nodules acellulaires constitués d’une substance amyloïde (figure 1). La « mort » histologique d’un glomérule survient quand il est totalement envahi par des nodules acellulaires avec disparition de la chambre de filtration.   Lésions tubulaires et interstitielles Elles sont caractérisées par une atrophie progressive des tubules rénaux et par une infiltration du tissu interstitiel par des fibroblastes et par du collagène, le tout conduisant à une fibrose du parenchyme rénal.   Pathogénie des lésions rénales   Les nombreux facteurs et métabolites intermédiaires qui interviennent dans la genèse des lésions rénales du diabète peuvent être regroupés sous 4 grandes rubriques : les facteurs métaboliques, hémodynamiques, de croissance et pro-inflammatoires/profibrotiques(7,8) (figure 3).   Leurs effets délétères sont en majorité induits et propagés par les perturbations glycémiques et tensionnelles sans omettre les rôles joués par les surcharges pondérales et les dyslipidémies fréquentes dans le diabète de type 2, par la consommation de tabac et les facteurs génétiques. Ces derniers jouent un rôle indiscutable, car toutes les personnes diabétiques ne sont pas égales devant le développement d’une néphropathie diabétique, toutes choses étant égales par ailleurs.   Facteurs métaboliques • Glycation tissulaire Sous la dépendance de l’exposition chronique au glucose (hyperglycémie), elle conduit à l’épaississement des membranes basales des capillaires glomérulaires à la suite du phénomène de glycation non enzymatique avec production de glycoprotéines anormales qui remplacent le collagène de type IV constituant normal de l’armature des membranes basales. Ce collagène normal est habituellement renouvelé sur une période de 100 jours grâce à l’action combinée des cellules endothéliales, mésangiales et épithéliales (podocytes), les unes étant orientées vers la production de collagène et les autres vers sa résorption(7,9). Les anomalies cellulaires observées dans la néphropathie du diabétique perturbent la balance production/résorption du collagène normal, réduisent la résorption des glycoprotéines anormales (produits avancés de la glycation ou AGE pour « Advanced Glycated End Products ») et contribuent à l’épaississement des membranes basales(7). Ce dernier conduit progressivement à une réduction de la filtration glomérulaire avec diminution du transfert des déchets azotés (urée, créatinine) de la lumière des capillaires vers l’espace urinaire. Par ailleurs, la mauvaise qualité biochimique des glycoprotéines formées entraîne une porosité anormale des membranes basales qui laissent passer de manière exagérée les protéines plasmatiques (albumine en particulier) dans la chambre de filtration glomérulaire. Ce passage est également facilité par la réduction, dans la membrane basale, du nombre de complexes de sulfate d’héparane et de protéoglycanes. Grâce à leur charge anionique, ces grosses molécules refoulent les protéines plasmatiques chargées elles aussi négativement(7) (figure 2). L’excrétion urinaire d’albumine est considérée comme pathologique lorsqu’elle dépasse 30 mg/g de créatinine(4). La glycation tissulaire ne se limite pas aux membranes basales, mais s’étend à la longue à l’axe mésangial dont elle augmente le volume. • Production excessive de polyols Cette voie métabolique prédomine dans les podocytes qui couvrent le versant externe de la membrane basale et sont équipés d’une enzyme, l’aldose réductase laquelle transforme le glucose en polyols à partir de l’hyperglycémie chronique. L’accumulation de polyols qui en résulte contribue par ses effets osmotiques et métaboliques (diminution du myo-inositol intracellulaire) à la disparition des podocytes ou à leur dysfonctionnement. Il y a une trentaine d’années, le sorbinil, un inhibiteur de l’aldose réductase, avait été utilisé sans succès pour traiter la rétinopathie diabétique, une autre localisation de la microangiopathie diabétique. Ceci semble indiquer qu’agir exclusivement sur la voie des polyols n’est pas la solution pour prévenir ou traiter les complications microangiopathiques du diabète sucré. Autres facteurs métaboliques Ils interviennent sous l’influence des désordres glycémiques : production d’hexosamine et activation de la protéine kinase C (PKC) accompagnée d’une synthèse accrue de métabolites ayant des effets délétères comme le diacyl glycérol (DAG). Toutefois, les essais thérapeutiques ciblant ces facteurs n’ont montré aucun effet bénéfique sur la néphropathie. L’activation du stress oxydatif sous l’influence de l’exposition chronique au glucose et/ou de sa variabilité(10) entre dans cette rubrique, car il s’accompagne d’un relargage de dérivés nocifs tels que les peroxynitrites et la nitrotyrosine(11,12).   Facteurs hémodynamiques L’augmentation de la pression à l’intérieur des capillaires glomérulaires contribue au développement ou à la progression de la néphropathie diabétique. Cette augmentation peut résulter soit d’un déséquilibre entre le tonus artériel plus élevé dans les artères efférentes que dans les artères afférentes du glomérule (hypertension intraglomérulaire pure), soit d’une hypertension systémique. Dans les deux cas, l’augmentation de la pression à l’intérieur des glomérules entraîne dans un premier temps une hyperfiltration glomérulaire avec augmentation de la clairance de la créatinine. Au bout d’un certain temps cette hyperfiltration laisse la place à une hypofiltration lorsque l’atteinte de la membrane basale des capillaires glomérulaires devient prédominante. L’hyperpression, qu’elle soit purement intraglomérulaire ou systémique provoque un dysfonctionnement et un cisaillement des cellules endothéliales avec une activation du stress oxydatif(17) et avec, comme pour les désordres glycémiques, un relargage de métabolites nocifs tels que les peroxynitrites et la nitrotyrosine. Ce relargage est également associé aux à-coups tensionnels causés par une variabilité excessive de la pression artérielle(17). À cet égard, les apnées du sommeil et les pics tensionnels qu’elles induisent pourraient aggraver la progression d’une néphropathie chez un patient diabétique.   Facteurs de croissance Le « Vascular Endothelial Growth Factor » (VEGF), dont le rôle pathogénique est bien connu dans la microangiopathie rétinienne du diabétique, joue également un rôle dans l’expansion vasculaire observée dans la néphropathie diabétique, en parallèle avec d’autres facteurs tels que les angiopoïétines.   Facteurs pro-inflammatoires et profibrotiques Inflammation et fibrose sont des lésions clés dans la néphropathie diabétique. C’est pour cette raison que plusieurs séries de facteurs pro-inflammatoires et profibrotiques (activateurs des macrophages, cytokines…) ont été incriminées dans la pathogénie de la néphropathie diabétique. Même s’ils paraissent plutôt intervenir en deuxième ligne, ils amplifient le rôle des agents majeurs qu’ils soient métaboliques ou hémodynamiques. Toutefois, nous sommes en manque de traitements capables d’agir directement sur ces facteurs, même si cette dernière remarque peut être soumise à révision par la mise en évidence du rôle des récepteurs aux minéralocorticoïdes comme vecteurs d’inflammation. Depuis plusieurs années, on connaît l’action néphroprotectrice du blocage du système rénine angiotensine par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC} ou par les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2) (figure 4).   Ces agents ont surtout des effets hémodynamiques en réduisant la pression systémique et intraglomérulaire, ce qui explique leurs effets néphroprotecteurs. Toutefois, leur action n’est pas aussi simple, car sur le long terme ces traitements peuvent conduire à un échappement thérapeutique avec augmentation de l’aldostérone (« aldosterone escape »)(18) dont le taux était censé diminuer au départ. L’aldostérone est le principal activateur des récepteurs aux minéralocorticoïdes (figure 4), eux-mêmes stimulateurs d’inflammation et de fibrose. Dès lors il ne faut pas s’étonner de l’engouement récent pour la finérénone(19), un antagoniste non stéroïdien de ces récepteurs.   Les différentes étapes de la néphropathie diabétique   Comme indiqué précédemment la maladie rénale chronique du diabète évolue progressivement, mais 5 étapes majeures(4,7,20,21) peuvent être individualisées :   Première étape Le tout début de la maladie est caractérisé par une hypertrophie et une hyperfiltration glomérulaire. À ce stade les lésions histologiques et les anomalies biologiques sont au moins en partie réversibles.   Néphropathie « silencieuse » Elle apparaît en général 2 à 5 ans après le début du diabète. À ce stade la membrane basale commence à s’épaissir, la filtration glomérulaire est augmentée et une microalbuminurie pathologique (> 30 mg/g de créatinine) se manifeste par intermittence, plus volontiers au cours des périodes de déséquilibre glycémique. De nombreuses personnes atteintes de diabète de type 2 restent à ce stade pour peu que le contrôle des glycémies soit correct, même si l’objectif d’une HbA1c < 7 % n’est pas parfaitement atteint.   Néphropathie « incipiens » Entre la 5e et la 15e année après le début du diabète, les lésions glomérulaires s’aggravent avec une expansion mésangiale, un épaississement franc des membranes basales des capillaires et une hyalinose artériolaire. Sur le plan biologique, la microalbuminurie pathologique devient permanente (entre 30 et 300 mg/g de créatinine). La filtration glomérulaire peut rester normale au moins pendant un certain temps, mais sa valeur diminue progressivement pour se situer en général en dessous de la normale. D’un point de vue clinique, on assiste à l’installation d’une hypertension artérielle.   Néphropathie avérée Après 20 à 25 ans d’évolution la présence de nodules mésangiaux, caractéristiques de la glomérulopathie de Kimmelstiel-Wilson, témoigne d’une néphropathie patente. Ces lésions sont à ce stade associées à une fibrose tubulo-interstitielle. La filtration glomérulaire est l’objet d’une dégradation progressive plus ou moins rapide (1 à 2 mL/min/mois), l’hypertension artérielle est permanente si elle n’est pas traitée et la microalbuminurie se transforme en macroalbuminurie (> 300 mg/g de créatinine) ou en protéinurie franche (> 0,5 g/jour). Le contrôle des désordres glycémiques et tensionnels devient crucial pour éviter l’évolution vers l’étape suivante.   Insuffisance rénale terminale urémigène La gloméruloslérose s’étend pour toucher plus de 50 % du volume du glomérule, la filtration glomérulaire devient inférieure à 15 mL/min/1,73 m2, l’état du patient se détériore avec une augmentation de l’urée plasmatique (néphropathie « urémigène »), la présence d’une anémie et une détérioration de l’état général. À ce stade d’insuffisance rénale, il convient d’envisager un remplacement de la fonction rénale par dialyse ou greffe rénale.   Conclusion   ◻ Cette évolution de la maladie rénale chez la personne diabétique de type 2 est dans l’ensemble superposable à celle qui avait été décrite il y a plus de 30 ans dans le diabète de type 1 (figure 5)(1,2), même si dans le diabète de type 2 des lésions de macroangiosclérose liées à l’âge viennent s’intriquer avec celles de la microangiopathie caractéristique du diabète de type 1. Normalement une néphropathie de nature purement microangiopathique devrait s’accompagner d’une rétinopathie. En son absence, on devrait se poser la question sur la participation d’une macroangiopathie à l’atteinte rénale. Dans ce cas, la nature exacte des lésions ne pourra être élucidée que si l’on pratique une biopsie rénale, exploration non anodine, dont l’indication doit être soigneusement pesée. ◻  L’un des points importants est que l’évolution de la néphropathie diabétique se fait souvent à bas bruit pendant plusieurs années chez un patient qui ignore l’atteinte rénale, car elle ne lui procure apparemment aucun désagrément. Les premiers symptômes n’apparaissent qu’au stade de la néphropathie « incipiens » avec une hypertension artérielle, mais encore faut-il que la pression artérielle soit mesurée. Dans ces conditions, les deux paramètres fondamentaux qui permettent un diagnostic précoce sont purement biologiques : la filtration glomérulaire et la mesure de l’albumine urinaire. Cette dernière peut et doit être déterminée sur un prélèvement d’urine ponctuel et le résultat doit être rapporté à la concentration urinaire de la créatinine(4). En effet la microalbuminurie exprimée par 24 heures est beaucoup trop dépendante de la qualité du recueil des urines. Une excrétion anormale (> 30 mg/g de créatinine) doit conduire à entreprendre un traitement et à vérifier qu’il est efficace par des contrôles répétés à intervalles réguliers. Une baisse d’au moins 30 % de la microalbuminurie devrait être obtenue. ◻ La filtration glomérulaire peut être évaluée par un simple dosage de la créatinine plasmatique suivi par un calcul de la clairance de la créatinine à partir de l’une des formules validées(4). ◻  Au terme de cette première partie, nous rappellerons que notre objectif était de décrire la maladie rénale chronique chez les personnes vivant avec un diabète de type 2 dans ses aspects histologiques, pathogéniques et évolutifs afin de préparer le lecteur à la deuxième partie de cette mise au point qui sera consacrée à la prise en charge nutritionnelle et pharmacologique de cette redoutable complication du diabète.

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