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Nutrition

Publié le 21 juin 2023Lecture 11 min

Régimes d’exclusion chez les sujets diabétiques en question

Jean-Louis SCHLIENGER*, Louis MONNIER**, *Faculté de médecine, université de Strasbourg, **Institut universitaire de recherche clinique, université de Montpellier

Fonds de commerce de la diétothérapie classique des maladies métaboliques, honnie par les « modernes » qui ont élaboré des régimes sur la base d’une alimentation diversifiée et proche de l’équilibre alimentaire avec le souci d’une meilleure qualité de vie et d’une meilleure observance, l’exclusion alimentaire connaît un regain d’intérêt dans le diabète. La pertinence de l’exclusion glucidique est encore incertaine. Les données de la littérature sont hétérogènes parce que les régimes en question sont souvent mal définis et parce que la complexité intrinsèque des interventions diététiques rend difficile la comparaison des études entre elles. De plus, la durée relativement brève de nombre d’études menées sur de petits échantillons ne permet pas de statuer sur l’efficacité et la sécurité à long terme de cette approche diététique.

Les régimes d’exclusion non métabolique   Les pratiques végétariennes excluant la consommation de viande et/ou de poisson, déclinées de différentes manières (lacto-ovo-végétarisme, pesco-végétarisme, ovo-végétarisme ou flexitarisme, etc.), sont parfaitement compatibles avec le diabète. À l’origine de sub-carences en micronutriments, elles n’ont pas d’effet délétère sur l’équilibre glycémique pour peu que l’alliance des céréales et des végétaux soit respectée. Le végétalisme qui exclut tout aliment d’origine animale, y compris les produits lactés, les œufs ou le miel, est responsable de carences systématiques qu’il convient de compenser (vitamine B12), mais n’a pas d’impact direct sur le métabolisme glucosé. Ces régimes d’exclusion qui comptent de plus en plus d’adeptes n’interfèrent pas avec les stratégies thérapeutiques du diabète, mais nécessitent néanmoins une certaine vigilance. Il va de soi que l’exclusion d’un allergène s’impose en cas d’allergie alimentaire ou que certaines substances comme le gluten ou le lactose sont à éradiquer en cas d’intolérance documentée chez les sujets diabétiques comme dans la population générale.   Les régimes d’exclusion glucidique   Une pratique historique de dernier recours Avant l’ère du traitement pharmacologique du diabète (rappelons que l’insuline n’a été disponible qu’à partir de 1922 et que les premiers hypoglycémiants oraux l’ont été au milieu des années 1950), les pionniers de la diabétologie – dont Frederick Madison Allen (1879- 1957) était le chef de file – imposèrent un régime de famine, la fameuse « starvation diet », dans le but de ralentir l’évolution inéluctablement fatale du diabète de type 1. Ce régime hypocalorique hyperprotidique sans glucides et pauvre en lipides entraînait une diminution voire une disparition transitoire de la glycosurie sans acidose au prix d’une dénutrition majeure. Les aliments glucidiques étaient ensuite réintroduits très progressivement jusqu’à ce que la glycosurie réapparaisse, afin de restaurer un apport énergétique acceptable(1). La montée en puissance des traitements hypoglycémiants n’a pas supplanté la diétothérapie du diabète, loin de là. Toutefois, les progrès en nutrition ont conduit à la remanier en profondeur en donnant la préférence aux aliments à faible indice glycémique dans le cadre d’un apport glucidique global allant de 40 à 55 % des apports énergétiques, modulé classiquement en fonction de l’intensité de l’activité physique, des habitudes alimentaires et du profil métabolique. Le pourcentage de 40 % est volontiers préconisé dans les états d’insulinorésistance, dont le modèle le plus achevé est celui du syndrome plurimétabolique avec obésité centrale, diabète de type 2 et hypertriglycéridémie endogène. Mais comme toutes les modes, celles qui touchent à l’alimentation vont et reviennent, trop souvent sous l’influence des gourous médiatiques et des réseaux sociaux. Les médecins quant à eux, refusant d’accepter l’échec fréquent de leurs prescriptions, ne cessent de rechercher la martingale gagnante. C’est ainsi que les régimes « low-carb » ont repris des couleurs sous la bannière des régimes cétogènes.   Régimes low-carb, PSMF et cétogènes (figure 1)   Le régime « low-carb » est une déclinaison revisitée des régimes très hypocaloriques (VLCD pour Very Low Calorie Diets) hyperprotidiques de type Atkins proposés depuis des lustres dans le traitement de l’obésité. La part des glucides est réduite à 25 % de la ration calorique, voire moins, au profit des lipides qui passent de 35 à 60 % pour un apport énergétique inférieur à 800 kcal/j. Dans l’obésité ce régime volontiers auto-prescrit promet une perte de poids plus rapide que les régimes hypocaloriques conventionnels sans garantie de durabilité. En un second temps il a été proposé aux sujets DT2 obèses ou en surpoids, notamment en présence de complications telles que la stéatose hépatique, le syndrome métabolique et le syndrome d’apnées du sommeil. Plusieurs études ont souligné l’efficacité du régime « low-carb » puisqu’il offre la possibilité d’obtenir une rémission de la maladie(2,3). Dans le régime cétogène, la réduction drastique des glucides alimentaires induit une cétogenèse en dépit d’une restriction calorique moindre (environ 1 200 à 1 500 kcal/j). Une perte de poids et une amélioration du contrôle glycémique conséquentes ainsi que des résultats favorables sur les facteurs de risque cardiovasculaires ont été rapportés dans plusieurs études randomisées(4). Le régime PSMF pour Protein Sparing Modified Fast est très restrictif en calories (800 kcal/j) et en glucides (20 g/j), hyperprotidique et cétogène avec administration en deux temps : une première phase pratiquement aglucidique de plusieurs semaines ou mois, suivie d’une phase de réintroduction très progressive des glucides par portions de 10 g ou 20 g supplémentaires chaque semaine (tableau 1)(5).   Conçus initialement pour traiter l’obésité et obtenir une perte de poids rapide, ces régimes ont également été proposés dans le traitement du diabète de type 2 pléthorique. Les indications habituelles sont l’échec du régime hypocalorique conventionnel, la présence de complications favorisées par l’obésité (stéato-hépatite, syndrome d’apnées du sommeil, HTA, etc.), une insulinorésistance majeure se traduisant dans le DT2 insulinorequérant par des besoins insuliniques excessifs. Le DT1 constitue une indication plus qu’aventureuse, surtout en l’absence d’obésité significative.   Pour/contre dans le diabète de type 2   Les arguments avancés par les tenants de ces régimes La restriction drastique des glucides entraîne une perte de poids, réduit la résistance à l’insuline et améliore le contrôle glycémique chez les sujets DT2 tout en permettant de réduire le traitement hypoglycémiant. Dans une étude ouverte contrôlée non randomisée chez des sujets DT2 obèses suivis pendant 2 ans, le régime hypoglucidique comparé à un régime conventionnel a permis de réduire l’utilisation des médicaments hypoglycémiants de moitié et l’insulinothérapie a pu être interrompue dans 62 % des cas avec une diminution de l’HbA1c de plus de 1 % et une amélioration de la pression artérielle et du profil lipidique sans effets secondaires notables(6). La diminution de l’HbA1c a été soulignée dans une étude récente portant sur 12 méta-analyses d’études comparant la diète « low-carb » à un régime conventionnel(7). L’espérance d’une rémission sans médicaments du DT2 est habituelle(4). La perte de poids est l’élément moteur principal des effets métaboliques des régimes très hypoglucidiques dans le DT2. Outre la réduction sévère de l’apport énergétique, la perte de poids est favorisée par l’effet satiétogène des corps cétoniques et par la diminution de l’insulinémie. Par ailleurs, la diminution de l’apport glucidique réduit la variabilité glycémique. Ces régimes ont un effet bénéfique sur la glucotoxicité et la lipotoxicité avec une restauration de la phase précoce de l’insulinosécrétion et une amélioration de la sensibilité hépatique à l’insuline se traduisant par une réduction de la stéatose hépatique (tableau 2). En revanche, il n’existe pas d’arguments robustes pour affirmer que ces bénéfices sont directement induits par la cétogenèse accrue comme cela a pu être affirmé(8). Le risque de céto-acidose est quasi inexistant du fait de la persistance d’une insulinosécrétion résiduelle suffisante pour empêcher l’emballement de la cétogenèse et l’installation d’une acidose symptomatique.   Les grands bémols de ces régimes Ces régimes de l’extrême, délibérément déséquilibrés, sont malheureusement entachés de bémols et de contre-vérités physiopathologiques qui sont largement occultés par ceux qui les préconisent. Le premier bémol est l’absence d’études de sécurité et de mortalité au long cours et le manque de données concernant leurs répercussions sur la qualité de vie. Ce n’est pas la récente méta-analyse et revue de la littérature publiée par Churuangsuk(4) qui pourra rassurer les prescripteurs éventuels puisqu’elle se termine par la conclusion suivante : « aucune des études portant sur l’utilisation des régimes hypocaloriques chez les personnes ayant un diabète de type 2 ne préconise un profil particulier en termes de distribution des macro-nutriments ». En d’autres termes, les résultats à distance sont identiques que le régime soit pauvre ou riche en glucides, ou qu’il soit (image en miroir) riche ou pauvre en lipides. Cette opinion est également celle qui est exprimée dans une étude interventionnelle encore plus récente ayant comparé deux régimes : 20 % de glucides associés à 50 à 60 % de lipides versus 50 à 60 % de glucides associés à 20 à 30 % de lipides(9). Ainsi, l’interprétation des résultats des données disponibles se doit d’être prudente en raison de l’hétérogénéité des régimes comparateurs et des modalités changeantes des régimes « low carb », sans compter les biais inhérents aux études d’intervention diététique. Les dernières recommandations de l’American Diabetes Association (ADA) sont extrêmement nuancées sur le sujet(10) : possibilité d’essayer les régimes très restrictifs en glucides et calories chez les sujets qui en expriment fermement le désir, mais sous réserve d’une surveillance rigoureuse et du respect des contre-indications que sont les hypertriglycéridémies majeures, la grossesse, les traitements par i-SGLT2 et les troubles du comportement alimentaire. De plus, il est clairement exprimé dans ces recommandations que les études interventionnelles sont « inconclusive », comme disent les Anglo-Saxons. Dans ces conditions, on a le sentiment qu’en désespoir de cause certains continuent à « tourner en rond » en essayant de démontrer la supériorité d’un régime par rapport à un autre, alors que tout peut se résumer à ce qui est connu depuis longtemps et qui est schématisé sur la figure 2(11) : les VLCD sont efficaces à court terme, mais leur efficacité à long terme est identique à celle des régimes progressifs et modérément restrictifs en calories(12).   Le deuxième grand bémol est la conséquence de l’irrationalité physiopathologique de la réduction trop sévère des glucides, car elle conduit, d’une part, à un emballement de la néoglucogenèse hépatique avec transformation de substrats nobles (les acides aminés musculaires) en simple carburant (le glucose utilisé en particulier pour le fonctionnement du système nerveux) et, d’autre part, à une stimulation de la lipolyse avec production de corps cétoniques (des déchets métaboliques dont l’utilité est pour le moins contestable). En revanche, les effets délétères sont, pour le premier phénomène, une fonte des masses musculaires, difficilement réversible quand elle est excessive, et pour le deuxième phénomène, un risque de cétose ou de céto-acidose, même s’il est beaucoup plus faible dans le diabète de type 2 que dans le type 1.   Pour/contre dans le diabète de type 1   L’engouement récent pour les régimes basés sur l’exclusion plus ou moins importante des glucides chez les sujets atteints de DT1 est encore plus surprenant puisque ces sujets ne sont habituellement pas en surpoids et qu’il n’y a aucun espoir de rémission. Connaissant les dangers de la cétogenèse il est pour le moins hasardeux d’envisager la privation de glucides pour obtenir une hypercétonémie chronique dans ce type de diabète totalement dépendant de l’insulinothérapie. L’intérêt théorique de cette approche tiendrait à la réduction des excursions glycémiques postprandiales et de la variabilité glycémique. De surcroît, le faible apport glucidique réduit les besoins insuliniques, ce qui accroît ipso facto la cétogenèse. Le niveau d’équilibre entre une cétogenèse induisant une cétose acceptable et une cétogenèse induisant une acidose sévère et symptomatique est un pari métabolique risqué. Le régime cétogène devrait donc être proscrit dans le diabète de type 1, même si la question reste toujours l’objet de sempiternelles discussions(13). Si l’on tente de suivre le raisonnement de ceux qui s’obstinent dans cette impasse(14,15), la mise en œuvre de régimes cétogènes chez les patients diabétiques insulinés – mais on ne sait pas s’il s’agit de vrais DT1 ou de DT2 insulino-requérants – nécessiterait deux types de mesures. La première est une diminution drastique des doses d’insuline (environ 40 % lorsque la dotation glucidique est limitée à 50 g/j) pour éviter les hypoglycémies. La deuxième – on ne fait pas dans la nuance – serait un jeûne glucidique préalable de 24 heures pour s’assurer de l’absence de surdosage en insuline basale chez des patients en situation d’errance métabolique et d’insulinorésistance. Les bénéfices de ces « tripatouillages » diététiques sont plus qu’incertains. Les études disponibles, peu nombreuses, portent sur de petits échantillons et font appel à une restriction glucidique de niveau variable qui empêche de se faire une opinion objective. Les épisodes de céto- acidose ou d’hypoglycémie sévère sont rapportés dans quelques publications. Si l’amélioration de l’équilibre glycémique est rapidement significative, l’impact bénéfique sur les complications micro- et macroangiopathiques dépend de la durée d’application de ce régime qui est abandonné par 50 % des patients après 2 ans(14). En conclusion, dans le DT1 la diète cétogène n’est pas prête à se substituer à la diète conventionnelle fondée sur la limitation de la consommation des aliments à index glycémique élevé.   Le jeûne intermittent (JI) Le jeûne, formule ultime des régimes d’exclusion, a été proposé dans le traitement de l’obésité massive moyennant un apport hydrique et en minéraux et oligoéléments. Le jeûne intermittent (JI) qui consiste à alterner des périodes d’exclusion alimentaire plus ou moins longues a été proposé dans le traitement de l’obésité avec ou sans DT2. Plusieurs modalités d’application ont été décrites. La plus commune et la plus minimaliste est le « fasting » ou « jeûne intermittent 16/8 » où l’alimentation n’est autorisée que 8 heures sur une période de 24 heures, ce qui revient concrètement à sauter un repas (petit déjeuner ou dîner). Dans le jeûne intermittent un jour sur deux, l’alimentation est fortement ou complètement restreinte un jour sur deux. Dans le JI 5:2, il est proposé de jeûner deux jours (consécutifs ou non) par semaine. Certains protocoles de JI autorisent une prise alimentaire très restrictive (moins de 600 kcal pendant les deux jours de « jeûne »). Un autre protocole de JI est en réalité un régime très hypocalorique de type VLCD (500-700 kcal) appliqué 2 à 4 jours par semaine. En dehors du poids, les effets de ces procédures sur les paramètres métaboliques sont mal connus. Dans une revue systématique, les effets du JI ont été comparés à ceux d’une restriction énergétique continue chez des sujets obèses DT2 ou porteurs d’un syndrome métabolique suivi au moins 6 semaines dans 5 essais contrôlés randomisés(16). Si la diminution de l’IMC est un peu plus importante sous JI, le contrôle glycémique (HbA1c, glycémie et insulinémie à jeun) ou du syndrome métabolique (profil lipidique), l’observance, la consommation médicamenteuse et la sécurité (incidence des hypoglycémies) sont comparables à ce qui a été observé avec un régime hypocalorique continu. Compte tenu des biais qui entravent l’interprétation des données, et pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées pour les régimes cétogènes, il ne semble pas que l’exclusion alimentaire temporaire soit supérieure aux régimes hypocaloriques continus en termes de gestion de l’obésité compliquée de DT2 obèse.

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