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Diabète et médecine interne

Publié le 31 mar 2010Lecture 12 min

Apnées du sommeil et diabète : quels sont les liens et que faire en pratique ?

P. BÖHME, CHU de Nancy, Hôpital Jeanne d’Arc, Toul

Le diabète de type 2 (DT2) et le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) sont deux pathologies fréquentes dont l’incidence galopante est en grande partie liée à celle de l’obésité. Les troubles métaboliques fréquents comme l’obésité, le syndrome métabolique et le DT2 présentent des liens épidémiologiques étroits avec les apnées du sommeil, même si les interactions physiopathologiques demeurent complexes. Les troubles du sommeil (en particulier ceux en rapport avec la respiration) méritent ainsi une attention toute particulière de la part du diabétologue.
La nécessité d’un dépistage précoce, d’une prise en charge multidisciplinaire appropriée et d’études dans ce domaine ont été récemment soulignées par l’IDF1.

Définitions   Les apnées du sommeil constituent un groupe prédominant de pathologies caractérisées par des arrêts respiratoires plus ou moins complets au cours du sommeil. Les apnées obstructives du sommeil paraissent de loin les plus fréquentes. Elles correspondent à des épisodes répétitifs de collapsus partiel ou complet du pharynx (en regard du voile du palais et/ou en arrière de la base linguale) au cours du sommeil. Elles s’accompagnent de la persistance d’un effort respiratoire, à l’inverse des apnées d’origine centrale. La polygraphie ventilatoire et la polysomnographie permettent de repérer des apnées dites « mixtes » qui correspondent à des apnées d’aspect « central » au début puis « obstructif » à la fin de l’événement respiratoire. L’apnée proprement dite se définit par l’arrêt du flux inspiratoire pendant au moins 10 s. L’hypopnée correspond à une réduction du flux inspiratoire (d’au moins 30 %, voire 50 %) de plus de 10 s et associée à une désaturation en O2 d’au moins 3 % et/ou à un micro-éveil. Ce dernier équivaut à des éveils non perçus, de très courte durée (3 à 15 s). L’indice d’apnée-hypopnée (IAH) correspond au nombre d’apnées et d’hypopnées par heure de sommeil. L’association d’au moins 5 épisodes nocturnes par heure (IAH > 5/h) à une somnolence diurne excessive définit le SAOS. Le rapport de l’IDF met en avant deux autres caractéristiques majeures : les antécédents de ronflements et les apnées constatées par le conjoint. En l’absence de ces signes évidents (somnolence excessive notamment), l’association des apnées et/ou hypopnées à au moins deux des symptômes suivants permet de définir un SAOS : sommeil non récupérateur, étouffements nocturnes, réveils multiples, fatigue, troubles de la concentration. D’autres aspects cliniques sont associés à cette liste : maux de tête matinaux, perte de mémoire, irritabilité, nycturie, dysfonctionnements sexuels, dépression. L’IAH est utilisé comme principal marqueur de la maladie. La sévérité du SAOS repose sur la valeur de l’IAH : forme légère entre 5 et 15, forme modérée entre 15 et 30 et forme sévère au-delà de 30 événements par heure. La sévérité du SAOS conditionne son traitement.   Épidémiologie descriptive des liens avec les troubles du métabolisme glucidique et d’autres comorbidités   La prévalence du SAOS est en augmentation constante2,3. La prévalence de la forme sévère est estimée à 2 % chez les femmes et 4 % chez les hommes dans la population américaine4. La prévalence de la forme minime varie de 17 à 24 % chez les hommes et 5 à 9 % chez les femmes5. Les malades porteurs d’un SAOS souffrent plus souvent d’hypertension artérielle (HTA) et d’insuffisance coronaire, tout comme les patients DT26. Enfin, le SAOS favorise l’apparition d’AVC, de troubles du rythme cardiaque et d’insuffisance ventriculaire gauche7. À cela s’ajoute une inquiétante prédisposition aux accidents de la circulation si le SAOS n’est pas traité. Le DT2 et le SAOS sont deux épidémies intriquées, avec une prévalence et un risque de comorbidités assez proches. Chez les sujets DT2, la prévalence du SAOS était jusqu’à présent estimée entre 18 à 36 % selon des critères diagnostiques variables8, 9. Foster et al. ont montré récemment, sur une cohorte de 306 patients DT2 que la prévalence du SAOS sévère était de 22,6 % et celle du SAOS modéré à sévère de 30,5 %10 (figure 1). L’autre conclusion de ce travail portait sur l’absence inquiétante de diagnostic de SAOS chez 86 % des patients10. Dans la population des patients souffrant de SAOS, la prévalence d’un diabète connu est forte. Dans une étude prospective, Reichmuth et al. mettent en évidence que le risque relatif de diabète est multiplié par 2,3 après ajustement sur l’âge, l’IMC et le sexe, si le seuil diagnostique pour le SAOS est fixé à 15 événements par heure11. La réalisation d’une HGPO a même permis de montrer que 50 % des porteurs d’un SAOS avaient soit un DT2 (30 %), soit une intolérence au glucose (20 %)12. Dans une étude de cohorte chez 2 656 sujets, la Sleep Heart Health Study, l’IAH et le niveau moyen de saturation en O2 nocturne étaient corrélés positivement à la glycémie à jeun et à la glycémie à 2 heures de l’HGPO13. Outre l’hyperglycémie, les marqueurs d’insulinorésistance sont souvent, mais pas toujours, corrélés avec le SAOS14. La sévérité du SAOS paraît corrélée positivement au degré d’insulinorésistance, indépendamment de l’IMC et du tour de taille, ou au fait que les patients présentant un SAOS sont les plus corpulents, les plus hyperinsulinémiques et les plus insulinorésistants (selon le calcul du HOMA). Ils présentent un syndrome métabolique plus souvent que les témoins (87 vs 35 %), indépendamment des chiffres de pression artérielle, de l’IMC, de la triglycéridémie, de l’insulinémie, du HDL-cholestérol15. À l’inverse, Sharma et al. ont comparé 3 groupes de 40 sujets (obèses apnéiques, obèses non apnéiques, non obèses non apnéiques) sans montrer de différence significative pour certains paramètres métaboliques (glycémies à jeun, HOMA-R)16. D’autres phénotypes assimilés ou proches du syndrome d’insulinorésistance, comme la stéatose hépatique non alcoolique (NASH) ou le syndrome des ovaires polykystiques sont également associés au SAOS17. Figure 1. Prévalence du SAOS dans une population de 306 patients diabétiques de type 2 (d’après10). Liens physiopathologiques entre diabète de type 2 et SAOS (figure 2) Figure 2. Physiopathologie des liens entre SAOS et diabète de type 2 (adapté de 40;41). Plusieurs mécanismes relient potentiellement le SAOS à l’insulinorésistance et à une diminution de la tolérance glucosée et donc au diabète de type 2.   Facteurs anatomiques : adiposité viscérale et tronculaire Le site de l’obstruction est le plus souvent oropharyngé où les parois sont relativement souples. La contraction des muscles inspiratoires et notamment du diaphragme génère une pression négative qui réalise un phénomène de succion responsable d’un collapsus des voies aériennes supérieures (VAS). À l’opposé, la contraction des muscles dilatateurs des VAS et des muscles thoraciques génère une force qui s’oppose à ce collapsus et maintient les VAS ouvertes pendant l’inspiration. Le calibre des VAS est un facteur important car plus il est petit, plus la tendance au collapsus est grande. Les anomalies anatomiques constituées réduisant le diamètre des VAS sont variées (rétroprognatisme, micrognatie, base de langue volumineuse, hypertrophie des amygdales et des piliers du voile du palais, etc.)18. L’impact de ces facteurs est majoré par le décubitus dorsal responsable d’une chute en arrière de la langue et par l’hypotonie physiologique des muscles au cours du sommeil. De nombreuses études confirment le lien étroit entre obésité et SAOS2,19. La plupart révèlent que l’obésité abdominale est le facteur de risque le plus important pour le SAOS20. Le tissu adipeux viscéral réduit en effet le volume pulmonaire et semble plus prédictif du SAOS que la masse grasse sous-cutanée. Le périmètre du cou augmenté est aussi corrélé positivement au risque de SAOS et cette corrélation est liée à la composition en masse grasse du cou comme l’ont confirmé plusieurs études d’imagerie21. Des données récentes suggèrent également que les dépôts graisseux intramusculaires sont à l’origine des anomalies fonctionnelles des muscles laryngés chez les sujets obèses apnéiques sans que ceux-ci présentent des anomalies anatomiques22.   Hypoxie intermittente nocturne Des souris exposées à des hypoxies intermittentes présentent une augmentation de l’insulinémie et une diminution de la tolérance au glucose. La répétition des cycles hypoxie-réoxygénation augmente en effet le stress oxydatif  en formant des radicaux libres, eux-mêmes favorisant l’augmentation de cytokines inflammatoires tels TNFaα ou l’interleukine 6 (IL6), qui favorisent l’installation d’une résistance périphérique à l’insuline. Ce stress oxydatif  favorise un ensemble de réactions en cascade en partie régulées par le facteur HIF-1 (hypoxia-inductible factor-1), lui-même capable d’induire l’expression de plusieurs gènes codant pour des enzymes de la glycolyse et des transporteurs de glucose23,24. L’hypoxie paraît également induire une insulinorésistance et une diminution de l’utilisation du glucose dans les fibres musculaires, indépendamment de modifications au niveau du système nerveux autonome25. De même, une équipe américaine a mis en évidence l’influence délétère des hypoxies intermittentes sur la transcription de gènes impliqués dans la régulation du système adrénergique, leptinergique et inflammatoire26.   Fragmentation du sommeil Parallèlement aux effets oxydatifs des hypoxies, les micro-éveils ont la capacité d’altérer les différentes phases de sommeil (profond et paradoxal). Les phases de sommeil profond sont en particulier moins nombreuses et/ou raccourcies. L’équipe de Van Cauter a réussi à supprimer de manière isolée la phase de sommeil lent profond au cours de 3 nuits consécutives chez 9 jeunes adultes sans facteurs de risque de diabète27. Ces perturbations provoquées ont entraîné une augmentation du poids et une diminution de la sensibilité à l’insuline. Cette diminution était de plus proportionnelle à l’intensité de la réduction du sommeil profond. Les auteurs suggèrent ainsi que les perturbations du sommeil profond pourraient expliquer les liens entre SAOS et DT2, mais également le risque de diabète lié à l’âge, compte tenu des perturbations du sommeil qui apparaissent avec le vieillissement.   Déficit de sommeil Les liens entre faible durée du sommeil et incidence de l’obésité, du DT2, de l’hypertension artérielle et des maladies coronaires sont très significatifs28,29. Une analyse transversale de la Sleep Heart Health Study révèle qu’une réduction du temps de sommeil (< 6 h) est associée à une prévalence accrue de diabète de type 2 et d’intolérance au glucose (évaluée par HGPO), y compris après ajustement sur l’existence ou non d’un SAOS30. Sur le plan expérimental, réduire la période de sommeil à 4 h par nuit a entraîné, chez 11 sujets sains chez lesquels ont été réalisés des tests d’HGPIV, une augmentation de la glycémie, de l’insulinémie et du peptide-C (réduction de 30 % de la phase initiale de sécrétion mais augmentation de la phase tardive d’environ 20 %), une diminution de l’indice HOMA, une diminution des taux circulants plasmatiques de leptine (sur 24 h) et une augmentation de la balance sympatho-vagale31.   Rôle de l’activation du système nerveux autonome et des dysfonctions hormonales La désaturation intermittente en O2 augmente l’activité sympathique chez l’homme32. De plus, des taux élevés de catécholamines ont été retrouvés chez les patients apnéiques proportionnellement au nombre de réveils nocturnes ou à l’intensité des désaturations en O233. Cette stimulation exagérée de l’activité augmenterait la glycogénolyse et la néoglucogenèse, et expliquerait en partie les troubles du métabolisme glucidique observés au cours du SAOS. De plus, une neuropathie autonome peut être un élément aggravant chez le sujet diabétique. En effet, on retrouve une proportion plus importante de SAOS chez des sujets diabétiques souffrant de neuropathie autonome comparativement à des sujets diabétiques sans neuropathie19. Sur le plan hormonal, la réduction ou la privation totale de sommeil entraînent une hausse de la cortisolémie, favorisant ainsi l’augmentation de la glycémie et de l’insulinémie. La fragmentation du sommeil liée au SAOS favorise également la sécrétion de CRH et la production de cortisol, même si les effets de la CPAP (continuous positive airway pressure ou pression positive continue) sur ces paramètres restent contradictoires34,35.   Liens avec la dysfonction endothéliale, le stress oxydatif et l’inflammation chronique Les patients présentant un taux modéré ou sévère d’apnées ont une dysfonction endothéliale liée à un défaut de production d’oxyde nitrique (NO) et/ou à un excès de facteurs vasoconstricteurs36. Ces deux anomalies sont retrouvées par divers auteurs chez des sujets apnéiques, notamment une augmentation de l’endothéline-1, puissant vasoconstricteur. De plus, les hypoxies liées aux apnées favorisent la production de cytokines de l’inflammation comme l’interleukine 6 (IL6) et le tumor necrosis factor a (TNFa), élévation confirmée chez des sujets apnéiques37. Or, ces deux facteurs sont impliqués dans le développement de l’insulinorésistance, compte tenu de leur influence sur la signalisation de l’insuline et de leur effet négatif sur les PPARg. Les taux d’IL6 sont élevés en cas de SAOS, indépendamment de l’importance de la graisse viscérale38. La protéine C-réactive est aussi augmentée en cas de fragmentation du sommeil, de même que certaines molécules d’adhésion (I-CAM 1, VCAM-1 et E-sélectine)39. L’ensemble de ces anomalies contribue probablement au risque cardiovasculaire élevé que présentent les patients porteurs d’un SAOS, risque déjà élevé chez le patient diabétique de type 2.   Effets métaboliques du traitement du SAOS   Près d’une vingtaine d’études portant sur les effets métaboliques du traitement par CPAP sont désormais disponibles. L’une des études comportant le plus grand effectif a montré une amélioration notable de la sensibilité à l’insuline évaluée par des clamps hyperinsuliniques euglycémiques, au bout de 3 mois de traitement par CPAP42. Cette amélioration était rapide, perdurait jusqu’à la fin de l’étude mais était surtout observée chez les sujets les moins corpulents. Iyer et al. ont par ailleurs montré chez 17 sujets diabétiques de type 2 que les glycémies à jeun et postprandiales étaient significativement améliorées au bout de 7 jours de CPAP bien conduite43. Enfin, une étude récente a montré que la CPAP améliore significativement la variabilité de la glycémie nocturne (évaluée à l’aide d’un Holter glycémique de type CGMS de Medtronic®) chez 14 patients totalisant une quarantaine de nuits pour cette étude44. À l’inverse, d’autres études comparant les effets de la CPAP chez des sujets diabétiques ou non n’ont pas montré de bénéfice significatif sur l’insulinémie, l’index HOMA ou l’HbA1c45,46. Rappelons enfin que le CPAP réduit le risque de décès cardiovasculaire par 3 et le nombre d’accidents de la route par 6, sans compter ses effets bénéfiques sur la somnolence et la plupart des indices de qualité de vie lorsqu’elle est bien acceptée.   Quand et comment dépister le SAOS chez le patient diabétique ?   L’IDF et d’autres sociétés savantes suggèrent un dépistage précoce et systématique du SAOS par les professionnels impliqués dans le DT2 comme chez le patient obèse, et en particulier lorsqu’il s’agit d’une obésité androïde1. Ce dépistage est avant tout basé sur les éléments obtenus par l’interrogatoire (association des signes d’appels cités plus hauts). Des questionnaires sont disponibles, évaluant tantôt la seule somnolence (comme l’échelle d’Epworth) (tableau 1), tantôt une estimation du risque de SAOS comme le questionnaire de Berlin47,48 (tableau 2). Le dépistage proprement dit peut faire appel à plusieurs dispositifs utilisables en ambulatoire. L’oxymétrie nocturne a une sensibilité variable. Un polygraphe ventilatoire avec oxymètre ou un dispositif évaluant les seuls flux respiratoires présentent de bonnes sensibilités et valeur prédictives positives49,50. Les patients dont les résultats sont positifs ou douteux méritent un avis spécialisé (laboratoire du sommeil) afin d’établir un diagnostic de certitude et un appareillage le cas échéant. Les patients présentant un risque cardiovasculaire élevé, une HTA résistante, une insulinorésistance sévère et/ou un DT2 mal contrôlé sont autant de situations où le dépistage des troubles respiratoires du sommeil paraît incontournable. Ces procédures nécessitent une collaboration étroite entre le diabétologue, le pneumologue et le spécialiste du sommeil (figure 3). Figure 3. Dépistage et prise en charge du SAOS. Ce qu’il faut retenir   Les troubles du sommeil sont sources de troubles métaboliques : les données épidémiologiques le confirment. Un diabétique sur deux présente des apnées du sommeil. Le SAOS favorise l’insulinorésistance, l’augmentation du stress oxydatif et la dysfonction endothéliale. Il accentue probablement le risque cardiovasculaire de ces patients. Les liens entre SAOS et diabète de type 2, indépendamment de l’obésité, restent encore à préciser. Cependant, un dépistage ciblé, actuellement facilité par des questionnaires et/ou des dispositifs utilisables en ambulatoire, permet de repérer les patients à risque et de les adresser aux spécialistes du sommeil. Références bibliographiques disponibles sur demande auprès de la rédaction.

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