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Physiologie-Physiopathologie

Publié le 28 fév 2011Lecture 7 min

Déterminants du diabète de type 2 : n’oublions pas les estrogènes !

P. GOURDY, Service de diabétologie, maladies métaboliques et nutrition, CHU de Toulouse, INSERM U858, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires, Toulouse

Un faisceau d’arguments épidémiologiques, cliniques et expérimentaux, accumulés au cours des dernières décennies, plaide en faveur d’un effet bénéfique des estrogènes sur le métabolisme glucidique. Nous revenons ici sur les principales données justifiant l’intérêt de mieux définir le potentiel de la voie des estrogènes en tant que nouvelle cible thérapeutique pour la prévention ou le traitement du diabète de type 2.

Le traitement hormonal de la ménopause réduit l’incidence du diabète de type 2   Il est parfaitement admis que la ménopause marque un tournant significatif vis-à-vis du risque de diabète de type 2, en particulier en amplifiant l’exposition à divers facteurs de  risque, dont l’accumulation de tissu adipeux viscéral. L’influence du traitement hormonal de la ménopause (THM) sur le métabolisme glucidique est donc une préoccupation ancienne, mais il aura fallu attendre les résultats des grands essais d’intervention pour affirmer les bénéfices associés à cette substitution hormonale. Ainsi, dans les études WHI (Women’s Health Initiative) et HERS (Heart and Estrogen/progestin Replacement Study), l’administration orale d’estrogènes équins couplés à de l’acétate de médroxyprogestérone à des femmes ménopausées a permis de réduire de 21 à 35 % l’incidence du diabète au cours du suivi, par comparaison à un placebo (tableau)(1-3). Cet effet protecteur du THM a été récemment confirmé par les données de suivi de larges cohortes européennes, en particulier dans le cadre de l’étude française E3N (Etude épidémiologique de femmes de la mutualité générale de l’éducation nationale). L’analyse de cette cohorte française révèle, en effet, une réduction significative du nombre de cas incidents de diabète chez les femmes ayant bénéficié d’un THM (RR = 0,82 ; IC95 % : 0,72-0,93). Cet effet favorable semble plus marqué lors de l’administration des estrogènes par voie orale par comparaison à la voie transdermique, mais s’avère cependant significatif pour les deux modes d’administration(4). Les estrogènes : acteurs clés du métabolisme glucidique   De façon remarquable, l’implication spécifique des estrogènes dans la régulation de l’action de l’insuline et du métabolisme glucidique a pu être affirmée chez l’humain à l’occasion d’observations exceptionnelles concernant des sujets, principalement des hommes, présentant des mutations inactivatrices du gène de l’aromatase, enzyme clé de la voie de synthèse des estrogènes. Cette carence en estrogènes conduit, en effet, au développement prématuré d’un surpoids androïde et de stigmates francs d’insulinorésistance, dont une intolérance au glucose(5). Confirmant ces observations, l’invalidation du gène de l’aromatase chez la souris aboutit à un phénotype dysmétabolique identique. De plus, l’utilisation de modèles animaux a confirmé le potentiel thérapeutique de l’activation de la voie des estrogènes. Ainsi, chez des souris soumises à un régime hyperlipidique, notre équipe a récemment rapporté que l’administration d’estradiol prévient la prise de poids et le développement des dépôts adipeux, et exerce un effet protecteur très significatif vis-à-vis de la survenue de l’insulinorésistance et de l’intolérance au glucose classiquement induites par ce type de régime(6).   Rôle crucial du récepteur a des estrogènes   Deux cibles moléculaires sont susceptibles de relayer les effets des estrogènes, les récepteurs des estrogènes a et b (REa et REb), membres de la famille des récepteurs nucléaires aux hormones stéroïdes. Dans l’état actuel des connaissances, il est admis que la grande majorité des effets extra-reproducteurs des estrogènes, incluant leurs actions métaboliques, met en jeu l’activation du REa. En premier lieu, il est intéressant de noter que plusieurs analyses pangénomiques, conduites dans des populations distinctes, ont montré une association entre l’existence d’un diabète de type 2 et le gène ESR1, codant le REa. Par ailleurs, démontrant le caractère indispensable de ce récepteur nucléaire, tout défaut d’expression ou de fonction du REa se traduit par un syndrome métabolique précoce et sévère. C’est le cas du seul cas de mutation inactivatrice du REa rapporté à ce jour, chez un homme qui a également présenté des dysfonctionnements vasculaires prématurés. Les souris déficientes en  REa, aussi bien mâles que femelles, sont également caractérisées par une accumulation de masse adipeuse, une altération franche de la sensibilité à l’insuline et une hyperglycémie(7). Enfin, nous avons montré que l’effet protecteur de l’administration d’estradiol vis-à-vis des conséquences métaboliques délétères d’un régime hyperlipidique est totalement aboli chez ces animaux déficients en REa(6).   Une action favorable sur différents acteurs tissulaires de l’homéostasie glucidique Les mécanismes impliqués dans l’effet bénéfique des estrogènes sur le métabolisme glucidique ne sont pas totalement élucidés. Les données expérimentales suggèrent cependant différentes actions favorables permettant de contrer les deux principaux traits physiopathologiques du diabète de type 2, à savoir la diminution de la sensibilité à l’insuline et l’altération progressive de la capacité d’insulinosécrétion du pancréas(8).   Les estrogènes préservent la sensibilité à l’insuline Plusieurs travaux ont suggéré que les femmes en période d’activité génitale présentent une meilleure sensibilité à l’action de l’insuline que les hommes d’âge comparable. En revanche, comme nous l’avons évoqué ci-dessus, l’installation de la ménopause favorise la constitution d’un surpoids avec répartition androïde de la masse grasse et la survenue progressive d’une insulinorésistance pouvant conduire au diabète de type 2. De nombreuses études se sont attachées à apprécier l’influence du THM sur la sensibilité à l’insuline, générant des données parfois discordantes en fonction du mode de quantification de la sensibilité à l’insuline, et surtout du type de molécules administrées (progestatifs en particulier). L’étude WHI apporte, là encore, son lot d’enseignements avec une diminution significative de l’insulinémie à jeun et de l’indice HOMA (Homeostasis Model Assessment) dès les premiers mois de traitement hormonal(2,3). Toujours d’après l’étude WHI, l’effet protecteur du THM vis-à-vis de la survenue du diabète de type 2 ne peut s’expliquer de façon exclusive par la prévention de la prise pondérale et de l’accumulation de masse grasse. En effet, l’incidence du diabète a été également significativement réduite par le traitement chez les femmes dont l’indice de masse corporelle et le tour de taille sont demeurés stables au cours du suivi. Le bénéfice conféré par les estrogènes en termes de sensibilité à l’insuline pourrait donc combiner des effets indirects par prévention de la prise de poids et de l’accumulation de tissu adipeux à prédominance abdominale, et des effets directs sur la cascade de signalisation du récepteur de l’insuline au sein des tissus cibles (muscle squelettique, foie, adipocyte). Ainsi, en présence d’estradiol, des expériences réalisées in vitro et in vivo chez l’animal ont objectivé une amplification de la phosphorylation de molécules clefs de la voie de l’insuline au niveau du tissu adipeux et du muscle squelettique (IRS1 en particulier). Enfin, toujours chez le rongeur, l’influence des estrogènes sur certaines régions du système nerveux central, exprimant fortement le REa, semble également impliquée dans leur effet métabolique favorable en modulant la prise alimentaire et le métabolisme basal(9). Figure. Mécanismes potentiellement impliqués dans l’influence favorable des estrogènes sur le métabolisme glucidique. Des arguments en faveur d’un effet direct sur les cellules pancréatiques b Le REa est exprimé au sein des îlots de Langerhans et plusieurs travaux expérimentaux récents permettent d’affirmer qu’il joue un rôle crucial pour amplifier la sécrétion d’insuline, mais également pour prévenir l’apoptose des cellules pancréatiques b(10). En termes d’insulinosécrétion, l’estradiol exerce un effet rapide sur des îlots murins isolés, augmentant de façon très significative leur contenu en insuline et doublant leur capacité de sécrétion de l’hormone en réponse au glucose. Ces actions ne sont en revanche pas retrouvées lorsque les îlots proviennent de souris déficientes en REa. La présence d’estradiol permet également aux îlots murins et humains de mieux résister à l’apoptose induite in vitro par différents stimuli de type cytokines pro-inflammatoires. Enfin, l’importance du statut hormonal pour la préservation des cellules b a été récemment confirmée in vivo. En effet, l’administration d’estradiol prévient l’apoptose des cellules b induites  par l’injection de streptozotocine chez la souris, effet toxique qui se trouve nettement majoré chez les animaux déficients en aromatase ou en REa(10).   Quelles perspectives en pratique clinique ?   En synthèse, les estrogènes exercent des effets métaboliques globalement bénéfiques et la prescription d’un traitement hormonal permet probablement de réduire le risque de développer un diabète de type 2 chez la femme ménopausée. Cependant, si ce bénéfice métabolique doit probablement être pris en compte, il n’occulte pas les effets indésirables potentiels des différentes combinaisons hormonales, et donc la nécessité d’une décision individualisée et d’une réévaluation annuelle de la balance bénéfice/risque. De façon plus générale, la voie des estrogènes représente sans aucun doute une nouvelle cible pour le développement de stratégies thérapeutiques innovantes pour la prévention et/ou le traitement du diabète. Cette démarche passe cependant par une meilleure compréhension des mécanismes impliqués et par l’identification de modulateurs sélectifs du REa conservant les effets métaboliques et vasculaires bénéfiques des estrogènes, mais dénués d’effets délétères, en particulier carcinologiques.  

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