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Nutrition

Publié le 31 aoû 2011Lecture 12 min

Les marqueurs de la dénutrition de la personne âgée diabétique

D. QUILLIOT, A. MALGRAS, Service de Diabétologie, Maladies métaboliques et Nutrition, CHU de Nancy

La dénutrition est un des critères majeurs influant sur l’espérance de vie, la survenue de complications, quelle que soit la pathologie associée, chez le sujet âgé. Le diabète peut jouer un rôle aggravant ou déclenchant une perte de poids, qui se traduit, surtout chez le sujet âgé, par une fonte musculaire aboutissant rapidement à une sarcopénie.

Impact du diabète sur l’état nutritionnel du sujet âgé   On estime qu’en France, un quart des diabétiques ont plus de 75 ans (étude ENTRED), ce qui représente 600 000 personnes. La prévalence du diabète chez les sujets de plus de 65 ans est d’environ 10 % (étude PAQUID) et, au-delà de 70 ans, de 17,7 % chez les hommes et 11,5 % chez les femmes. En institution, c’est près de 20 % des pensionnaires qui seraient diabétiques. Le vieillissement de la population et l’allongement de l’espérance de vie entraînent inéluctablement une augmentation progressive de cette prévalence, avec des conséquences médico-économiques majeures. Or, il y a à la fois un déficit de connaissance concernant le traitement spécifique du diabète à cet âge et l’impact de l’hyperglycémie sur la santé. Les résultats de l’étude ENTRED montrent que le sujet âgé diabétique est particulièrement « fragile ». La notion de fragilité repose sur des données concernant les fonctions cognitives, les possibilités fonctionnelles, le risque de chute et sur l’état nutritionnel. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux de la prévalence de la dénutrition chez le sujet âgé, estimée entre 350 000 et 500 000 pour les personnes vivant à domicile et au minimum entre 100 000 et 200 000 pour celles vivant en institution gériatrique. La population à risque est constituée de personnes de plus de 70 ans, isolées, anorexiques, dépressives, dépendantes, atteintes de polypathologies chroniques ou lors de la survenue d’une pathologie aiguë, même de courte durée. La malnutrition protéino-energétique (MPE) est également beaucoup plus fréquente dans les milieux défavorisés. Sa prise en charge entraîne plus souvent une institutionnalisation. Le sujet âgé diabétique est donc potentiellement dénutri pour plusieurs raisons que nous allons préciser. Les problèmes nutritionnels chez le sujet âgé diabétique ne sont plus focalisés sur le surpoids, mais sur le risque de dénutrition et de sarcopénie, éléments essentiels de la fragilisation de l’état de santé de ces patients.   La dénutrition chez le sujet âgé diabétique conduit à la sarcopénie   Chez le sujet âgé, la dénutrition est attribuée à l’insuffisance d’apport protéique (dénutrition exogène) ou à l’hypercatabolisme lié, par exemple, à un cancer ou à une infection (dénutrition endogène). L’inflammation chronique, même subclinique, favorise ce catabolisme, de même que le diabète. Effets de l’âge sur le rendement énergétique et les besoins nutritionnels On estime que le rendement énergétique diminue avec l’âge. Il serait inférieur de 20 % chez le sujet de à 70 à 80 ans. Par conséquent, pour une même masse maigre, les besoins en énergie augmentent chez le sujet âgé. Les besoins en certaines vitamines sont également plus importants, notamment les vitamines du groupe B (B6, B9, B12), ce qui se traduit, par exemple, par une augmentation d’homocystéine, impliquée dans la peroxydation lipidique, la méthylation de l’ADN, les mutations ADN, les anomalies fonctionnelles des protéines… Au cours du diabète, le défaut mitochondrial, conséquence l’insulinorésistance, altère le rendement énergétique. Effets de l’âge et du diabète sur le métabolisme protéique Le vieillissement se traduit par une fonte progressive des réserves protéiques, notamment d’origine musculaire, se traduisant par une sarcopénie. Dans le même temps, la part du muscle dans le turn-over protéique passe de 30 % chez le sujet jeune à moins de 20 % chez le sujet âgé. L’amaigrissement et la fonte musculaire font partie des signes classiques du diabète de type 1 décompensé ou du diabète de type 2 insulinopénique. La perte de poids est principalement expliquée par la glycosurie, responsable d’une déperdition calorique. Elle survient dès que le seuil de réabsorption rénal est atteint, en pratique pour une glycémie de ≥ 1,8 g/l. C’est une polyurie osmotique destinée à faire baisser la glycémie. Chez le sujet jeune déclarant un diabète de type 1, le tableau clinique est souvent évocateur sous la forme d’un syndrome cardinal (polyurie, polydipsie, perte de poids) ; la perte calorique est plus ou moins compensée par une hyperphagie qui alerte parfois le sujet ou son entourage. Chez le sujet âgé les signes sont plus « sournois », d’autant plus que l’hyperglycémie s’installe progressivement. L’amaigrissement se produit essentiellement au détriment de la masse maigre. Le déficit insulinique est, en effet, responsable d’une augmentation du catabolisme protéique musculaire et d’une diminution de la synthèse protéique favorisant la sarcopénie. De même, la carence en insuline entraîne une diminution de la synthèse des protéines hépatiques, telle l’albumine. Le diabète de type 2 est donc un facteur de risque de dénutrition chez le sujet âgé. Il favorise la fonte musculaire et les troubles fonctionnels musculaires. Conséquences fonctionnelles de la sarcopénie La sarcopénie a des conséquences fonctionnelles importantes qui aboutissent à une perte d’autonomie. La fonte musculaire résulte des épisodes de stress métabolique successifs (infections) et de modifications métaboliques constatées au cours du vieillissement (utilisation splanchnique préférentielle). La réduction du nombre de fibres musculaires (perte de 25 % des fibres musculaires entre 30 et 70 ans, notamment des fibres de type IIa et IIx) contribue à diminuer la force musculaire. On note un déclin de la force musculaire maximale de 10 à 15 % par décennie après 50 ans, notamment au niveau des membres inférieurs. Les besoins en protéines sont donc proportionnellement plus élevés chez le sujet âgé. Le ratio protéine (g/j)/énergie (kcal/j) doit augmenter avec l’âge ; il est plus élevé chez la femme, et diminue avec la taille et avec l’activité physique. Or, les apports énergétiques diminuent avec l’âge. Par conséquent, le rapport P/E augmente, car l’utilisation des protéines dépend des apports caloriques. Le risque de déficit en protéines est donc plus important quand ce rapport est élevé. C’est notamment le cas chez la femme âgée sédentaire. Il est donc souhaitable d’augmenter la densité de l’alimentation en protéines dans cette population. L’augmentation de l’activité physique et des apports énergétiques qu’elle engendre permet également de réduire ce risque. La détermination des besoins en protéines chez les sujets âgés reste néanmoins controversée. Les recommandations de l’OMS sont de 0,8 g/kg/j. Selon certaines études, les besoins en protéines de sujets âgés en bonne santé ne diffèrent pas de ceux des sujets jeunes ; d’autres suggèrent que 1 à 1,3 g/kg/j de protéines sont nécessaires au maintien du bilan azoté. Il est donc licite d’atteindre au moins ces valeurs chez le sujet âgé fragile. En cas de pathologie aiguë, les besoins sont accrus. Les besoins moyens seraient de 1,06 g/kg/j et les besoins de sécurité de 1,6 g/kg/j. L’Affsa propose 1 g/kg/j chez le sujet âgé sain et 1,2 à 1,6 g/kg/j chez le sujet âgé fragile dénutri ou atteint d’une pathologie aiguë. Le traitement du diabète est donc un élément important de la prise en charge nutritionnelle des patients dénutris. Cela justifie également d’augmenter les apports en protéines chez le sujet diabétique dénutri. Un traitement adapté permet de lutter contre l’atrophie musculaire, de limiter les troubles trophiques et finalement de réduire la mortalité.   L’obésité sarcopénique : un problème fréquent chez le sujet âgé   L’obésité peut également être associée à une sarcopénie, notamment chez le sujet âgé. En effet, l’inflammation chronique, associée à l’obésité ancienne et statique, est associée à une augmentation de la concentration en IL6 et CRP, impliquées dans la diminution de la masse maigre. La masse maigre (MM) diminue de 5 à 8 kg entre 20-30 ans et 60-70 ans. Le changement serait plus tardif chez les femmes que chez les hommes, la ménopause amplifiant le processus. Au-delà de 70 ans, l’étude Health ABC confirme que la masse maigre continue à diminuer et que le phénomène est plus rapide chez l’homme. Enfin, l’indice de masse maigre (MM/taille2) reste remarquablement constant jusqu’à 70 ans dans les deux sexes avec un petit fléchissement au-delà. Chez le sujet obèse, l’inflammation chronique subclinique favorise le catabolisme protéique essentiellement lié à l’augmentation de la sécrétion d’IL6 et de TNFa, à l’insulinorésistance… La composition corporelle en masse maigre du sujet obèse est très variable d’un sujet à l’autre pour une même corpulence. Elle peut être évaluée par absorptiométrie biphotonique aux rayons X (DEXA) ou grâce à une coupe de scanner. L’augmentation de la masse maigre va de pair avec celle de la masse grasse. En revanche, le sujet obèse sarcopénique a une masse maigre plus faible que ne le voudrait son excès d’adiposité. Mais en valeur absolue, sa masse maigre pourrait apparaître comme normale, par comparaison avec un sujet de corpulence normale. Définir l’obésité sarcopénique est donc difficile. L’obésité sarcopénique est une entité anatomoclinique qui associe une augmentation de la masse grasse et une perte de masse musculaire, inhabituelle chez le sujet obèse. Il n’existe pas de consensus quant à la définition de ce syndrome dont la prévalence varie de 2 % à > 20 % en fonction des critères diagnostiques utilisés, du sexe et de l’âge. La sarcopénie est associée chez le sujet obèse à une augmentation du risque cardiovasculaire (Stephen and Janssen, 2009) et de la mortalité chez le sujet âgé (Bales and Ritchie, 2002) et l’insuffisant rénal, et à une diminution des capacités fonctionnelles. L’étude INCHIANTI a montré que, chez le sujet obèse âgé, la sarcopénie (définie par un rapport MM des membres/T² < 7,26 chez l’homme et < 5,45 chez la femme) est associée à une augmentation du risque d’incident fonctionnel évalué par l’échelle Instrumental Activities of Daily Living (IADL) » (RR = 2,63) et à une diminution de la fonction musculaire. Une augmentation des apports pourrait être discutée dans ce cas.   La perte de poids : un élément péjoratif de fragilisation   Les patients âgés qui perdent du poids involontairement ont un risque accru d'infections, de dépression et de mortalité. La perte de poids se fait au détriment de la masse musculaire, entraînant rapidement une atrophie musculaire. Elle entraîne une diminution de l'immunocompétence et une augmentation du taux de complications de toutes les pathologies. Le seuil de perte de poids de 10 % à 6 mois est associé à une augmentation du taux de mortalité dans différentes études, indépendamment du diagnostic ou de la cause du décès. Le seuil de 5 % en 1 mois a été associé à une mortalité 4 fois plus importante dans l’année qui suit.   Diabète et dénutrition : deux facteurs de risque de complications chez le sujet âgé   La dénutrition comme le diabète sont source de pathologies secondaires et de retards de cicatrisation qui conduisent à une augmentation de la durée d’hospitalisation. Les complications les plus fréquemment observées sont infectieuses. Le risque d’infections nosocomiales est augmenté chez les patients dénutris et le diabète majore ce risque d’un facteur 6 pour les infections urinaires et d’un facteur 5 pour les infections de cathéter. L’insuffisance d’apport en micronutriments, comme les vitamines B ou les antioxydants, peut être responsable de déficits cognitifs et de défaillances cardiovasculaires graves. Le diabète est associé à un risque plus élevé de déficit en micronutriments, en raison des modifications alimentaires qu’il entraîne (déficit iatrogène lié à des régimes « diabétiques », parfois très restrictifs), des effets de l’hyperglycémie sur le stress oxydant et de la glycosurie, majorant les besoins et/ou les pertes en vitamines ou oligoéléments.   Les marqueurs de dénutrition chez le sujet âgé diabétique   Les situations à risque de dénutrition Suivant les recommandations de l’HAS1, on peut distinguer : – des facteurs communs à tout âge, accentués chez le sujet âgé : cancers, défaillances d’organes, pathologies infectieuses graves et/ou inflammatoires chroniques, ainsi que toutes les situations susceptibles d’entraîner une diminution des apports alimentaires et/ou une augmentation des besoins énergétiques ; – des facteurs spécifiques aux sujets âgés (tableau 1) : – des apports alimentaires insuffisants. Les méthodes les plus appropriées d’évaluation des apports sont celles du compte calorique. Des outils plus simples ont été proposés telle la fiche de surveillance alimentaire, d’après les travaux du CNANES dans le cadre du PNNS 12. L’outil EPA, récemment validé lors de Nutrition Day est encore plus simple d’utilisation et offre une sensibilité tout à fait acceptable en pratique clinique (outil labelisé SFNEP). Il s’agit d’une réglette munie d’un curseur, qui permet au patient d’indiquer les quantités qu’il mange actuellement, en plaçant le curseur, entre « rien du tout » et « comme d’habitude » (figure)  (société K’Noë, knoe@k-noe.fr). Figure. Moyens de dépistage Ce dépistage peut être formalisé par un questionnaire tel que le Mini Nutritional Assessment® (MNA). Diagnostic de dénutrition Il repose sur la présence d’un ou de plusieurs des critères suivants. Perte de poids ≥ 5 % en 1 mois ou < 10 % en 6 mois Le poids de référence est idéalement un poids mesuré antérieurement. Si cette donnée n’est pas disponible, on peut se référer au poids habituel déclaré. Indice de masse corporelle < 21 kg/m2 La mesure du poids est indispensable : elle doit être faite très régulièrement au domicile et dans les institutions (1 fois/mois). En milieu hospitalier, la pesée des malades âgés doit être systématiquement et fréquemment répétée, à l’aide de chaises-balance ou de système de levage couplé à une pesée pour les malades grabataires. La présence d’œdèmes doit être recherchée, majorant artificiellement le poids et donc l’IMC. La mesure de la taille peut être compliquée en pratique gériatrique. Avec l’âge, les tassements vertébraux, l’amincissement des disques intervertébraux et l’accentuation de la cyphose dorsale peuvent être responsables d’une diminution considérable de la taille par rapport à celle atteinte à l’âge adulte. La distance talon-genou (dTG) est bien corrélée à la taille maximale atteinte et moins susceptible de varier au cours de la vie. À partir de la dTG, les formules suivantes permettent de calculer la taille : – taille (homme) = (2,02 × dTG cm) – (0,04 × âge) + 64,2 ; – taille (femme) = (1,83 × dTG cm) – (0,24 × âge) + 84,9. Un IMC < 21. Albuminémie < 35 g/l L’albuminémie est un facteur pronostique majeur de morbi-mortalité. Elle permet de distinguer deux formes de dénutrition : la dénutrition par carence d’apport isolée, où l’albuminémie peut être normale ; la dénutrition associée à un syndrome inflammatoire et à un hypercatabolisme, où l’albuminémie baisse rapidement. MNA global < 17. Diagnostic de dénutrition sévère – Perte de poids : < 10 % en 1 mois ou < 15 % en 6 mois ; – IMC < 18 ; – albuminémie < 30 g/l. La dénutrition sévère est associée à une augmentation importante de la morbi-mortalité. Elle justifie donc une prise en charge nutritionnelle rapide. Comment évaluer la sarcopénie ? Les circonférences de membre : des index simples permettent une estimation de la masse musculaire, constituant essentiel de la masse maigre. La circonférence du bras (CB) est la plus employée. Chez le sujet âgé, des valeurs < 25 cm chez l’homme et < 23 cm chez la femme sont en faveur d’une diminution de la masse musculaire. La circonférence du mollet est mesurée à sa partie la plus large, perpendiculairement à l’axe de la jambe (seuil < 31 cm). L’index de masse musculaire (définition quantitative selon Baumgartner 1998). Cet indice nécessite la réalisation d’une mesure de composition corporelle par DEXA : IMM = masse musculaire (kg)/taille (m²) On parle sarcopénie au-dessous d’un seuil : 2 DS par rapport à une population de référence, ou < 5,75 (F) et < 8,5 (H). Le test du « lever de chaise » est un test simple qui consiste à demander au patient de se lever 5 fois de suite sans s’appuyer (chaise sans accoudoirs) en chronométrant cette épreuve. Si le temps nécessaire est > 11 s, le patient présente une diminution significative de la force musculaire dans les extrémités inférieures. Conclusion   Le diabète peut être un facteur aggravant ou majorant les risques de dénutrition et de sarcopénie chez le sujet âgé. La prise en charge nutritionnelle des patients âgés diabétiques ne doit plus être focalisée sur le surpoids. La dénutrition, chez le sujet de poids normal ou obèse, entraîne en effet un état de fragilité, entame l’espérance de vie et le risque de complications, quelle que soit la pathologie associée. La perte de poids récente est l’indice anthropométrique le plus important pour évaluer ce risque. Le dépistage et la prévention, indispensables en institution mais également à domicile, reposent sur les mesures anthropométriques (peser/toiser). La mesure des circonférences brachiale et du mollet peut être une alternative quand la pesée est impossible. Les tests simples permettant d’apprécier facilement la répercussion fonctionnelle de la sarcopénie doivent faire partie du bilan nutritionnel. La précocité de la prise en charge de la dénutrition conditionne l’efficacité des mesures mises en œuvre.

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