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Biologie-Explorations

Publié le 30 nov 2011Lecture 12 min

Variabilité glycémique : pourquoi et comment la mesurer ?

C. COLETTE, L. MONNIER, Institut Universitaire de Recherche Clinique, Montpellier

La variabilité glycémique est l’une des composantes de la dysglycémie du diabète qui peut être décrite sous la forme d’un triumvirat qui comprend 2 autres partenaires : l’hyperglycémie chronique soutenue (ou hyperglycémie ambiante) et les épisodes hypoglycémiques qu’ils soient ou non symptomatiques. Le rôle délétère de l’hyperglycémie chronique dans l’apparition et la progression des complications diabétiques a été bien établi par l’étude DCCT dans le diabète de type 11 et par l’étude de l’UKPDS dans le diabète de type 22. La confirmation a été apportée par le suivi des patients au-delà des périodes d’inclusion de ces 2 essais thérapeutiques : étude DCCT/EDIC pour le diabète de type 13 et extension de l’UKPDS pour le diabète de type 24. Les preuves sont beaucoup moins formelles pour la variabilité glycémique dont le rôle fait l’objet de débats parfois contradictoires5-7. Le troisième partenaire est représenté par les hypoglycémies dont le rôle délétère est suspecté8 mais non prouvé9.

Les relations entre les trois composantes du triumvirat ont fait l’objet de plusieurs études. La variabilité glycémique semble être au cœur de ce triumvirat. Elle apparaît pour de nombreux auteurs comme un facteur indépendant d’hypoglycémie, le risque d’événements hypoglycémiques étant d’autant plus élevé que la variabilité glycémique est plus forte10-12. En revanche, la correction des hypoglycémies symptomatiques quand elle est excessive pourrait conduire à augmenter la variabilité glycémique qui à son tour devient facteur d’hypoglycémie. Ainsi se dessine un cycle vicieux dans lequel au moins 2 facteurs jouent un rôle clé : la variabilité glycémique et les hypoglycémies.   Pour mieux cerner le problème : 4 cas cliniques   En se plaçant dans une stratégie purement glucocentrique, quelle est parmi les situations suivantes, correspondant à 4 patients différents, celle qui peut être jugée comme la plus favorable (figure 1) ? Les deux premiers patients ont une HbA1c à 8 %, l’un avec une variabilité glycémique faible (a), l’autre avec des fluctuations glycémiques beaucoup plus marquées autour de la moyenne glycémique (b). Les deux autres patients ont une HbA1c à 7 % avec une variabilité forte pour l’un d’entre eux (c) et faible pour l’autre (d). En raison de sa forte variabilité glycémique, il est probable que le patient (c) a un risque plus élevé que les 3 autres de présenter des épisodes hypoglycémiques. Intuitivement, la première impression est que le patient (d) est celui qui est dans la meilleure situation avec une HbA1c relativement basse qui limite l’exposition chronique au glucose et le risque de complications vasculaires par excès de glycation. De plus, ce patient a des fluctuations glycémiques faibles qui minimisent le risque d’hypoglycémie. Cette impression correspond-elle à la réalité et faut-il tenir compte de la variabilité glycémique ?   Figure 1. Quatre situations cliniques qui correspondent à 4 types de patients classés en fonction de leur niveau d’HbA1c et de leur variabilité glycémique. La variabilité glycémique : un facteur non négligeable dans le risque de complications cardiovasculaires Plusieurs études ont démontré que les fluctuations glycémiques activent le stress oxydatif décrit par Brownlee comme l’un des mécanismes essentiels des complications chroniques du diabète sucré13. Dans une étude pionnière publiée en 20065, nous avons démontré que l’excrétion urinaire des isoprostanes, qui est l’un des meilleurs marqueurs de l’activation du stress oxydatif, est positivement corrélée avec la variabilité glycémique chez des diabétiques de type 2 traités par antidiabétiques oraux. En utilisant comme marqueur de stress oxydatif la concentration plasmatique de la nitrotyrosine, il a été démontré par Ceriello que les pics de glucose et de nitrotyrosine évoluent de manière parallèle14. Ces résultats, qui ont été observés dans le diabète de type 2, n’ont pas été retrouvés dans le diabète de type 1 insuliné, qu’il s’agisse d’études observationnelles15 ou d’analyses rétrospectives à partir des fichiers de l’étude DCCT16,17. Plus récemment l’étude HEART 2D a comparé chez des diabétiques de type 2 un schéma insulinique prandial (3 injections d’analogue rapide par jour avant chaque repas) à un schéma insulinique basal18. Cette étude a été conduite chez des patients ayant fait un infarctus myocardique récent. L’objectif principal de cet essai thérapeutique était de voir lequel des 2 schémas insuliniques donne le meilleur résultat en termes de protection contre la récidive d’accidents vasculaires mortels ou non mortels. Les résultats observés furent les suivants : amélioration identique de l’HbA1c dans les 2 groupes, variabilité glycémique plus faible dans le groupe prandial que dans le groupe basal mais absence de différences en termes d’accidents cardiovasculaires18,19. Une analyse sommaire de cette étude semble donc indiquer que la variabilité glycémique n’intervient pas dans l’incidence des maladies cardiovasculaires chez le diabétique de type 2. Toutefois ces résultats méritent une analyse plus approfondie basée sur le fait que l’insuline exerce un puissant effet inhibiteur sur le stress oxydatif, qui a un rôle important dans les complications diabétiques13. Insuline et stress oxydatif Dans un travail récent publié dans Diabetologia20, nous avons démontré que les diabétiques traités par insuline, qu’ils soient de type 1 ou de type 2, ont une activation du stress oxydatif comparable à celle des sujets non diabétiques. Seuls les diabétiques de type 2 traités par antidiabétiques oraux ont une activation du stress oxydatif élevée. De plus, l’instauration d’un traitement insulinique chez des diabétiques traités par ADO entraîne une normalisation du stress oxydatif chez ces patients alors qu’il était élevé sous antidiabétiques oraux. Ces résultats semblent donc expliquer la discordance entre les résultats observés dans le diabète de type 1 et le diabète de type 2 traité uniquement par comprimés. Sur la figure 2, qui est une extension de celle que nous avions élaborée antérieurement21,22, nous proposons un modèle qui permet de faire la synthèse des résultats observés au cours des dernières années : • chez les diabétiques de type 2 traités par antidiabétiques oraux (figure 2A), le risque de développer des complications dépend de 3 paramètres biologiques (l’hyperglycémie de jeûne, l’hyperglycémie postprandiale et la variabilité glycémique) et de 2 facteurs physiopathologiques : un excès de glycation lié à l’hyperglycémie chronique (HbA1c) et une activation du stress oxydatif lié à la fois à l’hyperglycémie chronique et aux fluctuations glycémiques ; • chez les diabétiques insulinés, l’insuline inhibe le stress oxydatif. Le seul facteur de risque cardiovasculaire (figure 2B) serait l’exposition chronique au glucose, c’est-à-dire l’HbA1c avec ses deux composantes : l’hyperglycémie chronique basale et l’hyperglycémie postprandiale. Ce schéma physiopathologique montre que le risque de développer des complications cardiovasculaires est autrement plus complexe que l’explication simpliste qui voudrait que les complications cardiovasculaires soient uniquement la conséquence de l’hyperglycémie chronique, même si on se situe d’un point de vue purement glucocentrique.   Figure 2. Modèle glucocentrique pour comprendre la physiopathologie des complications chez des diabétiques traités par insuline ou par antidiabétiques oraux (ADO) [d’après5,20,21]. G à jeun = glycémie à jeun ; GPP = glycémie postprandiale. Les épisodes hypoglycémiques Un facteur de complexité supplémentaire est constitué par la survenue d’épisodes hypoglycémiques. Dans l’étude ACCORD8, il a été démontré que les décès étaient plus nombreux chez des diabétiques soumis à un traitement intensif que chez des diabétiques soumis à un traitement conventionnel, le nombre d’hypoglycémies étant également 3 fois plus élevé dans le premier groupe que dans le deuxième. À ce jour, le lien de causalité entre les 2 types d’événements n’a jamais été clairement établi. Certains prétendent même que ce lien n’existe pas9. À titre personnel, nous ne sommes pas convaincus par les « négationnistes ». Deux éléments au moins contredisent leurs arguments : • en premier lieu, seules ont été enregistrées les hypoglycémies symptomatiques, les épisodes asymptomatiques n’ayant pu être mis en évidence en l’absence d’enregistrement glycémique continu. Les auteurs de l’étude ACCORD8 et surtout ceux qui tentent de démontrer l’absence de lien de causalité entre hypoglycémie et décès9 semblent ignorer que, chez les diabétiques bien équilibrés (HbA1c < 6,5 %), les glycémies sont normales pendant la nuit et en fin d’après-midi (figure 3)23. La moindre tentative de surnormalisation de l’HbA1c (< 6 % comme dans ACCORD8) avec des médicaments comportant un risque hypoglycémique (sulfonylurées, glinides ou insuline) conduit inéluctablement à des hypoglycémies, le plus souvent asymptomatiques et nocturnes ; • en deuxième lieu, comme il a été démontré que ce type d’hypoglycémie peut conduire à des troubles du rythme et à des accidents cardiaques, comment peut-on écarter le rôle des hypoglycémies alors que tout plaide en faveur de leur causalité ? Ceci nous ramène tout naturellement à la variabilité glycémique et à ses relations avec les épisodes hypoglycémiques. À ce jour, la fréquence des hypoglycémies dans le diabète de type 2 apparaît comme étant positivement associée à l’intensité de la variabilité glycémique et négativement au niveau de la moyenne glycémique (figure 4)12. Le fait que la fréquence des hypoglycémies soit d’autant plus élevée que la variabilité glycémique est plus forte ne préjuge pas de la direction de la causalité entre les 2 perturbations. Un excès de variabilité glycémique peut donc être responsable d’hypoglycémies mais une correction des hypoglycémies par resucrage excessif peut lui-même alimenter les fluctuations glycémiques. En d’autres termes, il est impossible de savoir si c’est la poule qui fait l’œuf ou l’œuf qui fait la poule. Quelques arguments semblent toutefois indiquer que la relation de causalité s’exerce dans les 2 directions. En conclusion de ce chapitre, la variabilité glycémique, décrite par certains comme accessoire, devrait à notre avis être placée au cœur du problème des complications diabétiques et du triumvirat glycémique, à la fois par son action d’activation sur le stress oxydatif et par ses associations indiscutables avec le risque d’épisodes hypoglycémiques.   Figure 3. Profil glycémique chez des patients diabétiques de type 2 ayant une HbA1c < 6,5 % [d’après23]. Figure 4. Fréquence des hypoglycémies asymptomatiques (nombre d’hypoglycémies/48 h) en fonction de la variabilité glycémique (DS en mmol/l) et de l’hyperglycémie ambiante (concentration glycémique moyenne en mmol/l). La fréquence des hypoglycémies asymptomatiques est associée positivement à la variabilité glycémique et négativement à l’hyperglycémie ambiante [d’après12].   Comment mesurer la variabilité glycémique ? La triade de la variabilité glycémique comprend 3 composantes (figure 5) : la variabilité globale qui intègre à la fois les fluctuations majeures et mineures, les fluctuations majeures sur une même journée et la variabilité d’un jour à l’autre. La mesure de ces composantes repose sur l’enregistrement glycémique continu en ambulatoire24. Cette technique, développée au cours des 10 dernières années grâce à la mise au point d’électrodes permettant de mesurer le glucose dans le tissu cellulaire sous-cutané (glycémie interstitielle), a permis des acquisitions importantes dans le domaine de l’analyse des profils glycémiques aussi bien au niveau individuel que collectif chez les diabétiques de type 1 et de type 2. Le regain d’intérêt pour la variabilité glycémique est en grande partie lié à la mise au point de la technique d’enregistrement glycémique continu en ambulatoire. Chaque composante de la triade de la variabilité glycémique peut être quantifiée par un marqueur spécifique25,26.   Figure 5. Triade de la variabilité glycémique. La déviation standard autour de la moyenne La variabilité globale est en général déterminée par le calcul de la déviation standard (DS) autour de la moyenne glycémique sur une période de 24 heures. La déviation standard intègre l’ensemble des fluctuations glycémiques, qu’elles soient minimes ou majeures. Dans la mesure où la DS est calculée sur 24 h, elle n’analyse que les variations sur une même journée. La DS est une quantité purement statistique qui ne nécessite aucune interprétation de la part de l’observateur clinicien. Dans ces conditions, elle peut être considérée comme une méthode parfaitement fiable. Son inconvénient est de donner un résultat global qui ne permet pas de distinguer les fluctuations majeures des variations mineures, ces dernières pouvant être dues à un artefact : parasitage du tracé quand l’insertion de l’électrode n’a pas été suffisamment correcte ou quand l’électrode bouge suite aux mouvements du patient. Certains tracés parasités au cours de la nuit ne sont liés qu’aux changements de position involontaires du patient au cours de la période nocturne. Le MAGE Le MAGE (ou mean amplitude glycemic excursions) a été décrit dans les années 1970 par Service et Molnar pour évaluer les fluctuations majeures sur une même journée27. Il est mesuré comme étant la différence entre les pics et les nadirs de l’enregistrement glycémique continu, à condition que ces différences soient supérieures à la DS autour de la moyenne glycémique. Les différences sont mesurées dans le sens ascendant (des nadirs vers les pics) ou dans le sens descendant (des pics vers les nadirs), le sens étant déterminé par la première variation de la journée qui est supérieure à la déviation standard28. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le MAGE a l’avantage de ne sélectionner que les fluctuations majeures, c’est-à-dire celles qui ont en général une signification clinique. En revanche, la détermination de ce paramètre est soumise en partie à la subjectivité de lecture de la part de l’observateur qui fait le calcul. Pour cette raison, il est moins fiable que la DS. En dépit de cette remarque, le MAGE est en général bien corrélé à la DS autour de la moyenne glycémique25. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le MAGE est un marqueur des fluctuations sur une même journée (« intra-day ou within-day variability » des Anglo-Saxons). Le MODD La variabilité glycémique d’un jour à l’autre (inter-day ou between-day variability des Anglo Saxons) nécessite donc de recourir à d’autres paramètres. Le plus classique est le MODD ou mean of daily differences25,26. La mesure de ce paramètre impose d’avoir 2 enregistrements glycémiques continus et corrects sur 2 jours consécutifs. Le calcul consiste à faire à chaque instant la différence des valeurs absolues de la glycémie et à moyenner ces différences. Le MODD est un élément intéressant dans l’évaluation de la variabilité glycémique. Il est souvent corrélé au MAGE bien que cette corrélation ne soit pas obligatoire. À titre d’exemple, certains patients peuvent avoir une variabilité importante d’un jour à l’autre (MODD élevé) alors que la variabilité sur une même journée reste dans des limites raisonnables (DS et MAGE). Cette observation est classique chez les diabétiques de type 1, en particulier chez les patients instables. L’absence de reproductibilité d’un jour à l’autre explique les difficultés qu’éprouvent les médecins pour donner à ces patients des consignes précises en termes d’ajustement des doses d’insuline. Chez ce type de patient, les pics hyperglycémiques et les nadirs glycémiques, avec une mention particulière pour les hypoglycémies, ne surviennent jamais au même moment de la journée alors que les diabètes stables (MODD qui reste dans des limites raisonnables) ont des variations glycémiques mais qui sont souvent reproductibles d’un jour à l’autre. Il est évident que les conseils médicaux sont plus simples à prodiguer et donnent en général de meilleurs résultats dans le deuxième cas de figure que dans le premier. Autres paramètres D’autres paramètres ont été proposés pour mesurer la variabilité glycémique25,26. Certains sont complexes et d’interprétation difficile. C’est le cas de l’index de Schlichtkrull ou M index qui consiste à calculer le logarithme de la valeur glycémique rapportée à une référence glycémique « idéale » déterminée de manière arbitraire. D’autres ne sont que des artifices de calcul comme le CONGA (continuous overlapping net glycemic action), décrit en 2005 par McDonnell29. Cet index est destiné à évaluer la variabilité intra-day en calculant la déviation standard des différences entre des valeurs glycémiques mesurées à n heures d’intervalle (CONGAn). Par exemple, le CONGA2 est la déviation standard des différences glycémiques entre un instant donné et la valeur observée 2 heures après. Les tests des index glycémiques de variabilité ne cessent de s’allonger : – l’hyposcore ou index de labilité a été décrit par Ryan30 pour quantifier la survenue d’hypoglycémies récurrentes sévères chez des patients ayant subi une transplantation d’îlots de Langherans ; – le GRADE (glycemic risk assessment diabetes equation) est théoriquement destiné à donner un score permettant de quantifier la contribution des risques d’hypo- et d’hyperglycémie ; – enfin, l’ADRR (average daily risk range), décrit par Kovatchev31. Cet index est calculé à partir de profils glycémiques discontinus enregistrés sur une période de 2 à 4 semaines. Le calcul comprend une transformation logarithmique destinée à normaliser autour de la moyenne une distribution glycémique qui est asymétrique : beaucoup plus de glycémies dans les zones d’hyperglycémie que d’hypoglycémie.   Conclusion   La variabilité glycémique apparaît comme un partenaire à part entière dans les désordres glycémiques du diabétique. Son rôle dans l’activation du stress oxydatif et dans le risque hypoglycémique est loin d’être négligeable. Le problème est que sa quantification n’est jamais simple, ce qui explique la multiplicité des méthodes proposées. Son calcul doit normalement être fait à partir d’un enregistrement glycémique continu qui reste l’apanage des centres de diabétologie spécialisés. Une analyse complète de la variabilité glycémique devrait comporter le calcul des trois éléments suivants : la déviation standard autour de la moyenne glycémique, le MAGE (variabilité sur la même journée) et le MODD (variabilité d’un jour à l’autre).

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