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Biologie-Explorations

Publié le 20 déc 2021Lecture 8 min

Hyperuricémie asymptomatique et maladies métaboliques : une relation à redécouvrir

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg

Le dosage de l’uricémie dans les maladies métaboliques a perdu quelque peu de son importance. Pourtant l’hyperuricémie non symptomatique est étroitement associée à l’obésité, au syndrome métabolique dont elle est une composante accessoire et au diabète. Sa présence ne doit pas laisser indifférent, car elle a valeur de marqueur prédictif du risque cardiovasculaire. Il est temps que les médecins se préoccupant des maladies métaboliques se réapproprient ce dosage.

L'uricémie a été l’une des premières constantes sanguines à pouvoir être dosées. Il y a un siècle déjà, des cliniciens de la prestigieuse école viennoise décrivaient une association entre l’hyperuricémie et l’hypertension artérielle, l’obésité et/ou le diabète de la maturité(1). Pendant des lustres, l’hyperuricémie a été considérée comme un facteur de risque cardio-métabolique avant d’être annexée par les rhumatologues et les urologues. Les données expérimentales et épidémiologiques récentes suggèrent que l’hyperuricémie pourrait avoir un rôle métabolique délétère par elle-même, ou être, à tout le moins, un facteur de risque cardio-métabolique. | Signification de l’uricémie L’acide urique est le produit terminal du métabolisme des purines (guanine et adénine) du fait de l’absence d’uricase dans l’espèce humaine (contrairement à la plupart des mammifères). L’acide urique provient des purines alimentaires, du catabolisme des acides nucléiques cellulaires, de la purino-synthèse de novo et, pour une part minime, du métabolisme du fructose. L’uricémie est la résultante des processus de synthèse et d’élimination régulés par des facteurs génétiques et diététiques. L’élimination par la voie rénale est dominante. L’élimination digestive, accessoire, est sous la dépendance de divers transporteurs tels que l’URAT1 (pour urate transpor - ter 1), le transporteur de glucose GLUT-9, le transporteur ABCG2 (pour ATP-binding cassette family G2), et les co-transporteurs sodium-phosphate 1 et 4. L’uricémie est normalement < 60 mg/l chez la femme, et < 70 mg/l chez l’homme. La prévalence de l’hyperuricémie qui est de l’ordre de 10 à 25 % dans la population générale et sur une pente ascendante. Elle est habituellement liée à une diminution de l’élimination rénale associée ou non à un apport alimentaire excessif en purines. Seule une faible proportion des sujets hyperuricémiques sont symptomatiques : arthrite goutteuse, lithiase urinaire et/ou néphropathie goutteuse, développement de tophi. Les manifestations cliniques dépendent du degré et de la durée de l’hyperuricémie lorsque le seuil de solubilité de l’urate de sodium est dépassé, et d’autres facteurs encore inconnus. Les données épidémiologiques suggèrent qu’elle est un facteur de risque cardiovasculaire, d’HTA, de dyslipidémie et de néphropathie. L’association avec le DT2 reste débattue. | Effets métaboliques de l’acide urique L’acide urique n’est probablement pas qu’un catabolite dont la seule expression pathologique serait liée à sa précipitation sous forme d’urates. Puissant antioxydant dans le milieu extracellulaire, l’acide urique provoque paradoxalement un stress oxydant intracellulaire lorsque sa concentration est élevée dans les adipocytes, les hépatocytes, les cellules des îlots pancréatiques et dans les cellules endothéliales et musculaires lisses(2). Dans les mitochondries, l’acide urique en excès perturbe l’activité des enzymes du métabolisme énergétique et favorise l’installation d’une insulinorésistance. L’excès d’acide urique dans les mitochondries détermine une diminution de la production d’ATP, une diminution de l’utilisation des lipides à des fins énergétiques et une augmentation de la lipidogenèse(3). Au niveau de l’endothélium vasculaire, le stress oxydant aboutit à l’inactivation du monoxyde d’azote (NO). Le stress oxydant stimule également les cellules musculaires lisses des vaisseaux, perturbe le remodelage vasculaire et favorise la production de cytokines pro-inflammatoires. L’inhibition de la vasodilatation réduit la capacité de distribution de l’insuline aux cellules musculaires, ce qui se traduit par une moindre sensibilité à l’insuline. Pour toutes ces raisons, l’excès d’acide urique est potentiellement athérogène, hypertensiogène, et inducteur d’insulinorésistance. Les données épidémiologiques et expérimentales sont en faveur d’une association entre l’hyperuricémie et l’insulinorésistance, la dyslipidémie, la stéatose hépatique, le stress oxydant et l’inflammation de bas grade et tendent à faire de l’hyperuricémie un élément constitutif du syndrome métabolique(4). | Hyperuricémie et obésité Le lien entre l’obésité et l’hyperuricémie a été souligné dans de nombreuses études. La goutte, qui est la conséquence du dépôt de cristaux d’acide urique dans les articulations lorsque le seuil de saturation de l’urate de sodium est dépassé (60 mg/l dans le sérum), est fréquemment associée à l’obésité qui est d’ailleurs le principal facteur de risque de la goutte commune. Un effet dose-dépendant a été démontré entre l’augmentation de l’IMC et l’incidence de la goutte. La perte de poids obtenue par des règles hygiéno-diététiques appropriées est un objectif thérapeutique majeur puisqu’elle détermine une diminution de l’uricémie et de la fréquence des crises de goutte(5). | Relations entre hyperuricémie et déterminants du syndrome métabolique L’hyperuricémie asymptomatique est associée à la plupart des perturbations fonctionnelles et métaboliques participant à la physiopathologie et à la définition du syndrome métabolique à tel point qu’elle est considérée par certains comme un élément constitutif du syndrome (figure 1). En est-elle pour autant un élément déterminant ? L’existence d’une association entre l’hyperuricémie et l’insulinorésistance, la dyslipidémie, la stéatose hépatique, le stress oxydant et l’inflammation de bas grade, attestée par des études expérimentales et épidémiologiques, pourrait conforter cette assertion d’autant que la réduction de l’hyperuricémie a un effet bénéfique sur la plupart des critères du syndrome métabolique : pression artérielle, triglycérides, insulinorésistance, vasoconstriction rénale, hypertension intraglomérulaire et mécanismes microvasculaires participant à la néphroprotection. L’hyperuricémie pourrait n’être qu’un marqueur du syndrome métabolique lié à une interaction complexe entre génétique et environnement (dysnutrition, sédentarité), mais on ne peut exclure formellement sa participation directe à la physiopathologie du syndrome métabolique. Il est troublant de constater que les sujets ayant une uricémie basse ont un faible risque d’obésité et de dyslipidémie, alors que l’hyperuricémie est prédictive d’obésité(6). Chez les adolescents obèses, l’hyperuricémie est associée à d’autres perturbations cliniques ou métaboliques évocatrices d’un syndrome métabolique(7). | Hyperuricémie et diabète : association fortuite ou lien de causalité ? La relation entre l’hyperuricémie et le DT2 a fait l’objet de nombreuses supputations, mais un rôle causal n’a pas pu être démontré, d’autant plus que ces deux états ont en commun plusieurs facteurs de risque tels que la sédentarité ou l’alimentation à haute densité énergétique, conduisant à l’obésité et au syndrome métabolique qui font le lit du DT2. Une métaanalyse viciée par plusieurs biais avait conclu à la réalité de l’association et montré que chaque élévation de l’uricémie de 10 mg augmentait le risque de DT2 de 17 %(8). Une autre métaanalyse ne portant que sur des études prospectives, sans hétérogénéité significative, a confirmé que l’hyperuricémie était associée au risque de diabète incident à hauteur de 6 % pour chaque augmentation de l’uricémie de 10 %, indépendamment du syndrome métabolique et de l’obésité(9). Selon ces métaanalyses, l’hyperuricémie serait un authentique facteur de risque du DT2. La causalité ne peut cependant être affirmée sur les seules bases épidémiologiques, bien que l’acide urique en excès se comporte expérimentalement comme un antioxydant intracellulaire, perturbe le métabolisme mitochondrial et favorise l’installation d’une insulinorésistance. Le stress oxydant, l’inhibition de la synthèse du NO, l’accumulation de lipides dans les hépatocytes sont autant de passerelles possibles entre l’acide urique et la résistance à l’insuline. In vivo, l’excès d’acide urique entraîne une inflammation générant un dysfonctionnement des cellules ß-pancréatiques et une insulinopénie pouvant favoriser l’apparition d’un diabète dans un contexte d’insulinorésistance (figure 2). Dans un modèle murin d’invalidation du gène de l’uricase, l’hyperuricémie induit une réduction irréversible de la masse cellulaire ß et accroît les altérations métaboliques d’un diabète expérimental(10). Les données épidémiologiques sont loin d’être concordantes ; dans d’autres études menées en Inde ou au Bangladesh, c’est la diminution de l’uricémie qui apparaît prédictive du DT2(11) ! | Hyperuricémie : un marqueur du risque cardiovasculaire La relation entre diabète et hyperuricémie a été réexaminée récemment à partir des données de l’enquête de population nordaméricaine NHANES. La signification pronostique de l’hyperuricémie a été analysée chez des sujets diabétiques et non diabétiques après un suivi médian de 6,6 années en fonction de l’uricémie. Chez les sujets non diabétiques, la mortalité toutes causes et cardiovasculaire augmente significativement lorsque l’uricémie dépasse 70 mg/l et devient comparable à celle des sujets diabétiques ayant une uricémie normale. Chez les diabétiques, l’hyperuricémie augmente significativement le risque de mortalité cardiovasculaire (RR = 2,53 ; IC95% : 1,58-5,43 ; p < 0,02). Ces données tendent à démontrer que l’hyperuricémie est pour le moins un marqueur pronostique de morbi-mortalité cardiovasculaire aussi bien chez les sujets non diabétiques que diabétiques. Sa présence doit inciter à tout mettre en œuvre pour prévenir les complications cardiovasculaires en corrigeant l’ensemble des facteurs de risque modifiables, qu’il y ait ou non un diabète avéré, ce qui revient à proposer aux sujets hyperuricémiques non diabétiques une stratégie cardiopréventive comparable à celle préconisée dans le DT2(12). | Quelle place pour les traitements hypo-uricémiants (THU) ? Selon les recommandations officielles, il n’y a pas d’indication pour un traitement hypo-uricémiant (allopurinol ou fébuxostat) dans l’hyperuricémie commune asymptomatique. Le THU ne semble pas à même de prévenir le développement de l’insuffisance rénale chronique — l’une des complications possibles de l’hyperuricémie — qui est associée au risque cardiovasculaire dans le DT2(13). Pourtant, dans l’essai contrôlé LIFE qui a évalué l’effet cardioprotecteur du losartan doté d’une activité uricosurique, la réduction de l’uricémie expliquerait pour 29 % la diminution d’un critère composite (mortalité cardiaque, infarctus du myocarde et AVC)(14). | Avantage aux gliflozines ? Les inhibiteurs du SGLT2 inhibent également l’isoforme ß du transporteur SCL2A9 de l’acide urique au niveau tubulaire, ce qui entraîne une réduction significative de l’uricémie de l’ordre de 10 mg/l(15). Dans une métaanalyse regroupant 62 études l’empagliflozine réduit davantage l’uricémie que la dapagliflozine(16). Compte tenu des effets bénéfiques cardiovasculaires attribués aux iSGLT2, l’utilisation de cette classe thérapeutique paraît particulièrement pertinente dans le DT2 avec hyperuricémie.

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