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Thérapeutique

Publié le 30 nov 2007Lecture 12 min

Éviter la variabilité glycémique : est-ce utile et est-ce possible ?

C. COLETTE, L. MONNIER, Hôpital Lapeyronie, Montpellier

Aujourd’hui, nul ne peut contester que le diabète sucré est une maladie associée au développement de complications microvasculaires et à la survenue d’une athérosclérose précoce1. Toutefois, bien que de nombreuses études aient été consacrées aux différents facteurs responsables de ces complications, il est encore difficile d’évaluer avec précision leurs contributions respectives. En revanche, il a été clairement demontré que la « dysglycémie » du diabétique est majoritairement2,3 ou partiellement responsable des complications micro- et macrovasculaires.

­­­Les deux composantes de la « dysglycémie » que sont l’hyperglycémie soutenue chronique et les fluctuations aiguës de la glycémie entre maximum et minimum, conduisent aux complications diabétiques par le biais de deux mécanismes fondamentaux : la glycation excessive des protéines et l’activation du stress oxydatif.   La théorie de Brownlee ou théorie du « stress oxydatif »   Les deux mécanismes que nous venons d’évoquer ont pu être regroupés, il y a quelques années, au sein d’une élégante théorie selon laquelle les désordres glycémiques observés chez les diabétiques entraînent une activation du stress oxydatif avec production excessive d’anion superoxyde (figure 1)4.  Il en résulte une cascade d’événements métaboliques délétères tels que la stimulation de la voie des polyols, l’augmentation de la production des produits terminaux de la glycation avancée,  l’activation de la protéine kinase C et du facteur nucléaire κB, et une augmentation de la production des hexosamines4.     Figure 1.  Altérations métaboliques activées par l'hyperglycémie dans les cellules endothéliales des parois vasculaires. Théorie du stress oxydatif responsable des dommages vasculaires chez les diabétiques (D'après Brownlee M et al4). O2• :  Anion superoxyde. AGEs : produits avancés de la glycation. PKC : Protéine kinase C. Il est maintenant bien établi que l’hyperglycémie au cours du jeûne ou des périodes postprandiales, est responsable d’une glycation excessive. Toutes les études conduites dans le diabète de type 1 ou de type 2 ont, par exemple, clairement démontré que l’hémoglobine glyquée est fortement corrélée aux glycémies de jeûne et postprandiales5, la meilleure corrélation étant observée entre HbA1c et glycémies moyennes6. C’est d’ailleurs cette dernière qui a été prise pour référence par l’American Diabetes Association pour établir les Standards of Medical Care in Diabetes (figure 2)7. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’HbA1c soit unanimement reconnue comme le meilleur marqueur de l’hyperglycémie chronique et de sa conséquence directe : la glycation excessive des protéines. La simplicité de ce concept masque des phénomènes plus complexes car l’HbA1c intègre à la fois les hyperglycémies de jeûne et les hyperglycémies postprandiales. Cela explique que ces deux altérations de la glycémie aient été accusées d’être, séparément ou simultanément, des facteurs de risque de complications diabétiques. Dans l’étude de l’UKPDS, c’est l’HbA1c et les glycémies à jeun qui ont été mises au premier plan. Cette étude a démontré que toute diminution de 1 % de l’HbA1c entraîne une diminution respective de 14 % et de 37 % des risques d’infarctus du myocarde (IDM) et de complications microvasculaires3. Dans la Diabetes Intervention Study, publiée en 1996 par Hanefeld8, c’est au contraire la glycémie postprandiale qui est sur le devant de la scène, les auteurs de l’étude ayant démontré que la glycémie postprandiale est une meilleure prédictrice de l’IDM et de la mortalité que la glycémie à jeun. Ces résultats, confirmés par d’autres études, suggèrent que l’hyperglycémie postprandiale est un facteur de risque « indépendant » de complications macrovasculaires. Cependant, les facteurs de risque ne se limitent pas à l’hyperglycémie de jeûne et à l’hyperglycémie postprandiale. D’autres mécanismes peuvent jouer un rôle dans les complications diabétiques, en particulier macroangiopathiques : la dyslipidémie, l’hypertension artérielle et les troubles de l’hémostase qui sont plus ou moins associés à l’insulinorésistance qui caractérise le diabète de type 2. Au sein même des altérations de la glycémie, l’hyperglycémie de jeûne et l’hyperglycémie postprandiale ne sont peut-être pas les seules composantes de la dysglycémie du diabétique susceptibles de générer des complications micro- ou macrovasculaires. La variabilité glycémique, avec ses fluctuations plus ou moins aiguës au cours de la même journée et d’un instant à l’autre, n’est-elle pas, elle-même, un facteur de risque ? En d’autres termes, doit-on la mesurer et doit-on l’éviter ? C’est pour tenter de répondre à cette question que la première partie de cet article sera essentiellement consacrée à l’analyse de l’influence de la glycémie à jeun (GAJ), de la glycémie en période postprandiale (GPP) et des fluctuations rapides de la glycémie sur l’activation du stress oxydatif. En seconde intention seront analysés les impacts respectifs de ces désordres glycémiques sur les complications diabétiques. Le stress oxydatif n’est pas d’une évaluation aisée. Cela est lié à sa variabilité et au fait que les marqueurs qui permettent de l’estimer ont une demi-vie courte. L’analyse à partir des marqueurs plasmatiques est donc sujette à caution. C’est pour cette raison qu’il est préférable d’utiliser des marqueurs urinaires qui permettent d’intégrer le stress oxydatif sur des périodes prolongées égales au temps de recueil des urines : 24 heures, par exemple, si les urines sont collectées sur une journée entière. À ce jour, c’est la mesure de la 8-iso-PGF2α urinaire, un isomère spécifique des isoprostanes qui apparaît comme la plus appropriée. Les isoprostanes sont tous formés à partir de l’oxydation de l’acide arachidonique, acide gras qui est est ubiquitairement répandu dans toutes les membranes des cellules. Cela explique que les isoprostanes urinaires soient un excellent index de l’activation du stress oxydatif au niveau de l’organisme entier et qu’ils aient été utilisés dans de nombreuses études, en particulier chez les diabétiques. Les données qui en résultent ont été analysées dans le paragraphe suivant. Figure 2. Relation entre la moyenne glycémique et l'HbA1c chez des diabétiques de type 1. Toute augmentation de la glycémie de 35 mg/dl (0,35 g/l) correspond à une augmentation de l'HbA1c de 1 % (D'après Rohlfing CL et al6). Éviter la variabilité glycémique : est-ce utile ?   L’hyperglycémie est associée à une augmentation de la production et de l’excrétion urinaire de la 8-iso-PGF2α9. Les patients diabétiques de type 2 ont une production d’isoprostanes plus élevée que les sujets sains non diabétiques. De plus, les concentrations urinaires de 8-iso-PGF2α sont corrélées à la glycémie, ce qui suggère que l’activation du stress oxydatif dépend, au moins en partie, du contrôle glycémique. Nous avons récemment confirmé ces résultats en montrant que l’excrétion urinaire de 8-iso-PGF2α est significativement plus élevée (p < 0,01) chez les patients diabétiques de type 2 (moyenne ± SD = 482 ± 206 pg/mg créatinine) que chez les sujets témoins non diabétiques (275 ± 85 pg/mg créatinine)10.   Contribution de l’hyperglycémie postprandiale à l’activation du stress oxydatif L’hyperglycémie postprandiale est capable d’activer le stress oxydatif. De nombreuses études, réalisées en particulier par Ceriello, ont démontré que la production de radicaux libres augmente en période post­prandiale11 et que cette augmentation est proportionnelle à l’amplitude des excursions glycémiques. Par exemple, la nitrotyrosine, marqueur du stress oxydatif, augmente après les repas, surtout chez les diabétiques. Lorsqu’on administre un bolus préprandial d’un analogue rapide de l’insuline (Aspart) pour réduire les excursions glycémiques, on diminue également les taux de nitrotyrosine.   Contribution des fluctuations aiguës de la glycémie à l’activation du stress oxydatif Dans une étude récente10, nous avons démontré, chez des diabétiques de type 2, que l’excrétion urinaire de 8-iso-PGF2α est fortement et positivement corrélée à la variabilité glycémique déterminée à partir de l’amplitude moyenne des excursions glycémiques (MAGE). Le MAGE a été calculé à partir des profils glycémiques mesurés sur 48 heures grâce à un système d’enregistrement glycémique continu (CGMS). Le calcul du MAGE correspond à la moyenne arithmétique de la différence entre les pics et creux consécutifs. La corrélation est indiquée sur la figure 3 (r = 0,86 ; p < 0,001). Une corrélation significative mais moins forte (p = 0,009) est également observée avec la glycémie postprandiale évaluée à partir des aires sous la courbe glycémique (AUCpp). Ces résultats indiquent que les excursions glycémiques aiguës ne se résument pas aux excursions postprandiales. C’est pourquoi la notion de dangerosité des « vagues glycémiques », jusque-là attribuées aux pics postprandiaux (fluctuations vers le haut), doit être élargie aux fluctuations vers le bas (interprandiales) autour de la glycémie moyenne. Figure 3. Relation entre le MAGE (mean amplitude glycemic excursions) et les isoprostanes urinaires. Le MAGE est un index d'évaluation de la variabilité glycémique. Les isoprostanes sont un marqueur du stress oxydatif. (D'après Monnier L M et al10). Cela pourrait expliquer certaines observations de l’étude du DCCT. Par exemple, dans les sous-groupes avec une HbA1c à 9 % pendant la durée de l’étude, le risque de rétinopathie est réduit de moitié chez les patients soumis à un traitement insulinique intensif par rapport à ceux qui sont maintenus sous insulinothérapie  conventionnelle. Dans la mesure où les deux groupes de patients avaient la même HbA1c, certains ont considéré que c’est la plus faible variabilité de la glycémie de 24 heures dans le groupe recevant un traitement intensif qui a expliqué la différence. Cette hypothèse reste toutefois contestée. Dans une étude rétrospective faite à partir des données du DCCT12, il a été conclu par d’autres auteurs que c’est la glycémie moyenne, c’est-à-dire l’hyperglycémie soutenue chronique, et non pas la variabilité de la glycémie au cours des 24 heures, qui était prédictive des complications microvasculaires du diabète de type 1. Il convient cependant de noter que, dans cette étude, l’instabilité de la glycémie a été mesurée par une méthode critiquable : la déviation standard (SD) autour de la moyenne d’un profil glycémique à 7 points mesurée tous les trimestres. Pour des raisons techniques que nous ne développerons pas ici, il est probable que les auteurs de cette étude ont sous-estimé les fluctuations majeures de la glycémie car il y de fortes chances pour que les 4 glycémies pré-(inter) prandiales et les 3 glycémies postprandiales de ce profil à 7 points ne coïncident pas parfaitement avec les minimum et les maximum glycémiques. L’exemple suivant devrait permettre d’expliquer la supériorité du MAGE par rapport à la SD d’un profil 7 points quand il s’agit d’évaluer  la variabilité glycémique. Considérons deux patients diabétiques de type 2 ayant des HbA1c et des SD autour de la moyenne glycémique identiques. Supposons que l’un d’eux ait beaucoup de fluctuations mineures de la glycémie et un ou deux pics majeurs par jour tandis que l’autre ne présente que des fluctuations modérées de la glycémie de 24 heures. Ces deux patients auront des valeurs de MAGE différentes en dépit de SD autour de la moyenne glycémique identiques. Cela pose la question de l’adéquation de « l’outil SD » à la mesure de la variabilité de la glycémie. Même si la mesure du MAGE nécessite un enregistrement continu de la glycémie,  il nous  paraît que cet index est le « gold standard » pour mesurer les fluctuations de la glycémie dans toutes les études interventionnelles visant à évaluer la variabilité de la glycémie. Pour cette raison, il serait souhaitable que les capteurs de glucose en continu soient plus largement utilisés afin de pouvoir estimer les fluctuations glycémiques. La conclusion de ce chapitre est que la physiopathologie des complications diabétiques peut être considérée comme la résultante de deux altérations métaboliques majeures – excès de glycation et génération du stress oxydatif – qui sont activées par les trois principaux désordres de la glycémie : l’hyperglycémie à jeun et pendant les périodes postprandiales et les fluctuations aiguës de la glycémie (figure 4). Il est actuellement certain que des concentrations élevées de glucose pendant les périodes de jeûne et postprandiale activent le processus de la glycation, dont l’HbA1c fournit une évaluation. De plus, toutes les fluctuations aiguës de la glycémie autour de la moyenne activent le stress oxydatif. La résultante de ces effets est le risque de complications représenté par la flèche en diagonale d’un cube dont les 3 axes de coordonnées seraient la GAJ, la GPP et les fluctuations de la glycémie. Un tel modèle devrait inciter à utiliser dans le diabète des stratégies thérapeutiques visant à réduire les valeurs des trois coordonnées, ce qui conduit à réduire le volume du cube et au-delà la valeur de la flèche en diagonale représentative des complications diabétiques (figure 4). Figure 4. Modèle suggéré pour illustrer les impacts physiopathologiques d'un excès de glycation des protéines et de l'activation du stress oxydatif sur le risque de complications (flèche diagonale). Les contributions des trois composantes de la glycémie, c'est-à-dire l'hyperglycémie postprandiale et les fluctuations aiguës de la glycémie sont indiquées respectivement sur les axes x, y et z.   Éviter la variabilité glycémique : est-ce possible ?   Cette question est un sujet de débat. La réponse est probablement oui, à condition que la variabilité glycémique soit mesurée, qu’il s’agisse des études interventionnelles ou plus prosaïquement de la pratique clinique. Jusqu’à présent, les études interventionnelles fondées sur le concept « treat-to-target » avaient pour but de normaliser la glycémie de jeûne et d’amener l’HbA1c au-dessous de 7 %13. Les fluctuations aiguës de la glycémie n’étaient pas prises en compte. Il est donc difficile de savoir si la variabilité glycémique peut ou non être diminuée. Pour éclaircir ce point, on peut prendre deux exemples concernant tous deux le traitement du diabète de type 2.   Peut-on éviter la variabilité glycémique grâce à l’usage d’analogues longs de l’insuline ? Les auteurs de l’étude LANMET14 ont montré que, chez des diabétiques de type 2 n’ayant jamais reçu d’insuline et insuffisamment contrôlés sous antidiabétiques oraux, la mise en route d’un traitement associant l’insuline glargine ou l’insuline NPH à la metformine conduit à une amélioration de l’HbA1c identique dans les deux groupes au bout de 36 semaines. Le taux moyen d’HbA1c chutait d’environ 2 %, de 9 % à 7 % dans les deux groupes. Les profils glycémiques à 8 points, comportant 3 glycémies postprandiales et 5 glycémies à jeun ou interprandiales, étaient translatés en bloc vers le bas. La conséquence est que les variations glycémiques entre périodes de jeûne, postprandiales et interprandiales, restaient inchangées. De ce fait, il apparaît que les traitements insuliniques avec une seule injection d’insuline basale par jour, qu’il s’agisse d’un analogue prolongé ou d’une semi-lente (NPH), sont incapables de modifier les fluctuations de la glycémies entre pics et creux. Ce type de constatation plaide indiscutablementent en faveur de l’utilisation précoce de schémas basal-bolus d’emblée ou progressif (basal +) dans le diabète de type 2.   Peut-on éviter la variabilité glycémique grâce à l’usage de médicaments agissant par la voie des incrétines ? Dans une étude récente, Heine15 a comparé l’effet de l’insuline glargine et de l’exénatide, un agoniste du GLP1, chez des patients diabétiques de type 2 présentant un contrôle glycémique insuffisant. Dans le groupe de patients traités par insuline glargine, il a observé que les modifications de l’HbA1c et des profils glycémiques étaient identiques à celles observées dans l’étude LANMET14. Dans le deuxième groupe de patients traités par l’exénatide, l’amélioration du taux d’HbA1c était identique à celle du groupe traité par insuline glargine. Et pourtant, quand on compare les deux groupes au niveau de la variabilité glycémique, toutes choses étant par ailleurs égales en termes de désordres glycémiques, il apparaît que le groupe traité par exénatide a diminué sa variabilité glycémique à la fin de l’étude. Comme dans l’étude LANMET, l‘amplitude des excursions glycémiques n’a pas été mesurée mais la simple lecture des différences brutes entre pics postprandiaux et creux interprandiaux des profils glycémiques montre qu’apparemment  la variabilité glycémique est réduite de 50 % dans le groupe exénatide par rapport au groupe glargine.   En conclusion   Il nous semble que la variabilité glycémique devrait être l’une des cibles du traitement des désordres glycémiques du diabète de type 2. Il reste toutefois à répondre à une question : puisque la variabilité glycémique est un paramètre important, quelle cible doit-on viser ? L’examen de la relation entre l’excrétion urinaire de la 8-iso-PGF2α et le MAGE (figure 3) peut apporter un début de réponse. Cette figure montre que l’excrétion urinaire moyenne des sujets sains est égale à 275 pg/mg de créatinine et  correspond à un MAGE de 40 mg/dl. Cette valeur est-elle la limite supérieure de la variabilité du glucose chez un sujet non diabétique ? Le problème est, bien sûr, loin d’être résolu et de nombreuses études seront nécessaires avant que la variabilité glycémique puisse être intégrée dans la surveillance du diabète et avant que l’on puisse définir des seuils à ne pas dépasser.

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