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Diagnostic

Publié le 31 aoû 2010Lecture 9 min

Faut-il changer les critères de diagnostic du diabète ?

B. GUERCI, Université de Nancy I et Service de diabétologie, maladies métaboliques et maladies de la nutrition, Hôpital Jeanne d’Arc, CHU de Nancy

LE CONTRE : L’HbA1c en complément des glycémies

Depuis plus de 10 ans, le diagnostic de diabète de type 2 repose sur la glycémie à jeun avec une valeur excédant 1,26 g/l, soit 7 mmol/l à  deux reprises. Des valeurs < 1,26 g/l mais > 1,10 g/l correspondent au stade d’hyperglycémie modérée à jeun, altération du métabolisme du glucose qui prédispose à terme à l’apparition d’un authentique diabète de type 2. Enfin, une seule valeur de glycémie > 2,00 g/l prise isolément dans la journée et associée à des symptômes cliniques, permet de poser le diagnostic de diabète1, 2.

Les dernières recommandations avaient abaissé le seuil de glycémie à jeun pour porter le diagnostic de diabète de 1,40 à 1,26 g/l afin de faire coïncider les valeurs à jeun avec celles observées après charge orale en glucose. Le rationnel de cette adaptation biologique était également basé sur le fait que, dès le seuil de 1,26 g/l à jeun, une augmentation de la prévalence des complications microangiopathiques était rapportée, en particulier celui de rétinopathie. Plus récemment, l’IDF (International Diabetes Foundation) et l’OMS sont allées jusqu’à proposer une valeur seuil normale de glycémie < 1,00 g/l au lieu de 1,10 g/l. Cette proposition datant de 2003 n’a pas été validée de manière consensuelle à ce jour. Secondairement, et assez logiquement, les sociétés savantes ont proposé de limiter la réalisation des épreuves de charge orale en glucose compte tenu de la faible reproductibilité de ce test dynamique, de l’intolérance digestive qui y est associée, de l’influence de la vidange gastrique sur l’absorption du glucose et, enfin, de la contrainte que cela représente pour les patients comme pour les équipes médicales et biologiques. Pourtant, la survenue des événements cardiovasculaires est préférentiellement corrélée aux valeurs de glycémie 2 heures après la charge en glucose, que ce soit chez le sujet intolérant au glucose ou le patient diabétique3. En effet, selon que l’altération métabolique porte sur les valeurs à jeun ou sur les valeurs postprandiales, les mécanismes physiopathologiques impliqués relèvent plutôt de l’insulinopénie ou de l’insulinorésistance.   Le rationnel du débat sur l’HbA1c   Le débat, finalement assez ancien, a repris courant 2009 à l’occasion du congrès international de l’ADA qui s’est tenu en juin 2009 à la Nouvelle-Orléans. Il repose sur la proposition d’utiliser non plus la valeur de glycémie mais celle d’HbA1c pour le diagnostic de diabète, à partir de la relation qui existe entre le développement d’une rétinopathie diabétique et les différents seuils d’HbA1c. Ainsi, l’étude de 9 pays (DETECT-2) regroupant plus de 28 000 patients a montré que la valeur d’HbA1c à 6,5 % était la plus discriminante pour le risque de rétinopathie avec la présence d’au moins deux anomalies rétiniennes (sensibilité 87,1 %, spécificité 85,6 %)4. Une seconde étude a analysé l’incidence et la prévalence de la rétinopathie en fonction de la valeur de l’HbA1c. Sur 3 190 adultes malaisiens, âgés de 40 à 80 ans, l’HbA1c à 6,6 % correspond à un « cut off » optimal pour la détection d’une rétinopathie légère ou modérée, et entre 6,6 et 7,0 % pour la détection plus large des complications microangiopathiques. En dessous de ce seuil,  le risque de rétinopathie ne serait que de 1 %5. Malgré la justification d’une telle démarche, n’y a-t-il pas un risque de perturber dans leur pratique quotidienne les médecins spécialisés et, au-delà, l’ensemble de la communauté médicale ? Sans compter les difficultés susceptibles d’être observées auprès des patients habitués de longue date à une analyse qualitative de leur équilibre glycémique à partir de leur HbA1c. En effet, l’étude DIABASIS a récemment montré que près de 80 % des patients ont la connaissance du terme d’HbA1c et 60 % une idée précise de son utilité en termes d’objectif thérapeutique6. On imagine alors aisément toute la confusion que pourrait apporter un changement d’utilisation de ce marqueur biologique, non plus comme outil d’équilibre glycémique, mais comme critère de diagnostic du diabète.   L’HbA1c, un examen de référence avec ses contraintes méthodologiques   L’HbA1c constitue un excellent indice d’exposition à l’hyperglycémie chronique, intégrant à la fois la glycémie à jeun et la glycémie postprandiale, alors que la seule valeur de glycémie peut être perturbée ponctuellement par un événement extérieur le jour même du prélèvement. Le dosage de l’HbA1c, « gold standard » de l’équilibre glycémique, est apparu dans les années 1980 (1er dosage en 1977). La méthode de référence est celle de l’IFCC (International Federation of Clinical Chemistry) qui sert à la calibration de toutes les méthodes de dosage de l’HbA1c7. Le dosage repose sur la mesure de la fixation du glucose sur la valine en position N-terminale de l’hémoglobine A, mais cette technique n’est pas disponible en routine clinique compte tenu de son coût (1 000 $/mesure). Il existe ainsi une standardisation du dosage de l’HbA1c (en %) par rapport à des systèmes de référence du NGSP (National Glycohemoglobin Standardization Program) qui mesure une combinaison de plusieurs HbA1c. Mais une récente conférence de consensus (regroupant l’ADA, l’EASD, l’IFCC et l’IDF) propose d’exprimer la valeur d’HbA1c selon la référence IFCC, méthode qui mesure une seule forme moléculaire d’HbA1c, en exprimant les résultats en mmol HbA1c/mol HbA08. Cette nouvelle standardisation se met progressivement en place, en particulier en France9, mais il faudrait pour bien faire que tous les laboratoires utilisent une seule et même méthode calibrée sur l’IFCC. La réalité du terrain est toute autre. Enfin, pour les cliniciens comme pour les patients, ce changement d’unité ne représente pas une période propice à l’application d’un nouveau consensus d’utilisation diagnostique de l’HbA1c.   Quelques arguments en faveur de l’utilisation de l’HbA1c comme outil de diagnostic du diabète   Le dosage de l’HbA1c en qualité de critère diagnostique du diabète présente l’intérêt de ne pas nécessiter de mesure à jeun. Il est plus stable dans le temps au niveau chimique que la glycémie dont la valeur diminue significativement si l’échantillon de sang n’a pas été prélevé sur un tube spécifique et rapidement analysé. Enfin, il n’est que peu affecté par les autres paramètres biologiques. Un effort de standardisation a été réalisé au cours des 10 dernières années, amenant au retrait dans les laboratoires d’analyses médicales des réactifs de dosage qui ne mesuraient pas exactement la fraction A1c de l’hémoglobine. Ceci explique en partie que le coefficient de variation intra-individuelle de l’HbA1c serait plus faible que celui de la glycémie à jeun (de l’ordre de 2 % versus 6 %). Pour certains experts, mais cela peut aussi être un contre-argument car source de confusion, l’HbA1c étant le « gold standard » de l’équilibre glycémique, cela justifierait son utilisation comme seul paramètre, tant pour le diagnostic que pour l’adaptation du traitement. Voici résumés les arguments destinés à faire évoluer la procédure de diagnostic du diabète sucré. Cette proposition d’un groupe d’experts, présentée au dernier congrès de l’ADA, a été suivie d’une publication de synthèse peu de temps après10.   De nombreux arguments contre l’utilisation de l’HbA1c comme outil de diagnostic du diabète   Cette proposition, aussi « attractive » soit-elle, ne présente pas que des avantages. En effet, il existe un continuum des valeurs d’HbA1c pour les situations à risque de diabète. Et il n’y a pas réellement de seuil d’HbA1c en dessous duquel le risque de diabète de type 2 serait nul. La principale conséquence de l’application de cette nouvelle règle se traduirait par la disparition du cadre nosologique de l’hyperglycémie modérée à jeun et de l’intolérance au glucose qui correspondent à des populations différentes en termes de risque métabolique. Le groupe d’experts propose ainsi différents seuils  d’HbA1c : - pour une HbA1c > 6,0 % mais < 6,5 %, le risque métabolique dépend de la présence d’autres facteurs de risque de diabète, des mesures préventives thérapeutiques étant alors proposées ; - au-delà de 6,5 %, le diagnostic de diabète est en revanche formel. Les dernières recommandations de l’ADA publiées en janvier 2010 proposent un ajustement des valeurs d’HbA1c : les patients à haut risque se situent dans une « fourchette » d’HbA1c entre 5,7 et 6,4 %11. Cette variation du « curseur » de l’HbA1c témoigne bien de la difficulté à établir un seuil de normalité ou non, et confirme l’hétérogénéité de la population qui serait impliquée dans cette évolution des pratiques clinicobiologiques. D’autres questions restent en suspens : sur la base de la seule mesure de l’HbA1c, certains patients diabétiques ne le seraient plus, une fois bien équilibrés, et certains patients diabétiques sur la base de valeurs anormales de glycémie ne le sont plus sur la seule mesure de l’HbA1c ! Il existe également des facteurs d’interférences, certes rares, mais qui posent indéniablement des limites de validité de l’HbA1c : - c’est le cas des hémoglobinopathies, au cours de certaines affections hépatiques, ou plus largement dans toutes les situations qui se caractérisent par une modification du « turn over » des globules rouges (spoliation sanguine, insuffisance rénale, etc.) ; - c’est également le cas chez les femmes enceintes où la valeur d’HbA1c est largement sous-estimée. Dans ces situations, le groupe d’experts recommande alors d’utiliser la mesure de la glycémie pour le diagnostic de diabète, ce qui participe alors à la confusion ambiante. Enfin, le simple remplacement de la glycémie à jeun par un dosage d’HbA1c représenterait un accroissement phénoménal du coût du diagnostic (B50 pour l’HbA1c contre B5 pour la glycémie). Certains experts proposent de combiner l’utilisation des glycémies à jeun à celle de l’HbA1c dans des situations frontières de dysglycémies, en d’autres termes chez des patients dont la glycémie à jeun se situerait entre 1,00 et 1,25 g/l. Enfin, rappelons que le dosage de l’HbA1c n’est pas accessible dans tous les pays, en particulier dans ceux en voie de développement alors qu’ils constituent souvent les plus gros « pourvoyeurs» de patients diabétiques ou à risque de le devenir. Une autre limite est que le dosage d’HbA1c traduit un processus physicochimique de glycation, et non un authentique trouble du métabolisme du glucose en rapport avec un déficit en insuline et/ou une diminution de la sensibilité de cette hormone. C’est ici qu’intervient la notion de variation biologique de l’HbA1c, ou plus exactement celle de « glycateurs forts ou faibles ». Cette notion explique l’absence de corrélation robuste observée entre la moyenne glycémique et l’HbA1c, principe assez bien identifié dans l’étude du DCCT12. Des variations biologiques de l’HbA1c ont été identifiées, notamment chez des jumeaux (62 % de la variance)13, mais aussi dans des populations de sujets non diabétiques où il est classiquement observé des variations interindividuelles des taux d’HbA1c non liées aux variations glycémiques (il s’agit d’ailleurs d’un mécanisme constant)14. En pratique, pour un patient dont la glycémie moyenne se situe entre 1,60 et 1,70 g/l (tenant compte de valeurs pré- et postprandiales), la valeur d’HbA1c est anormalement élevée au-delà de 8,0 %, alors qu’elle devrait se situer autour de 7,0 % en correspondance de la moyenne glycémique15. Avec l’utilisation récente de la mesure continue du glucose, il s’agit bien de patients équilibrés sur le plan glycémique, et pour lesquels la valeur d’HbA1c ne traduit pas la réalité de cet équilibre glycémique. L’inverse est vrai, s’agissant de patients avec une valeur d’HbA1c faible sous le seuil proposé de diabète (< 6,0 %), mais qui pourtant présentent de réelles excursions glycémiques postprandiales dont l’implication physiopathologique dans la genèse des complications micro- et macroangiopathiques est régulièrement évoquée16. Le risque à terme est de ne pas réussir à classer correctement les patients sur la base de leurs valeurs de glycémie et d’HbA1c pour peu que ces deux examens biologiques rendent un verdict différent en termes de diagnostic de diabète ! On peut aussi s’étonner du fait que, si la valeur d’HbA1c à 6,5 % correspond au risque de rétinopathie, qu’en est-il du risque lié aux autres complications, notamment macrovasculaires qui dominent le pronostic du patient diabétique de type 2 ? En d’autres termes, un chiffre lié au risque de développement d’une complication est-il adapté à l’évaluation du risque de développer la maladie en cause ? Pour finalement observer que ce débat sur l’HbA1c ne trouve aucun écho dans le diabète de type 1 où l’utilisation diagnostique de l’HbA1c ne se pose pas. Alors, précipitation à faire évoluer les standards ? En définitive, rien de bien nouveau que nous ne savions déjà, beaucoup de bruit pour un maximum de confusion et de polémique, et à terme le risque d’un  passage en force des experts diabétologues influents pour aboutir à une cacophonie qui n’aidera ni le clinicien de terrain, ni le patient.  

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