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Thérapeutique

Publié le 30 nov 2006Lecture 10 min

La prescription d’une statine : en solo ? En duo ? En sourdine ?

L. MONNIER, C. COLETTE, Hôpital Lapeyronie, Montpellier

C’était en 1990. La simvastatine venait d’être mise à la disposition du corps médical français. Seize ans plus tard, et en dépit de quelques déboires – le retrait de la cérivastatine, il y a quelques années –, les statines se portent bien. Leur « état de santé » est si bon que les pouvoirs publics s’inquiètent de leur prescription que certains jugent abusive chez certains patients (consommateurs ?). Le coût de ce traitement fait certainement frémir les organismes d’assurance-maladie qui se trouvent confrontés à une utilisation nettement plus forte que celle qu’ils avaient envisagée initialement. Les recommandations qui ont progressivement évolué pour ramener les cibles thérapeutiques à des niveaux de LDL-cholestérol de plus en plus bas ne sont pas étrangères à cette évolution des prescriptions.

Quelques réflexions sur les recommandations en matière de dyslipidémies   Les recommandations américaines Sur le tableau 1, nous avons résumé l’évolution des recommandations américaines (NCEP-ATP III) depuis une dizaine d’années1. Ces recommandations sont basées sur le nombre de facteurs de risque majeurs présentés par une personne donnée. Le tabagisme, l’hypertension artérielle, qui commence dès que la pression artérielle est  ≥ 140/90 mmHg, un taux de HDL-cholestérol < 0,40 g/l, une histoire familiale de maladie cardiovasculaire précoce, l’âge (≥ 45 ans chez l’homme ; ≥ 55 ans chez la femme), un diabète (équivalent de maladie cardiovasculaire pour les Américains) sont considérés comme des  facteurs de risque majeurs. Les nouvelles recommandations de l’ATP III parues dans la revue Circulation en 2004 ont énoncé les principes suivants2 : – une personne dont le nombre de facteurs de risque ne dépasse pas 1, est considérée comme étant à faible risque : probabilité de faire un accident cardiovasculaire < 10 % sur une période de 10 ans ; – le risque modéré correspond à la présence de 2 facteurs de risque au minimum, la probabilité d’événement cardiovasculaire sur une période de 10 ans restant en dessous de 20 % ; – les sujets à haut risque sont définis comme étant ceux qui sont porteurs de lésions cardiovasculaires évidentes, le cas le plus fréquent étant la survenue chez une personne d’un accident cardiovasculaire plus ou moins sévère : infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral. Pour les Américains, les diabétiques sont considérés comme des patients à haut risque, même si les lésions vasculaires auxquelles ils sont particulièrement exposés n’ont pas cliniquement parlé. Pour rester simple, les recommandations consistent à ramener le LDL-cholestérol en dessous de : – 1,60 g/l chez les sujets « à risque faible », – 1,30 g/l chez les sujets « à risque modéré », – 1 g/l chez les sujets « à risque élevé », – 0,70 g/l, éventuellement, chez les sujets « à très haut risque »2 (exemple : le diabétique ayant fait un accident cardiovasculaire). Les recommandations françaises « L’exception française » (encore une !) repose sur des recommandations sensiblement différentes (tableau 2). Les cibles de LDL-cholestérol sont nettement plus élevées, en général 0,30 g/l au-dessus des recommandations américaines. Chez un sujet sans facteur de risque, l’objectif thérapeutique est de maintenir les concentrations de LDL-cholestérol en dessous de 2,20 g/l, ce qui correspond en moyenne à 3 g/l en termes de cholestérol total. Une recommandation de ce type aurait déjà suscité quelques remous il y a plus de 30 ans lorsque Frederickson, l’auteur de la première classification des dyslipoprotéinémies, avait énoncé dans les années 1970 les règles suivantes : moins de 2,30 g/l de cholestérol total jusqu’à 19 ans, 2,40 g/l entre 20 et 29 ans, moins de 2,70 g/l entre 30 et 39 ans...3 En se référant aux recommandations de Frederickson, les Français âgés de moins de 30 ans, sans facteurs de risque (c’est en général le cas à cet âge-là) et ayant un cholestérol total entre 2,40 g/l et 3 g/l (cela fait pas mal de monde…) seraient des sujets à cholestérol anormalement élevé, alors qu’ils seraient dans les normes d’après les recommandations de l’AFSSAPS publiées en mars 2005(4). Qui a raison ? Le lecteur jugera, mais les experts américains de l’ATP III ont donné leur opinion depuis longtemps et ils l’ont largement confirmé dans leurs recommandations de 2004(2). Quelques remarques sur l’efficacité des statines   Toutes les statines sont des inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase, c’est-à-dire de l’enzyme qui permet la transformation de l’HMG-CoA en acide mévalonique : étape métabolique précoce dans la chaîne de synthèse du cholestérol. Toutes les statines n’ont pas le même pouvoir hypocholestérolémiant (figure 1). Il n’en est pas moins vrai que leur effet sur le LDL-cholestérol obéit à une loi unique. Il existe une dose « idéale », le plus souvent recommandée, qui correspond au meilleur rapport entre la baisse du cholestérol et la dose de médicament prescrite. Cette dose est variable d’une statine à l’autre. Au-delà de cette dose idéale, l’efficacité de la statine obéit à la règle suivante : le LDL-cholestérol subit une chute supplémentaire de 6 % chaque fois que l’on double la dose de médicament. En termes pratiques, cela signifie que pour améliorer le rapport bénéfice/prix, il est préférable, quand on prescrit une statine, de l’utiliser à la dose idéale plutôt que de tenter d’obtenir un effet supplémentaire en doublant ou en quadruplant la posologie. Cette attitude a également pour avantage d’éviter les effets secondaires qui sont, en pratique quotidienne, plus fréquents que ceux habituellement annoncés dans les grands essais cliniques. Toutes les statines ont des effets pléiotropes indiscutables comparativement aux autres thérapeutiques hypolipidémiantes5. Par exemple, à chute de LDL-cholestérol identique, les statines entraînent une réduction du risque de maladie coronaire nettement plus marquée que la cholestyramine (étude LRC-CPPT) ou que les interventions à visée nutritionnelle (chirurgie de court-circuit digestif, étude POSCH, (figure 2). En revanche, à l’intérieur de la classe des statines, les effets pléiotropes semblent en grande partie proportionnels à l’intensité de la chute du LDL-cholestérol5. En d’autres termes, les effets anti-inflammatoires des statines (diminution de la protéine réactive C, diminution du fibrinogène) sont d’autant plus marqués que la diminution du LDL-cholestérol sera plus importante. S’il y a différence d’effets pléiotropes entre deux statines, c’est que l’une des deux a un effet hypocholestérolémiant plus important que l’autre. Figure 1. Réduction du LDL-cholestérol (%) avec les différentes statines commercialisées en France : fluvastatine, pravastatine, simvastatine, atorvastatine et rosuvastatine. Figure 2. Réduction du risque d’infarctus du myocarde ou de maladie coronaire non mortelle, et réduction du LDL-cholestérol dans différentes études d’intervention : WOSCOPS, CARE et 4S (statines) ; LRC-CPPT (cholestyramine) et POSCH (chirurgie de court-circuit digestif de l’estomac). Les statines en solo Une grande majorité de patients tolère bien les statines et leur usage en monothérapie à la dose « idéale » permet de ramener le LDL-cholestérol de la personne en dessous du seuil préconisé par les recommandations. À titre d’exemple, si l’objectif est de ramener le LDL-cholestérol d’un diabétique en dessous de 1 g/l, la plupart des statines permettront d’atteindre cet objectif tant que le LDL-cholestérol spontané du sujet, en dehors de tout traitement, est compris entre 1,30 et 2 g/l. Si le LDL-cholestérol est légèrement supérieur à 1,30 g/l, n’importe quelle statine pourra être utilisée ; s’il est proche de 2 g/l, il vaudra mieux prescrire les statines jugées les plus puissantes. Au-delà d’un certain taux de LDL-cholestérol (2 g/l dans l’exemple que nous venons d’évoquer), l’objectif ne pourra être atteint. Chez les sujets qui se trouvent dans ce cas, deux attitudes thérapeutiques sont possibles : La première consiste à accroître la dose en sachant que l’efficacité n’augmente que de 6 % pour chaque doublement de dose avec un risque de voir apparaître des effets secondaires, en particulier chez les sujets polymédiqués. Les risques sont surtout musculaires(6,7) : myalgies sans augmentation des CPK dans 3 % des cas (à notre avis, ce risque est beaucoup plus élevé chez certaines catégories de patients comme les diabétiques) ; myosites dans 1 % des cas, c’est-à-dire myalgies avec augmentation des CPK sans toutefois dépasser un seuil égal à 10 fois la limite supérieure de la normale ; rhabdomyolyses, rares mais graves, lorsque les troubles musculaires s’accompagnent d’une élévation des CPK au-dessus de 10 fois la limite supérieure de la normale. La deuxième attitude qui consiste à associer à la statine un deuxième médicament est développée dans le chapitre qui suit.   Les statines en duo   Si l’objectif n’est pas atteint, d’autres médicaments hypocholestérolémiants peuvent être associés aux statines. • Depuis sa mise sur le marché, il y a plus d’un an, c’est l’ézétimibe  qui est le meilleur traitement de choix en association avec les statines8. L’ézétimibe, qui agit sur l’absorption intestinale du cholestérol, potentialise, grâce à son mécanisme d’action synergique, l’effet des statines : 15 % de diminution supplémentaire du LDL-cholestérol. Il est en général bien supporté, mais les effets musculaires restent possibles. • La cholestyramine, qui est exempte de tout effet musculaire ou hépatique, reste de prescription confidentielle en raison de sa maltolérance digestive (fréquente) et de son mode de prise (3 fois par jour). • Les fibrates peuvent être associés aux statines mais avec prudence. Il faut se rappeler les déconvenues de la cérivastatine, dont les effets musculaires ont été amplifiés par le gemfibrozil. À ce jour, les associations gemfibrozil – statines sont interdites quelle que soit la statine. Les associations fénofibrate ou bézafibrate avec une statine sont possibles à condition d’être prudent : vérification du bilan hépatique (transaminases) et musculaire (CPK), avant toute prescription et tous les 2 mois dans le cadre du suivi. Il est en particulier conseillé de limiter les ordonnances à 2 mois pour que le malade soit obligé de revenir avec son bilan de « sécurité » avant tout renouvellement de prescription. L’association « statine + ézétimibe » ou « statine + autre médicament hypocholestérolémiant » peut être intéressante lorsque le traitement par statine n’est pas bien toléré à sa dose usuelle. Dans un nombre respectable de cas, on arrive à obtenir une tolérance correcte de la statine en diminuant les doses. La contrepartie est une diminution de l’efficacité avec des objectifs thérapeutiques qui ne sont pas atteints. Dans ce cas, l’association d'une statine (à prescrire à la moitié de la dose usuelle ou un jour sur deux) avec l’ézétimibe permet souvent de rétablir la tolérance à la statine, tout en permettant d’atteindre les objectifs fixés au départ. L’échec de l’association statine + ézétimibe est toujours possible, soit parce que la statine n’est pas tolérée, même à doses réduites, soit parce que l’ézétimibe induit par lui-même des problèmes musculaires. Dès lors, les choix offerts au thérapeute deviennent de plus en plus étroits : l’ézétimibe seul est souvent insuffisamment efficace, l’association statine + fibrate est déconseillée si l’association statine + ézétemibe a été mal supportée, l’association statine + cholestyramine est toujours possible, mais les problèmes de tolérance sont transférés sur le transit intestinal : constipation, ballonnements digestifs.   Les statines en « sourdine »   Comme dirait Monsieur de la Palisse, les statines ne doivent pas être prescrites lorsqu’elles ne sont pas indiquées. Cette proposition paraît relever de la pire « tautologie ». Il est pourtant classique de voir des personnes souffrant d’hypertriglycéridémies isolées qui sont traitées par des statines. Ces médicaments n’ayant aucune action sur les triglycérides plasmatiques, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient inefficaces dans les hypertriglycéridémies endogènes pures. Plus subtile est la prescription de statines dans les hyperlipidémies combinées associant une augmentation du cholestérol et des triglycérides. Cette catégorie d’hyperlipidémie étant souvent associée à un syndrome plurimétabolique (avec surcharge pondérale, intolérance au glucose ou diabète de type 2), il faut d’abord traiter la composante hypertriglycéridémique, qui est toujours diéto-dépendante et qui, éventuellement, est à la fois diéto- et diabéto-dépendante si le sujet souffre d’un diabète de type 2. Faire perdre du poids, améliorer l’équilibre du diabète, sont donc les deux mesures essentielles avant de se lancer « tête baissée » dans la prescription d’une statine. La prescription des statines peut devenir intéressante lorsqu’il persiste une augmentation résiduelle du LDL-cholestérol alors que l’hypertriglycéridémie a été totalement ou partiellement corrigée par les mesures diététiques et par la correction partielle des perturbations glycémiques. Faut-il prescrire une statine chez un patient qui n’accepte aucune contrainte pour améliorer son poids et/ou son diabète et qui garde évidemment une dyslipidémie de type mixte ? La réponse n’est pas univoque. Les « compassionnels » diront qu’il faut le plaindre et lui prescrire une statine pour éviter le pire ! Les « rigoristes » diront que le patient est responsable de son choix, que la statine ne servira à rien et qu’il faut que le patient ait le courage « d’assumer » ses choix. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les statines sont parfois mal tolérées par les patients : problèmes musculaires essentiellement. Dans ces conditions, on peut changer de statine. Les « hydrophiles » (pravastatine et rosuvastatine) seraient mieux supportées que les « lipophiles » (simvastatine et atorvastatine)9. Les statines qui ont une « vie courte » (pravastatine et simvastatine) donneraient moins d'effets secondaires que les statines à durée de vie prolongée (atorvastatine et rosuvastatine). La pravastatine combinant à la fois durée de vie courte et hydrophilie pourrait être la plus intéressante quand il y a maltolérance musculaire. En pratique, les choses sont moins simples qu’il n’y paraît et la maltolérance musculaire aux statines est souvent un effet de classe valable pour toutes les statines. Dans ces conditions, l’effet secondaire ne disparaît qu’avec l’arrêt du médicament ou après une réduction de doses telle que les objectifs ne sont plus atteints.   Conclusion Au terme de cet article, il apparaît clairement que la prescription des statines est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. La démarche simple qui consiste à prescrire une statine dès que le LDL-cholestérol est au-dessus des seuils recommandés est valable dans de nombreux cas. Elle ne l’est plus dès que les choses se compliquent. C’est dans ces cas qu’il est important de choisir entre les différents produits, de savoir comment les associer à d’autres médicaments, et surtout de les combiner avec la prise en charge diététique et/ou médicamenteuse des autres états pathologiques qui sont fréquemment associés aux dyslipidémies : obésité, diabète, syndrome plurimétabolique.

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