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Physiologie-Physiopathologie

Publié le 14 fév 2013Lecture 8 min

Sécrétions du tissu adipeux - Profusion et confusion (I)

M. LAFONTAN, Inserm/UPS UMR 1048-I2MC, Institut des Maladies métaboliques et cardiovasculaires, Hôpital Rangueil, Toulouse

Les adipocytes produisent une quantité notable de molécules bioactives (lipidiques et protéiques) identifiées comme étant des « adipokines ». Certaines de ces molécules ont un statut d’hormone alors que de nombreux autres facteurs sécrétés sont probablement limités à des actions autocrines ou paracrines au sein du tissu adipeux et interviennent dans le contrôle des processus de remodelage et de développement de ce tissu (remaniements de la matrice extracellulaire, contrôle de la prolifération et de la différenciation des précurseurs adipocytaires et de l’angiogenèse, activation des cellules endothéliales microvasculaires conduisant au recrutement de cellules immunitaires circulantes). En dehors de l’adipocyte, les divers types cellulaires présents dans la fraction stroma vasculaire du tissu adipeux produisent également des facteurs qui ont été parfois attribués abusivement à l’activité du seul adipocyte. Sans avoir l’ambition de faire une revue exhaustive des effets et des régulations de ces divers facteurs, cette revue sera fractionnée en trois sections séparées (sections I, II et III). Nous insisterons sur quelques points à retenir et sur les questions qui restent à résoudre dans une conclusion générale.

Activités sécrétoires du tissu adipeux : une révolution conceptuelle majeure dans la biologie du tissu adipeux Le tissu adipeux (TA) joue un rôle essentiel dans le stockage de réserves lipidiques et la mobilisation des lipides stockés. En dehors du stockage et de la libération des acides gras, le TA est aussi un organe susceptible de synthétiser et sécréter de nombreuses molécules bioactives, les « adipokines » (peptides, glycoprotéines, phospholipides, acides gras et leurs métabolites), qui exercent des effets physiologiques très diversifiés. Cette production de facteurs sécrétés va varier en fonction de la localisation anatomique des dépôts adipeux et de leur niveau d’expansion et de remaniement (qui est accompagné d’une infiltration par des cellules immunitaires). Un diagramme synthétique évoquant la cinétique des processus mis en jeu en cours de prise de poids est proposé dans la figure 1.   Figure 1. Profil d’expression des adipokines et évolution des macrophages de la fraction stroma vasculaire du tissu adipeux au cours de la prise de poids. Passage du sujet sain à l’obèse. En cours d’expansion du tissu adipeux et des adipocytes, adipokines, acides gras non estérifiés (AGNE), hypoxie et mort cellulaire vont déclencher une infiltration de macrophages dans le tissu adipeux avec l’apparition de nombreux macrophages de phénotype M1 et la production de diverses adipokines pro-inflammatoires. Le cercle vicieux qui s’installe va progresser vers une aggravation de l’insulinorésistance, un diabète de type 2 et des pathologies vasculaires. Des accumulations de macrophages autour de certains adipocytes nécrotiques (i.e., structures crown-like) sont identifiées chez l’obèse. Des remaniements de la composition de la matrice extracellulaire et des altérations de l’angiogenèse viennent aggraver le contexte délétère. COX : cyclooxygénase ; NOS : synthase du monoxyde d’azote ; MMP-2/-9/-11 : métalloprotéases matricielles-2/-9/-11 ; TGF-β : tranforming growth factor-β ; IL-1β, IL-6, IL-8 : interleukines 1β, -6 et -8 ; TNF-α : tumor necrosis factor-α ; CCL2/MCP-1 : C-C motif chemokine ligand–2)/monocyte chemoattractant protein-1. Les adipokines participent à la régulation de la balance énergétique d’une part mais sont aussi impliquées, à des degrés divers, dans l’étiologie des pathologies associées à l’obésité (insulinorésistance, diabète de type 2, hypertension, athérosclérose et certains cancers), d’autre part. Leurs activités varient d’actions autocrines ou paracrines locales, au sein même du TA, à des effets systémiques endocrines plus pléiotropes.   Initialement, le terme « adipokine » désignait une molécule, de nature souvent protéique ou parfois lipidique, exclusivement synthétisée et sécrétée par l’adipocyte. Par extension, les adipokines ont défini des molécules produites uniquement par le TA. En fait, la situation s’est compliquée. Les adipocytes ne sont pas les seules cellules sécrétrices dans le TA et plusieurs sécrétions bien exprimées dans le TA (i.e., plusieurs facteurs pro-inflammatoires, protéines de la phase aiguë, omentine, chemerine et visfatine) sont également produites par d’autres organes(1). Les premiers pas : découverte des premières adipokines   Les premiers facteurs découverts Le premier facteur sécrété par l’adipocyte découvert est la lipoprotéine-lipase (LPL), enzyme essentielle de la lipogenèse, produite par l’adipocyte et transférée au pôle luminal des capillaires du TA selon un mécanisme complexe récemment décrit. La découverte en 1987 de l’adipsine – ou facteur D, qui est une sérine protéase impliquée dans l’activation du système alterne du complément et la formation d’une autre adipokine, l’ASP (acylation stimulating protein) – a confirmé les fonctions sécrétoires de l’adipocyte. Le TNF-α (tumor necrosis factor-α) est identifié comme facteur pro-inflammatoire produit dans le TA en 1993(2). Leptine et adiponectine Avec la découverte en 1994 de la leptine (une hormone aux puissants effets pléiotropes), une étape essentielle dans la reconnaissance des capacités sécrétoires des adipocytes a été franchie. Observation, rapidement renforcée par la découverte de l’adiponectine (également nommée adipoQ, Acrp30, GBP28), car identifiée et caractérisée de manière indépendante et simultanée par plusieurs groupes chez l’homme et la souris en 1995-1996. L’adiponectine est venue étayer le réel statut de cellule endocrine de l’adipocyte. Cytokine adipocytaire de 244 acides aminés, elle est très abondante dans l’adipocyte et le plasma ; elle est codée par le gène APM1 (adipose most abundant transcript), exclusivement exprimé dans l’adipocyte, et circule dans le plasma sous trois isoformes essentielles (trimère, hexamère ou multimère). La synthèse d’adiponectine est réduite dans l’obésité, l’insulinorésistance et le diabète de type 2. Leptine et adiponectine stimulent leurs récepteurs spécifiques respectifs de la membrane plasmique des cellules cibles de ces adipokines. La production de leptine est nettement augmentée dans les adipocytes hypertrophiés et sa production est stimulée par l’insuline et affectée par le TNF-α, les acides gras libres, l’hormone de croissance et les estrogènes. L’adiponectine possède des effets vasculaires et antiathérogènes et améliore la sensibilité périphérique à l’insuline en inhibant la production hépatique de glucose et en améliorant son captage par le muscle. Elle augmente également l’oxydation des acides gras dans le muscle et le foie ainsi que la dépense énergétique. Enfin, l’adiponectine possède des effets directs dans le tissu adipeux en augmentant le nombre d’adipocytes et en diminuant l’infiltration du TA par les macrophages. La découverte de ces adipokines « historiques » a provoqué un engouement extraordinaire pour l’identification de leurs propriétés et initié la recherche de nouvelles adipokines. Dans les années qui ont suivi de nombreux autres facteurs protéiques et lipidiques dotés d’effets systémiques ou locaux ont été découverts dans le TA ou dans des milieux de culture d’adipocytes. Des revues de synthèse récentes renferment les données essentielles à connaître sur l’historique des découvertes et les mécanismes d’action de molécules dont on découvre de nouvelles propriétés au fil des ans(3-6). Acides gras non estérifiés En dehors des adipokines il ne faut pas négliger les acides gras non estérifiés (AGNE) qui sont les productions essentielles du TA. En effet, le TA sain assure une gestion optimisée des AGNE plasmatiques. En situation d’excès d’apports énergétiques, les calories excédentaires et les AGNE sont stockées de façon non nocive sous la forme de triglycérides. Cependant, en situation de déséquilibre énergétique positif prolongé le TA peut atteindre une limite de ses capacités d’expansion qui va être associée à des dysfonctions des capacités adipogéniques, lipogéniques, lipolytiques et sécrétoires des adipocytes(7). Des taux plasmatiques élevés d’AGNE, souvent décrits chez l’obèse ou l’individu insulinorésistant, vont déboucher sur l’accumulation de lipides aux effets délétères dans les tissus non adipeux (foie, muscle squelettique, cœur et pancréas). Cette accumulation de lipides toxiques va provoquer un stress métabolique et activer des cascades de signaux pro-inflammatoires(8). On parlera alors de lipotoxicité, concept amplement développé à partir des travaux de Roger Unger(9). Les dysfonctions métaboliques induites par la dérégulation du métabolisme lipidique pourront être majorées par celles provoquées par la perturbation des processus de production des adipokines pro-inflammatoires au sein du TA (figure 2).   Figure 2. Les perturbations fonctionnelles qui affectent le tissu adipeux (capacités sécrétoires des adipocytes et cellules de fraction, stroma vasculaire) vont induire une insulinorésistance et conduire à un diabète de type 2. Des taux élevés d’AGNE circulants et de cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNF-α, leptine, etc.), issus du tissu adipeux, vont induire une insulinorésistance hépatique et musculaire. L’augmentation chronique des taux d’AGNE va inhiber la sécrétion d’insuline. In vitro, les acyl-CoA à longue chaine et les AGNE peuvent ouvrir des canaux potassiques de la cellule β-pancréatique et diminuer les capacités de sécrétion de l’insuline. Les AGNE induisent également l’expression de la protéine découplante UCP-2 qui va diminuer la production d’ATP nécessaire à l’insulinosécrétion. Les AGNE peuvent également induire une apoptose des cellules β-pancréatiques en activant les voies du stress du réticulum endoplasmique (RE)(3) et en inhibant l’expression du facteur antiapoptotique Bcl-2. La leptine possède des effets antiapoptotiques sur la cellule β ; cet effet sera diminué chez les obèses, souvent affectés par une résistance aux effets de la leptine. Les effets antiapoptotiques de la leptine impliquent une inhibition de la production de monoxyde d’azote (NO) (connu pour induire une apoptose de la cellule β via une déplétion des réserves calciques et un stress du RE). Le NO peut également provoquer des lésions de l’ADN susceptibles d’accroître l’apoptose des cellules β. Le TNF-α induit une réduction de la sécrétion d’insuline in vitro qui passerait par la synthèse de NO. Au niveau vasculaire, des taux élevés d’AGNE, d’IL-6, de TNF-α et de leptine, en présence d’une insulinorésistance, conduisent à une réduction du niveau d’expression de la NO synthase endothéliale (eNOS), un déficit de production de NO qui vont conduire à des dysfonctions endothéliales et affecter la réactivité vasculaire. Par contre, l’adiponectine possède de nombreux effets protecteurs antiathérogènes sur la paroi vasculaire.   L’appréhension de la complexité : bien distinguer l’origine cellulaire des productions du tissu adipeux Les recherches sur les TA ont subi une inflexion majeure depuis que les expérimentateurs ont pris conscience que la biologie des diverses cellules de la FSV, longtemps négligée, devait être prise en compte si l’on voulait comprendre l’intégralité des phénomènes sécrétoires observés dans le TA. Divers types cellulaires présents dans la fraction stroma vasculaire (FSV) du TA tels que les cellules endothéliales microvasculaires, les précurseurs adipocytaires, les cellules immunitaires et les fibroblastes produisent divers facteurs attribués abusivement à l’activité du seul adipocyte dans les premiers travaux. En dehors des productions strictement adipocytaires, au moins 80 % des sécrétions du TA proviennent des cellules de la FSV(10). Les données les plus récentes ont révélé que le sécrétome protéique du TA (i.e., l’ensemble des protéines sécrétées par le TA) représente plusieurs centaines de peptides. Une étude protéomique récente du sécrétome adipocytaire humain a révélé la présence de 260 candidats protéiques dans le milieu de culture d’adipocytes ; 44 se sont avérés être des adipokines potentielles(11). En ce qui concerne les cellules immunitaires, il est bien reconnu que des lymphocytes T et des macrophages s’accumulent dans le TA des obèses. Cette population de macrophages présente un mélange de phénotypes qui peuvent cohabiter et évoluer dans le temps avec l’expansion de la masse grasse et voir leurs capacités sécrétoires évoluer.   Conflits d’intérêt : Je déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article.    

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