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Physiologie-Physiopathologie

Publié le 30 sep 2014Lecture 20 min

La néoglucogenèse intestinale - Son implication dans la régulation du métabolisme glucidique

G. MITHIEUX, Inserm U855, Université Lyon 1, Villeurbanne


Il est connu depuis longtemps que l’intestin peut contribuer à la régulation de l’homéostasie du glucose par l’intermédiaire de sa grande capacité d’utilisation du glucose. Récemment, une nouvelle fonction dans le métabolisme glucidique intestinal (la néoglucogenèse) a été décrite. L’intestin contribue notamment à environ 20-25 % de la production totale de glucose endogène pendant le jeûne. De façon intéressante, la néoglucogenèse intestinale est capable à l’état nourri post-absorptif de réguler l’homéostasie énergétique à travers une communication avec le cerveau. Le système neuronal périportal détecte le glucose (produit par la néoglucogenèse intestinale) dans les parois de la veine porte et envoie un signal au cerveau pour moduler les sensations de faim et l’homéostasie du glucose. En outre, les protéines alimentaires mobilisent la néoglucogenèse intestinale comme un lien obligatoire entre leur détection dans la veine porte et leur effet de satiété. De façon similaire, les fibres alimentaires fermentescibles exercent leurs effets anti-obésité et anti-diabète par l’induction de la néoglucogenèse intestinale. Enfin, la néoglucogenèse intestinale pourrait également être impliquée dans les améliorations métaboliques rapides induites par certaines chirurgies gastriques de l’obésité.

L’augmentation mondiale de l’obésité et des pathologies associées rend de plus en plus cruciaux les efforts pour mieux comprendre les mécanismes de la prise alimentaire et de contrôle de l’homéostasie énergétique. Les sensations de faim et de satiété sont des facteurs déterminants dans le contrôle de la prise alimentaire. Chez les individus normaux, il existe un équilibre entre la sensation de faim précédant le repas et la sensation de plénitude survenant après l’assimilation des nutriments. Cet équilibre est dérégulé dans l’obésité, si bien que la sensation de satiété est retardée ou émoussée. Les mécanismes qui sous-tendent le passage de la sensation de faim à la sensation de plénitude après un repas englobent la modulation de la distension gastrique, des changements dans la motilité intestinale et la sécrétion d’hormones gastro- intestinales telles que ghréline, cholécystokinine (CCK), peptide YY3-36 (PYY3-36) et glucagon-like peptide 1 (GLP-1). Il est intuitif que le système neuronal gastro-intestinal joue un rôle clé dans la transmission des signaux de motilité intestinale et de distension stomacale vers le cerveau. Cependant, le système gastrointestinal joue également un rôle dans les effets nerveux centraux et systémiques des hormones. En effet, l’effet des hormones est diminué après section chirurgicale du nerf vague. De plus, l’augmentation de l’apport alimentaire et la sécrétion de l’hormone de croissance favorisée par la ghréline sont inhibées par vagotomie, de même que la diminution de la prise alimentaire initiée par la CCK, le PYY3-36 ou le GLP-1. En outre, l’action du GLP-1 est initiée au moins en partie par l’intermédiaire de récepteurs du GLP-1 localisés dans le système neuronal périportal. En conséquence, l’amélioration du contrôle glycémique par le GLP-1 est atténuée par les antagonistes du récepteur GLP-1 dans la veine porte. Récemment, de nouvelles données ont suggéré que les lipides dérivant de l’alimentation pourraient moduler la production endogène de glucose par l’intermédiaire du système gastro-intestinal nerveux extrinsèque. Enfin, un métabolite connu depuis longtemps pour son rôle dans la régulation de la faim et de la prise alimentaire via sa détection par les nerfs gastro- intestinaux est le glucose lui-même, un phénomène connu sous le nom de « signal glucose portal »(pour revue 1). La détection portale de glucose régule la sensation de faim La vitesse d’apparition de glucose dans la veine porte pendant l’assimilation d’un repas caractéristique de la nutrition humaine actuelle (environ la moitié des calories sous forme de glucides) est plus élevée que celle découlant de la production endogène de glucose (PEG). Ainsi, il a depuis longtemps été émis l’hypothèse que le glucose pourrait réguler la faim au cours de la digestion des repas. Conformément à cette logique, les perfusions de glucose dans la veine porte à un taux équivalent ou légèrement supérieur à la PEG diminuent les apports alimentaires chez le rat auparavant à jeun. La perfusion de glucose dans la veine porte à ces taux initie également diverses réponses physiologiques et comportementales, y compris l’acquisition de préférences alimentaires et l’activation des afférences vagales et spinales et des neurones hypothalamiques(1). Cependant, la perfusion intraportale de glucose à des vitesses bien inférieures (un sixième de la PEG) est suffisante pour initier à la fois l’activation des noyaux hypothalamiques et une limitation de la prise alimentaire chez les rats(2) (figure 1). Figure 1. Effet du glucose portal sur la prise alimentaire chez le rat. Les rats sont perfusés dans la veine porte avec du sérum salin (O) ou glucosé (12 ou 25 mmol/kg/min), ce qui représente 1/6 et 1/3 de la PEG chez le rat à l’état post-absorptif. Leur prise alimentaire est déterminée dans la période diurne (carrés noirs) ou nocturne (ronds noirs) (cf. réf. N°2 pour plus de détail expérimental). *, ** p < 0,05 et 0,01 vs 0 (test t de Student, valeurs appariées). Alors que la perfusion de glucose intraportale peut représenter ce qui se produit au cours de la période postprandiale, il a été montré que l’ingestion de glucose, même en grande quantité, ne détermine pas la fin d’un repas en cours. En revanche, elle diminue la taille du repas suivant. Ceci a suggéré que le signal glucose portal pourrait être lié à un phénomène de satiété, plutôt que de rassasiement. Récemment, le mécanisme moléculaire impliqué dans la détection du glucose à des vitesses faibles dans la veine porte a été déchiffré. Un rôle putatif des récepteurs du goût ou de GLUT-2 (le transporteur responsable de la détection du glucose dans la cellule bêta du pancréas) peut être écarté. Plusieurs arguments nous ont permis de suggérer que le récepteur de glucose SGLT-3 présent dans les parois de la veine porte pourrait être responsable du signal glucose portal, et non pas le transporteur de glucose GLUT-2 comme on le suppose généralement(3). Il faut noter que les afférences innervant la veine porte suivent à la fois la branche hépatique commune et la branche cœliaque du nerf vague, mais aussi la colonne vertébrale. Les effets centraux du signal glucose portal ne sont pas annulés par vagotomie chirurgicale de la branche hépatique commune du nerf vague(3), alors qu’ils sont supprimés par l’application de capsaïcine autour de la veine porte, un traitement qui inactive toutes les afférences vagales et spinales(2). Ceci suggère que le signal glucose portal peut aussi être transmis par la branche cœliaque vagale et/ou par la colonne vertébrale, tandis qu’une idée généralement admise est qu’elle est transmise par la voie vagale ventrale. Que les faibles taux de glucose apparaissant dans la veine porte soient à même de réduire l’apport alimentaire a conduit à l’hypothèse que la néoglucogenèse, une fonction récemment décrite dans l’intestin, pourrait moduler les sensations de faim via l’activation d’un signal glucose portal. La néoglucogenèse : une nouvelle fonction dans le paysage du métabolisme intestinal Que l’intestin participe à la régulation de l’homéostasie du glucose via son utilisation de glucose élevée et son intense activité glycolytique est connu depuis très longtemps. En outre, il est à noter que l’augmentation de l’utilisation du glucose par l’intestin est probablement impliquée dans l’action hypoglycémiante de la metformine, un médicament antidiabétique oral largement utilisé. Dans les années 1970, Windmueller et Spaeth ont accompli une étape cruciale dans la connaissance du métabolisme intestinal. En utilisant un modèle d’intestin perfusé isolé chez le rat, ils ont montré que l’intestin grêle est capable d’utiliser la glutamine avec la même efficacité que le glucose. À cette époque, la glutamine était principalement considérée seulement comme un substrat énergétique majeur pour l’organe. Plus récemment, il a été montré que le gène de la glucose-6-phosphatase (Glc6Pase), c’est-à-dire le gène conférant la fonction de la néoglucogenèse au foie et au rein, est exprimée chez le rat et l’homme(4). Cela a permis de documenter le lien entre les métabolismes intestinaux de la glutamine et du glucose. En fait, il a ensuite été montré que l’intestin grêle est capable de contribuer à la PEG, comme le foie et le rein, par l’intermédiaire de sa fonction néoglucogénique. Celle-ci prend place notamment pendant le jeûne et dans les conditions de carence en insuline(5). De plus, la glutamine est le principal précurseur du glucose formé dans ce tissu au cours du jeûne, le glycérol étant un substrat supplémentaire possible. Il est intéressant de noter que l’expression des gènes de la Glc6Pase et de la phosphoénolpyruvate carboxykinase-forme cytosolique (PEPCK-C, l’autre enzyme régulatrice majeure de la néoglucogenèse) est régulée par l’insuline dans l’intestin comme elle l’est dans le foie. La néoglucogenèse intestinale est le messager de la satiété induite par les protéines On sait depuis longtemps que les protéines alimentaires exercent des effets puissants de satiété et induisent l’augmentation de la dépense énergétique de repos. Les mécanismes sous-jacents restaient mal compris. L’hypothèse que la consommation alimentaire diminuée pouvait être due à une aversion gustative conditionnée, à une sensation de malaise ou à la faible palatabilité des aliments riches en protéines a pu être exclue(2). Un rôle supposé du système mélanocortinergique hypothalamique a également été écarté. En effet, les régimes hyperprotéiques induisent une augmentation de l’expression du neuromédiateur orexigène Agoutirelated protein (AgRP) et une diminution de l’expression du précurseur du neuromédiateur anorexigène µ-melanin-stimulating hormone (µ-MSH). Ceci suggère que le système mélanocortine pourrait s’opposer, plutôt que de servir de médiateur, au phénomène de satiété initié par les régimes enrichis en protéines. En fait, il a été montré que les régimes enrichis en protéines (REP) initient leurs effets de satiété indirectement, via la néoglucogenèse intestinale et le signal glucose portal. Les REP induisent l’expression des gènes régulateurs de la néoglucogenèse intestinale : Glc6Pase, PEPCK-C et glutaminase (figure 2). Il en résulte une libération de glucose dans la veine porte pendant la période post-absorptive. La production intestinale de glucose représente 5-10 % de la PEG après un repas standard enrichi en glucides et environ 20-25 % de la PEG après REP(2). Cela est suffisant pour compenser l’absorption intestinale du glucose, de sorte que la glycémie portale est égale à la glycémie artérielle à l’état post-absorptif (la glycémie portale est inférieure à la glycémie artérielle à l’état post-absorptif après les régimes à base d’hydrates de carbone). Cela est suffisant pour activer le détecteur portal de glucose et à réduire la faim. Figure 2. Effet du régime enrichi en protéines (REP) sur l’expression des enzymes de la néoglucogenèse intestinale. Les activités enzymatiques des enzymes régulatrices sont déterminées en conditions de vitesse maximale dans le jéjunum de rats nourris pendant 3 jours avec le REP. *, p < 0,05 (test t de Student, non apparié). Comme attendu, les nerfs portaux ascendants sont essentiels dans ce phénomène. En effet, un traitement périportal à la capsaïcine abolit l’effet freinateur de la faim induit par les régimes hyperprotéinés(2). De plus, cet effet du REP est perdu chez des souris invalidées pour la Glc6Pase intestinale, ce qui démontre la relation causale entre la néoglucogenèse intestinale et l’effet de satiété résultant des protéines alimentaires. Un chaînon manquant dans l’effet de satiété des régimes alimentaires enrichis en protéines était le mécanisme par lequel ils sont capables d’induire l’expression des gènes de la néoglucogenèse intestinale. Cela a été récemment décrypté. Dans le cerveau, les récepteurs μ-opioïdes (RMO) peuvent interférer avec le contrôle de la prise alimentaire, via leur rôle dans le système de « récompense ». Il est connu depuis longtemps que les fractions peptidiques libérées par protéolyse de protéines alimentaires présentent des activités μ-opioïdes in vitro. En accord avec cette dernière observation, divers oligopeptides présentent une activité μ-opioïde in vitro, la structure minimale requise étant celle d’un dipeptide. On savait aussi qu’une fraction des oligopeptides issus de la digestion des protéines alimentaires peut traverser la muqueuse intestinale et être libérée dans le sang portal. Ainsi, il a déjà été proposé qu’ils pourraient exercer un rôle de signal à un site mésentérique ou gastro-intestinal, les RMO étant présents dans le système nerveux entérique. Cela a soulevé l’hypothèse attrayante que les RMO pourraient être impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire via la néoglucogenèse intestinale(6). En accord avec cette hypothèse, les agonistes RMO (comme le DAMGO) inhibent l’expression intestinale des gènes de la néoglucogenèse et augmentent l’apport de nourriture quand ils sont perfusés dans la veine porte de rats conscients. Au contraire, les antagonistes RMO (comme la naloxone) ou divers peptides induisent la gluconéogenèse intestinale et diminuent la prise alimentaire(6). Les régions cérébrales de connexion des afférences ventrales vagales (c’est-à-dire le complexe vagal dorsal) et les afférences spinales (c’est-à-dire le noyau parabrachial) et les noyaux hypothalamiques régulant la prise alimentaire (c’est-à-dire le noyau arqué et le noyau paraventriculaire) sont impliqués dans l’arc réflexe de régulation de la néoglucogenèse intestinale. Il est intéressant de noter que, comme pour le signal glucose, tous ces effets dépendent de l’intégrité du système nerveux périportal(6). Que l’induction RMO-dépendante de la néoglucogenèse intestinale soit causale dans l’effet coupe-faim des REP a été indiqué par l’observation que : - les souris RMO-KO n’induisent pas la néoglucogenèse intestinale en réponse à des perfusions portales d’oligopeptides et sont insensibles aux régimes protéinés ; - en plus d’être insensibles à des régimes alimentaires enrichis en protéines, les souris porteuses de délétion du gène intestinal de la Glc6Pase ne diminuent pas leur prise alimentaire en réponse à des perfusions portales d’antagonistes RMO ou d’oligopeptides(6). Le mécanisme de signalisation initié par les REP est résumé dans la figure 3. Figure 3. Signalisation nerveuse induite par les protéines alimentaires. RMO : récepteurs m-opioïdes. Les fibres exercent leurs effets anti-obésité et anti-diabète via la néoglucogenèse intestinale Les fibres alimentaires, qu’on trouve en quantité substantielle dans les fruits et légumes, sont un élément clé d’une alimentation saine. Il existe deux principaux types de fibres alimentaires : les fibres insolubles (comme la cellulose ou la lignine) et les fibres solubles (par exemple les glucides complexes tels que les galacto-oligosaccharides ou les fructo-oligosaccharides [FOS]). Les fibres ne peuvent pas être digérées par les enzymes intestinales des mammifères. Contrairement aux fibres insolubles, les fibres solubles sont fermentées par la flore microbienne dans l’intestin distal en acides gras à chaîne courte (AGCC) : acétate, propionate et butyrate, qui sont ensuite utilisés par le métabolisme de l’hôte. Les régimes enrichis en fibres sont associés à des effets bénéfiques sur l’obésité et sont connus depuis longtemps pour améliorer la sensibilité à l’insuline et la tolérance au glucose chez les sujets diabétiques minces ou obèses. Cependant, comme pour les REP, les mécanismes qui sous-tendent les avantages métaboliques associés à la consommation de fibres solubles sont restés longtemps insaisissables. Ces avantages étaient supposés être conférés par les AGCC à travers la régulation de l’homéostasie énergétique. Toutefois, le butyrate est un substrat énergétique essentiel pour les colonocytes et les entérocytes, et il semble contre-intuitif que l’augmentation de la récupération d’énergie puisse être associée à un bénéfice sur l’homéostasie énergétique. De même, le propionate est classiquement décrit comme étant un efficace substrat de la gluconéogenèse hépatique, alors qu’une augmentation de la production hépatique de glucose est reconnue comme un facteur causal de la résistance à l’insuline. Ainsi, on voit mal comment cela pourrait être concilié avec un avantage métabolique des fibres solubles sur le contrôle glycémique. La néoglucogenèse intestinale opérant en amont du foie et en aval du site de production d’AGCC à partir des fibres, nous avons émis l’hypothèse que le propionate pourrait être converti en glucose dans l’intestin et induire les bénéfices liés aux fibres solubles via le signal glucose portal. De fait, les carbones de 14C-propionate perfusé à des rats s’incorporent activement dans le glucose libéré par l’intestin grêle(7). En outre, il existe une forte induction des gènes régulateurs de la néoglucogenèse dans le jéjunum de rats nourris avec des régimes enrichis en FOS, en propionate ou en butyrate. Il est à noter que l’induction de la méthylmalonyl-CoA mutase, l’enzyme responsable du métabolisme du propionate, a lieu chez les rats nourris avec le régime propionate spécifiquement. Fait intéressant, l’induction de l’expression des gènes de la néoglucogenèse a lieu aussi dans le côlon, le site où le microbiome réside, alors que cette partie de l’intestin n’exprime pas la Glc6Pase avec un régime hyperglucidique standard. Au niveau mécanistique, le butyrate stimule l’expression des gènes de la gluconéogenèse directement dans la muqueuse de l’entérocyte via une augmentation de l’AMPc intracellulaire, ce dernier étant un facteur clé qui conditionne l’activation de l’expression des gènes de la néoglucogenèse intestinale. C’est le résultat d’un mécanisme surprenant, lié à la grande capacité du butyrate à générer de l’ATP dans la cellule intestinale, ce qui stimule l’adénylate cyclase par un effet substrat. Au contraire, comme les peptides (voir ci-dessus), le propionate agit via un circuit neuronal portal-central- intestinal initié par le biais de sa liaison (en tant qu’agoniste) au récepteur des acides gras libres FFAR3 pour activer l’expression des gènes de la néoglucogenèse intestinale. De même que pour les peptides, les deux voies, vagale et spinale, sont impliquées dans la transmission du signal vers le cerveau. Quel que soit le mécanisme (expression des gènes et/ou substrat dans le cas du propionate), il en résulte une libération de glucose dans le sang portal en période postabsorptive pour les trois régimes (jusqu’à environ 20 % de la PEG pour le régime propionate)(7). Comme attendu, s’agissant des fibres solubles ou des AGCC, les trois régimes sont associés à plusieurs avantages métaboliques chez les rats, incluant une modération du gain de poids corporel et une diminution des dépôts de graisse en raison de l’augmentation des dépenses énergétiques, une meilleure tolérance à l’insuline et au glucose, une diminution de 10 à 15 % de la glycémie à jeun et une diminution de l’activité de Glc6Pase hépatique et de la production hépatique de glucose(7). En accord avec un rôle de la néoglucogenèse intestinale et du signal glucose portal dans ces améliorations métaboliques, les avantages sont strictement dépendants de l’intégrité du système nerveux périportal, car ils ne prennent pas place chez des rats traités par la capsaïcine localement autour de la veine porte. Pour tirer profit du modèle G6Pase intestinale-KO, nous avons transposé ces expériences chez la souris. Cela nous a permis d’évaluer le rôle causal de la néoglucogenèse intestinale dans les effets des fibres. Les expériences ont été réalisées à la fois dans des conditions d’alimentation standards et en conditions de régimes riches en lipides et en saccharose (HF-HS). Qualitativement, l’inclusion de FOS dans le régime alimentaire des souris induit les mêmes avantages métaboliques que chez les rats. Cependant, les effets sont amplifiés de façon marquée chez les souris alimentées en régime HF-HS. Ces dernières résistent de façon spectaculaire au développement de l’obésité et conservent une très bonne tolérance à l’insuline et au glucose(7). L’observation la plus frappante a été dérivée de la souris G6Pase- KO dans l’intestin. Chez ces souris dépourvues du signal bénéfique de la néoglucogenèse intestinale, non seulement aucun avantage n’est observé dans le régime enrichi en FOS, mais il y a une aggravation du contrôle glycémique et un accroissement du gain de poids par rapport aux souris sauvages (figure 4). L’aggravation de l’obésité est probablement due à l’énergie supplémentaire récupérée sous forme de butyrate. Pour l’aggravation du contrôle glycémique, nous avons supposé que cela pouvait provenir du fait que le propionate non utilisé par la néoglucogenèse intestinale pourrait atteindre le foie et intégrer la néoglucogenèse hépatique, produisant ainsi un glucose « délétère » à la place d’un glucose « bénéfique ». En accord avec cette hypothèse, la concentration portale de propionate est plus élevée chez les souris G6PC-KO intestinal que chez les souris sauvages, tandis qu’aucune augmentation n’est observée dans le sang périphérique(7). Figure 4. Effet des fibres fermentes cibles sur la prise de poids chez la souris. Les souris sauvages (WT, carrés pleins) ou Glc6Pase-KO dans l’intestin (I-G6pc-/-, losanges pleins) sont alimentées 2 semaines avec un régime riche en graisse et en saccharose, supplémenté (HF-HS + FOS, en vert) ou non (HF-HS, en rouge) en fibres. *, p < 0,05 vs HF-HS (test t de Student, non apparié). Fibres, acides gras à chaîne courte et microbiote : quel lien ? Il est intéressant de mentionner qu’un regain d’intérêt pour les fibres solubles et les AGCC a émergé récemment en raison de l’association identifiée entre la composition du microbiote intestinal et l’obésité et ses pathologies associées. Comme chez l’humain, l’abondance des phylums principaux est considérablement altérée dans la flore microbienne colique par la supplémentation en fructo-oligosaccharides (FOS), quel que soit le contexte génétique (sauvage ou KO). Notamment, l’alimentation enrichie en FOS augmente l’abondance des Bacteroidetes, un phylum généralement associé à la santé métabolique, tout en réduisant l’abondance des Firmicutes, un phylum majeur associé aux maladies métaboliques(7). Malgré de changements similaires dans le microbiote dans les deux génotypes KO et sauvage (cf. figure 5 présentant une analyse en 2 composantes principales : génotype versus alimentation), les résultats métaboliques sont radicalement différents. Figure 5. Effet de la supplémentation en FOS sur la composition microbiote intestinal chez la souris. L’analyse en deux composantes principales (génotype vs régime) montre la prépondérance de l’alimentation sur le profil du microbiote dans les deux génotypes. La présence (sur le plan fonctionnel) de la flore microbienne de l’intestin est bien entendu essentielle puisque c’est elle qui convertit les fibres en AGCC. Cependant, nos données suggèrent fortement que la composition du microbiote ne joue pas de rôle en soi dans les bénéfices métaboliques des fibres. On sait bien par ailleurs que les phylums traditionnellement associés aux maladies métaboliques comprennent aussi des espèces productrices d’AGCC. En revanche, les bénéfices des fibres dépendent totalement de la fonction néoglucogénique intestinale(7). La figure 6 résume les mécanismes de signalisation initiés par les fibres fermentescibles. Figure 6. Signalisation métabolique et nerveuse induite par les fibres fermentescibles et leurs métabolites. Un rôle de la néoglucogenèse intestinale dans le by-pass gastrique Contrairement à l’anneau gastrique, la chirurgie gastrique de l’obésité de type by-pass engendre des bénéfices considérables sur l’apport alimentaire et l’homéostasie du glucose chez les patients diabétiques obèses morbides(8). Il a été proposé qu’une sécrétion accrue de GLP-1 en réponse au repas pourrait expliquer à la fois la diminution de la faim et l’amélioration rapide du diabète. Toutefois, une autre explication a été suggérée à partir d’études menées dans un modèle de gastroentéroanastomose chez la souris, une chirurgie proche du by-pass, qui promeut des avantages métaboliques très comparables à ceux du by-pass gastrique chez la souris. Une induction marquée de la néoglucogenèse intestinale relayée par signal glucose portal a été associée à ces phénomènes chez les souris diabétiques obèses après un pontage gastroentéro-anastomose et pas après anneau gastrique(8). L’augmentation a été particulièrement marquée dans l’intestin grêle distal (iléon), une région de l’intestin exprimant de faibles quantités d’enzymes néoglucogéniques dans la situation témoin (figure 7). De plus, aucun effet de la gastroentéroanastomose ne prend place après l’inactivation des afférences neuronales périportales(8). Il est essentiel de mentionner ici que la libération de glucose intestinal en situation post-absorptive pourrait avoir lieu après by-pass gastrique chez l’homme. Ce point a été discuté dans une revue récente(9). Enfin, il faut souligner que la néoglucogenèse intestinale, qui diminue la sensation de faim et améliore la sensibilité à l’insuline, et la sécrétion de GLP-1, qui améliore la sécrétion d’insuline, peuvent agir en synergie pour promouvoir l’ensemble des effets bénéfiques des by-pass gastriques sur l’homéostasie glucidique et énergétique.  Figure 7. Effet d’un by-pass gastrique sur la néoglucogenèse intestinale et ses effets métaboliques chez la souris obèse. Conclusions L’intestin est connu pour être un organe fortement utilisateur de glucose, à travers sa glycolyse très active. Il participe donc activement au turn-over du glucose et au contrôle de la glycémie par ce biais. Récemment, une nouvelle fonction lui a été attribuée : la néoglucogenèse intestinale et son rôle dans la régulation de l’homéostasie énergétique à travers une communication avec le cerveau. Le cerveau, en particulier l’hypothalamus, joue un rôle majeur dans le contrôle de la prise alimentaire et de l’homéostasie du glucose en intégrant différents signaux (par exemple, les hormones comme la leptine ou l’insuline) capables d’influencer les sensations de faim et la dépense énergétique. En outre, le système nerveux gastrointestinal participe à la régulation des sensations de faim via la détection d’au moins deux macronutriments majeurs : le glucose (notamment produit par la néoglucogenèse intestinale) et les peptides (provenant de l’assimilation des protéines alimentaires).  Concernant le mécanisme de détection du glucose portal, le rôle du récepteur de glucose SGLT-3 a été fortement suggéré. Les protéines alimentaires agissent indirectement pour moduler la sensation de faim et l’apport alimentaire. Elles mobilisent la néoglucogenèse intestinale comme un lien obligatoire entre leur détection dans la veine porte sous forme de peptides issus de leur protéolyse (par les récepteurs μ-opioïdes) et leur effet de satiété.  De manière similaire, les fibres alimentaires solubles exercent leurs effets antiobésité et anti-diabète à travers l’induction de la néoglucogenèse intestinale. FFAR3 est un récepteur neuronal clé impliqué dans la détection spécifique du propionate et l’activation d’un arc réflexe intestin-cerveau induisant la fonction néoglucogénique intestinale. Il faut noter que les rôles respectifs du nerf vague et de la moelle épinière ont été mis en évidence dans tous les cas, alors que la voie vagale est généralement considérée comme prépondérante dans la transmission des signaux gastrointestinaux au cerveau. Enfin, la néoglucogenèse intestinale pourrait également être impliquée dans les améliorations métaboliques rapides induites par les by-pass gastriques dans l’obésité. Ainsi, cette nouvelle connaissance du dialogue entre la néoglucogenèse intestinale et l’hypothalamus pourrait ouvrir la voie à des approches futures de prévention et/ou de traitement des maladies métaboliques. La figure 8 présente le mécanisme de signalisation initié par la néoglucogenèse intestinale et les effets métaboliques bénéfiques qui lui ont été attribués au cours de ces études.       Figure 8. Mécanisme de signalisation centrale induit par la néoglucogenèse intestinale et ses effets métaboliques. Remerciements L’auteur tient à remercier tous les membres de son équipe, et particulièrement Fabienne Rajas, Amandine Gautier-Stein et Carine Zitoun, qui ont participé le long de plusieurs années aux travaux résumés ici. L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.   

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